Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE) publiée le 26/01/2023

M. Fabien Gay attire l'attention de Mme la ministre de la transition énergétique sur les conditions d'indemnisation par l'État des fournisseurs alternatifs dont les offres reposent sur un principe d'activation différée.

Alors que de nombreux fournisseurs alternatifs sont indemnisés par l'État pour la mise en place du bouclier tarifaire, il apparaît toutefois que plusieurs d'entre eux proposent des contrats reposant sur un principe d'activation différée.

Prétendant permettre aux consommateurs et consommatrices de bénéficier de tarifs « moins chers que le tarif bleu d'EDF », ces contrats qui se présentent comme étant indexés sur le tarif réglementé d'électricité sont toutefois assortis d'une mention « activation au 31 mars 2023 ».

Dans le cas de Ohm Énergie, qui fait actuellement l'objet d'une enquête par la commission de régulation de l'énergie (CRE) pour des soupçons de revente d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) sur le marché de gros, il est possible de lire qu'avant cette date du 31 mars 2023, le tarif pratiqué sera fixé à 0,1665 euros/KWh (soit 166,5 euros le megawattheure).

Ce fonctionnement, dont Ohm Énergie n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, pose deux problèmes fondamentaux.

D'une part, au regard du relèvement du plafond de l'ARENH de 20 TWh, opéré en 2022 pour permettre aux fournisseurs alternatifs d'appliquer le bouclier tarifaire grâce à l'octroi d'un volume supplémentaire perçu à 42 euros/MWh.

La persistance d'offres aux tarifs quatre fois supérieurs à 42 euros/MWh parmi celles proposées par ces fournisseurs alternatifs interroge nécessairement quant à l'utilisation faite par ces derniers du quota supplémentaire d'ARENH dont ils ont bénéficié. Le problème est d'ailleurs le même pour les quotas d'ARENH dont ils bénéficient au titre de l'année 2023 ; quel circuit justifie qu'un opérateur, qui achète le MWh à 42 euros, puisse le revendre aux particuliers à 166,5 euros ?

Pour en venir au second problème, étroitement lié au premier, il est tout aussi questionnable qu'un fournisseur soit indemnisé par l'État pour la mise en place du bouclier tarifaire, lorsque ce dernier pratique par ailleurs des offres différées dans le temps. Ainsi, il serait possible d'acheter le MWh à 42 euros, de fournir ses clients sur une base de 166,5 euros/MWH durant plusieurs mois avant de passer au montant des tarifs réglementés de vente de l'électricité, et de recevoir, après tout cela, une indemnisation conséquente de l'État.

Notons par ailleurs que durant l'année 2022, les opérations de maintenance sur la moitié du parc nucléaire ont contraint EDF à acheter de l'électricité au prix du marché de gros (800 euros/MWh en août) pour être en capacité de la revendre à 42 euros le MWh aux fournisseurs alternatifs.

Un tel circuit se répercuterait donc à la fois sur les consommateurs (qui se voient vendre des contrats « moins chers que le tarif bleu », en réalité quatre fois plus chers que ce dernier), sur le budget de l'État (qui indemnise les fournisseurs pour le bouclier tarifaire qu'ils n'appliquent pas toute l'année), et sur EDF (qui a dû acheter de l'électricité à prix fort sur le marché pour fournir le supplément d'ARENH nécessaire au bouclier tarifaire).

Il souhaite ainsi connaître les règles d'indemnisation des fournisseurs alternatifs et savoir si ces derniers ont bel et bien le droit de recevoir une compensation de l'État alors qu'ils proposent la souscription de contrats plus chers que les tarifs réglementés de vente de l'électricité. Si des règles et conditions existent, il aimerait en connaître le détail et savoir si le principe d'activation différée est toléré.

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Réponse du Ministère de la transition énergétique publiée le 25/05/2023

La loi de finances pour 2023 précise que les pertes de recettes supportées au titre des réductions de prix appliquées par les fournisseurs d'électricité pour les dispositifs de bouclier tarifaire ou d'amortisseur électricité constituent des charges imputables aux obligations de service public, au sens de l'article L. 121-6 du code de l'énergie. A ce titre, elles sont établies sous le contrôle de la Commission de régulation de l'énergie, ayant le statut d'Autorité adminisrtrative indépendante, qui se voit de plus attribuer des missions spécifiques en ce sens par la loi de finances. Il convient de noter que la compensation ne peut excéder le montant nécessaire à la couverture des coûts d'approvisionnement pour l'activité de fourniture, attestés par le commissaire aux comptes du fournisseur ou, le cas échéant, par son comptable public, effectivement supportés par les fournisseurs pour les consommateurs concernés sur l'année 2023. La Commission de régulation de l'énergie précise par délibérations les modalités selon lesquelles les réductions de prix sont appliquées et s'assure de la bonne application de ces dispositions dans le cadre de ses missions de surveillance du marché de détail prévues à l'article L. 131-2 du code de l'énergie. S'agissant de l'ARENH octroyé aux fournisseurs alternatifs, le dispositif est construit de manière à ce que les quantités d'ARENH servent à l'approvisionnement du portefeuille de consommateurs des fournisseurs qui en bénéficient : à cet effet, un complément de prix permet de capter a posteriori les bénéfices qu'un fournisseur aurait pu réaliser en revendant sur les marchés ses quantités d'ARENH excédentaires par rapport aux besoins de ses clients et de pénaliser les fournisseurs effectuant une demande excessive. Par ailleurs, pour éviter que certains fournisseurs fassent des demandes d'ARENH qui ne correspondraient pas à des besoins pour l'approvisionnement de leurs clients, les pouvoirs de la CRE ont été renforcés récemment. D'une part, le décret n° 2022-1380 du 29 octobre 2022 modifiant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique vise à donner à la Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans le cadre de son contrôle ex-ante sur le niveau de demande des fournisseurs, la capacité de le corriger s'il s'avère que celui-ci est manifestement excessif par rapport au portefeuille du fournisseur ou à ses possibilités de croissance de portefeuille. En effet, depuis 2019, la somme des volumes d'ARENH demandés dépasse le volume d'ARENH maximal pouvant être cédé par EDF, occasionnant un phénomène de rationnement des droits à l'ARENH des consommateurs français. Ce phénomène s'est accentué depuis, et est de nature à rendre le prix des offres de fourniture d'électricité de plus en plus dépendant des fluctuations du marché de gros de l'électricité. Dans ces conditions, ce décret a pour objectif de s'assurer que les volumes d'ARENH bénéficient au mieux aux consommateurs, et d'éviter au maximum que des volumes d'ARENH soient alloués à des fournisseurs dont la demande d'ARENH ne serait pas motivée par l'approvisionnement d'un portefeuille de consommateurs, mais par la perspective de revente sur les marchés de volumes achetés à prix règlementé bien inférieur. Utilisant les nouveaux pouvoirs conférés par ce décret du 29 octobre 2022, la CRE a corrigé les demandes de 14 fournisseurs lors du guichet pour l'année 2023 arrivant à un retraitement de 0,56 TWh (pour 148,9 TWh demandés initialement). D'autre part, l'article 181 de la loi de finances pour 2023 a étendu les pouvoirs de la CRE en lui permettant de suspendre tout ou partie des livraisons des volumes d'ARENH si ces volumes sont manifestement trop éloignés des volumes en portefeuille du fournisseur ou si le maintien de l'activité de ce dernier devient trop incertain. Précisément, la loi dispose désormais que « lorsqu'un fournisseur connaît des difficultés de nature à compromettre la poursuite de son activité ou lorsque les volumes d'électricité effectivement fournis par ce fournisseur sont manifestement inférieurs aux hypothèses de consommation communiquées dans sa demande, y compris pendant les heures ne servant pas à la détermination des droits théoriques, sans que cette circonstance soit justifiée par des motifs extérieurs au comportement de ce fournisseur, le président de la Commission de régulation de l'énergie peut, à tout moment, saisir en urgence le comité de règlement des différends et des sanctions d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'interruption de tout ou partie de la livraison des volumes d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique à ce fournisseur, pour une durée qui ne peut excéder celle de la période de livraison en cours ». Enfin, en cas d'abus avéré dans l'utilisation de l'ARENH, les fournisseurs indélicats s'exposent à des sanctions prononcées par le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS), organe indépendant de la CRE, qui a le pouvoir de sanctionner notamment tout abus de droit d'ARENH ou d'entrave à l'exercice de ce droit. Le CoRDiS peut prononcer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 8% du montant du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos du fournisseur. Le CoRDiS peut également prononcer une interdiction temporaire, pour une durée n'excédant pas un an, de l'accès aux réseaux. La Commission de régulation de l'énergie a récemment indiqué que certains fournisseurs faisaient l'objet d'investigations, en particulier s'agissant d'agissements susceptibles de constituer un abus d'ARENH (cf. communiqué de presse du 9 septembre 2022).

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