Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SER) publiée le 23/02/2023

M. Jean Pierre Sueur appelle l'attention de Mme la Première ministre sur les dysfonctionnements observés dans les saisines par le Gouvernement du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, créé par la loi n° 2013 921 du 17 octobre 2013. Ce conseil, composé majoritairement des représentants des élus des collectivités locales, a pour mission d'évaluer, en amont, les normes relatives aux collectivités locales incluses dans les projets de textes législatifs et règlementaires. Son rôle est donc essentiel pour éviter l' « inflation normative » dont se plaignent régulièrement les élus locaux. Or, trois associations nationales (l'association des maires de France, départements de France et régions de France) ont récemment fait état du recours « abusif » par le Gouvernement à la procédure d'urgence pour saisir cette instance. Ainsi, lors de sa séance du 15 décembre 2022, ce conseil a été saisi de 8 textes en urgence et de 3 textes en extrême urgence sur un total de 22 projets de normes. Or, l'étude des textes juridiques en question demande un certain temps et ne saurait être conduite dans des délais très courts, voire dans des délais de 48 heures - ce qui, de surcroît, ne facilite pas, loin s'en faut, la possibilité pour les élus siégeant au sein de cette instance de se libérer pour participer à ses réunions. En outre, certains projets de textes qui devraient l'être ne sont pas soumis à ce conseil. Ainsi, son président a t il fait récemment observer que le conseil n'avait pas été consulté sur le projet de décret dédié à l'urbanisme commercial de l'objectif « zéro artificialisation nette des sols » (ZAN). Il lui demande en conséquence quelles dispositions elle compte prendre afin, d'une part, que le conseil national d'évaluation des normes soit effectivement saisi de l'ensemble des projets de textes qui relèvent de ses missions et, d'autre part, qu'il soit mis fin à l'abus de saisines d'urgence, voire d'extrême urgence de celui ci afin qu'il puisse exercer ses compétences dans des conditions permettant l'examen approfondi des textes qui lui sont soumis.

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Réponse du Première ministre publiée le 06/04/2023

Institué par l'article L. 1212-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le Conseil national de l'évaluation des normes (CNEN) est une commission administrative à caractère consultatif, rattachée à une administration centrale de l'Etat, la direction générale des collectivités locales (DGCL) qui en assure le secrétariat. Composée majoritairement des représentants des élus des collectivités territoriales, le CNEN est chargé d'évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. A ce titre, il est consulté par le Gouvernement sur les projets de lois et les projets de textes réglementaires créant ou modifiant des normes qui sont applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. Le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) est chargé de réaliser les saisines portant sur les textes ayant vocation à être délibérés en conseil des ministres (projets de loi, projets d'ordonnance et projets de décret en conseil des ministres). C'est également le SGG qui saisit le CNEN de tous les projets de textes nécessitant un examen en procédure d'urgence (quinze jours) ou d'extrême urgence (72h), en lien avec les ministères rédacteurs des textes concernés et le secrétariat du CNEN. Les ministères effectuent directement l'ensemble des autres saisines de leurs projets de décrets et d'arrêtés en procédure de droit commun, soit six semaines à compter de la transmission d'un projet de texte au secrétariat du CNEN. Dans ce cas, c'est au ministère rédacteur qu'il appartient d'apprécier la nécessité de saisir ou non le CNEN. Le SGG veille à ce qu'il soit fait une application la plus large possible de la doctrine arrêtée par le Conseil d'Etat dans sa décision du 26 octobre 2018 (Association Regards Citoyens, B, n° 403916), selon laquelle doivent être regardées comme des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics autant les normes qui les concernent spécifiquement ou principalement que les normes qui affectent de façon significative leurs compétences, leur organisation, leur fonctionnement ou leurs finances. Ainsi, lorsqu'il est sollicité par un ministère dans le cadre des travaux d'élaboration d'un projet de texte et de ses documents d'évaluation préalable, s'il existe un doute sur la nécessité de saisir le CNEN de ce texte pour avis, le SGG encourage cette saisine, dans un souci de transparence de l'action publique. S'agissant du décret n° 2022-1312 du 13 octobre 2022 relatif aux modalités d'octroi de l'autorisation d'exploitation commerciale pour les projets qui engendrent une artificialisation des sols, le Gouvernement a fait une analyse de la compétence du CNEN au regard de cette doctrine et en a conclu que ce texte ne s'inscrivait pas dans le champ de la consultation du CNEN. Cette analyse a par ailleurs été confirmée dans le cadre des travaux d'examen de ce texte par le Conseil d'Etat. En ce qui concerne le recours aux procédures d'urgence pour saisir le CNEN, leur usage est effectivement en augmentation. Cette augmentation, toutefois, n'est pas le reflet d'un manque d'attention du Gouvernement à la nécessité de consulter le CNEN et s'explique par plusieurs contraintes objectives. Il convient tout d'abord de préciser que le nombre de textes examinés par le CNEN est en augmentation depuis ces deux dernières années (une cinquante de projets de norme supplémentaires par an sur la période 2021-2022). Cette situation s'explique en partie par le caractère exceptionnel du contexte de la gestion de la crise sanitaire, qui a nécessité l'adoption de nombreuses réformes exigeant une entrée en vigueur rapide. Elle a nécessairement eu des répercussions sur les calendriers d'examen des textes par le CNEN. Plus généralement, la double exigence de sécurité juridique et de responsabilité politique implique, pour le Gouvernement, de faire en sorte que les textes d'application des lois adoptées par le Parlement soient publiés dans un délai raisonnable. La période récente a été marquée par l'obligation de publication de nombreux textes d'application de lois promulguées en 2021 et 2022. A titre d'illustration, les séances du CNEN des 1er et 15 décembre dernier ont été consacrées à de très nombreux textes à examiner en urgence qui devaient être publiés au plus tard le 31 décembre 2022. S'agissant des saisines en urgence réalisées le samedi, il convient de préciser qu'elles sont rares et qu'elles s'inscrivent dans les délais autorisés par le CNEN afin d'éviter de recourir à une saisine en extrême urgence, qui ne permettrait pas de disposer d'un temps supplémentaire pour mener de nouvelles concertations avec les associations d'élus en cas d'avis défavorable rendu par le CNEN en première délibération. En effet, si l'article L. 1212-2 du CGCT impose une seconde délibération lorsque le CNEN émet un avis défavorable, il ne prévoit pas de seconde délibération dans le cadre d'une saisine en extrême urgence. Le Gouvernement souscrit pleinement à l'objectif d'un moindre recours aux saisines en urgence du CNEN, afin de garantir des conditions optimales d'examen des projets de textes. A cet effet, un travail régulier de sensibilisation est réalisé par le SGG auprès des ministères afin que les échéances relatives au calendrier de consultation du CNEN soient prises en compte dans le cadre du processus d'élaboration des normes nouvelles. De même, une harmonisation des méthodes de travail est recherchée avec le secrétariat du CNEN, visant à informer au plus tôt les associations d'élus sur les saisines à venir, ajuster le nombre de séances à prévoir et rendre plus fluide la transmission des délibérations. Le SGG veille ainsi à favoriser le partage d'informations et de bonnes pratiques, susceptibles de limiter le nombre de saisines accélérées.

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