Question de M. KANNER Patrick (Nord - SER) publiée le 09/03/2023

Question posée en séance publique le 08/03/2023

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Ma question s'adresse à Mme la Première ministre.

Onze mots. En onze mots, vous allez sacrifier 18 millions de Français sur l'autel de la rentabilité financière, les onze mots de cette simple phrase tirée de votre projet de loi : « Le mot “soixante-deux” est remplacé par le mot “soixante-quatre”. »

Depuis que le Président de la République a souhaité que soit mise en œuvre cette réforme inutile et injuste, vous faites tout pour que le débat démocratique ne puisse pas se dérouler, car vous êtes minoritaires dans le pays et au Parlement.

La nuit dernière, votre gouvernement de droite, madame la Première ministre, était main dans la main avec la droite sénatoriale de M. Retailleau pour empêcher que l'on discute correctement du report de deux ans de l'âge de la retraite (Marques d'ironie et protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), alors que le même jour des millions de Français étaient dans la rue pour dire non.

Votre volontarisme, c'est en fait de l'entêtement. Votre équilibre financier, c'est en fait un nouvel impôt sur la vie. Votre intérêt général, c'est en fait la préservation des privilèges.

Pourtant, les vrais sujets ne manquent pas : inflation, précarité, services publics fragilisés. La France est au bord de l'implosion sociale et vous regardez ailleurs. Vous mettez en place une réforme des retraites qui pèse sur le dos des salariés sans appeler à la solidarité des plus riches.

Mais là-haut, à l'Élysée, on n'écoute pas. On n'entend pas les Français. Je me fais l'écho de l'intersyndicale et je répète ses mots : « Le silence du Président de la République constitue un grave problème démocratique qui conduit à une situation qui pourrait devenir explosive. »

Madame la Première ministre, pouvez-vous demander au Président d'entendre les Français ? Pouvez-vous lui demander de recevoir l'intersyndicale comme elle le demande ? Pouvez-vous lui demander de retirer cette réforme ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)


Réponse du Première ministre publiée le 09/03/2023

Réponse apportée en séance publique le 08/03/2023

M. le président. La parole est à Mme la Première ministre.

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Monsieur le sénateur Patrick Kanner, comme toutes les réformes précédentes, celle que nous portons pour les retraites suscite certaines oppositions qui s'expriment notamment dans la rue. (Marques d'approbation ironique sur les travées des groupes SER et CRCE.) C'est le droit des syndicats et de nos concitoyens. Ce droit, je le respecte, bien évidemment, et je respecte les Français et les syndicats qui font entendre leur opposition dans le respect de nos lois.

Hier, une journée de mobilisation s'est tenue, avec sensiblement le même nombre de manifestants qu'à la fin du mois de janvier,… (Vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Hussein Bourgi. Darmanin vous donnera leur nombre exact !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. … dans la plupart des cas sans débordements. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Je veux saluer les forces de l'ordre mobilisées pour veiller à la sécurité de cette journée d'action.

Je veux aussi saluer la responsabilité des manifestants. Je regrette bien sûr que des incidents aient émaillé certains cortèges, par exemple à Paris ou à Marseille. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Je condamne les coupures d'électricité dans certains tribunaux, dans certaines universités, dans certains quartiers et dans certaines permanences parlementaires. (Brouhaha sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Le droit de grève, ce n'est pas le droit au blocage ou la volonté de mettre notre économie à genoux. Hier soir, l'intersyndicale a demandé à être reçue. Le Gouvernement est toujours prêt et ouvert au dialogue, comme il l'a montré ces derniers mois. (Marques d'ironie sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Si les organisations syndicales souhaitent évoquer certains points particuliers, la porte du ministre du travail, Olivier Dussopt, reste toujours ouverte. (Vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)

M. Fabien Gay. On veut voir le Président de la République !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Car, je le rappelle, c'est bien dans la concertation et le dialogue que ce texte a été construit. (Protestations sur les travées du groupe SER.) C'est après trois mois de concertation avec les organisations syndicales et patronales, ainsi qu'avec les groupes parlementaires, que nous avons décidé de décaler progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, et non pas à 65 ans, comme prévu initialement. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

Je rappelle aussi que c'est grâce au dialogue que nous avons décidé de revaloriser les plus petites pensions des retraités actuels.

M. Fabien Gay. Les 1 200 euros, plus personne n'y croit !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je vous rappelle encore que c'est grâce au dialogue que nous avons amélioré le texte sur la pénibilité. Ces sujets ne vous semblent peut-être pas assez importants, monsieur le sénateur Gay ; pourtant, ils le sont !

Sur la pénibilité, les transitions emploi-retraite, la prise en compte des trimestres de travaux d'utilité collective – les fameux TUC des années 1980 –, les changements sont significatifs. Nous sommes prêts à en faire d'autres. J'ai, par exemple, eu l'occasion de dire que j'étais ouverte à une surcote pour toutes celles qui auront atteint la durée de cotisation à 63 ans.

M. Pascal Savoldelli. Et les superprofits ?

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Toutes ces questions sont au cœur du débat au Parlement. Vous en discutez actuellement au sein même de cet hémicycle.

M. Pascal Savoldelli. On est bâillonnés !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. Je le répète, nous sommes prêts à faire évoluer, à améliorer et à enrichir ce texte dans le respect des équilibres que nous avons définis.

Mais, pour y parvenir, nous devons pouvoir débattre loyalement, ouvertement et franchement. Je peine à comprendre, monsieur le président Kanner, votre ton, vos insinuations et vos attaques. Comme vous le savez, le Gouvernement n'intervient pas dans l'organisation des débats au Sénat. (Rires ironiques sur les travées des groupes SER et CRCE.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps de la concertation a eu lieu. Le débat au Parlement doit se tenir, dans le respect des uns et des autres, sans blocage et avec une volonté de discussion sincère.

M. Pascal Savoldelli. Et les amendements de la nuit dernière !

Mme Élisabeth Borne, Première ministre. C'est le fondement de notre démocratie. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas opposer la légitimité de la rue à celle de nos institutions.

Depuis quelques jours et jusqu'à la fin de la semaine, la discussion va se poursuivre au Sénat. Plus de cent heures de débats sont prévues au total. Vous avez les cartes en main pour agir, pour enrichir le texte, pour donner à tous les Français le débat démocratique qu'ils réclament. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Madame la Première ministre, vous n'étiez pas dans l'hémicycle la nuit dernière : vous auriez peut-être tenu un discours différent.

M. Martin Lévrier. Nous, nous y étions !

M. Patrick Kanner. Finalement, quand j'ai employé le mot d'entêtement, je me suis trompé : j'aurais dû parler d'aveuglement vis-à-vis de notre pays.

Plutôt que de répliquer à votre propos, je veux parler aux Français : ils pourront compter sur nous, sur notre détermination, pour faire face à cette mauvaise réforme, indigne au regard de leurs intérêts. Je vous le dis très simplement, ils peuvent compter sur nous, au Sénat, pour être leurs porte-voix ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)

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