Question de Mme DUMAS Catherine (Paris - Les Républicains) publiée le 16/03/2023

Mme Catherine Dumas interroge Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe sur une évolution possible de la protection des oeuvres de l'art appliqué dans l'Union européenne.

Elle indique que les oeuvres de l'art appliqué, c'est-à-dire les modèles, sont actuellement protégés, en France notamment, par la loi sur le droit d'auteur (sans obligation de dépôt) et par la loi sur les modèles (dépôt à l'institut national de la propriété industrielle INPI– communautaire ou international), et que ces dispositions (si un dépôt a été effectué) peuvent s'appliquer cumulativement. La définition d'une oeuvre de l'art pur ne différant pas de celle d'une oeuvre de l'art appliqué.
Elle précise que ce système du cumul, système à l'origine duquel se trouve la France, est incontestablement le plus protecteur, que le Bénélux a adopté ce cumul et que plusieurs États européens y viennent.
Elle rappelle que les créations des oeuvres de l'art appliqué sont l'objet de contrefaçons qui causent aux pays de l'Union européenne, chaque année, un préjudice considérable. Une étude de l'office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) de 2019 a pour titre « 55,9 milliards d'euros et 467 835 emplois perdus chaque année dans l'Union européenne à cause de la contrefaçon ». Les secteurs affectés sont notamment les vêtements, chaussures et accessoires, articles de sport, jouets et jeux, articles de bijouterie, joaillerie et montres, maroquinerie. Une situation confirmée par un rapport 2020 de la Cour des comptes sur « La lutte contre les contrefaçons ».
Elle s'inquiète que, malgré les conséquences économiques de la contrefaçon des modèles, plusieurs arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) (12 septembre 2019 et 11 juin 2020 notamment) pourraient amener l'Union européenne à évoluer vers une protection moindre et aléatoire de l'art appliqué en contradiction notamment avec la jurisprudence des tribunaux et cours français spécialisés.
Elle souhaiterait connaitre la position de la France si l'Union européenne devait présenter des textes qui rendraient la protection accordée aux oeuvres de l'art appliqué incertaine ou aléatoire, le dépôt obligatoire, ou la définition de l'oeuvre protégée par le droit d'auteur modifiée.
Elle suggère d'ailleurs que, compte tenu de l'importance de la question posée, une réunion des acteurs concernés, notamment les syndicats professionnels, soit envisagée afin de dresser un rapport en conséquence, faisant connaître la position de la France, afin d'être communiqué en amont aux instances concernées de l'Union européenne.

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Transmise au Ministère de la culture


Réponse du Ministère de la culture publiée le 01/06/2023

Aux termes de plusieurs arrêts récents, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a précisé les modalités du cumul de protection par le droit d'auteur et le droit spécifique des dessins et modèles et clarifié les conditions d'accès à la protection par le droit d'auteur d'oeuvres des arts appliqués, qualifiés d'oeuvres utilitaires, dans le domaine de la mode, du design, etc. Si le principe du cumul de protection du droit d'auteur et du droit de dessins et modèles est consacré dans plusieurs normes européennes applicables en France (directive 98/71/CE du 13 octobre 1998, sur la protection juridique des dessins ou modèles et règlement n° 6/2002 du 12 décembre 2001, sur les dessins et modèles communautaires), la CJUE rappelle que ce cumul n'est pas automatique. Le droit d'auteur et le droit des dessins et modèles poursuivent des objectifs différents et ont donc chacun vocation à protéger un certain type de créations, selon des régimes distincts. La protection par le droit des dessins et modèles présente un caractère utilitaire, visant à la rentabilisation d'un investissement sur une période limitée, alors que la protection par le droit d'auteur, d'une durée plus longue, s'applique à une oeuvre que la jurisprudence européenne définit en substance comme étant une création intellectuelle qui reflète la personnalité de son auteur en manifestant les choix libres et créatifs de celui-ci. L'arrêt du 12 septembre 2019 de la CJUE ne fait que réaffirmer cette démarcation qui, si elle a pu ne pas être toujours parfaitement appliquée, correspond au principe déjà existant dans le droit national d'un cumul partiel et non automatique de protection. Le cumul de protections reste parfaitement possible, mais sous réserve que les conditions propres de chacun des deux régimes soient remplies. S'agissant de l'application du droit d'auteur, la Cour relève que la directive 2001/29 ne prévoit aucune condition de protection supplémentaire pour les oeuvres utilitaires par rapport aux autres catégories d'oeuvres littéraires et artistiques. Les oeuvres des arts appliqués sont en conséquence soumises aux mêmes conditions de protection, sans référence à d'autres exigences tirées, notamment, de l'effet esthétique produit. L'arrêt du 12 septembre 2019 de la CJUE ne remet pas en cause le principe d'un possible cumul des protections pour les créations utilitaires ; il se borne à réaffirmer les conditions d'application propres à chacune des protections telles qu'elles sont déjà connues en France, à savoir l'existence d'une oeuvre identifiable et originale pour le droit d'auteur. L'arrêt du 11 juin 2020 de la CJUE confirme qu'une oeuvre utilitaire satisfaisant à la condition d'originalité peut bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur, quand bien même la réalisation de celle-ci a été déterminée par des considérations techniques, pour autant qu'elles n'empêchent pas l'auteur de « refléter sa personnalité » dans cet objet, en manifestant des « choix libres et créatifs ». En outre, le récent projet de révision du règlement et de la directive sur les dessins ou modèles industriels, initié par la Commission européenne, maintient le principe du cumul de la protection au titre de dessins ou modèles et par le droit d'auteur. La France restera extrêmement vigilante à ce que ledit projet ne remette pas en cause le principe de cumul et de protection des oeuvres des arts appliqués auquel elle demeure particulièrement attachée.

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