Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE) publiée le 27/04/2023

M. Fabien Gay attire l'attention de M. le ministre de la santé et de la prévention sur les conclusions alarmantes d'un rapport paru ce 20 avril 2023 au sujet des conditions d'accès à l'aide médicale d'État (AME).

Issu d'un travail d'enquête inter-associatif réunissant La Cimade, Dom'Asile, Comède, Médecins du monde et le Secours catholique, ce rapport, issu d'une enquête conduite en Ile-de-France, fait état d'importantes difficultés d'accès aux soins, qui conduit 49 % des personnes éligibles à l'AME à y renoncer. Au total, 64 % des personnes interrogées ont rencontré des difficultés pour se soigner ; sept sur dix ont renoncé à se soigner.

Ces chiffres consternants sont le résultat direct des impacts de la réforme de l'AME, qui date de 2019. En imposant un délai de 3 mois de présence en situation irrégulière sur le territoire, et en rendant obligatoire le dépôt physique des premières demandes au guichet des caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), les dernières évolutions législatives ont eu pour conséquence directe d'entraver l'accès aux soins de personnes dont les parcours de vie favorisent pourtant l'émergence et l'aggravation de problèmes de santé.

Concernant le premier point, l'accueil du public par les CPAM est loin d'être suffisamment dimensionné et adapté aux besoins des personnes éligibles à l'AME. D'importantes disparités territoriales sont constatées d'un département francilien à l'autre ; alors qu'en Seine-et-Marne, les onze CPAM du territoire peuvent accueillir les primo-demandeurs, une seule sur douze le permet en Seine-Saint-Denis.

Les modalités de dépôt de demandes diffèrent également d'un territoire à l'autre. Dans certains cas, il est possible de se présenter sans rendez-vous ; dans d'autres, il faut non seulement réserver un créneau, mais également avoir un premier rendez-vous téléphonique avant de se rendre physiquement en agence. Ces disparités, conjugués à la dématérialisation croissante des services publics, agissent comme un facteur de dissuasion auprès de publics dont les situations requièrent pourtant des soins urgents.

Il souhaite ainsi savoir si le Gouvernement entend permettre aux personnes éligibles à l'AME d'en bénéficier véritablement, notamment en permettant le dépôt des premières demandes dans l'ensemble des CPAM. Il aimerait aussi connaître les perspectives d'action prévues face aux multiples constats bouleversants livrés par cette enquête.

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Transmise au Ministère de la santé et de la prévention


Réponse du Ministère de la santé et de la prévention publiée le 21/12/2023

Créée par la loi CMU du 27 juillet 1999, l'Aide médicale de l'Etat (AME) vise à assurer une couverture maladie aux personnes démunies en situation irrégulière, en poursuivant une triple logique : humanitaire (donner un accès aux soins aux personnes fragiles), de santé publique (éviter la propagation de maladies), et économique (prévenir les surcoûts liés à des soins retardés et pratiqués dans l'urgence). Ce dispositif permet donc de soigner ceux qui sont malades sur notre sol et de prévenir les effets sur le reste de la population. L'AME bénéficiait à 403 327 bénéficiaires en moyenne en 2022. Elle est ouverte à tout étranger en situation irrégulière et à ses ayants droit (conjoint et enfants), sous conditions de ressources (plafond de 810 euros par mois pour une personne seule) et de résidence stable et irrégulière en France de plus de trois mois. L'évolution des dépenses d'AME, estimées à environ 1,2 milliard d'euros par an, est pour partie corrélée au nombre de bénéficiaires, par nature difficile à anticiper. Il convient cependant de noter que l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'AME est en partie la conséquence de mesures induisant une bascule de la Sécurité sociale vers l'AME (réduction de la durée de maintien des droits d'un an à six mois pour les assurés, dont le titre de séjour a expiré, délai de carence de 3 mois pour être affiliés à la Sécurité sociale appliqué aux demandeurs d'asile notamment). La moitié des personnes en situation irrégulière ne la sollicitent pas. L'évolution des dépenses du dispositif dépend également de la nature et des tarifs des soins consommés, ce qui explique que l'évolution des dépenses et celle des bénéficiaires ne soient pas systématiquement parallèles. Depuis le 1er janvier 2021, le panier de soins a été réduit pour les bénéficiaires de moins de 9 mois. Les soins remboursés après ce délai ne sont pas des soins esthétiques ou de confort. L'AME ne finance pas de soins non essentiels. Les principaux postes de dépenses de l'AME sont les accouchements, les affections respiratoires (Covid-19, pneumonie), les problèmes digestifs comme les affections hépatiques, les problèmes cardiovasculaires (comme les embolies pulmonaires ou les insuffisances cardiaques), ou encore les prises en charge de cancers. Les rhinoplasties remboursées sont des chirurgies réparatrices : ces opérations visent à rendre l'intégrité du visage du patient en cas de malformation, maladie, choc ou ablation. Le médecin statue sur la nécessité de cet acte. Par ailleurs, les montants de ces actes soumis à un délai de carence de neuf mois sont très faibles. A titre d'exemple, les montants remboursés au titre de la chirurgie des oreilles décollées représentaient moins de 10 000 euros en 2018. Les dépenses de l'Etat au titre de l'AME représentent moins de 0,5 % des dépenses totales de santé. La dépense moyenne par bénéficiaire de l'AME est la même que le reste des assurés (moins de 2 700 euros par an en 2018). De surcroît, le coût moyen par bénéficiaire est en baisse : la dépense moyenne trimestrielle par bénéficiaire est ainsi passée de 674 euros en 2018 à 598 euros en 2021. Il s'agit d'une des dépenses les plus suivies parmi toutes les dépenses publiques. Enfin, il convient de rappeler que les bénéficiaires de l'AME présentent en moyenne un état de santé plus dégradé que celui de la population générale, du fait notamment de pathologies souvent prises en charge tardivement en raison de l'absence de dépistage à l'arrivée en France et de la méconnaissance par les personnes de leur état de santé. D'après une étude de Médecins du monde concernant l'état de santé des personnes accueillies dans les Centres d'accès aux soins et d'orientation (CASO) en 2021, 51,8% des patients en situation administrative irrégulière, pris en charge en consultation, présentaient un retard de recours aux soins. Le ministère de la santé et de la prévention avait bien pris connaissance du rapport paru le 20 avril 2023 au sujet des conditions d'accès à l'AME. Il avait, dans la foulée, organisé des échanges avec les associations qui en étaient à l'origine. Le ministère a identifié aussi certaines difficultés rencontrées sur le terrain, s'agissant notamment des modalités de prise de rendez-vous. Pour y remédier, les CPAM ont reçu comme consigne de proscrire la prise de rendez-vous préalable : elles doivent accueillir tous les demandeurs, y compris ceux n'ayant pas de rendez-vous. Plus largement, les maisons France services ont vocation à jouer un rôle croissant à ce sujet, notamment en devenant des points d'accueil de dépôt des demandes. Un point d'attention particulier est également placé sur la bonne information des personnes. A la demande de la Première ministre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, le ministre de la santé et de la prévention et la ministre déléguée en charge de l'organisation territoriale et des professions de santé, ont confié, le 10 octobre 2023, une mission sur l'AME à Claude Evin, ancien ministre de la Santé et Patrick Stéfanini, conseiller d'Etat honoraire. Le rapport de cette mission a été remis le 4 décembre 2023 aux ministres. Il confirme qu'il s'agit de l'une des dépenses les plus maitrisées et les plus contrôlées de l'Etat, et montre également qu'il ne s'agit pas d'un dispositif qui favoriserait le tourisme médical. Les propositions formulées par les rapporteurs, une fois étudiées, pourront faire l'objet d'une évolution réglementaire ou législative dans un texte spécifique.

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