Question de M. KANNER Patrick (Nord - SER) publiée le 18/01/2024

Question posée en séance publique le 17/01/2024

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, dans un exercice assumé d'autosatisfaction, le président Macron m'a hier rassuré. Notre pays va bien, l'ascenseur social fonctionne et nos services publics ont les moyens de remplir leurs missions !

J'ai sans doute été distrait, car, pour moi, la réalité est tout autre. Dans ma réalité, l'école publique est fragilisée par des professeurs non remplacés et désabusés. L'hôpital public s'effondre. J'ai en tête l'exemple tristement emblématique de la maternité Jeanne de Flandre, à Lille, qui transfère une partie de ses patientes et de leurs bébés en Belgique. Dans ma réalité, la France compte désormais près de 5 millions de pauvres et la classe moyenne a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Le déclassement social frappe de plus en plus nos concitoyens. Dans ma réalité, le logement traverse une crise d'une ampleur inédite depuis trente ans, sans que nous disposions, à ce stade, d'un ministre de plein exercice.

Monsieur le Premier ministre, il faut ouvrir les yeux. Tel est l'état de la France, dont vous êtes comptable. Les propos du Président de la République traduisent sa déconnexion avec le quotidien des Français. Pour lui, c'est la moralisation et l'ordre pour les citoyens, la dérégulation et le désordre pour les intérêts financiers. Ce n'est pas d'optimisme dont il a fait preuve hier soir : il cultive une amnésie politicienne pour conserver le mauvais cap qu'il a fixé voilà bientôt sept ans.

Quant aux Français, ils n'ont rien oublié : ni l'injuste réforme des retraites, ni la stigmatisation des chômeurs, ni la xénophobie rampante de la loi Immigration. Monsieur le Premier ministre, aurez-vous la lucidité de poser ce constat ? Aurez-vous l'audace d'en tirer toutes les conséquences ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER. - M. Ian Brossat applaudit également.)

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Réponse du Premier ministre publiée le 18/01/2024

Réponse apportée en séance publique le 17/01/2024

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président Kanner, manifestement, nous n'avons pas assisté à la même conférence de presse. Les nombreux Français qui l'ont suivie à la télévision...

M. Hussein Bourgi. Moins nombreux que pour ses voeux !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. ... ont pu entendre, au contraire, un Président de la République lucide sur les difficultés de notre pays et les défis que nous avons à relever. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

Cette lucidité doit-elle nous empêcher de reconnaître et de mettre en avant un certain nombre de progrès intervenus ces dernières années dans notre pays ? Je ne le crois pas !

M. Hussein Bourgi. Lesquels ? Le pouvoir d'achat ? La santé ? Le logement ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. S'agissant du taux de chômage, particulièrement bas, un taux que nous n'avons pas connu depuis un certain nombre d'années, ne peut-on pas parler de progrès, non pas pour le Gouvernement ou le Président de la République, mais pour ces millions de Français qui ont pu retrouver un emploi ?

M. Olivier Paccaud. Tout va très bien, madame la marquise !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Face au décollage de l'apprentissage, qui concernera bientôt, dans notre pays, 1 million de jeunes, ne peut-on pas parler de progrès, non pas pour le Gouvernement ou le Président de la République, mais pour tous ces jeunes qui pourront trouver leur voie grâce à l'apprentissage ?

M. Emmanuel Capus. Excellent !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. S'agissant des droits ouverts, ces dernières années, sur l'initiative du Président de la République et de sa majorité - je pense notamment à l'ouverture de la PMA, la procréation médicalement assistée, à toutes les femmes -, ne peut-on pas parler de progrès, non pas pour le Gouvernement ou le Président de la République, mais pour toutes les femmes qui pourront s'engager dans un projet familial ? Je pourrais encore multiplier les exemples.

Cela me rend-il aveugle ou sourd aux difficultés que traversent les Français et à la situation du pays ? La réponse est non. Je crois l'avoir dit dès ma prise de fonction à Matignon, lors de la passation de pouvoir : je suis lucide sur les difficultés, les angoisses, les inquiétudes, les doutes et les colères de nombreux Français. Je pense aussi à ceux qui n'expriment pas de colère, tout simplement parce qu'ils n'attendent plus rien. J'en suis conscient.

Je le sais, tous les Français qui travaillent chaque jour, qui sont toujours au rendez-vous de leurs responsabilités, et qui ont toujours le sentiment d'avoir un peu plus de ce qu'il faut pour être accompagnés par la solidarité nationale et un peu moins de ce qu'il faut pour s'en sortir tout seuls, attendent beaucoup de nous.

J'en suis conscient, les Français attendent évidemment beaucoup en matière de santé, d'accès aux soins et d'hôpital.

Monsieur Kanner, chacun le sait, j'ai été membre du parti socialiste (Murmures ironiques sur les travées du groupe SER.),...

M. Olivier Paccaud. Personne n'est parfait !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. ... et j'ai travaillé auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé. Or les budgets et l'investissement alloués à l'hôpital public depuis 2017, notamment au travers du Ségur de la santé, nous en aurions rêvé dans les précédentes majorités ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. - Mme Françoise Gatel et M. Franck Dhersin applaudissent également. - Protestations sur les travées du groupe SER.)

Les arbitrages financiers rendus à l'époque n'avaient pas été ceux-là ! Nous avons fait le choix clair et résolu de soutenir l'hôpital. Bien évidemment, l'argent ne suffit pas. Il faut poursuivre la transformation, particulièrement en travaillant sur les coopérations, pour l'accès aux soins de tous les Français. Tel est le mandat de Catherine Vautrin.

En ce qui concerne l'école, nous avons devant nous de nombreux défis à relever. Au cours de ces derniers mois, en tant que ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, ...

M. Jean-François Husson. Cela n'a pas duré longtemps !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. ... j'ai eu l'occasion de le dire, j'ai porté un constat lucide sur les difficultés de notre école, qui m'ont conduit à prendre un certain nombre de décisions assez fermes et assez radicales.

La question de la laïcité, notamment, ne doit jamais souffrir aucune contestation et doit être respectée en tout lieu de notre territoire.

M. Vincent Éblé. Quel rapport ?

M. Gabriel Attal, Premier ministre. J'ai pris cette décision extrêmement claire dès ma prise de fonction.

J'ai également affirmé le rétablissement de l'excellence et de l'exigence à tous les niveaux de l'école. En effet, on ne peut accepter que, pour certains, l'école soit devenue une forme de tapis roulant sur lequel on se pose, en se laissant glisser de classe en classe, sans que personne vérifie si l'on a le niveau pour passer dans la classe supérieure. C'est pour l'égalité des chances que l'on remet de l'exigence et de l'excellence à tous les niveaux.

La ministre de l'éducation nationale devra bien évidemment poursuivre cette action et déclinera le choc des savoirs que j'ai eu l'occasion d'annoncer.

M. Éric Kerrouche. Le choc, on l'a eu !

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Je suis tout aussi lucide en ce qui concerne les difficultés en matière de sécurité. Depuis 2017, nous avons créé 14 000 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires. Nous avons investi comme jamais dans la justice, avec un garde des sceaux particulièrement tonique pour obtenir des budgets supplémentaires pour son ministère, comme j'ai pu l'observer en tant que ministre des comptes publics. En la matière, les enjeux de transformation sont également importants, afin que le service public de la justice soit toujours au rendez-vous des Français.

Enfin, pour ce qui concerne la transition écologique et la protection de la planète, je suis également lucide. En tant que Premier ministre, je suis chargé de la planification écologique de notre pays, comme ma prédécesseure. J'aurai à coeur d'appliquer, et même d'accélérer, avec mes ministres, la feuille de route présentée par le Président de la République sur la planification, qui fait de la France un pays moteur en matière de transition écologique. (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

J'entends les critiques et les questions qui sont posées, mais j'attends que l'on me montre un pays de l'Union européenne qui s'engage autant que nous, un pays ayant réussi à réduire de 4 % ses émissions de gaz à effet de serre, comme nous l'avons fait l'an dernier ! Quel pays a réussi à faire la même chose dans l'Union européenne ? Aucun autre pays comparable au nôtre ne possède un niveau d'émission de CO2 par unité de production aussi faible que celui de la France !

Je n'ai pas l'intention de faire ici ma déclaration de politique générale. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) Quoi qu'il en soit, vous le voyez, j'ai des choses à vous dire. Je suis sûr que nous aurons, au Sénat, de très beaux débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.

M. Patrick Kanner. Monsieur le Premier ministre, je ne doute pas de votre sincérité. Simplement, je vous le dis comme je le pense : changer de premier violon ne change pas la partition. Alors que le Président de la République vous a qualifiés, vous et vos ministres, de soldats de l'an II lors du premier conseil des ministres situé à côté de son bureau, à l'Élysée, je ne voudrais pas que ces soldats de l'an II, qui ont sauvé la République, se transforment demain en cavaliers de l'Apocalypse, qui permettraient à l'extrême droite de s'installer dans ce pays. Malheureusement, votre politique est en train d'y concourir. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

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