Question de M. BLANC Étienne (Rhône - Les Républicains) publiée le 28/03/2024

Question posée en séance publique le 27/03/2024

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Étienne Blanc. Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous me confirmer que, mardi dernier à Marseille, vous avez convoqué des magistrats du siège et du parquet que nous avions entendus dans le cadre de la commission d'enquête sur le narcotrafic, placée sous la présidence de notre collègue Jérôme Durain ?

Pouvez-vous confirmer que vous leur avez reproché d'avoir tenu le propos suivant : « À Marseille, nous sommes en train de perdre la guerre contre le narcotrafic » ? Pouvez-vous confirmer que vous leur avez reproché d'avoir, en tenant ces propos, fait prospérer le Rassemblement national ?

Monsieur le garde des sceaux, pourquoi cette convocation ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 28/03/2024

Réponse apportée en séance publique le 27/03/2024

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Étienne Blanc, vous avez d'ores et déjà affirmé sur Europe 1 que j'aurais violé la séparation des pouvoirs, alors même que je dois être prochainement entendu devant votre commission d'enquête. De toute évidence, vous avez une vision assez particulière du contradictoire...

Je vous rappelle que cette réunion entre les magistrats marseillais et moi-même s'est tenue à huis clos. Sauf erreur de ma part, vous n'étiez pas présent. On vous a rapporté des propos...

Mme Marie-Arlette Carlotti. Donc, ils sont faux ?

M. Étienne Blanc. Il fallait m'inviter !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n'avais aucune raison de vous inviter, monsieur le sénateur !

En outre, vous oubliez un certain nombre de propos, qui conduisent à jeter la suspicion sur des policiers, des agents pénitentiaires, des greffiers, des cabinets d'instruction ou encore des avocats.

Pour ce qui concerne les greffiers et les juges d'instruction, je précise qu'il n'existe aucune procédure. J'ai d'ailleurs dit au magistrat qui a tenu ces propos qu'il avait bien de la chance que les greffiers ne se soient pas mis en grève.

Pour ce qui concerne les avocats, j'ai indiqué à la magistrate qui s'est exprimée que, si elle avait un reproche à formuler à l'un d'entre eux, il lui suffisait de saisir le procureur de la République, puisque c'est, au fond, son travail, pour qu'il en informe l'ordre des avocats. L'ordre des avocats ferait alors le sien.

Les magistrats sont libres de leur parole ; je l'ai d'ailleurs rappelé à mes interlocuteurs.

M. Olivier Paccaud. Ah !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mais le ministre l'est aussi ! Je suis chargé du bon fonctionnement de la justice et je ne retire rien des propos que j'ai tenus.

Dès le lendemain de cette réunion, certains ont parlé d'une véritable « boucherie ». Je ne suis ni boucher ni charcutier, monsieur le sénateur. (Sourires sur les travées du groupe RDPI.) J'ai tenu les propos qu'un garde des sceaux responsable est en droit de tenir (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe RDSE.), qui plus est après avoir déployé à Marseille des moyens si considérables. Sachez que les renforts que nous avons envoyés dans cette ville équivalent à l'effectif total des magistrats, des greffiers et des contractuels que compte le tribunal de Rouen : ce n'est pas rien !

Oui, j'ai fait valoir que, en affirmant qu'une guerre était perdue, on la perdait : c'est une réalité. J'assume totalement ces propos. (Marques d'impatiences sur les travées du groupe Les Républicains. - M. Michel Savin frappe son pupitre.)

M. le président. Il faut conclure.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je vais vous dire un dernier mot... (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Il faut conclure, monsieur le garde des sceaux !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Quand on respecte les magistrats, on ne taille pas dans la fonction publique comme vous l'avez fait, réduisant ainsi leur nombre ! (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. - M. Bernard Fialaire applaudit également.)

M. François Patriat. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Étienne Blanc, pour la réplique.

M. Étienne Blanc. Monsieur le garde des sceaux, quand le Gouvernement convoque des magistrats du siège, il viole délibérément le principe de séparation des pouvoirs...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pas du tout !

M. Étienne Blanc. ... protégé par notre Constitution.

Vous avez convoqué des personnes que nous avons entendues dans le cadre d'une commission d'enquête, sous serment, pour leur demander quoi ? De se rétracter ? De se parjurer ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous dites n'importe quoi !

M. Étienne Blanc. Monsieur le garde des sceaux, cela s'appelle de la subornation de témoins,... (Protestations sur les travées du groupe RDPI.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C'est lunaire...

M. Étienne Blanc. ... car notre commission d'enquête poursuit actuellement ses travaux.

Que nous ont dit ces magistrats ? Qu'à Marseille ils font face à d'énormes difficultés pour juger les trafiquants sévissant dans le cadre des réseaux...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. J'ai renforcé les équipes de magistrats !

M. Étienne Blanc. ... et que la ville subit une vague sans précédent, à laquelle ils ne peuvent faire face. (L'orateur appuie son propos d'un geste de la main.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ne me pointez pas du doigt, monsieur le sénateur !

M. Albéric de Montgolfier. C'est lui qui a la parole !

M. Étienne Blanc. Mon propos vous déplaît, mais je vous apostrophe et, dois-je vous le rappeler, vous êtes là pour me répondre, comme vous serez là pour répondre à la commission d'enquête !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C'est lunaire...

M. Étienne Blanc. Pis encore, dans les prisons, dont vous avez la responsabilité, les délinquants poursuivent leurs trafics. Depuis leur cellule, ils peuvent même commanditer des crimes.

Voilà ce qui inquiète les Français. Voilà pourquoi le Sénat a créé cette commission d'enquête, qui vous déplaît profondément.

M. le président. Il faut conclure !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je n'ai pas encore été entendu !

M. Étienne Blanc. Vous avez voulu instrumentaliser les témoins, alors que la commission d'enquête est en cours.

M. Xavier Iacovelli. Vous êtes partial !

M. Étienne Blanc. Le Sénat fera son travail jusqu'au bout pour alerter les Français face au narcotrafic, face à ce phénomène qui vous dépasse et qui dépasse le Gouvernement tout entier. Il y va de l'honneur du Sénat ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. - Applaudissements sur des travées du groupe UC. - M. Hussein Bourgi applaudit également.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C'est scandaleux, je n'ai pas encore été entendu ! Un peu de respect !

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