Question de M. ROUX Jean-Yves (Alpes de Haute-Provence - RDSE) publiée le 04/04/2024

M. Jean-Yves Roux attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les conditions de mise en oeuvre du décret n° 2022-1486 du 28 novembre 2022 relatif à l'encadrement de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000.
Ce décret encadre l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000 en demandant aux préfets de procéder sans délai au recensement des sites Natura 2000 concernés et à l'examen des mesures existantes.
Or il souligne que la mise en oeuvre de ce décret et des instructions liées s'avère lourde de conséquences pour les agriculteurs concernés.
S'agissant du secteur de la lavande, déjà touché par des épisodes climatiques, épidémiques et confronté à une très forte concurrence, les lavandiculteurs du plateau de Valensole sont concernés par ces restrictions, sur un périmètre de près de 15 000 hectares, sans concertation, ni contreparties envisagées.
Par ailleurs, il indique que des vergers établis avant la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable sont également situés dans des zones classées a posteriori dans les zones Natura 2000.
Il fait valoir que des investissements importants pour économiser la ressource en eau ont été réalisés sur ces exploitations. Les agriculteurs ont par ailleurs doté leurs vergers de filets pare-grêle et procèdent à une lutte anti-gel par aspersion qui s'avère la plus efficace et la plus économe en énergie fossile.
Ces arboriculteurs ont été aidés dans leur transition écologique par des financements publics, permettant ainsi leur classification des vergers en haute valeur environnementale niveau 3.
Or cette nouvelle réglementation Natura 2000, qui s'impose, sans concertation ni contractualisation met en péril ces exploitations déjà très fragilisées et qui ont fait montre d'une volonté importante d'évolution environnementale. Il fait ainsi valoir une distorsion de concurrence majeure avec les arboriculteurs européens concernant l'utilisation de produits de protection pour la filière, interdite en France et pourtant utilisée parmi les 71 % de fruits importés et consommés sur notre territoire.
La seule issue de ces arboriculteurs français est la transition vers l'agriculture biologique dont le marché est totalement défavorable.
Face à cette situation, il sollicite un examen attentif de la demande des agriculteurs, lavandiculteurs et arboriculteurs, de concertations et de contreparties financières. Il l'interroge sur les moyens mis en oeuvre pour réduire les distorsions de concurrence ainsi constatées au sein de l'Union européenne.

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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire publiée le 10/04/2024

Réponse apportée en séance publique le 09/04/2024

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 1214, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, il existe des décisions qui visent à atteindre des objectifs, certes louables, mais dont la mise en oeuvre est source d'incompréhensions et d'injustices.

À la suite d'une condamnation de la France, le décret n° 2022-1486 du 28 novembre 2022 encadre l'utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000.

Depuis le 17 novembre 2023, les préfets ont pour mission de procéder sans délai au recensement des sites concernés. Une instruction technique appelle ainsi à une application couperet des interdictions, à une contractualisation obligatoire des mesures agroenvironnementales et climatiques, voire à une conversion en bio.

Nous sommes assez loin de la démarche concertée et volontaire choisie par la France lors de la création du réseau Natura 2000.

Dans les Alpes de Haute-Provence, les agriculteurs concernés nous font pourtant part de leur volonté d'ouvrir des discussions pour trouver des solutions concertées et contractualisées, adaptées aux réalités locales.

Dans le secteur de la lavande, déjà touché par des épisodes climatiques et épidémiques, confronté à une très forte concurrence et aidé par la puissance publique en conséquence, les lavandiculteurs du plateau de Valensole sont fortement touchés par ces restrictions, sur un périmètre de près de 15 000 hectares, sans qu'aucune concertation ni contrepartie soient envisagées.

Les arboriculteurs du département dénombrent plusieurs vergers situés dans des zones classées a posteriori dans les zones Natura 2000. Or il faut rappeler, mes chers collègues, que bien des progrès ont été réalisés depuis 1999, notamment dans la nature et l'usage des phytosanitaires employés.

Par ailleurs, et nous avons tout lieu d'en être fiers, des investissements importants ont été réalisés sur ces exploitations pour économiser la ressource en eau, entre autres, grâce à des procédés respectueux de l'environnement. Ces arboriculteurs ont ainsi été aidés dans leur transition écologique par des financements publics, ce qui a permis à leurs vergers de bénéficier de la classification « exploitation de haute valeur environnementale ».

Aujourd'hui, l'application stricte de ces nouveaux zonages ne prend pas en compte les progrès réalisés depuis lors. Elle fragilise notre filière arboricole, qui subit des distorsions de concurrence majeures, alors que 71 % des fruits consommés sur notre territoire sont importés.

Madame la ministre, nos lavandiculteurs et arboriculteurs encaissent un coup supplémentaire. Aussi, je demande que des concertations soient ouvertes pour évaluer au mieux la possibilité de contractualisations locales tenant compte des progrès réalisés et, si besoin, pour mettre en oeuvre des mesures d'indemnisation adéquates. Nous savons que des exceptions sont possibles, comme en témoigne la décision que vous avez prise le 5 avril concernant la betterave sucrière.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, je vous remercie de cette question, qui montre que la gestion environnementale de l'agriculture suppose à la fois nuance et concertation.

Vous l'avez dit, la gestion des sites Natura 2000 repose sur des mesures de protection de la faune et de la flore, adaptées aux situations locales, formalisées dans des contrats et des chartes.

Rappelons quelques chiffres : le réseau français Natura 2000 comporte un peu plus de 1 750 sites terrestres et marins, représentant une surface terrestre de 7 millions d'hectares au total, soit environ 10 % de la surface agricole utile nationale. La moitié environ de cette surface est en prairie permanente, donc peu ou non concernée par les produits phytosanitaires. L'autre partie doit conjuguer gestion de l'environnement et production, à un moment où il faut protéger nos filières pour nourrir nos populations dans l'objectif d'assurer notre souveraineté alimentaire, sachant que notre agriculture est mieux-disante d'un point de vue environnemental que celle de bien d'autres pays.

Vous faites référence à une instruction concernant la mise en oeuvre du décret du 28 novembre 2022 relatif à l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000, qui a été envoyée aux préfets. Vous le savez, cette instruction propose une mise en oeuvre de l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques en deux temps.

D'abord, il s'agit, à court terme, d'identifier les sites présentant des enjeux particuliers en matière d'utilisation de ces produits. Sur ces sites, des mesures réglementaires, qu'il s'agisse d'arrêtés de protection ou d'arrêtés de zonage, pourront intervenir, mais des mesures volontaires seront avant tout privilégiées. Je le dis avec d'autant plus de force que nous travaillons actuellement sur le plan Écophyto 2030, lequel sera publié dans les prochains jours, et que nous ne souhaitons pas, c'est important de le dire, qu'il prévoie un nouveau zonage. Cela ne diminue en rien notre objectif de réduire de 50 % l'utilisation des produits phytosanitaires. Ce plan doit être coconstruit de manière raisonnée, en mettant toutes les parties prenantes autour de la table.

Ensuite, à long terme, dans le cadre de la décentralisation de l'autorité de gestion des sites Natura 2000, l'État veillera à assurer une articulation avec les régions sur l'examen et l'évaluation des objectifs de ces sites.

Vous l'avez compris, notre objectif est clair : protéger l'environnement, bien sûr - c'est l'intérêt de tous, des agriculteurs comme des citoyens -, tout en préservant nos filières, car nous avons tous collectivement intérêt à continuer de produire en France.

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