M. Henri de RAINCOURT

III. LA RÉFORME PERMET D'ACCOMPLIR LA MOITIÉ DU CHEMIN QUI MÈNERAIT À LA STABILISATION DES CHARGES DE PENSION

A. L'ÉQUILIBRE PRÉVU À L'HORIZON 2020

A législation inchangée, le besoin de financement des régimes de la fonction publique est évalué par le conseil d'orientation des retraites (COR) à 28 milliards d'euros en 2020 63 ( * ) , ce qui représente 1,3 % du PIB ( supra ).

La réforme doit permettre de diminuer ce besoin de financement de 13 milliards d'euros. Le tableau suivant permet de détailler les facteurs de cette inflexion.

Impact des différentes mesures sur le besoin de financement des régimes de la fonction publique en 2020

(en milliards d'euros)

Etat

CNRACL

Total

Besoin de financement en 2020, à droit constant

-20,8

-7,5

-28,3

Allongement de la durée d'assurance permettant une liquidation au taux plein, création de la décote et de la surcote, et réforme du minimum garanti

6,8

2,8

9,6

Indexation sur les prix

3,3

1,2

4,5

Création du régime additionnel

-0,4

-0,4

-0,8

Majoration du 10 ème dans la fonction publique hospitalière

-

-0,2

-0,2

Extension aux hommes de l'avantage de réversion

-0,05

-0,05

-0,1

Extension de la cessation progressive d'activité

-0,05

-0,05

-0,1

Solde des mesures de redressement

9,6

3,3

12,9

Besoin de financement en 2020, après réforme

-11,2

-4,2

-15,4

Source : réponse au questionnaire budgétaire, jaune « fonction publique » annexé au projet de loi de finances pour 2005

Si, pour le régime de l'Etat, le rendement attendu de la réforme s'élève à 9,6 milliards en 2020, il n'excèdera pas 1,9 milliard d'euros en 2010. Ces projections auront vocation à être actualisées dans le cadre des prochains travaux coordonnés par le COR en 2005.

B. LES INCERTITUDES CONCERNANT LE BESOIN DE FINANCEMENT RESTANT

1. L'« effort supplémentaire des employeurs »

Malgré l'ampleur de la réforme entreprise, il subsisterait, à l'horizon 2020, un besoin de financement des régimes de la fonction publique de l'ordre de 15 milliards d'euros, représentant environ 0,7 % du PIB.

Au moment de la présentation du projet de loi portant réforme des retraites, le gouvernement avait annoncé que « les régimes de la fonction publique seront équilibrés par un effort supplémentaire des employeurs (Etat, collectivités locales, hôpitaux) », concluant que « la réforme permet ainsi d'assurer l'intégralité des besoins de financement des régimes de retraite, tels qu'ils sont aujourd'hui prévus pour 2020 ».

Toutefois, la question restait posée de la nature de cet « effort supplémentaire des employeurs ». Dans les réponses données aux questionnaires budgétaires, il est fait état, dorénavant, d' « affectation de ressources publiques ».

En réalité, la démarche prospective n'est pas encore achevée, même si, d'une façon générale, il devait demeurer entendu que la réforme des retraites n'était pas réductible à de strictes considérations comptables.

2. Des modalités de financement à préciser

Compte tenu des efforts entrepris, votre rapporteur spécial ne voudrait en aucun cas laisser accroire que la réforme aurait été insuffisamment rigoureuse. Simplement, il estime nécessaire de donner la mesure concrète de ce que représentera un « effort supplémentaire des employeurs », dût-il prendre la forme, guère plus engageante, d'« affectation de ressources publiques » : cet effort ou cette affectation, toutes choses étant égales par ailleurs, et quelle que soit la nouvelle « tuyauterie » susceptible d'être mise en oeuvre dans le cadre des finances sociales, ne peut qu'avoir une incidence sur le niveau des prélèvements obligatoires .

En revanche, la portée de cette exigence doit être évaluée en se plaçant dans le contexte, certes, largement indéterminé, des finances publiques en 2020. A cet horizon, il peut être raisonnablement espéré que la réforme de l'Etat, la diminution des effectifs et la diminution du chômage auront rétabli des marges suffisantes pour permettre d'absorber, le cas échéant, un surcroît de prélèvements obligatoires sans peser sur l'activité.

En tout état de cause, le Conseil d'orientation des retraites (COR), selon les termes de l'article 6 de la loi portant réforme des retraites précitée, a la charge de « de décrire les évolutions et les perspectives à moyen et long termes des régimes de retraite légalement obligatoires, au regard des évolutions économiques, sociales et démographiques, et d'élaborer, au moins tous les cinq ans, des projections de leur situation financière ».

Les engagements de l'Etat au titre des retraites

Un chiffre figurant sur le Compte général de l'administration des finances (CGAF) en 2001, paru en juin 2003, n'avait pas manqué de frapper les esprits : les engagements de l'Etat au titre des retraites des fonctionnaires et des agents publics relevant des régimes spéciaux s'élevaient, fin 2002, à 708 milliards d'euros , ce qui représentait près de la moitié du produit intérieur brut. Dans le CGAF paru en mai 2005 , ces engagements ont été réévalués à 940 milliards d'euros ; compte tenu de la réforme des retraites , le CGAF avance le chiffre de 850 milliards d'euros.

Ces engagements correspondent au montant actualisé des pensions restant à verser aux retraités et aux actifs à la date de l'évaluation. En application de la norme comptable internationale « IAS 19 », les pensions futures des actifs, évaluées sur la base de leur évolution de carrière probable à l'aide des paramètres actuels du régime, sont prises en compte au prorata des années de services effectuées à la date d'évaluation sur le nombre d'années de service au moment du départ à la retraite.

Autant signaler d'emblée que ces chiffres, d'ailleurs peu précis car particulièrement sensible au choix de la méthode, au niveau du taux d'actualisation 64 ( * ) retenu pour les retraites à verser, et à la variable comportementale, est sans véritables implications pratiques : l'Etat ne sera jamais mis en faillite, jamais obligé de licencier l'ensemble de ses fonctionnaires, et jamais obligé de leur régler par avance la valeur actualisée de l'ensemble des pensions dues.

Ils ont néanmoins une certaine 65 ( * ) valeur illustrative , et il est certainement méritoire d'avoir essayé de mesurer l'impact de la réforme des retraites des fonctionnaires sur le montant des engagements de l'Etat au titre des retraites.

En attendant, il convient de suivre notre collègue Adrien Gouteyron, qui écrivait dans son rapport pour avis 66 ( * ) sur le projet de loi portant réforme des retraites  : « la réforme est satisfaisante sur le plan de l'équité, et elle se situe sans doute à la lisière de la « contrainte d'acceptabilité » ; certes, elle ne permet d'absorber qu'environ la moitié des besoins de financement à venir ; en conséquence, elle n'en est que plus urgente et absolument nécessaire, particulièrement dans ses aspects les plus contraignants ».

C. DES GISEMENTS D'ÉCONOMIES ENCORE « À PORTÉE DE MAIN »

La Cour des comptes, dans son rapport public particulier d'avril 2003 sur les pensions des fonctionnaires civils de l'Etat, a attiré l'attention sur certains dispositifs procurant des avantages en matière de retraite lui semblant disproportionnés par rapport aux contraintes subies par les fonctionnaires concernés.

1. La bonification pour dépaysement

Cette bonification, égale en règle générale au tiers de la durée des services civils accomplis hors d'Europe, constitue, a rappelé la Cour des comptes, un dispositif « défini, dans ses grandes lignes, il y a un siècle et demi, soit à une époque où la France entendait assurer sa présence coloniale et où les moyens de transport et les modes de vie étaient sans rapport avec la situation actuelle ».

Le coût, en 2001, estimé par le service des pensions, des bonifications pour dépaysement, s'élevait à 185 millions d'euros .

La Cour des comptes a préconisé un réaménagement complet de ce dispositif, qui comprendrait, en particulier, un « ciblage géographique beaucoup plus strict excluant notamment les DOM et les TOM » et un plafonnement du nombre d'années susceptibles d'être acquises au titre de la bonification pour dépaysement.

Au delà, la Cour de comptes estimait qu'« il convenait de s'interroger sur le principe même du maintien de ce dispositif pour l'avenir », compte tenu, notamment, des mesures trouvant déjà à s'appliquer durant la période d'activité.

2. Les bonifications accordées à certains professeurs de l'enseignement technique

Cette bonification, introduite en 1964 dans le code des pensions civiles et militaires de retraite, est égale, dans la limite de cinq années, à la durée de l'activité professionnelle dans l'industrie dont les professeurs de l'enseignement technique ont dû justifier pour se présenter au concours. Ces années demeurent prises en compte dans la pension du régime général, ce qui aboutit à la prise en compte, exorbitante du droit commun, d'une même période de travail au titre de deux pensions différentes.

Certes, une politique volontariste de promotion de l'enseignement professionnel était alors nécessaire, car le statut des professeurs de l'enseignement technique n'était pas encore aligné sur celui des professeurs certifiés, tant en terme de rémunération (alignement en 1989), que d'horaires (alignement en 2000).

En 2003, la Cour des comptes a observé que ce « dispositif daté et devenu injustifié (...) donnait lieu à des demandes reconventionnelles visant à étendre cette mesure à l'ensemble des enseignants ayant à faire valoir une expérience professionnelle dans le secteur privé », de plus en plus nombreux dans l'enseignement général. Ainsi, « le maintien du statu quo paraissait difficile ».

Le coût, en 2001, estimé par le service des pensions, de cette bonification, s'élevait à 37 millions d'euros .

3. L'indemnité servie à certains pensionnés résidant outre-mer

Les décrets n° 52-1050 du 10 septembre 1952 et n° 54-1293 du 24 décembre 1954 ont instauré une indemnité temporaire au profit des pensionnés titulaires d'une pension de l'Etat et justifiant d'une résidence effective outre-mer.

Cette indemnité, dont le montant représente un pourcentage de la pension concédée, est servie à la Réunion, à Mayotte (35 % de la pension concédée), à Saint-Pierre-et-Miquelon (40 %), en Nouvelle Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna (70 %) ; en outre, elle bénéficie -sauf à la Réunion- de régimes fiscaux particulier.

Le coût, en 2001, estimé par la direction générale de la comptabilité publique, de l'indemnité temporaire, s'élevait à 160 millions d'euros , la dépense s'avérant dynamique, puisqu'elle s'était élevée à 120 millions d'euros en 1995. Selon la Cour des comptes, cette croissance s'explique « par la meilleure information diffusée sur le sujet par les services de retraites des administrations, la publicité donnée à la mesure par certaines émissions télévisées et par la baisse générale des tarif aériens ».

Or, la condition de résidence 67 ( * ) « s'est avérée depuis vingt ans pratiquement impossible à contrôler » , et il doit être rappelé que les actifs bénéficient déjà de majorations de rémunération en cas de service dans les territoires concernés.

La conclusion de la Cour des comptes était sans appel : « (...) l'heure n'est plus à de nouvelles - et très vraisemblablement vaines - tentatives de rationalisation. Il importe de mettre fin à l'attribution de cette indemnité injustifiée, d'un montant exorbitant et sans le moindre équivalent dans les autres régimes de retraite ».

A l'occasion de la discussion du projet de loi de programme sur l'outre-mer, nos collègues Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, et Philippe Marini, rapporteur général, avaient déposé un amendement visant, conformément aux préconisations de la Cour des comptes, à supprimer l'indemnité temporaire. Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, donnant un avis défavorable à cet amendement, avait ainsi justifié sa position : « (...) le choix du gouvernement est très clair en matière de réforme de retraites. (...) Jean-Paul Delevoye (...) a nettement indiqué que la question des retraites d'outre-mer n'entrait pas dans le champ de la réforme actuellement présentée par le gouvernement , qui est une réforme progressive visant à permettre aux agents de modifier leur stratégie en matière de départ à la retraite, et non pas une réforme ponctuelle portant sur des éléments particuliers de droit à pension des fonctionnaires » 68 ( * ) .

Compte tenu de cette dernière indication, si aucune des évolutions préconisées par la Cour des comptes dans son rapport public particulier d'avril  2003 sur les pensions des fonctionnaires civils de l'Etat n'avait en effet, a priori , vocation à être véhiculée par la loi portant réforme des retraites, votre rapporteur spécial estime qu'aujourd'hui, rien ne s'opposerait à un réexamen de ces situations.

* 63 Cette évaluation repose sur l'hypothèse d'un taux de chômage stabilisé à 4,5 % en 2010 (projection correspondant au « scénario macroéconomique de référence » du COR).

* 64 Le taux d'actualisation retenu dans le dernier CGAF est de 2,5 % ; il était de 3 % dans la précédente évaluation.

* 65 Les comparaisons internationales seraient éclairantes, mais leur réalisation se heurte à de nombreux obstacles méthodologiques. Il peut être avancé que ces engagements représenteraient 33 % du PIB aux Etats-Unis, lorsqu'ils excèderaient la moitié du PIB en France.

* 66 Rapport pour avis n° 383 (2002-2003) au nom de la commission des finances.

* 67 Résultant des décret précités et de l'instruction de référence de la direction générale de la comptabilité publique n° 82-17-B3 du 20 janvier 1982 : en principe, les absences du territoire ne peuvent dépasser 40 jours pour l'année civile, et l'indemnité doit être proratisée en cas de dépassement.

* 68 JO Débats Sénat, séance du 22 mai 2003, page 3545.