M. Henri de RAINCOURT

CHAPITRE QUATRE

L'AUGMENTATION DES CHARGES DE PENSION DÉSORMAIS CONTENUE À TERME

I. LA NÉCESSAIRE RÉFORME DU RÉGIME DE L'ÉTAT42 ( * )

A. LE RÉGIME DE L'ETAT CONSTITUE UNE FICTION...

1. Un financement encore dispersé au sein du budget général

Il convient de rappeler que le régime de l'Etat, à la différence des autres régimes, ne fait pas l'objet d'une individualisation juridique : les fonctionnaires de l'Etat n'ont pas de caisse des retraites, ce qui constitue une différence notable avec les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers, qui relèvent de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).

Il est cependant habituel, afin de raisonner comme si le régime de l'Etat était individualisé (ce qui permet les comparaisons avec d'autres régimes), d'en donner la représentation suivante : des cotisations salariales sont prélevées sur les rémunérations ; ces cotisations sont majorées par une contribution d'équilibre de l'Etat-employeur à due concurrence des charges , qui comprennent principalement les prestations de pensions , et accessoirement la compensation vieillesse 43 ( * ) versée aux autres régimes (en raison d'une situation démographique comparativement plus favorable dans le régime de l'Etat).

Ces charges et ces recettes sont retracées à divers endroits du budget de l'Etat, la contribution de l'Etat se confondant avec financement budgétaire des pensions. Le produit des cotisations salariales -la retenue pour pension, fixée au taux de 7,85 %- constitue une recette non fiscale du budget général. Les pensions, éclatées en loi de finances initiale entre différentes sections budgétaires, sont toutefois regroupées en début de gestion sur le budget des charges communes.

Le jaune bisannuel « Fonction publique » dresse un tableau retraçant les emplois et les ressources du régime de l'Etat, dont voici une version condensée :

Il apparaît que, par construction, le régime de l'Etat est toujours équilibré, même si le rapport démographique entre pensionnés et cotisants se détériore : c'est la contribution d'équilibre, assimilable à une cotisation patronale fictive, qui augmente. Il est alors possible de calculer le taux de cotisation employeur qu'il aurait été nécessaire d'appliquer aux rémunérations pour obtenir l'équivalent de la contribution d'équilibre.

C'est l'augmentation de la contribution d'équilibre, qui constitue un besoin de financement , qui est préoccupante pour le régime de l'Etat. Mais compte tenu du caractère fictif de ce régime qui ne connaît pas, en réalité, la contrainte de financement, c'est tout simplement l'évolution de la masse des pensions qui pèse sur le budget de l'Etat.

2. La perspective d'une individualisation comptable en 2006

L'article 21 de la LOLF prévoit l'instauration d'un « compte des pensions » en 2006. Il s'agira d'une individualisation comptable, et non juridique 44 ( * ) .

Les opérations relatives aux pensions seront, de droit, retracées sur un unique compte d'affectation spéciale (CAS). Le CAS « pensions » constituera une mission au sens de la LOLF, et ses crédits seront spécialisés au sein de trois programmes :

- à titre principal, un programme retraçant les pensions servies en application du code des pensions civiles et militaires de l'Etat ainsi que de l'allocation temporaire d'invalidité (ATI) ;

- un programme couvrant les pensions versées aux ouvriers des établissements industriels de l'Etat (FSPOEIE) ;

- un programme regroupant les autres régimes éligibles au CAS, notamment les pensions militaires d'invalidité et victimes de guerre.

Chaque programme sera équilibré en recettes et en dépenses. Les recettes prévues pour financer les opérations du CAS « pensions » devront être, « par nature, en relation directe avec les dépenses concernées », et complétées par des versements du budget général.

Un des enjeux principaux de cette clarification est la responsabilisation des gestionnaires : au titre de chacun des programmes, ils devront verser les cotisations employeur se rapportant aux fonctionnaires qui en relèvent. Ainsi, les gestionnaires ne paieront pas pour les politiques de recrutement passées (comme le font aujourd'hui chacun des ministères, dont les effectifs pensionnés sont payés à partir des crédits alloués aux sections budgétaires dont ces derniers relevaient lorsqu'ils étaient en activité), mais à proportion des rémunérations d'activité qu'ils verseront.

B. ... DONT LA DÉRIVE FINANCIÈRE ÉTAIT RÉELLE

En l'absence de réforme, le rapport entre l'effectif des cotisants et celui des pensionnés (rapport démographique), serait passé, dans le régime de l'Etat, de 1,9 en 1998, à 1,1 en 2020 et à 0,9 en 2040 (dans le même temps, celui du régime général serait passé de 1,7 en 1998 à des valeurs proche du régime de l'Etat en 2020 et en 2040 ; le choc démographique y eût donc été un peu moins fort).

Le tableau suivant montre l'accroissement de la masse des pensions et du besoin des régimes de la fonction publique de l'Etat en 2010, 2020 et 2040.

Année

2003

2010

2020

2040

Masse des pensions

33

44

61

99

Augmentation du besoin de financement

-

7

19

39

Progression de la masse des pensions et du besoin de financement
des régimes de la fonction publique

( en milliards d'euros constants )

Source : jaune « Fonction publique » annexé au projet de loi de finances pour 2005, s'inspirant des travaux du conseil d'orientation des retraites (COR) de décembre 2001

Si rien n'avait été fait, ce sont ainsi 11 milliards d'euros de pensions supplémentaires qui auraient pesé sur le budget de l'Etat dès 2010, 28 milliards d'euros en 2020, et 66 milliards d'euros en 2040.

Ces évaluations sont faites en euros constants, mais elles ne rendent pas compte de l'augmentation du PIB (produit intérieur brut) dont l'effet sera d'amoindrir le poids relatif de ces pensions dans la création de richesse annuelle, et, partant, dans le budget de l'Etat, leurs évolutions respectives étant naturellement fortement corrélées.

D'après le premier rapport du COR (décembre 2001), le poids des pensions publiques et privées, qui représentait 11,6 % du PIB en 2000, aurait atteint 13,6 % du PIB en 2020, puis 15,7 % du PIB en 2040 .

Il est vrai qu' une personne sur cinq a plus de soixante ans aujourd'hui, et qu' on en comptera une sur trois en 2040 , ce qu'explique principalement le vieillissement de la génération du « baby-boom » , qui franchira ce cap entre 2005 et 2035, et un allongement de la durée de vie évalué à un an et demi tous les dix ans .

Autres éléments chiffrés rendant compte de l'absolue nécessité de la réforme des retraites de la fonction publique

En 2000, les pensions du régime de l'Etat représentaient 2,06 % du PIB et 12 % du budget de l'Etat . Elles auraient correspondu, en 2020 à 2,78 % du PIB , et à 3,27 % du PIB en 2040 . Il en découle :

- la croissance du poids des pensions du régime de l'Etat dans celui de la masse totale des pensions , ce poids augmentant de 17,7 % en 2000 à 20,4 % en 2020, puis à 20,8 % en 2040 ;

- l'importance des ajustements budgétaires qui auraient alors dû être opérés jusqu'en 2020, le poids relatif des pensions de l'Etat augmentant de 35 % . Le poids relatif des pensions de l'Etat augmenterait encore de 17,5 % de 2020 à 2040.

A l'occasion du précédent fascicule budgétaire, notre ancien collègue Gérard Braun s'était livré à un travail d'actualisation dont il ressortait que l'augmentation du PIB requise pour que le poids relatif des pensions de l'Etat soit constant, était très élevé : pour obtenir cette stabilisation à l'horizon 2020, un taux de croissance moyen annuel de 3,77 % était requis, et à l'horizon 2040, le taux de croissance moyen calculé s'établissait à 3,01 %.

Sauf à considérer que l'économie se situait à l'aube d'une période de croissance exceptionnelle par son intensité et sa durée, il ne fallait donc pas compter sur l'« effet PIB » pour absorber l'impact des charges qui s'annonçaient .

* 42 Avertissement : sauf indication contraire, les évaluations qui suivent concernent le régime de l'Etat, et sont effectuées sans préjudice des transferts d'effectifs de ce régime à celui des agents des collectivités locales qui résulteront vraisemblablement de la poursuite de la décentralisation ; en tout état de cause, les observations qui suivent sont aisément transposables à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), dont les règles de liquidation se trouvent, aussi bien avant qu'après la réforme des retraites, similaires à celles du régime de l'Etat.

* 43 Ce mécanisme de solidarité vise en particulier à compenser les différences de situation démographique existant entre les régimes.

* 44 Qui, par ailleurs, ne peut être exclue à terme.