2. Une politique inefficace de réduction durable du trafic

La loi sur l'air vise également à réduire durablement le trafic. Elle instaure pour cela trois types de plans , qui ne semblent pas pouvoir permettre d'atteindre cet objectif.

Les plans régionaux pour la qualité de l'air, élaborés par le préfet de région, ne fixent généralement pas d'orientations précises pour les transports

La loi sur l'air instaure des plans régionaux pour la qualité de l'air (PRQA) 62 ( * ) .

• Ces plans sont élaborés par le préfet de région, assisté d'une commission comprenant, notamment, des élus locaux 63 ( * ) . Ils fixent des orientations devant permettre d'atteindre les objectifs de qualité de l'air (et fixent des objectifs de qualité de l'air spécifiques à certaines zones lorsque les nécessités de leur protection le justifient).

Les objectifs de qualité de l'air concernent le dioxyde d'azote, les particules fines et particules en suspension, le plomb, le dioxyde de soufre, l'ozone, le monoxyde de carbone et le benzène. Ils prennent généralement en compte plusieurs critères 64 ( * ) .

Au terme d'une période de cinq ans, le plan fait l'objet d'une évaluation et est révisé, le cas échéant, si les objectifs de qualité de l'air n'ont pas été atteints.

Ces documents n'ont donc pas pour objet de créer des contraintes directement opposables aux collectivités locales et aux administrés. Cependant, les plans de déplacement urbains (PDU) et les plans de protection de l'atmosphère (PPA) doivent être compatibles avec les orientations des PRQA.

• Le 15 mai 2001, onze projets de plans régionaux pour la qualité de l'air avaient été mis à la disposition du public. Selon le ministère de l'Environnement, la majorité des autres plans régionaux doivent être présentés avant la fin de l'année.

Selon un premier bilan du dispositif 65 ( * ) , effectué par l'Association pour la prévention de la pollution atmosphérique (APPA), les PRQA ont rarement fixé d'orientations précises au secteur des transports , considérés comme relevant davantage des plans de déplacements urbains (PDU) ou des plans de protection de l'atmosphère (PPA). Le contenu des PRQA, en la matière, a donc été limité à des recommandations pour les PDU, plus ou moins détaillées selon les régions. Ainsi, certaines d'entre elles (comme la région PACA) ont choisi de restreindre les PRQA à la prise en compte des polluants classiques (NOx, SO 2 et COV), laissant le soin aux PPA de régler toutes les particularités géographiques ou thématiques. En particulier, la question des procédures d'alerte a généralement été abandonnée aux PPA.

Ainsi, ce sont les plans de protection de l'atmosphère et, surtout, les plans de déplacements urbains, qui semblent avoir vocation à jouer le rôle essentiel.

Les plans de protection de l'atmosphère, élaborés par les préfets de département, n'ont pas encore été mis en place

La loi sur l'air prévoit que doivent être couvertes par un plan de protection de l'atmosphère les 23 agglomérations de plus de 250 000 habitants et les zones dans lesquelles la concentration d'un polluant dépasse ou risque de dépasser une valeur limite.

• Les valeurs limites concernent le dioxyde d'azote, les particules fines et particules en suspension, le plomb et le dioxyde de soufre. Dans le cas du dioxyde d'azote, la pollution moyenne doit être au maximum égale à 200 microgrammes par mètre cube (niveau du seuil de recommandation) pendant 98 % de l'année. Les autres valeurs limites sont définies de manière plus complexe 66 ( * ) .

Les valeurs limites de qualité de l'air actuellement en vigueur doivent être prochainement revues à la baisse. En effet, la directive européenne 99/30/CEE du 22 avril 1999, portant sur les oxydes d'azote, le dioxyde de soufre, les particules et le plomb, impose le respect en 2010 de valeurs limites beaucoup plus contraignantes que celles qui sont actuellement en vigueur. Si elles étaient applicables dès à présent, elles seraient dépassées dans de nombreux sites industriels et zones urbaines. Cette directive doit être prochainement transposée en droit français (le projet de décret correspondant est en phase de consultation interministérielle).

• Le projet de plan est établi par le préfet, assisté d'une commission comprenant, notamment, des élus locaux. Après avis du comité régional de l'environnement et des conseils départementaux d'hygiène concernés, il est soumis, pour avis, aux conseils municipaux et, lorsqu'ils existent, aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale intéressés. Il est ensuite soumis à enquête publique, puis arrêté par le préfet.

Les plans font l'objet d'une évaluation au terme d'une période de cinq ans et, le cas échéant, sont révisés.

Ils définissent les objectifs permettant de ramener, à l'intérieur de l'agglomération ou de la zone concernée, les niveaux de concentration en polluants dans l'atmosphère à un niveau inférieur aux valeurs limites, ainsi que les modalités de déclenchement de la procédure d'alerte 67 ( * ) .

Ils peuvent avoir un caractère contraignant . En effet, le décret d'application 68 ( * ) prévoit notamment, dans le cas de la pollution d'origine automobile, que le préfet peut prendre toutes les mesures pour favoriser l'usage de carburants peu polluants pour certaines catégories ou flottes de véhicules, et élargir la gamme des substances contrôlées à l'occasion des visites techniques imposées aux véhicules légers.

En outre, ils doivent être compatibles avec les orientations du plan régional pour la qualité de l'air, s'il existe.

• Ils n'ont pas encore été mis en place, le décret d'application précité ayant été adopté seulement en mai 2001.

Les plans de déplacements urbains, qui constituent l'essentiel du dispositif, ont un contenu généralement décevant

Contrairement aux plans régionaux pour la qualité de l'air (PRQA) et aux plans de protection de l'atmosphère (PPA), les plans de déplacements urbains (PDU) ne concernent pas la seule qualité de l'air et octroient une bonne part d'initiative aux agglomérations quant à la définition de leur contenu.

La loi sur l'air a modifié l'article 28 de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982 (LOTI), afin de rendre obligatoire l'élaboration d'un PDU dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants.

• Le PDU définit les principes de l'organisation des transports de personnes et de marchandises, de la circulation et du stationnement, dans le périmètre de transports urbains. Il doit être compatible avec, notamment, le plan régional pour la qualité de l'air et les objectifs fixés pour chaque polluant par les plans de protection de l'atmosphère.

Les PDU portent sur :

- la diminution du trafic automobile ;

- le développement des transports collectifs et des moyens de déplacements plus économes et moins polluants comme la bicyclette et la marche à pied ;

- l'aménagement et l'exploitation du réseau principal de voirie d'agglomération ;

- l'organisation du stationnement ;

- le transport et la livraison de marchandises ;

- l'encouragement pour les entreprises et les collectivités publiques à favoriser le transport de leur personnel, notamment par l'utilisation des transports en commun et du covoiturage.

Le PDU est arrêté par l'autorité compétente pour l'organisation des transports urbains sur le territoire qu'il couvre. Les services de l'Etat, de même que les régions et les départements, sont associés à son élaboration 69 ( * ) .

Les étapes de l'élaboration du PDU sont les suivantes :

- élaboration du projet de plan par l'autorité organisatrice des transports urbains, en association avec les services de l'Etat, les régions et les départements ; consultation, à leur demande, des représentants des professions et des usagers des transports, des chambres de commerce et d'industrie et des associations agréées de protection de l'environnement ;

- arrêt du projet de plan par délibération de l'autorité organisatrice ;

- dans un délai de trois mois, soumission du projet de plan pour avis aux conseils municipaux, généraux et régionaux intéressés et aux préfets ;

- soumission du projet, auquel sont annexés les avis des personnes publiques consultées, à enquête publique ;

- approbation du plan, éventuellement modifié pour tenir compte des résultats de l'enquête, par l'organe délibérant de l'autorité organisatrice des transports.

Les décisions prises par les autorités chargées de la voirie et de la police de la circulation ayant des effets sur les déplacements dans le périmètre de transports urbains doivent être compatibles ou rendues compatibles avec le plan.

Au terme d'une période de cinq ans, le plan fait l'objet d'une évaluation et est révisé le cas échéant.

Pour les périmètres de transports urbains inclus dans les 58 agglomérations de plus de 100 000 habitants, son élaboration est obligatoire dans un délai de deux ans à compter de la publication de la loi sur l'air du 30 décembre 1996. Si, dans un délai de trois ans et demi à compter de la publication de la loi sur l'air (ce qui correspond au 30 juin 2000), le plan n'est pas approuvé, le préfet peut engager ou poursuivre son élaboration, et l'approuver après délibération de l'autorité organisatrice des transports.

• Selon le GART (groupement des autorités responsables de transport), au 30 avril 2001, dans les 58 agglomérations de plus de 100 000 habitants, on dénombrait 45 PDU finalisés, dont 28 approuvés et 17 arrêtés.

Etat d'avancement des PDU au 30 avril 2001

Etat d'avancement

1999

2001

PDU en phase de pré-diagnostic ou de diagnostic

30

9

PDU en phase de choix de scénarios ou d'élaboration de projet

11

16

PDU arrêtés

9

17

PDU approuvés

1

28

Source : GART, Plans de déplacements urbains : des intentions à l'action , 2001.

• Le GART et le CERTU (Centre d'Etudes sur les Transports, les Réseaux, l'Urbanisme et les Constructions Publiques) ont effectué un bilan des 27 premiers PDU (dont ceux de l'Ile-de-France, de Lyon, de Marseille et de Lille) 70 ( * ) .

Les éléments figurant dans cette étude inspirent à la Délégation les réflexions suivantes.

Tout d'abord, contrairement à ce que la lettre de la loi pouvait laisser supposer, l'objectif de la quasi-totalité des PDU n'est pas de réduire le trafic automobile, mais seulement sa part modale (c'est-à-dire sa part dans l'ensemble des modes de transport). Un seul PDU a un objectif chiffré de réduction de la circulation automobile : celui d'Ile-de-France. Celui de l'agglomération lilloise prévoit quant à lui une stabilité du trafic. Les autres PDU énoncent des objectifs de diminution de la part modale de la voiture. Une dizaine de PDU annoncent des chiffres ambitieux en la matière, avec une baisse de la part modale de la voiture particulière de 4 à 8 points sur 5 ou 10 ans (Bordeaux : - 4 % en 10 ans, Grenoble : - 8 % en 10 ans, Nice : - 5 % en 5 ans, Troyes : - 5 % en 10 ans...). Strasbourg fait exception avec un objectif de réduction de la part de la voiture de 26 points à long terme.

Ensuite, les moyens mis en oeuvre suggèrent qu'il n'était guère possible de se fixer des objectifs plus « ambitieux ». En effet, ces plans reposent essentiellement sur le développement des transports en commun , qui ne semblent pas être, en eux-mêmes, l'instrument approprié pour une politique de réduction, ou de limitation, du trafic automobile.

Un argument souvent invoqué est que les transports en commun coûtent cher. Les subventions ou impôts affectés aux transports publics urbains sont évalués à 37,8 milliards de francs, dont 22,6 milliards pour l'Ile-de-France 71 ( * ) . Selon le compte national du transport de voyageurs, alors qu'une personne parcourant 7,5 kilomètres en transports en commun coûterait environ 13 francs aux non usagers, une personne se déplaçant en voiture particulière rapporterait au contraire de l'ordre de 1,50 franc, comme l'indique le graphique ci-après. Cet argument doit cependant être nuancé , dans la mesure où le coût total (en prenant en compte celui pour l'usager) est à peine inférieur pour la voiture particulière (16,40 francs, contre 19,80 francs dans le cas des transports en commun). C'est donc surtout la répartition du coût social entre les usagers et le reste de la collectivité qui est différente, afin d'offrir aux ménages n'ayant pas accès à l'automobile un mode de déplacement abordable.

Coûts unitaires de déplacement

par voiture particulière et par les transports en commun

(parcours domicile-travail, grandes aires urbaines)

en francs de 1998, coût d'un voyageur sur 7,5 km

N.B. les coûts externes ont été évalués selon la méthodologie du rapport BOITEUX de 1994 pour les accidents et la pollution atmosphérique, et selon celle du rapport BOITEUX de 2001 pour le bruit et l'effet de serre.

Source : appendice 1 du compte national du transport de voyageurs 1998 (2001).

Il convient surtout de souligner que le développement des transports en commun semble être un moyen modérément efficace de réduire ou limiter le recours à la voiture. Selon une étude du ministère de l'Equipement 72 ( * ) , le moyen le plus efficace pour atteindre cet objectif serait le ralentissement de la péri-urbanisation qui, selon lui, permettrait d'éviter 20 milliards de véhicules-kilomètres par an. Une telle politique serait cependant difficile à mettre en oeuvre. Dans ces conditions, le moyen le plus aisé de limiter efficacement le recours à la voiture serait la limitation du stationnement, qui permettrait d'éviter 10 milliards de véhicules-kilomètres. Ainsi, les transports collectifs ne représenteraient pas finalement un enjeu essentiel , les 10 milliards restants se répartissant équitablement entre le transfert vers les transports collectifs d'une part, celui vers la marche ou le vélo d'autre part. Le rôle essentiel de l'aménagement du territoire et de la politique de stationnement a été souligné par plusieurs personnes auditionnées.

Or, les PDU ne semblent pas répondre à ces exigences. Certes, l'ensemble des PDU traitent de la maîtrise du développement urbain, mais les objectifs sont rarement quantifiés et précis. En ce qui concerne le stationnement , si les 2/3 des PDU abordent la question de la stabilisation de l'offre de stationnement, seules Strasbourg et Grenoble mèneraient, selon le GART et le CERTU, une politique volontariste : la quasi-totalité des PDU n'indiqueraient pas d'objectif clair de réduction du nombre de places disponibles en centre-ville, et moins d'un PDU sur deux s'intéresserait, même vaguement, à la question du contrôle du stationnement. En fait, la seule politique véritablement prévue par les PDU serait le développement des transports collectifs. La plupart des PDU auraient des objectifs, souvent ambitieux, d'augmentation de la part modale (de 2 à 6 % à l'horizon 2010 en général) ou de l'usage des transports en commun. Tous les PDU prévoiraient en outre de maintenir ou d'accroître le niveau de pratique actuel de la marche et d'augmenter la part modale du vélo (actuellement inférieure à 5 %, sauf à Strasbourg, où elle serait de 10 %) 73 ( * ) .

La Délégation estime que cet échec relatif doit conduire à s'interroger sur la nécessité de réformer le dispositif existant.

* 62 Décret n° 98-362 du 6 mai 1998 (J.O. du 13 mai 1998) relatif aux plans régionaux pour la qualité de l'air.

* 63 Dans le cadre de la discussion du projet de loi sur la démocratie de proximité (adopté par l'Assemblée nationale le 25 Juin 2001 et transmis au Sénat le 26 Juin 2001), le gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale le transfert aux collectivités locales de l'élaboration des plans régionaux pour la qualité de l'air. L'Etat garderait cependant le droit de faire appliquer ces plans, dans un délai de dix-huit mois, en cas de carence.

* 64 Décret no 98-360 du 6 mai 1998 relatif à la surveillance de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé et sur l'environnement, aux objectifs de qualité de l'air, aux seuils d'alerte et aux valeurs limites.

* 65 APPA Nord-Pas-de-Calais, document de synthèse, La mise en oeuvre de la loi sur l'air : Retour d'expérience sur les PRQA , tome 1, octobre 200 (étude réalisée pour le compte du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement).

* 66 Décret no 98-360 du 6 mai 1998 relatif à la surveillance de la qualité de l'air et de ses effets sur la santé et sur l'environnement, aux objectifs de qualité de l'air, aux seuils d'alerte et aux valeurs limites.

* 67 Décret no 2001-449 du 25 mai 2001 relatif aux plans de protection de l'atmosphère et aux mesures pouvant être mises en oeuvre pour réduire les émissions des sources de pollution atmosphérique.

* 68 Idem.

* 69 Dans la région d'Ile-de-France, le PDU est élaboré ou révisé à l'initiative de l'Etat. Il peut être complété par des plans locaux de déplacements, élaborés à l'initiative d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'un syndicat mixte, qui en détaillent et précisent le contenu, sur un périmètre arrêté par le représentant de l'Etat.

* 70 Comité GART CERTU de suivi des PDU, Suivi national des PDU, le point au 30 juin 2000 , octobre 2000.

* 71 Compte national du transport de voyageurs 1998, 2001.

* 72 Service économique et statistique, Perspectives d'évolution de la demande de transport à l'horizon 2020 , 1998.

* 73 L'agglomération lilloise a ainsi obtenu le prix ADEME-GART 2001, qui avait pour thème "les modes doux dans les plans de déplacements urbains" , en raison de sa politique volontariste pour le vélo et la marche.

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