Audition de Monsieur André HUSSENET

Directeur de l'INRP

Résumé : L'utilisation d'Internet à des fins pédagogiques peut constituer une révolution en ce sens que la relation entre l'enseignement et l'élève peut en être profondément modifiée.Tout se passe aujourd'hui comme si l'accès à la compréhension du monde passait nécessairement par la parole du maître. La perspective pour le professeur de devenir un guide qui facilite l'accès de l'élève au savoir demeure inquiétante et le cours magistral pendant lequel l'élève prend des notes reste un modèle très prégnant.
La formation des maîtres est une question majeure. J'ai formulé des propositions devant les directeurs d'IUFM :

· penser la formation des enseignants sur une durée plus longue en articulant formation initiale et continue de début de carrière,

· mettre l'accent sur la formation des jeunes professeurs,

· organiser partiellement la formation des maîtres par les technologies nouvelles plutôt que d'offrir des formations aux technologies nouvelles.

1. L'utilisation d'Internet à des fins pédagogiques peut constituer une révolution si l'accès à la toile est offert massivement, à l'école et à domicile, aux maîtres comme aux élèves. Jetons une regard sur notre passé pour mesurer la force de notre tradition catholique qui a éloigné le fidèle du livre et imposé la médiation du prêtre, contrairement à la tradition protestante ou le fidèle accède directement au livre. Remarquons que la France, pays catholique, a inventé l'école obligatoire, tandis que l'Angleterre inventait l'obligation, pour les villes d'une certaine importance, de construire des bibliothèques.

Je crois que l'école et l'université française sont marquées par cette tradition et que la pratique généralisée du cours magistral , l'utilisation assez faible du manuel au collège et au lycée ont des racines profondes. Nous agissons souvent comme si la compréhension du monde par les élèves n'était possible que par la parole du maître. Si ce que je suggère est vrai, on peut mieux comprendre la sous-utilisation chronique des centres de documentation et d'information et imaginer que l'accès à la toile ne se fera pas naturellement quand bien même les ordinateurs de nos établissements seraient massivement reliés au réseau.

2. Au fond, votre proposition d'équiper rapidement et massivement les écoles d'ordinateurs reliés à l'université revient :

à généraliser la possibilité pour les élèves d'accéder, directement, au savoir ;

à proposer aux maîtres un changement majeur, quand bien même l'incitation ne serait pas nouvelle, qui consiste à organiser, si possible en l'individualisant, le travail intellectuel de l'élève et à faciliter le cheminement de tous et de chacun.

Or les enseignants n'ont pas, aujourd'hui, adopté massivement cette posture, ils craignent ce saut important et difficile. La profession d'enseignant a longtemps été fondée sur le fait indubitable que le maître était plus savant, nettement plus savant, que le reste de la population.

Cette caractéristique disparaît, d'une part l'école a réussi à faire mieux et plus universellement partager le savoir, d'autre part les connaissances sont plus facilement accessibles techniquement (via les technologies de communication) et intellectuellement (plus on sait, plus on est capable d'apprendre).

Nier la difficulté des enseignants à modifier leurs attitudes serait se condamner à l'immobilisme. Ils ont besoin d'être accompagnés pour maîtriser l'usage des technologies pour aider les élèves à mieux apprendre et plus efficacement.

3. Une enquête sur la lecture des enseignants révèlerait qu'ils ne sont pas meilleurs lecteurs que la moyenne des français. Si ce constat est juste il est alarmant car il paraît difficile de susciter la curiosité des élèves si l'on n'est pas soi-même curieux. L'enseignement ne supporte pas la tricherie, on ne peut exiger des élèves l'effort qu'impose tout apprentissage si on ne consent pas à faire soi-même le même effort.

Nous voyons bien que la relation entre les professeurs et les parents (de plus en plus instruits et cultivés) ne peut évoluer favorablement si la profession d'enseignant ne repose pas sur une compétence et sur un exercice permanent du travail intellectuel. Le modèle achevé est sans doute celui de l'enseignant chercheur de l'université même s'il n'est pas transposable dans le scolaire, il peut servir de référence.

4. Comment former les enseignants ?

Cette question est ancienne et reste majeure. Le contexte économique à changé la donne du recrutement : les candidats à la fonction sont à la fois nombreux et de grande qualité. Cependant force est de constater que l'année préparatoire au concours est perturbée , et dans certaines académies profondément, par le simple fait qu'à l'issue de l'année l'élève professeur , spécialement dans certaines disciplines, devient professeur ou bien chômeur .

Les enjeux sont tels que le comportement des étudiants s'en ressent gravement, la seule question qui vaille est le succès ; tout ce qui n'est pas absolument indispensable pour le concours est rejeté, la compétition devient sauvage - tous les moyens peuvent être bons à l'instar de ce qui s'observe quelquefois en première année de médecine. Il n'est plus, dans ces conditions, question de formation ou de culture, mais d'efficacité immédiate. Le Ministre de l'éducation nationale a des choix à faire et sa responsabilité porte sans doute prioritairement sur la définition des épreuves du concours. L'Ecole doit recruter des maîtres équilibrés, curieux, capables d'évoluer et de mobiliser des élèves dont les intérêts et les aptitudes sont extrêmement divers.

Former de bons maîtres constitue une responsabilité ministérielle majeure.

5. En tant que directeur de l'INRP
et futur directeur de l'INRDP (Institut national de recherche et de documentation pédagogiques) j'ai récemment proposé quelques axes de travail aux directeurs des IUFM :


· donner la priorité à la formation des professeurs des écoles ;


· concevoir une formation étalée dans le temps : les deux années de formation initiale et les cinq premières années d'exercice. C'est sur les premières années qu'il faut concentrer les efforts car c'est en début de carrière que les habitudes se prennent. Tous les formateurs savent que les modifications de comportement exigent, au-delà de la cinquantaine, des investissements énormes pour des résultats non assurés ;


· s'arrêter de former les enseignants à l'utilisation de technologie d'information et de communication pour organiser partiellement les formations par les technologies nouvelles, ce qui est fondamentalement différent. Si l'on ne procède pas ainsi les professeurs ne seront pas capables de former les élèves ensuite et un divorce se créera entre la culture des jeunes et les conditions d'apprentissage dans le système éducatif. Ce dossier me paraît être l'un des dossiers majeurs du siècle. Son traitement déterminera aussi la possibilité de promouvoir la formation tout au long de la vie par les établissements, les universités, les organismes professionnels, les entreprises, les chambres consulaires.