II. LES PROGRAMMES DES CONTRATS DE PLAN

A. DES ACTIONS HÉTÉROCLITES ET PARFOIS FLOUES

La circulaire du Premier ministre du 31 mars 1992 relative à la préparation du XIème Plan précisait dans son annexe V consacrée aux plans des régions énonçait : " il est essentiel qu'à chaque priorité stratégique retenue soit associé un objectif précis exprimant un résultat recherché, explicitant les effets attendus.... A chaque objectif défini doit correspondre un plan d'actions, c'est à dire un ensemble ordonné et formalisé d'opérations, qui font appel à des compétences nettement identifiées et dont la mise en oeuvre organisée sur un lieu géographique précis ou dans un domaine sectoriel circonscrit devrait conduire à la réalisation de cet objectif ".

De même, le CIAT du 23 juillet 1992 avait fixé comme objectif aux troisièmes contrats de plan Etat-région de " concentrer le champ de la contractualisation sur des zones géographiques ou sur des secteurs économiques prioritaires, afin de renforcer la cohérence de ces contrats avec les futurs programmes régionaux européens ".

Cet objectif n'est pas nouveau : comme les premiers rapports sur les contrats de plan 1984-1988 avaient dénoncé le flou des objectifs et le saupoudrage des crédits, les deuxièmes contrats de plan avaient déjà pour ambitions une sélectivité accrue des programmes et une concentration des moyens sur un nombre restreint d'objectifs prioritaires.

Il n'est pas certain que cet objectif ait été atteint lors de la troisième génération de contrats de plan.

• En effet, le béotien qui ouvre un contrat de plan ne peut qu'être frappé par le nombre, la diversité et l'ambition des actions qui y sont inscrites.

Certains contrats comportent ainsi plusieurs centaines d'actions et mobilisent plus d'une centaine de lignes budgétaires .

Les objectifs assignés à ces actions semblent parfois imprécis ou très ambitieux au regard des moyens dévolus, le plus souvent quelques centaines de milliers ou quelques millions de francs par an, pour " favoriser l'employabilité des jeunes ", " prévenir la délinquance ", " promouvoir les langues vivantes ", " permettre aux stations touristiques de mieux répondre à la demande ", " favoriser la culture locale ", " créer des pôles de recherche d'importance européenne ", etc.

De même, la plupart des contrats prévoient des dispositifs d'aide pour la quasi totalité des filières agricoles , pour des montants parfois très modestes (quelques dizaines de milliers de francs par an).

Par ailleurs, certains Conseils économiques et sociaux soulignent dans leurs avis que les modalités d'application de ces actions sont " libellées de manière parfois volontairement imprécise ".

Après l'énoncé d'objectifs assez généraux, plusieurs programmes sont en effet conclus par des formules du type " L'Etat et la Région mettent en place une procédure d'aide à cet effet.... l'Etat s'y engage à hauteur de x millions... La Région accompagnera ces efforts à hauteur de y millions, principalement dans le domaine de sa compétence ".

• En fait, l'élu ou le fonctionnaire expérimentés distinguent dans les contrats de plan des programmes de nature différente :

- des projets d'infrastructure précisément énumérés, localisés et évalués : tronçons de route, échangeurs, tranches d'amphithéâtres ou de cafétérias universitaires, etc. Ces projets structurants, parfois artificiellement rattachés à des objectifs généraux, constituent la majorité des engagements financiers des contrats de plan ;

- des dispositifs sectoriels existants (comme les FDPMI, les FREX ou les FRAC en matière d'aide aux entreprises ou le " programme d'humanisation des hospices ") et des subventions allouées aux offices agricoles ou à certains organismes de recherche. Dans la plupart des cas, les finalités et les modalités de l'intervention publique sont plus ou moins reconduites d'un contrat de plan à l'autre, et diffèrent fort peu d'une région à l'autre. Ces modalités ne sont pas précisées dans le contrat, mais seulement dans ses conventions d'application. Le contrat de plan constitue alors beaucoup moins le lieu où se définissent et s'articulent les politiques publiques, qu'un instrument de programmation financière ;

- des projets relatifs à un territoire (le volet territorial) : politique de la ville, parcs naturels régionaux, projets culturels locaux, animation des pays, aide à la restructuration de bassins d'emploi, promotion des réseaux de ville, etc.

- enfin quelques programmes horizontaux propres à chaque région, en matière de formation et d'enseignement notamment.

Au total, le contrat de plan recouvre ainsi des dispositions fort hétérogènes, sinon hétéroclites .

• Cette étendue du champ de la contractualisation a donné lieu à un feu nourri d'analyses critiques .

Pour certains observateurs, la plupart des troisièmes contrats de plan Etat-Région privilégieraient en effet une logique d'aides tous azimuts au détriment de politiques ciblées, et une logique sectorielle au détriment du volet territorial, de sorte que les projets contractualisés seraient dilués et n'auraient de ce fait guère d'effet d'entraînement .

Cet effet pourrait être exacerbé par une vision trop institutionnelle des partenariats : selon le Conseil économique et social " chaque organisme doit être représenté, quels que soient son intérêt et son implication... or, la multiplication des partenaires alourdit considérablement la gestion des réunions, d'où sortent en général peu d'idées. Il n'y est question que de gestion, et chacun défend une vision plus corporative que transversale ou innovante " 84( * ) .

Par ailleurs, les contrats de plan comporteraient de nombreux projets " de droit commun ", qui auraient été financés en tout état de cause, comme l'illustre l'inscription dans les contrats de politiques impulsés, financés et gérés par l'un seul des deux partenaires (ainsi " l'humanisation des hospices " dans certaines régions).

Au total, les troisièmes contrats de plan se seraient encore trop souvent caractérisés par la dispersion des actions, comme si les cocontractants avaient fait l'économie de choix prioritaires, et ce, malgré la qualité de la préparation des contrats par l'Etat comme par les Régions.

Dans son rapport pour 1998 85( * ) , la Cour des Comptes conclut ainsi : " alors que des instructions avaient été données par les Premiers ministres successifs, de façon forte et répétée, pour que les contrats de plan 1994-1998 soient fondés sur une logique d'objectifs et non de moyens, c'est à dire sur une sélection résolument volontariste de priorités propres à chaque région, on constate une toute autre réalité. Les CPER présentent en effet une étonnante similitude : les routes et l'enseignement supérieur y sont partout prépondérants ; mais aucun secteur d'investissement de compétence locale ou nationale n'en est omis - qu'il s'agisse de la formation, de la recherche, de l'agriculture, de l'aide aux petites et moyennes entreprises, des transports, de la politique de la ville, de l'environnement, de la culture ou de l'hébergement des personnes âgées -, même pour de faibles sommes, ce qui se traduit par un saupoudrage à l'opposé de ce qui avait été décidé ".

• Votre rapporteur a interrogé les ministères et les Régions sur ces conclusions, en leur demandant de " commenter les critiques parfois adressées à la procédure de contrats de plan, selon lesquelles cette procédure favoriserait une logique de guichets au détriment d'une logique de projets, traduirait une logique sectorielle au détriment d'une approche territoriale ; ... enfin, entraînerait un saupoudrage des crédits ".

Leurs réponses sont contrastées.

• L'analyse de la Cour des Comptes est ainsi contestée par certains ministères pour leur secteur d'activité :

- selon le secrétariat d'Etat à l'Industrie , ces critiques sont " sans fondement " en ce qui le concerne, puisqu'il " n'a pas contractualisé sur des projets ponctuels précis, sauf de très rares exceptions. Il a essentiellement contractualisé sur les grands axes de la politique PMI.... il a laissé le soin aux partenaires locaux, services de l'Etat sous l'autorité du préfet et Conseil régional, de les mettre en oeuvre en sélectionnant les projets, en dosant les priorités au sein du territoire régional, en adaptant l'action à l'évolution du contexte industriel économique et industriel " ;

- de même, le secrétariat d'Etat au Commerce extérieur estime ces critiques " en grande partie infondées ", parce que " les contrats de plan s'inscrivent dans la durée ; ...les secteurs d'activité soutenus sont très variés [ sic ]...et le montant moyen des aides accordées (60 000 F pour l'aide au conseil, 110 000 F pour l'aide au recrutement de personnel export, 160 000 F pour l'aide à l'implantation) apparaît proportionné à la taille des entreprises concernées " ;

- le ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement indique également que " le fait de contractualiser n'induit pas de saupoudrage de crédit ", et s'agissant de l'environnement "  les actions contractualisables portent en elles une logique de gestion des territoires " ;

- le ministère de la Jeunesse et des Sports estime que " [son] enveloppe au titre des contrats de plan Etat-Région (154 millions de francs, [soit 25,7 millions de francs par an], n'a pas été d'un volume tel qu'elle ait permis à une logique de guichet de s'instaurer " ;

- enfin, le ministère du Tourisme indique dans sa réponse à votre rapporteur que " les critiques évoquées ne semblent pas pertinentes s'agissant du secteur du tourisme. Une part significative des interventions concerne les aides immatérielles (observation économique du tourisme, aide au conseil, aide à l'ingénierie de projets, organisation de filières et zones touristiques), ainsi que de l'appui à des projets locaux favorisant directement le développement et l'animation locale. Il résulte de cette approche une multiplicité d'interventions qui ne doit pas cependant être analysée comme un saupoudrage de crédits ".

Ce diagnostic est toutefois contredit par les conclusions d'une note interne, jointe aux réponses du ministère, selon laquelle " les contrats de plan tourisme semblent  obéir plus à une logique de moyens que d'objectifs, faute d'explicitation d'une stratégie clairement définie ".

D'autres ministères ont d'ailleurs formulé des appréciations plus nuancées :

- le ministère de l'Emploi et de la Solidarité indique : " il semble possible que la logique de guichet ait pu jouer à la marge, en fin de procédure, sur quelques actions de santé publique. Les engagements pris vraisemblablement dans les dernières phases de la négociation au plan local ont en effet porté sur des thématiques larges, sous des intitulés qui l'étaient tout autant et ont abouti à des demandes de crédit sur des lignes considérées comme mieux dotées (par exemple en matière de santé, toxicomanie et SIDA) ".

- de même, le ministère de la Ville indique qu'il " est exact que certains contrats de ville ont été établis sur des bases parfois insuffisamment définies, voire sur des ambiguïtés quant aux enjeux considérés comme prioritaires par chacun des partenaires, [même s'il] n'en demeure pas moins qu'il a permis de mettre en oeuvre une démarche de projet ".

Certains ministères - Défense , Equipement notamment - ont également souligné les risques que la procédure de contrat de plan ne conduise à un saupoudrage des crédits et à une logique de guichet, même si " des progrès d'approche ou de méthode corrigent et inversent cette tendance " 86( * ) et si, selon le ministère de l'Equipement " [la logique de guichet] est contrebalancée par les approches territoriales préparées par les responsables locaux : stratégies de l'Etat en région, diagnostics et projets d'agglomération ... ".

De manière plus précise, le ministère de l'Intérieur conclut :

- d'un côté " le fait de contractualiser n'induit pas en soi de dispersion des crédits " et " la déconcentration a mis fin au risque d'une logique sectorielle au détriment d'une approche territoriale, l'élaboration des contrats par les préfets de région permettant une approche plus transversale " ;

- mais, de l'autre, s'agissant du risque d'une logique de guichet, " l'existence d'un contrat de plan, c'est à dire d'un engagement annuel des pouvoirs publics en faveur de certaines mesures, induit en effet des attentes de la part des bénéficiaires, qui, dans la mesure où ils connaissent les possibilités offertes par le document du contrat, adaptent leurs projets de manière à les rendre éligibles aux formes d'intervention prévues par l'Etat. Il s'ensuit que les dossiers reçus paraissent parfois fabriqués en fonction de l'offre des pouvoirs publics. En dépit de ce risque, il paraît préférable que les différents acteurs du développement d'une région puissent s'organiser en connaissant à l'avance les politiques menées par la puissance publique "

Enfin, le ministère de l'Agriculture reconnaît que " du fait de la méthode préconisée visant à décentraliser au maximum l'exercice sans orientations préalables fortes de la part du gouvernement, il était inévitable que, localement, la logique de contractualisation relève globalement plus du  guichet  que du  projet ... Les préfets ont [ainsi] défini de façon très large le champ de contractualisation dans le domaine agricole. Globalement, on peut considérer que tous les secteurs d'activité du ministère ont été concernés par le contrat de plan ; 57 chapitres budgétaires ont été sollicités au total ".

• Dans leur diversité, les réponses des Régions rejoignent celles des ministères.

Certaines régions indiquent que leur contrat de plan est demeuré très " ciblé " ou sélectif dans ses choix, et " n'est à aucun moment entré dans une logique de guichet ou de saupoudrage de crédits ". Il s'agit le plus souvent de Régions globalement satisfaites de la procédure, comme de leurs relations avec l'Etat déconcentré.

D'autres Régions estiment toutefois que ces critiques " ne sont pas infondées ", et que la " lutte régionale " contre la logique de guichets " est parfois perdue ".

• En conclusion, il semble que le diagnostic formulé par la Cour des Comptes doive être triplement relativisé :

- la plupart de ses critiques renvoient en fait aux modalités générales de l'intervention publique : de nombreuses politiques publiques hors contrat de plan entraînent les mêmes effets pervers que ceux stigmatisés par la Cour ;

- comme l'indique par ailleurs la DATAR " avec le temps et l'expérience, il est logique que les pouvoirs publics étendent le nombre de mesures qu'ils souhaitent mener de concert ou mettre en cohérence " ;

- enfin, le saupoudrage des crédits contractualisés est intrinsèquement limité par la part importante dévolue dans les contrats de plan aux grands projets d'infrastructure, d'une part ; par la part croissante réservée aux projets émanant vraiment des territoires, d'autre part.

Il n'en demeure pas moins un risque réel que la procédure de contrat de plan ne conduise dans certains cas à un saupoudrage de crédits et à une dilution de l'action publique, c'est à dire à l'exact opposé des objectifs annoncés.

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