M. le président. Sur le texte proposé pour l'article L. 35 du code des postes et télécommunications, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 158, Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Pastor et Saunier, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 6 pour l'article L. 35 du code des postes et télécommunications :
« Art. L. 35. - Le service public des télécommunications est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité, d'adaptabilité, de neutralité, de participation, de transparence, de simplicité et d'accessibilité.
« Il assure :
« - l'acheminement des communications téléphoniques en provenance ou à destination des points d'abonnement,
« - l'acheminement gratuit des appels d'urgence,
« - la fourniture d'un service de renseignements,
« - un annuaire public d'abonnés sous forme imprimée et électronique,
« - la desserte du territoire national en cabines téléphoniques publiques,
« - une offre d'accès sur l'ensemble du territoire au réseau numérique à intégration de services,
« - une offre de liaisons louées,
« - une offre de commutation de données par paquet,
« - une offre de services avancés de téléphonie vocale et de service télex,
« - les missions de défense et de sécurité en matière de télécommunications ainsi que la recherche publique et l'enseignement supérieur. »
Les deux amendements suivants sont présentés par MM. Billard, Leyzour, Minetti et Ralite, les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 111 tend, après la première phrase du premier alinéa du texte présenté par l'article 6 pour l'article L. 35 du code des postes et télécommunications, à insérer une phrase rédigée comme suit :
« Il assure l'égalité d'accès au réseau et de traitement entre les usagers, notamment au moyen d'une péréquation tarifaire. »
L'amendement n° 112 vise :
I. - Dans le premier alinéa du texte proposé par l'article 6 pour l'article L. 35 du code des postes et télécommunications, à supprimer les mots : « Il comprend : » ;
II. - A supprimer les trois derniers alinéas du même texte.
La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre l'amendement n° 158.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le ministre, en saucissonnant en trois la notion de service public entre service universel, services obligatoires et missions d'intérêt général, le projet de loi la dénature totalement, pour cacher la réalité, à savoir un service public réduit à sa portion congrue : le service universel. Il s'agit, vous l'avez reconnu hier, d'une notion empruntée à d'autres pays européens qui, vous en êtes vous-même convenu, n'ont pas la même conception que nous du service public et, surtout, qui le perçoivent de manière plus limitée.
Par ailleurs, je rappelle que, lorsqu'il était encore député, M. Borotra, qui est aujourd'hui votre collègue au Gouvernement, avait, l'année dernière, dans un rapport à l'Assemblée nationale, qualifié le service universel de « conception misérabiliste du service public ». Nous parlons bien de la même chose !
On peut légitimement craindre, à terme, l'instauration, à travers ce saucissonnage du service public, d'un téléphone à deux vitesses. Le service public se réduit en réalité au téléphone de base entre points fixes. En effet, seuls les prix du service universel devront rester abordables et seront surveillés par l'Etat. Les services obligatoires seront certes fournis sur l'ensemble du territoire, mais leurs prix seront libres.
Ainsi, ce projet de loi ne cherche ni à enrichir le service public, ni à l'élargir alors qu'on aurait pu en profiter, par exemple, pour rendre le téléphone mobile accessible à tous - il n'en est rien.
Notre amendement vise à rétablir une conception du service public unique et indivisible. Il propose une définition du service public en extension. En effet, M. le ministre nous a expliqué qu'il fallait définir le service public dans la loi. Je rappelle que celui-ci fonctionne pour l'instant très bien sans être défini par la loi.
M. le président. La parole est à M. Billard, pour défendre l'amendement n° 111.
M. Claude Billard. La notion de service universel, nous avons eu l'occasion de le signaler, pourrait avoir comme défaut de laisser croire à la haute qualité générale des services de télécommunications tels qu'ils sont définis dans la nouvelle rédaction proposée pour l'article L. 35 du code des postes et télécommunications.
Il y a, dans cette notion de service universel, une sorte d'abus de langage, en quelque sorte une tromperie sur la marchandise.
Le rapport de la commission des affaires économiques a le bon goût de rappeler que la notion de service universel est l'une des trouvailles des fonctionnaires de la Commission de Bruxelles et qu'elle apparaît, dès lors, comme quelque peu « déconnectée » de nos habitudes et de notre tradition française du service public.
Dans sa logique propre, la notion de service universel rappelle en fait des modes de pensée qui tendent, en quelque sorte, à définir le champ du minimum vital pour le plus grand nombre, pour aboutir, en fin de réflexion, à constituer des créneaux de clientèle ou de service offerts aux seules règles de la concurrence.
Notre pays a d'ailleurs, dans la dernière période, pu expérimenter de tels dispositifs, qui affectent désormais un grand nombre, sinon l'ensemble, des services publics.
Le mouvement est perceptible pour ce qui concerne les services postaux, qui connaissent, depuis 1990, un mouvement de filialisation d'un certain nombre d'activités de messagerie, au détriment de l'équilibre du service généralement fourni à nos concitoyens.
Le paradoxe est d'ailleurs atteint aujourd'hui avec un exploitant public, La Poste, en situation déficitaire, et des filiales de droit privé en situation excédentaire, notamment du fait que les services sont plus chers - donc inaccessibles pour une part importante de la clientèle - et que le statut des salariés n'est évidemment plus celui de la fonction publique.
Le service universel porte atteinte, selon nous, à la pratique française de service public, à savoir la notion d'égalité d'accès au réseau et d'égalité de traitement des usagers, par le biais de la péréquation tarifaire.
Ce qui a fait, qu'on le veuille ou non, la réussite commerciale de France Télécom et lui permet aujourd'hui d'avoir une bonne image de marque dans la population, c'est, fondamentalement, d'avoir su tirer parti de l'extension du nombre des abonnés pour affronter, avec relativement de succès, le développement de nouveaux services à la clientèle.
Ce qui peut, en revanche, conduire à la liquidation et à l'étiolement progressif du service rendu, c'est le processus que nous invite à développer le projet de loi, c'est-à-dire celui de la segmentation de la clientèle et des services rendus.
L'équilibre de France Télécom s'effectue aujourd'hui dans le cadre d'un monopole qui compense, par une politique tarifaire adaptée, les pertes liées à la fourniture de services téléphoniques à la clientèle des particuliers les plus modestes par le rendement particulier des services télématiques ou la communication d'entreprise.
Le développement spectaculaire de la technologie des services télématiques a, dans la dernière période, permis à France Télécom de disposer de masses financières non négligeables tout en offrant aux usagers un service de qualité, comme aux entreprises et aux différents serveurs un outil de popularisation de leurs activités particulièrement performant.
On crée aujourd'hui les conditions du tronçonnage des services téléphoniques, cela passant par la mise en place d'un dispositif complexe de péréquation tarifaire qui, en soi, existait dans la réalité même des fonctions et de la politique commerciale de l'exploitant public.
Cette situation nouvelle ne correspond pas, dans les faits, à l'exigence d'un service public de qualité, fût-il réduit au service universel qui va, naturellement, être confié à France Télécom car étant le moins susceptible, dans le contexte actuel, de fournir des marges de valeur ajoutée à un quelconque opérateur.
Il importe donc que les notions maîtresses d'égalité d'accès et de traitement de l'usager soient incluses dans la notion de service universel, si tant est que celui-ci puisse demain recouvrir la définition que nous en donne le projet de loi.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement qui apporte une précision utile.
M. le président. La parole est à M. Minetti, pour défendre l'amendement n° 112.
M. Louis Minetti. L'article 6 du projet de loi comporte deux éléments fondamentaux de la nouvelle réglementation, que je préfère appeler « déréglementation », des télécommunications. L'un est la définition, si je puis dire, de ce que constitue le service public - je me suis déjà exprimé sur ce sujet tout à l'heure. L'autre, sur lequel nous sommes déjà revenus, notamment avec l'amendement n° 110, est la mise en place de l'instance de régularisation du marché.
Dans le corps du texte, nous aborderons plus spécifiquement le problème de la structuration du service public, et notamment du découpage subtil entretenu entre ce qui procédera du service universel et ce qui sera ouvert à la concurrence.
Dans la rédaction proposée par l'article 6, l'article L. 35 du code des postes et télécommunications stipule :
« Le service public des télécommunications est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité. Il comprend :
« a) Le service universel des télécommunications défini, fourni et financé dans les conditions fixées aux articles L. 35-1 à L. 35-4.
« b) Les services obligatoires de télécommunications offerts dans les conditions fixées à l'article L. 35-5.
« c) Les missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications, en matière de défense et de sécurité, de recherche publique et d'enseignement supérieur, assurées dans les conditions fixées à l'article L. 35-6. »
Il y a là, sans doute, un abus de langage entre la notion de service universel et la réalité de ce qui est défini sous ce vocable. En effet, ce vocable émane du commissaire européen de la concurrence M. Karel Van Miert, qui est néerlandais...
M. Gérard Larcher, rapporteur. Ah non, il est belge !
M. Louis Minetti. Il est belge, en effet, mais sans doute de la partie dans laquelle on parle non pas le wallon, mais le flamand.
M. Alain Gournac. C'est la Belgique !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Il est belge et il parle très bien le français !
M. Louis Minetti. En tout cas, compte tenu de cet élément, peut-être est-il possible que les mots n'aient pas le même sens selon la langue que l'on utilise.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Oh non !
M. Louis Minetti. En fait, nous penchons plutôt pour une autre analyse : en termes de marché des télécommunications, notre pays se situe en effet actuellement au tout premier plan européen, et c'est sans doute parce qu'il y a beaucoup d'argent à gagner avec ce type de service que l'on souhaite introduire les financiers dans la place. En d'autres temps, nous aurions parlé de l'introduction du loup dans la bergerie ou du renard dans le poulailler.
Il convient donc de rappeler immédiatement le fait que cette haute valeur ajoutée, ce haut débit de rentabilité procède de cette dynamique-là.
C'est pourquoi nous présentons cet amendement n° 112.
Sous le bénéfice de ces observations, le Sénat devrait considérer qu'il est indispensable de préciser simplement et clairement les principes du service public. Tel est l'objet du présent amendement ; j'espère qu'il sera adopté.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 158, 111 et 112 ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en parlant de l'industrie charcutière, Mme Pourtaud, en fait, a allégé des charges la concurrence dans le secteur des télécommunications. En faisant disparaître le principe du service universel, elle n'en permet plus le financement. Par conséquent, France Télécom ne sera pas compensée par la concurrence. (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Danièle Pourtaud. On aura tout entendu !
M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est ainsi, en vertu notamment de la directive de mars, ma chère collègue !
La commission émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 158.
L'amendement n° 111 semble en fait pérenniser le principe du déséquilibre de la structure tarifaire de France Télécom. La commission a déjà donné largement son avis sur ce sujet à l'occasion de la discussion d'autres amendements : elle y est défavorable.
Monsieur Minetti, j'ai été naturellement sensible à votre présentation intéressante de la chaîne de prédation dans le monde vivant (sourires), à laquelle il manque cependant quelques éléments : en effet, la poule mange le ver, et le ver lui-même a un cycle biologique particulier qui passe par les insectes. Nous pourrions donc poursuivre sur le thème de la chaîne de prédation. (Nouveaux sourires.)
La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 112, qui vise à nier les notions de service universel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 158, 111 et 112 ?
M. François Fillon, ministre délégué. Je me suis déjà exprimé à de nombreuses reprises sur le service universel. Je constate que l'opposition n'a toujours aucun argument à avancer. En effet, le service universel est le service public dont chacun se plaît à reconnaître, ici, qu'il est aujourd'hui bien assuré. Dès lors, comment ce qui est bien assuré aujourd'hui deviendrait-il, demain, un service minimum, parce qu'il s'appellerait « service universel » ?
Mme Danièle Pourtaud. Demandez-le à M. Borotra !
M. François Fillon, ministre délégué. Personne n'a été capable de me proposer l'introduction d'un service nouveau, qui est une réalité aujourd'hui pour les usagers de France Télécom avec le service universel. Il s'agit là d'un débat qui n'a pas beaucoup de signification ! (Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Danièle Pourtaud. Si c'est exactement la même chose, pourquoi tenez-vous tant à modifier la dénomination ?
M. François Fillon, ministre délégué. Parce que la directive européenne qui instaure le service universel prévoit son financement ; or, comme l'a dit excellemment tout à l'heure M. le rapporteur, si vous supprimez toute notion au service universel, vous supprimez également tout financement de celui-ci, et, dans ces conditions, il n'y a plus de service public !
M. Jean Peyrafitte. M. Borotra ne dit pas cela !
M. François Fillon, ministre délégué. Je voudrais que l'on cesse d'affirmer que M. Franck Borotra est opposé à ce texte ! Il en est le premier signataire !
Mme Danièle Pourtaud. Nous opposons M. Franck Borotra député à M. Franck Borotra ministre !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 158, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 111, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 112, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article L. 35 du code des postes et télécommunications.
Mme Danièle Pourtaud. Le groupe socialiste vote contre.
(Ce texte est adopté.)

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