SITUATION EN CORSE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la situation en Corse.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Juppé, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis le drame d'Aléria, la République est confrontée au problème corse, dont les composantes sont bien connues de vous toutes et de vous tous.
L'opinion publique de l'île, attachée - et on la comprend - au respect de son particularisme, est en même temps très largement hostile à toute idée d'indépendance ou de rupture avec la République. Les revendications du mouvement nationaliste, quelles qu'en soient les motivations, touchent aux principes fondateurs de la République et sont, hélas ! trop souvent soutenues par la violence et l'attentat.
Dans ce contexte, l'Etat se doit tout à la fois de maintenir les principes dont il est le garant - l'unité de la République et le respect de la loi - et d'oeuvrer pour le développement économique et social de la Corse. C'est dans cet esprit que le Gouvernement travaille.
C'est aussi dans cet esprit qu'il n'a pas l'intention de vous proposer de nouvelles réformes institutionnelles concernant la Corse. Je l'ai dit dès le 16 janvier dernier en recevant à l'Hôtel de Matignon tous les parlementaires corses, quelle que soit leur sensibilité politique : les problèmes institutionnels ne sont pas à l'ordre du jour, tout simplement parce que des solutions institutionnelles ne porteraient pas remède à la situation que nous connaissons.
Depuis 1982, la moyenne annuelle du nombre d'actions violentes commises en Corse - pour l'essentiel des attentats par explosif - s'est élevée à 500, soit plus d'un attentat par jour.
Cette situation, je le reconnais avec lucidité, ne s'est pas véritablement améliorée depuis le début de l'année.
Dans le même temps, les acteurs de l'économie corse voient celle-ci partir à la dérive puisque le tourisme, source essentielle de la prospérité de l'île, est chaque jour découragé par la recrudescence de la violence ou par des grèves irresponsables...
Mme Hélène Luc. Responsables !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Irresponsables !
Mme Michelle Demessine. Il y a toujours un mot de trop !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Un mot juste !
Mais vous n'aimez pas les mots justes, madame !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les travailleurs font grève par obligation !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Pourtant réclamées avec insistance par les représentants des mouvements nationalistes, ...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Jamais les travailleurs n'ont fait grève par obligation !
Mme Hélène Luc. Demandez donc aux cheminots pourquoi ils font grève aujourd'hui !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Demandez donc l'avis des Corses ! Ils vous diront ce qu'ils pensent de ces grèves dans leur immense majorité ! On sait bien que vous êtes les plus fervents zélateurs de la grève ! C'est un principe de gouvernement pour vous, c'est vrai. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau. Ils en vivent, c'est leur fonds de commerce !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Puis-je vous appeler à un peu de sérénité, mesdames ?
Pourtant réclamées avec insistance, par les représentants des mouvements nationalistes, disais-je, les réformes institutionnelles réalisées en 1982 et en 1991 n'ont donc, de ce point de vue de la violence, servi à rien. Je le redis ici en conséquence avec solennité : le Gouvernement n'entend ni modifier le statut de l'assemblée territoriale, ni supprimer les conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, ni traiter la Corse comme un département ou un territoire d'outre-mer, comme certains l'évoquent parfois.
M. François Giacobbi. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il n'est pas question, non plus, je le dis bien sûr en toute sérénité, d'une reconnaissance officielle du « peuple corse », concept déjà censuré par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Dès lors, quelle est notre priorité si elle n'est pas institutionnelle ? Elle est double : sécurité et développement économique.
Pour ce qui concerne la sécurité, le retour à la paix publique est une absolue nécessité qui conditionne tout le reste.
Dès la constitution du Gouvernement, j'avais donné aux ministres concernés, et singulièrement au garde des sceaux et au ministre de l'intérieur, des consignes de la plus grande fermeté. J'ai renouvelé ces consignes au cours des derniers mois.
Cette attitude a commencé à porter ses fruits. Dans le courant des mois de mars et d'avril, notamment MM. Debré et Toubon reviendront sur ce point - plusieurs arrestations combinées avec des découvertes de caches d'armes ont montré que l'action de l'Etat, lorsqu'elle est résolue et déterminée, obtient des résultats dans la lutte contre toutes les formes de criminalité, au premier rang desquelles, bien sûr, le terrorisme.
La recrudescence, depuis le début du mois de mai, d'actions terroristes ou de commandos en Corse ne saurait nous conduire à dévier de cette ligne, pas plus d'ailleurs que les menaces, formulées par voie de presse, de tel ou tel dirigeant nationaliste.
M. François Giacobbi. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Je le dis avec force : aucune organisation, aucun responsable ne saurait bénéficier de quelque impunité que ce soit dès lors que la loi aura été violée.
M. Michel Charasse. Enfin !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Il faut que les choses soient bien claires : tous ceux qui commettent en Corse des crimes ou des délits, quelle qu'en soit la nature, doivent être interpellés et traduits devant la justice. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le Gouvernement entend tout faire pour prévenir et réprimer les atteintes à l'ordre public en Corse comme, bien sûr, sur n'importe quel autre point du territoire national.
C'est dans cet esprit d'ailleurs qu'ont été récemment transférées à la quatorzième section du parquet de Paris des infractions à caractère terroriste, dont il est apparu qu'elles pourraient être instruites avec plus de diligence à Paris, compte tenu de la charge de travail déjà très lourde qui pèse sur les magistrats affectés en Corse. Personne, je l'espère, ne s'est mépris sur la signification de ces décisions.
J'ai enfin demandé au ministre de l'intérieur et au ministre de la défense d'améliorer la coordination des services placés sous leur autorité - la police et la gendarmerie - en donnant toutes instructions utiles aux préfets dont la mission est et reste, plus que jamais, d'assurer cette coordination.
Parallèlement, il importe que soit assurée la protection des personnels de police et de gendarmerie dont nul ne saurait accepter qu'ils puissent être attaqués sans réagir, dans le cadre des lois de la République.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Le principal atout dont doivent disposer ces services est la confiance du Gouvernement ; sachez qu'elle ne leur sera pas comptée, elle leur est acquise depuis ma nomination.
J'admire le courage de toutes celles et de tous ceux - fonctionnaires, magistrats, policiers, gendarmes ou douaniers - qui sont affectés en Corse et assument dans des conditions souvent très difficiles leur mission républicaine.
Je les encourage aujourd'hui à poursuivre leurs efforts. Les résultats obtenus aux mois de mars et d'avril doivent inspirer leurs actions et nous montre la voie. (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. François Giacobbi applaudit également.)
Le rétablissement de l'ordre public doit aller de pair en Corse avec la relance de l'économie locale.
L'étroitesse du marché intérieur de l'île, la paralysie périodique des transports maritimes ou aériens, les troubles à l'ordre public, la concurrence, notamment dans le secteur touristique, d'autres pays méditerranéens, tout cela a beaucoup affaibli depuis plusieurs années l'économie corse.
Même si l'inverse est vrai, comment imaginer que la paix publique puisse être durablement restaurée dans une région dont l'économie serait à la dérive, voire complètement asphyxiée ?
Une concertation étroite avec les représentants des milieux socioprofessionnels en Corse a permis au Gouvernement d'arrêter dès la fin du mois de mars - cela a déjà peut-être été oublié - une série de mesures d'urgence qui ont concerné la modernisation de l'agriculture, la relance de l'activité touristique et l'assainissement de la situation financière des petites et moyennes entreprises corses. Ces mesures sont déjà décidées et en vigueur.
Parallèlement, il m'a semblé nécessaire d'améliorer les conditions du dialogue social en Corse en permettant la reconnaissance des syndicats représentatifs à l'échelon local.
Enfin, diverses mesures destinées à faciliter l'enseignement de la langue corse et à étendre le rayonnement de l'université de Corse ont été prises.
Dans le même temps, et c'est ce qui a le plus retenu l'attention, parfois en gommant tout ce que je viens de rappeler, le Gouvernement a fait le pari de la zone franche.
Pour relancer l'investissement et permettre le maintien de l'emploi en Corse, j'ai proposé en effet que la Corse soit érigée en zone franche. La mise en oeuvre de cette décision a fait l'objet, la semaine dernière, à l'occasion d'un déplacement en Corse du ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration, et du ministre délégué au budget, de discussions avec les élus de l'assemblée territoriale et les milieux socioprofessionnels concernés. Ce déplacement a été une étape importante sur la voie du dialogue auquel le Gouvernement est attaché.
Il va de soi que les mesures envisagées dans le cadre de la zone franche doivent profiter aux entreprises et non aux particuliers. Il s'agit de rendre son dynamisme à l'économie corse et non pas de créer des effets d'aubaine, ou de nouvelles « niches » fiscales.
Le ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration va se rendre prochainement à Bruxelles pour exposer notre projet, tel qu'il est issu des dernières concertations menées dans l'île. J'ai bon espoir que la création de cette zone franche puisse faire l'objet d'une décision définitive avant la mi-juillet. Comme je l'ai déjà annoncé, je me rendrai alors sur place pour annoncer les modalités détaillées de cette innovation que je crois importante.
Je n'aurais garde, enfin, d'oublier les problèmes de transports. Un projet de loi est en cours de préparation pour donner à ce secteur essentiel de l'économie de l'île une stabilité qui lui a, trop souvent hélas ! fait défaut dans le passé.
Je le dis cependant sans ambages : si la paix publique n'est pas rétablie en Corse, la création d'une zone franche apparaîtra tôt ou tard comme une fausse fenêtre, une fausse bonne idée. Les mesures de soutien à l'activité économique, dans leur ensemble, s'avéreraient inefficaces.
C'est la raison pour laquelle j'ai rappelé en commençant toute la priorité que nous attachions au maintien de l'ordre public. Je le dis pour conclure : en Corse, le Gouvernement n'a pas deux discours, il n'a pas deux politiques, il n'a pas une politique qui serait différente de son discours et sa main droite ne saurait ignorer, ni a fortiori contredire, ce que fait sa main gauche. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Le Gouvernement veut rétablir la paix publique tout en favorisant le développement de l'île grâce à des mesures ayant fait l'objet d'une vraie concertation et d'un dialogue approfondi avec toutes les parties prenantes qui respectent le jeu démocratique, c'est-à-dire la règle de l'élection.
M. François Giacobbi. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Voilà la politique que nous menons. Tout le reste est littérature ou procès d'intention !
Ces principes ayant été réaffirmés, je voudrais en appeler à la responsabilité et à la loyauté de nos compatriotes corses. J'en appelle à leur fidélité à la nation française.
Nous les savons attachés, dans leur immense majorité, à la République et à la France ; ils l'ont montré tout au long de l'histoire récente.
Je ne partage donc pas la réaction, qui est sans doute un mouvement d'humeur, de celles et de ceux qui, sur le continent, font mine de vouloir renvoyer les Corses à leur destin d'indépendance.
Certes, la Corse est aujourd'hui à un tournant ; on l'a dit à plusieurs reprises dans le passé récent.
Mais, dans mon esprit, dans l'esprit du Gouvernement, dans l'esprit de la majorité de votre assemblée, j'en suis sûr, et dans celui des Corses, la Corse fait partie de la France. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) A ses heures les plus glorieuses, elle a été l'honneur de la France. Elle est capable, nous le savons, du meilleur, mais encore faut-il que les Corses le veuillent.
Les élections prévues en 1998 et, singulièrement, le renouvellement de l'assemblée territoriale leur donneront l'occasion de le dire et de peser sur le destin de l'île de la seule manière acceptable, c'est-à-dire par l'expression du suffrage et de la démocratie.
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Alain Juppé, Premier ministre. D'ici là, beaucoup de travail reste à accomplir, j'en ai bien conscience. Nous le ferons avec nos compatriotes corses, qui sont attachés à la France et qui sauront, je le sais, prendre leurs responsabilités.
Nous le ferons sans faiblesse, nous combattrons ceux qui défient la loi, ceux qui profèrent des menaces, des « ultimatums » et n'ont, hélas ! pour programme, au bout du compte, que le malheur de la Corse.
Je le disais récemment à l'Assemblée nationale, je le répète devant le Sénat : la Corse, jusqu'à preuve du contraire, c'est la France. Tous ensemble, nous croyons à son avenir. Tous ensemble, nous bâtirons pour elle un avenir digne de son histoire et digne de la France ! (Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai entendu, j'entends encore, et je lis beaucoup de commentaires sur la situation en Corse, notamment sur les questions qui me concernent plus particulièrement en tant que ministre de la justice.
Certes, le débat démocratique, sur ce sujet comme sur tous les autres, implique évidemment que toutes les analyses, que toutes les opinions puissent être développées. Mais je voudrais que le Gouvernement puisse, lui aussi, avoir sa part dans ce débat, ne serait-ce que pour rappeler quelques données objectives.
Croyez-moi, contrairement à ce que certains ont dit, il ne s'agit ni pour le Premier ministre, ni pour le ministre de l'intérieur, ni pour les autres membres du Gouvernement qui ont ce dossier sur leur bureau, ni pour moi-même, d'affirmer que tout va bien. Je suis conscient, préoccupé, attentif aux attentes et aux protestations. Je suis lucide sur la situation qui prévaut, mais je refuse qu'un seul côté de la vérité apparaisse toujours dans les débats et dans l'information. Aussi je souhaite que le présent débat nous donne l'occasion de faire apparaître toutes les faces de la vérité et de la réalité, dans l'esprit même de tolérance et de dialogue qui est celui de la Haute Assemblée.
N'en déplaise à tous ceux qui, pour des raisons diverses, ont un regard systématiquement critique sans pour autant proposer de réelles perspectives, l'action de la justice s'attache à conforter ceux qui s'inscrivent dans la légalité et oeuvrent dans l'intérêt général, et à réprimer ceux qui ont fait le choix de l'illégalité.
Pourquoi refuser de prendre acte de cette réalité, à savoir que le nombre de crimes et de délits est en forte diminution sur le territoire des deux départements de la Corse - on a recensé 40 p. 100 de vols et de tentatives de vol à main armée en moins entre 1994 et 1995 - que le taux d'élucidation des infractions a connu une évolution positive, y compris s'agissant des crimes pour lesquels d'aucuns prétendent qu'ils ne font pas l'objet d'un traitement réellement déterminé ; ainsi, les attentats par explosifs ont été deux fois moins nombreux au premier trimestre 1996 qu'au premier trimestre 1995.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer des affaires très récentes dans lesquelles les auteurs ont été rapidement identifiés et déférés à la justice, sans parler de cas plus connus qui sont encore dans toutes les mémoires : la fusillade du Palais de justice d'Ajaccio, dont les auteurs actuellement emprisonnés ne manqueront pas d'être jugés assez rapidement ; le meurtre du président du tribunal administratif de Bastia, qui a été très rapidement élucidé ; le drame de Furiani, qui a endeuillé la France tout entière - j'en profite pour rendre de nouveau hommage aux victimes qui, par leur dignité, ont permis à la justice de suivre un cours aussi satisfaisant que possible eu égard à l'émotion bien légitime éprouvée dans l'île et dans tout le pays.
Mais je voudrais également rendre un hommage particulier à tous ceux qui concourent, avec un dévouement exemplaire, à l'oeuvre de justice : fonctionnaires de police, militaires de la gendarmerie, fonctionnaires de justice - qu'ils exercent leur mission au sein des tribunaux ou au sein des services déconcentrés - magistrats, tous réunis au service de la justice.
En tant que garde des sceaux, je veille, et je continuerai de veiller à ce que le respect de l'institution judiciaire et de ceux qui la servent soit préservé en toutes circonstances, quels que soient les objectifs, plus ou moins avouables, des polémiques lancées ici ou là.
Je ne ménagerai pas mes efforts en ce sens, comme je continuerai de conduire une action déterminée pour assurer la juste répression de toute forme de criminalité. En effet, je le répète : il n'y a pas de délinquant intouchable ni d'infraction hors la loi.
A ceux qui mettent en cause la détermination de la justice, je redis, par exemple, que je n'exclurait aucune suite judiciaire en cas de propos ou de déclarations qui tendraient à la transgression de nos lois en vue de faire obstacle au bon déroulement de la justice.
De même, je ne cesserai de stigmatiser toute dérive vers ce qui est parfois présenté comme une violence banalisée.
Nos codes, le code pénal et le code de procédure pénale, sont les seuls instruments de l'action de la justice. Quant à moi, je ne me laisserai pas détourner par les critiques émanant de ceux qui, il y a quelques mois encore, soutenaient une position exactement inverse de celle qui est la leur aujourd'hui.
Cette volonté m'a conduit à demander l'application, dans un certain nombre de dossiers, des dispositions de l'article 706-18 du code de procédure pénale, qui permettent, en matière de terrorisme, de saisir la juridiction parisienne spécialisée.
Ces procédures n'ont qu'un sens et qu'un objectif : faciliter le bon déroulement des investigations en cours. Elles reposent, conformément à nos principes judiciaires, sur un examen au cas par cas de chaque dossier et s'exercent sous le contrôle souverain de la Cour de cassation, dont la chambre criminelle vient de faire droit à cinq des requêtes présentées en ce sens par le Parquet. Trois autres requêtes sont en cours d'examen ; une dizaine d'autres vont être présentées dans les prochains jours.
Rechercher la pleine efficacité de l'action de la justice dans des dossiers d'une particulière gravité, compte tenu des moyens et de l'expérience des instances judiciaires spécialisées, par la stricte application des textes en vigueur, voilà comment se traduisent concrètement les propos sur l'état de droit que j'ai été amené à tenir lors de mon déplacement dans l'île au mois de février dernier.
C'est dans ce même esprit que la répression de la délinquance économique et financière a fait l'objet d'un renforcement significatif au travers de l'accroissement des moyens, y compris humains, mis à la disposition des autorités judiciaires et policières.
L'application ferme de la loi pénale est une pièce maîtresse sur l'échiquier républicain et un facteur de retour à une situation durablement stable à laquelle aspirent tous nos concitoyens, en Corse comme sur le continent.
Est-il besoin de rappeler - M. le Premier ministre vient de le dire - que l'immense majorité des habitants de l'île ne reconnaît comme légitime qu'un seul cadre, celui de la démocratie au sein de la République française ?
Garantir ce débat, c'est donc, pour la justice, être tout à la fois ferme, équilibrée et humaine. C'est aussi pouvoir jouer pleinement son rôle, dans une totale sérénité. C'est punir, lorsqu'il le faut, mais aussi réparer et réintégrer chacun dans l'exercice de ses droits. J'entends assumer sans réserve la mission qui m'est ainsi dévolue en ma qualité de garde des sceaux, conformément aux règles de notre Constitution et de nos lois.
Le sens de l'Etat, celui de l'intérêt général, alliés au légitime attachement à la Corse, forte de ses richesses et de ses particularités, partie intégrante de la nation, constituent, j'en suis convaincu, mesdames, messieurs les sénateurs, autant de valeurs qui nous rassemblent et qui nous préserverons des logiques d'abandon ou de destruction. (Applaudissemennts sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si l'île de Beauté s'est trouvée constamment au coeur de mes préoccupations depuis mon arrivée au ministère de l'intérieur, ce n'est pas simplement parce que j'éprouve pour ce territoire de la République un attachement profond. C'est aussi et surtout parce que je perçois l'angoisse qui s'est emparée de la Corse et de ses habitants. Cette angoisse, chaque jour plus présente, chaque jour lancinante, ne peut nous laisser indifférents ou silencieux.
Comment pourrions-nous en effet accepter, mesdames, messieurs les sénateurs, cette évolution désastreuse vers laquelle l'île semble dériver, sous le regard impuissant des Corses eux-mêmes ?
Cette dérive nous mène à l'impasse politique aussi bien qu'au déclin économique et à l'appauvrissement culturel.
Comment pourrions-nous laisser croître l'incompréhension, quand ce n'est pas l'exaspération de l'opinion publique nationale face à une évolution dont elle ne comprend pas les raisons ni ce qu'acceptent ou recherchent ceux qu'elle englobe injustement dans une même responsabilité ?
L'opinion publique est lassée de contribuer, sans en voir les fruits, à un effort de solidarité qu'elle estime considérable.
La gravité de la situation en Corse nous oblige d'abord à un constat lucide et sans complaisance.
En vingt ans d'approches successives, et parfois contradictoires, pour apporter des solutions aux problèmes de la Corse, qu'ils soient institutionnels, économiques ou tout simplement liés à l'ordre public, nous n'avons pas trouvé de réponses satisfaisantes, force est de l'admettre. Il nous faut aujourd'hui prendre acte d'un échec politique. Quelles qu'aient été leur inspiration, leur originalité et surtout leur bien-fondé, les initiatives prises jusqu'à présent n'ont pas été, soyons lucides, couronnées de succès.
Qu'il me soit donc permis de préférer aux idéologies, aux idées toutes faites, aux a priori, la mise en oeuvre d'une politique fondée sur des convictions simples et des mesures pratiques.
C'est cette voie que j'ai voulu inaugurer à Ajaccio, en janvier dernier. Je n'ai pas varié depuis, en dépit des heurts et des obstacles qui se sont dressés sur ma route.
Je demeure convaincu que le rétablissement du respect des lois de la République est le préalable à toute solution durable aux vrais problèmes de l'île. Il est de la responsabilité de l'Etat de rétablir la loi républicaine, et l'Etat la fera respecter.
Une fermeté résolue et comprise n'est cependant synonyme ni d'aveuglement ni de repli de part et d'autre sur des certitudes immobiles.
C'est dans cet esprit que j'ai appelé au dialogue, non pour le plaisir d'entretenir des contacts stériles, ni dans l'espoir illusoire d'un consensus général. Le dialogue n'est pas une fin ; il est un moyen au service d'une politique, qui vise à ouvrir l'espace indispensable à l'amorce d'une vie institutionnelle et politique normale, à identifier les moyens de sortir des impasses présentes, à l'abri des provocations, des menaces et de la violence, toutes inacceptables.
Plus que tout autre, je mesure les difficultés de la démarche. Mais elles ne sauraient être, pour moi, prétexte à renoncer.
Cette politique a besoin de temps, mais elle a surtout besoin de volonté. En effet ne nous leurrons pas, tous ceux que la poursuite de la situation actuelle avantage, dans le maintien des facilités acquises ou des illégalités trop longtemps tolérées, s'attacheront à faire échouer cette politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais indiqué à Ajaccio que la police devait se remobiliser contre la délinquance, d'où qu'elle vienne et quelles qu'en soient les formes. Regardons aujourd'hui les choses avec objectivité.
Durant ces derniers mois, son efficacité comme celle de la gendarmerie ont incontestablement progressé. En voici plusieurs exemples, déjà rappelés d'ailleurs par M. le garde des sceaux.
En quelques semaines, l'assassinat du président du tribunal administratif de Bastia a été élucidé et son auteur interpellé. Une cache d'armes a été découverte à Bastia. Les poseurs de bombes devant la chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio ont été arrêtés. Les auteurs d'un mitraillage de la préfecture et du conseil général ont été pris en flagrant délit et incarcérés.
J'ajoute que, au cours des quatre derniers mois, ont été déférés à la justice et écroués plus de responsables ou de complices d'attentats qu'au cours de la moitié de l'année passée.
Les personnes appréhendées appartiennent à toutes les tendances : à partir du moment où des actes criminels sont commis, ils doivent être réprimés, d'où qu'ils viennent.
Nous sommes fermes. Nous ne sommes certainement pas comme les socialistes qui, de juillet 1988 à septembre 1989, ont amnistié quarante-deux nationalistes. (Murmures sur les travées socialistes.) La majorité de l'époque avait en effet voté une loi d'amnistie, et trois personnes condamnées qui n'étaient même pas visées dans cette loi ont néanmoins été libérées. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
Ne m'obligez pas à donner d'autres exemples !
Je redis ici que le respect de la loi vaut pour tous, que personne ne peut se prévaloir de sa situation, de sa tendance ou de son appartenance politique pour s'en affranchir.
Cette politique de fermeté sera poursuivie. Le RAID reviendra prochainement en Corse pour relever les fonctionnaires de l'office central de répression du banditisme.
Tous les moyens seront accordés pour que l'action de la police soit exemplaire.
Aux forces de police et de gendarmerie présentes en Corse, j'adresse à nouveau le témoignage de ma gratitude et de ma confiance. Je leur redis aussi mon émotion devant la mort de l'un des leurs, au cours d'une récente opération d'interpellation. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Je sais qu'entre la réalité et la perception des choses il existe une marge d'interprétation qui peut réduire à néant les arguments les plus solides et balayer les faits les mieux enracinés.
Je voudrais toutefois que l'on admette que, si l'année 1995 en Corse s'est trouvée entrecoupée de meurtres entre nationalistes et s'est achevée par une vague d'attentats inadmissibles, le niveau atteint par la violence n'est, hélas ! aucunement exceptionnel.
Au demeurant, les crimes et les délits de droit commun ont diminué sur l'île de 22 p. 100 l'année dernière, contre 6 p. 100 - faut-il le rappeler ? - sur le plan national.
L'inacceptable violence nationaliste, qu'il s'agisse des attentats à l'explosif, de l'usage des armes à feu ou des incendies, a représenté, en 1995, 540 actes criminels, contre 559 en 1994, 573 en 1993 et 621 en 1992.
Je ne tire nul argument de cette comptabilité. L'essentiel est ailleurs.
Prenons d'abord conscience qu'un changement fondamental est intervenu l'an passé. La violence s'exerce désormais aussi entre les Corses et entre les nationalistes, parfois en dehors de toute véritable considération politique.
Par ailleurs, les attentats sont dirigés non plus seulement vers l'Etat mais également vers toutes les collectivités publiques insulaires.
C'est peut-être, paradoxalement, dans la crainte du chaos que nous pouvons aujourd'hui puiser le fragile espoir de faire bouger les choses. La crainte de l'immense majorité des Corses devant l'abîme économique et social qui menace ainsi que le risque du discrédit politique général permettent que s'amorce, peut-être, une autre voie, celle qui conduirait la Corse à se réconcilier avec elle-même, dans le respect mutuel, le rétablissement de la loi et le développement économique et social.
Cela passe par le dialogue entre les Corses eux-mêmes autant que par un dialogue entre les Corses et l'Etat.
Le rôle du Gouvernement n'est pas d'imposer des solutions unilatérales et des schémas préétablis. Il consiste, d'abord, à faire renaître la confiance.
C'est dans cet esprit que, sous l'autorité du Premier ministre, j'ai multiplié les initiatives.
En tête-à-tête avec mes collègues, je me suis efforcé de faire progresser, sur tous les plans, le travail interministériel, afin que tous soient associés à la détermination de l'avenir de la Corse dans un climat de confiance réciproque.
M. le Premier ministre a reçu les parlementaires de la Corse. J'ai reçu à deux reprises, les représentants élus de l'assemblée territoriale. Quel que soit le courant d'idées auquel ils appartiennent, ils sont détenteurs de la légitimité que confère le suffrage universel.
J'ai voulu également écouter les parlementaires, qui sont les détenteurs de la souveraineté nationale.
M. François Giacobbi. Merci quand même !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le suffrage universel, c'est la légitimité. La souveraineté nationale, c'est l'autorité.
M. le Premier ministre a présenté le bilan de cette première étape. Il a rappelé les décisions prises sur le plan économique et social. Il a tracé les perspectives des prochains mois, évoquant notamment la constitution de la zone franche, qui doit être un outil de développement pour l'île.
Pour cela, il faut que les Corses soient prêts à prendre en main leur destin, car rien ne se fera sans eux.
Bien sûr, je déplore que de nouveaux épisodes soient venus, encore récemment, menacer l'ébauche d'un rétablissement.
La Corse, pour ceux qui l'aiment, mérite mieux que les images d'Epinal par lesquelles certains s'obstinent à la décrire !
Le grossissement médiatique, l'agitation désordonnée, la multiplication des provocations ont semblé resurgir.
Ce serait là le pire des pièges, dans lequel les extrémistes veulent nous voir collectivement succomber.
Entre violence sur l'île et indifférence sur le continent, il existe, j'en suis convaincu, un chemin pour la raison et pour les hommes de bonne volonté.
Si celui-ci ne se dégageait pas, entravé par l'action de groupes extrémistes, il y aurait beaucoup à craindre pour la Corse.
Faudrait-il alors recourir à des solutions d'exception ? Serions-nous prêts à les accepter ?
M. Emmanuel Hamel. Non !
M. Michel Charasse. L'état d'urgence !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Seraient-elles admissibles pour la République qu'ensemble, et avec les Corses, nous formons ?
Mesurons aussi le risque d'une solidarité insulaire traditionnelle, qui offrirait une nouvelle chance à ceux qui, enfermés dans leurs fantasmes, se feraient passer pour les victimes d'une répression injuste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lucidité comme le courage nous conduisent à maintenir la logique que nous avons tenté d'imposer en début d'année. Si trop d'obstacles devaient nous forcer à renoncer, il s'agirait d'un échec pour tout le monde, et d'abord pour la Corse.
J'ai ouvert ce dossier sans a priori. Comme vous, je me suis interrogé : existe-t-il une autre politique possible que celle fondée sur le dialogue, la fermeté et le développement ? Existe-t-il une alternative crédible à nos efforts ? Existe-t-il des solutions miracles pour faire avancer la Corse sur la voie de la prospérité et de l'harmonie retrou-vée ? Je crois que non.
Il est temps pour nous, forts de l'échec relatif des approches des vingt dernières années, sachant en tirer les leçons, de dépasser nos clivages traditionnels.
Seul l'effort de toute la nation, et d'abord de l'ensemble de ses représentants, permettra à la Corse de redécouvrir les chemins de l'avenir.
C'est pour cela que l'Etat restera en Corse et que la Corse restera dans la France.
M. François Giacobbi. Elle y restera de toute façon !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est, en tout cas, habité par cette espérance et par cette détermination que j'entends agir dans les mois qui viennent.
Quelles que soient les épreuves, les interrogations, les doutes, les menaces ou les intimidations, quels que soient les arrières pensées, le double langage ou les ambiguïtés de certains, le Gouvernement tiendra le cap.
Soyez assurés de notre ténacité et de notre volonté de promouvoir en Corse les valeurs de progrès qui sont celles de la nation et de la République. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est du destin d'une terre française dont nous débattons aujourd'hui.
M. Maurice Schumann. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous en débattons avec gravité dans un climat d'inquiétude car nous percevons bien que ce débat, à certains égards, est peut-être celui de la dernière chance.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il ne faut pas exagérer !
M. Jacques Larché, président de la commission. Française, la Corse l'est ; elle l'est par le sang versé et par la volonté démocratiquement exprimée de sa population.
Peut-on rappeler à ceux qui croient traduire une certaine lassitude de l'opinion en acceptant de s'abandonner à la revendication des fauteurs de troubles qu'il fut un temps où la Corse sut répondre avec force et dignité à une autre revendication, d'origine étrangère celle-là,...
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. ... avec une force et une dignité que la France entière admira ?
Messieurs les ministres, j'approuve votre propos.
Dans ce dossier, comme dans beaucoup d'autres, rien n'est pire que l'incertitude. Vous avez clairement affirmé votre intention d'y mettre fin. Vous aurez notre soutien.
Je voudrais simplement appeler votre attention sur deux points.
L'indispensable rétablissement de l'ordre républicain suppose une véritable mobilisation des services publics.
Par ailleurs, il doit être rappelé - et vous l'avez clairement affirmé - que la solution des problèmes que rencontrent les départements de Corse ne peut être trouvée que dans le cadre de la République et dans le respect de la Constitution.
La commission des lois a récemment institué une mission d'information chargée d'examiner de manière très concrète les moyens dont dispose la justice, tant sur le continent qu'en Corse.
Son président et son rapporteur, mes collègues et amis, MM. Charles Jolibois et Pierre Fauchon, reviennent d'Ajaccio et de Bastia où ils s'étaient rendus voilà quelques jours en compagnie de M. Giacobbi. Ils ont eu de très nombreux contacts avec des magistrats et ils en rapportent une double impression.
Ces magistrats sont des hommes et des femmes de qualité. Bien que souvent menacés - 30 p. 100 d'entre eux ont fait l'objet d'attentats ou de menaces -...
M. Michel Charasse. Par qui ?
M. Jacques Larché, président de la commission. ... ils n'entendent pas renoncer à l'accomplissement de leurs tâches.
M. Emmanuel Hamel. Rendons hommage à leur courage !
M. Michel Charasse. Tout le monde sait par qui !
M. Jacques Larché, président de la commission. Mais ils sont actuellement, quelles que soient les évolutions statistiques, à la limite du découragement, voire de la renonciation.
La même constatation vaut pour les fonctionnaires de police, des services fiscaux et de la gendarmerie.
Les raisons de ce découragement sont évidentes. Serviteurs de l'Etat, ils attendent du Gouvernement une attitude claire, qu'ils n'ont peut-être pas toujours, jusqu'à présent, suffisamment perçue.
Soyez assurés alors qu'ils vous aideront à la mesure de leurs moyens et de leur courage dans le rétablissement de l'ordre républicain.
Ce rétablissement - et c'est le second point auquel je voulais en venir - ne peut avoir lieu que dans la République et dans le respect de la Constitution. Quelques revendications ne me semblent pas susceptibles d'être satisfaites dans le cadre actuel de nos institutions.
M. Michel Charasse. Quelques !
M. Jacques Larché, président de la commission. Qu'il s'agisse de la reconnaissance juridique du peuple corse, de la suppression des structures départementales ou de l'usage officiel de la langue corse, notre ordre constitutionnel actuel, qu'on le veuille ou non, s'y oppose.
Le Conseil constitutionnel l'a déjà affirmé, et si d'aventure on voulait aller au-delà, il faudrait alors clairement mesurer les conséquences sans doute redoutables qui en découleraient pour l'ensemble de la nation française.
Il faudrait envisager clairement en toute connaissance de cause une réforme de la Constitution qui poserait de si redoutables problèmes que vous vous refusez à y songer.
M. François Giacobbi. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. D'autres que moi vous diront, dans le cadre de leurs responsabilités, ce qu'ils estiment souhaitable dans les domaines économique, social et fiscal pour que nos compatriotes de Corse retrouvent cet équilibre auquel, nous le savons, une très forte majorité d'entre eux aspirent.
Messieurs les ministres, vous avez voulu privilégier le dialogue avec des élus authentiques.
Ecoutez-les, ils vous diront que, dans leur coeur, ils se sentent pleinement Français et pleinement Corses et que cette double identité constitue la seule base possible sur laquelle la Corse française pourra bâtir son avenir. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 43 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes bien évidemment appelés à réagir après la déclaration de M. le Premier ministre et les propos tenus par M. le garde des sceaux et M. le ministre de l'intérieur.
Mais ce débat est rare, comme le soulignait M. Larché. Si nous avons en effet beaucoup débattu des institutions de la Corse, nous avons eu peu l'occasion de discuter de la situation dans l'île. Nous voilà donc amenés à nous interroger sur celle-ci et sur les solutions à apporter aux problèmes récurrents qu'elle connaît, tels que la violence, l'insécurité et, bien entendu, le retard dans le développement économique.
Il est vrai que l'opinion publique, lasse de voir cette situation perdurer et ayant de plus l'impression que la solidarité financière a ses limites...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est ce que dit M. Barre !
M. Jean-Jacques Hyest. ... serait tentée de demander qu'on laisse la Corse se débrouiller avec ses problèmes, d'où le succès de certaines formules.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Quel succès ?
M. Jean-Jacques Hyest. Mais cela n'est pas nouveau. (M. Ceccaldi-Raynaud proteste.)
Je vous en prie, monsieur Ceccaldi-Raynaud, ne réagissez pas ainsi ! Je pense avoir à la fois la sérénité et le sérieux nécessaires pour aborder les problèmes de la Corse, comme tout parlementaire !
M. Michel Charasse. Ça, c'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Au moins, je n'ai encore rien dit qui puisse être choquant. (M. Lorrain applaudit.) J'ai, au contraire, donné l'avis de l'opinion publique continentale.
Nous sommes précisément là pour essayer de faire en sorte que cette opinion publique n'ait plus à se poser ces questions et pour essayer de trouver des solutions afin de remédier à ces problèmes.
Permettez-moi de reprendre quelques citations que les parlementaires de Corse connaissent bien.
Au début du siècle, Volney a écrit, dans son ouvrage Etat physique de la Corse, qu'il existe un système mystérieux « dont les effets sont d'attirer du Trésor français un argent immense et mal employé ».
M. François Giacobbi. Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Jacques Hyest. Certes non. Il faudrait aussi évoquer les bandits corses.
M. François Giacobbi. Oh, la, la !
M. Jean-Jacques Hyest. On se souvient des voltigeurs corses. Cinq cents gendarmes ont été envoyés en Corse pour arrêter un seul homme, lequel n'a finalement été appréhendé qu'au bout de vingt et un ans. On pourrait dire qu'il s'agit d'un mal habituel et d'une tradition, mais la situation a beaucoup changé.
Il faut, comme l'ont souligné de nombreux parlementaires, rappeler le patriotisme des Corses. Combien sont morts au service de la nation, dans la Résistance ? Il faut rappeler le courage dont ils ont fait preuve alors. Dès lors, on peut se demander pourquoi cette Corse, attachée profondément à la France, ne peut pas trouver en elle-même la solution à ses problèmes ?
Il faut aussi rappeler l'aspect économique, que je développerai tout à l'heure. Les meilleurs de ses enfants sont partis sur le continent. Un certain nombre d'entre eux sont présents dans cet hémicycle, même s'ils ne sont pas élus de Corse. On peut s'interroger en observant le nombre d'habitants actuels, les composantes démographiques, le dépérissement de l'économie rurale et la croissance de certaines agglomérations qui ont complètement désorganisé l'économie de l'île. De nombreux jeunes ont cru qu'ils pouvaient vivre en Corse et on note chez eux une certaine désespérance.
Je reprendrai les points qu'ont évoqués MM. les ministres, et tout d'abord la sécurité. J'approuve pleinement les propos qu'ils ont tenus. Il existe un malaise chez la grande majorité des Corses, surtout parmi ceux qui sont chargés de faire respecter la loi, comme l'a bien souligné M. Larché, qu'il s'agisse des magistrats, des policiers, des gendarmes et des fonctionnaires de toutes catégories, face à un sentiment d'impunité réelle ou supposée d'une minorité.
Comme certains l'ont souligné à plusieurs reprises, sous couvert d'un nationalisme se cache parfois une criminalité, une délinquance de droit commun inacceptables. Le banditisme, la criminalité, la violence sont des transgressions de l'Etat de droit que nous ne pouvons accepter car elles créent un climat d'insécurité et discréditent la force publique.
Vous avez répondu tout à l'heure par avance, monsieur le garde des sceaux, à une question que je voulais vous poser. On ne peut accepter, par exemple, que des propos tendant à remettre clairement l'Etat de droit en question puissent être tenus sans conséquences pour leurs auteurs.
Face à cela, il faut bien entendu réaffirmer, comme vous l'avez fait, que la conduite de l'Etat se résume à la fermeté mais aussi à la transparence. Il faut également, et c'est indispensable, redonner confiance à tous ceux qui ont la lourde charge d'assurer l'Etat de droit en Corse, mais, nous le savons bien, ce n'est pas suffisant. La répression, à elle seule, n'est pas la solution et elle n'aurait pas plus de succès qu'elle n'en a eu par le passé.
Nous pourrions alors être tentés de choisir la voie institutionnelle. Certains rappellent, mais ce n'est pas nouveau, que dans d'autres Etats de l'Union européenne les îles possèdent des statuts spécifiques. Mais dois-je rappeler que la loi de 1991, qui avait fait suite au « statut Defferre » de 1982, reconnaît déjà à la Corse une spécificité dans le cadre de l'article 72 de la Constitution ?
Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que, lorsque j'étais député, j'ai soutenu le projet de statut spécifique de la Corse, à l'exception bien entendu de son article premier, qui me paraissait déplorable et que le Conseil constitutionnel a censuré. On pourrait sans doute évoquer aussi les récentes réformes, par exemple en matière de statut fiscal, qui tendent à favoriser le développement économique de l'île.
C'est pourquoi, messieurs les ministres, nous approuvons votre volonté de ne pas inclure un volet institutionnel dans votre action en faveur de la Corse. Je ne crois d'ailleurs pas que de nouvelles modifications statutaires, qui ne sont en fait réellement réclamées par personne, auraient un quelconque effet. Faut-il une fois de plus, comme certains l'ont suggéré, organiser des élections pour vérifier ce que nous savons déjà, c'est-à-dire l'attachement de la très grande majorité des Corses à la France ? Pourquoi pas ? Mais cela présenterait l'inconvénient de sous-entendre que les élus légitimes ne le seraient pas tant que cela et que les institutions sont bloquées.
A mon avis, le problème ne se situe pas là, et je ne crois pas que l'organisation d'élections permettrait aujourd'hui de favoriser à la fois le retour de la paix civile dans l'île et le développement économique. Alors, si la répression indispensable n'est pas suffisante, si la réponse institutionnelle n'a pas fait et ne peut faire ses preuves, doit-on se tourner vers la solution économique ? A l'évidence, oui.
En 1908, Georges Clemenceau, rapporteur d'un texte sur la situation économique de la Corse,...
M. Michel Charasse. Et il en avait quelque part !
M. Jean-Jacques Hyest. ... soulignait la pauvreté du pays en ces termes : « Ni la Bretagne, ni les Hautes-Alpes, ni peut-être aucun pays d'Europe ne peuvent donner une idée de la misère et du dénuement actuels de la Corse. »
A l'examen, toutes choses étant égales par ailleurs, tant le nombre de bénéficiaires du RMI et de CES que le revenu par habitant montrent, il faut bien le reconnaître, que la Corse ne s'enrichit pas, même si quelques-uns y parviennent. C'est tout à fait dommage.
M. Michel Charasse. La Corse n'est pas la plus pauvre du peloton !
M. Jean-Jacques Hyest. Elle fait tout de même partie des régions les plus pauvres,...
M. Guy Allouche. Non.
M. Michel Charasse. Non, non !
M. Jean-Jacques Hyest. ... si l'on tient compte, bien entendu, du nombre de pensionnés et de retraités disposant d'un revenu. L'économie active est extrêmement faible.
M. Michel Charasse. La région la plus pauvre, c'est la Picardie !
M. Jean-Jacques Hyest. Des faiblesses structurelles perdurent. La Corse, c'est évident, est victime d'une faible démographie qui l'empêche de développer une économie plus autocentrée.
En définitive, comme on l'a dit, la Corse vit, pour l'essentiel, du secteur public et des fonds publics évalués par certains à 11,4 milliards de francs d'aides nationales et à 400 millions d'aides européennes. A ce sujet, l'Union européenne sera, bien entendu, conduite à demander des comptes sur l'utilisation des crédits. Il faut aussi faire comprendre à la Corse qu'elle ne peut pas continuer à obtenir des subventions ou des aides sans que celles-ci contribuent au développement.
Ces difficultés économiques insurmontées ont participé, d'une part, à la crise politique et à l'éclatement de la violence et, d'autre part, à la situation d'incompréhension de la part des pouvoirs publics. Aujourd'hui, le Gouvernement souhaite continuer l'action économique, et je le suis dans cette voie ; seulement il me semble qu'au préalable certaines clarifications s'imposent.
Je ne sais si les zones franches constituent la solution ou la seule mesure à prendre pour assurer le développement économique de la Corse.
En fait, il faudrait avant tout savoir ce que veulent les Corses. C'est pourquoi une véritable concertation doit être menée sur le terrain. Le Gouvernement l'a engagée et il la poursuivra.
L'Etat doit, certes, aider les régions en difficulté, et la Corse en fait partie, mais cela doit se faire selon une démarche de coopération et d'initiative. Le développement ne se décrète pas, selon la formule célèbre, et comme nous ne pouvons l'imposer aux Corses, ils ne peuvent pas non plus l'attendre sans fournir d'efforts.
La violence que nous constatons avec regret aujourd'hui est la manifestation d'une incompréhension et d'une non-communication fort regrettables. C'est pourquoi il faut réinstaurer le dialogue et la transparence. L'aide économique est importante mais elle doit être comprise et acceptée afin de porter pleinement ses fruits.
Non que ce soit la dernière chance, mais ce débat doit être l'occasion, d'une part, de faire entendre aux Corses les exigences d'un développement économique équilibré et celles de l'Etat de droit, d'autre part, de redire combien les Français sont attachés à ce que la Corse demeure française afin que tout ce qu'ont donné ses enfants pour la patrie ne soit pas perdu par ceux qui ont oublié leur histoire. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Messieurs les ministres, mes chers collègues, je continuerai à m'adresser à M. le Premier ministre, bien qu'il soit parti, ce que je regrette, car je considère que c'est lui, en premier lieu, qui a en charge le dossier de la Corse.
Le débat parlementaire sur la Corse, que nous demandons de longue date, s'impose aujourd'hui plus que jamais, car la détérioration dramatique de la situation exige à la fois des mesures d'urgence et la mise en oeuvre d'une politique forte et ambitieuse de développement dans la transparence et la solidarité.
C'est ce qu'attendent avec raison, et dans leur immense majorité, nos compatriotes corses, qui honnissent la violence destructrice et meurtrière. Avec la même force, ils condamnent la déstabilisation de l'Etat de droit et de la légalité républicaine en Corse et ne supportent plus les lourdes carences économiques et sociales. Avec eux, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen exigent le réexamen fondamental de l'action engagée depuis vingt ans et le changement de cap indispensable au devenir de l'île.
Le peuple corse avec sa jeunesse, avec ses forces vives, riche de sa personnalité, de son histoire, de ses contributions éminentes à la nation et de ses potentialités, porte en lui un enthousiasme, une énergie, des atouts qu'il ne demande qu'à pouvoir déployer. C'est pourquoi le peuple corse, partie intégrante de la nation française, aspire à toujours plus de démocratie, à l'exercice plein et entier des droits des citoyens. Ce n'est pas du dogme, c'est de l'histoire vivante ! Le peuple corse veut et doit vivre une vie digne et pacifique qui soit féconde et fructueuse pour chaque citoyen, chaque famille de l'île, et par là même, pour toute la République.
Ce potentiel est, hélas ! bafoué par ceux qui, par une série insupportable de destructions, de menaces, de rackets, d'assassinats, ont pour seule stratégie le terrorisme et la mainmise mafieuse sur les activités de l'île. Il est grand temps de mettre un terme définitivement à ces dérives insupportables.
L'Etat, pratiquement absent tout au long d'une année marquée, monsieur le ministre de l'intérieur, par des atteintes permanentes à ses représentations les plus directes - bâtiments publics, administrations publiques, magistrats, policiers, gendarmes, enseignants, agents du Trésor et des impôts -, l'Etat, donc, pratique le double langage. D'un côté, le Gouvernement proclame martialement la nécessité de rétablir l'ordre républicain ; de l'autre, il choisit délibérément le marchandage en catimini et la diplomatie secrète avec la branche terroriste du mouvement nationaliste. Et j'apprends que, cette nuit, les locaux de l'union départementale CGT de Corse-du-Sud ont été mitraillés : c'est une nouvelle étape inquiétante.
Force est de constater, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, que la dernière proposition gouvernementale qui consiste à ériger toute la Corse en une sorte de zone franche apparaît, pour une large part, comme le prix payé au chantage terroriste. L'initiative, accueillie favorablement lors de son annonce par le FLNC-canal historique ainsi que par le patronat et les responsables politiques qui vous soutiennent, ouvre, de fait, la voie à un désengagement institutionnel poussant la Corse en marge de la communauté nationale. Elle la transformerait en zone de non-droit, notamment économique, et en un paradis fiscal où tout serait permis aux forces de l'argent, y compris celles de l'argent sale.
Autrement dit, une telle disposition aurait pour conséquence, par les appétits qu'elle susciterait, d'amplifier tous les phénomènes de dérives mafieuses, et d'accroître l'espace laissé aux adversaires de la paix civile, via leurs bandes armées.
Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, il faut en finir avec les complaisances, les attitudes politiciennes à l'égard de ceux-là. Appuyez-vous plutôt sur le courage des Corses qui, de plus en plus nombreux, dénoncent à leurs risques et périls les stratégies suicidaires. Ces femmes, qui, dans la lignée héroïque d'une Danielle Casanova, défilent contre la violence et le terrorisme ; cet évêque, qui s'insurge contre la lutte armée ; le maire communiste de Sartène, mon ami Dominique Bucchini, qui relève le défi contre les poseurs de bombes, tous méritent, ô combien ! écoute et considération.
Ils vous le disent fermement : la Corse a besoin que l'on cesse de tricher avec elle ! Elle a besoin de vérité et de justice ! Car le terrorisme ne détruit pas que des bâtiments publics et des vies humaines ; il accroît la délinquance, la première victime en étant la jeunesse ; il sape les fondements moraux d'une société et il prospère sur le renoncement et la lâcheté.
Il faut mettre fin à la loi des armes, obtenir l'autodissolution des bandes armées et cesser le double langage. Il est impératif que les autorités judiciaires et policières disposent, en Corse, de tous les moyens requis pour élucider les crimes. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen vous le demandent, comme ils vous demandent d'assurer la transparence complète par la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire, à la suite des travaux de la mission sénatoriale qui ont été rappelés tout à l'heure par M. Jacques Larché à laquelle participait mon ami Robert Pagès, et la constitution d'un observatoire sur les activités mafieuses en France.
Autant la question corse constitue un vrai problème, autant la réponse nationaliste est une fausse solution. L'avenir du peuple corse ne passe ni par le retrait de la nation française, ce qui constituerait un défi à l'histoire et une régression assurée, ni par une Europe des régions version maastrichtienne. Celle-ci « brancherait » prioritairement l'île sur le marché unique des capitaux et des hommes, la dissociant du devenir national tout en la livrant aux convoitises des milieux d'affaires. A cet égard, la déclaration inquiétante de l'un de vos prédécesseurs, M. Barre, évoquant l'idée d'indépendance et approuvant l'instauration de la zone franche, reflète l'incapacité du Gouvernement à faire respecter la légalité, lui qui, dans le même temps, exonère les responsables, en culpabilisant les victimes et en les abandonnant.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Qu'est-ce que le Gouvernement a à voir avec M. Barre ?
Mme Hélène Luc. De telles prises de position irresponsables et dangereuses, que seule prône une très infime minorité de Corses, rejoignent celles, provocatrices, visant à discréditer la Corse en la présentant comme vivant de subsides et réduisant les rapports avec la communauté nationale à un simple contrat commercial. Quel mépris de deux siècles d'histoire, quelle ignorance de la culture et des sentiments populaires ! Si certains se croient autorisés à exttravaguer de la sorte, c'est aussi, messieurs les ministres, en raison de l'inconsistance de vos propositions, qui sont sans aucune mesure avec l'électrochoc qui serait nécessaire pour inverser le cours des choses.
La Corse, comme l'ensemble des régions françaises, subit les ravages de la crise et de l'ultralibéralisme qui, au fil des années, ont généré chômage, mal-vivre, précarité et baisse du pouvoir d'achat. Mais ce marasme national est amplifié par le mal endémique subi par la Corse, et cette situation doit servir de base à toute réflexion et justifier la mise en oeuvre d'une politique économique et sociale spécifique.
Il y a du chômage en Corse comme partout, mais le taux est l'un des plus forts de France, la densité des emplois précaires y est des plus importantes, les salaires sont bas comme partout, mais ils sont les plus bas de France, et le coût de la vie y est le plus élevé.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas vrai !
Mme Hélène Luc. Sur 23 000 entreprises privées, une seule compte plus de 130 salariés. Le pourcentage d'emplois industriels est inférieur de moitié à celui qui est relevé dans le Languedoc-Roussillon, pourtant lanterne rouge.
M. Michel Charasse. Ça, c'est vrai !
Mme Hélène Luc. La Corse importe quinze fois plus qu'elle n'exporte, ses services publics dans les domaines de l'énergie, du transport et des télécommunications ont subi des attaques et des démantèlements qui obèrent gravement les possibilités d'assainissement et de redressement de l'économie.
Une carence majeure de celle-ci, c'est la fragilité et la précarité de son activité dominante, le tourisme, car aucune économie ne peut se structurer durablement sur les quelques semaines que dure une saison touristique.
M. François Giacobbi. C'est vrai !
Mme Hélène Luc. Une autre faiblesse majeure s'inscrit dans l'assistance sur laquelle repose l'économie, et qui est amplifiée par des gaspillages de fonds publics se chiffrant par des milliards de francs versés au patronat sans contrepartie ni contrôle - le scandale de la Caisse de développement économique de la Corse est suffisamment parlant de ce point de vue.
Il est urgent de faire le point sur le scandale des fonds publics en Corse, comme partout, et de permettre aux élus et aux organisations syndicales de contrôler leur affectation et leur utilisation.
Plus généralement, le droit d'intervention de tous les acteurs de la vie économique et sociale doit être reconnu, encouragé et respecté, messieurs les ministres. Il doit être le moteur d'une identité et d'une modernité de la Corse, renvoyant à une conception moderne de la nation, fondée sur la construction harmonieuse de régions autogérées et solidaires.
Il existe en Corse, en particulier chez les jeunes, une immense aspiration à être responsables, à s'impliquer dans un développement dynamique de l'île.
Messieurs les ministres, écoutez enfin le peuple corse !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Arrêtez de parler du peuple corse !
Mme Hélène Luc. Il existe !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Parler du peuple corse, c'est anticonstitutionnel, madame Luc. Respectez la Constitution !
Mme Hélène Luc. Le peuple corse,...
M. Michel Charasse. Les Français de Corse !
Mme Hélène Luc. ... c'est autre chose que les démagogues et les aventuriers qui prétendent parler en son nom !
Le peuple corse...
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Respectez la Constitution, madame Luc !
Mme Hélène Luc. Le peuple corse existe !
Le peuple corse, ce sont des dizaines de milliers de salariés qui se sont dressés, en 1989 et en 1995, pour défendre le service public indispensable à l'économie de l'île, pour exiger la parité avec le continent. Ils veulent avoir voix au chapitre sur les questions essentielles et n'acceptent plus que leurs revendications démocratiques soient occultées par le débat sur les problèmes institutionnels et fiscaux que les uns et les autres privilégient.
Le peuple corse,...
M. Michel Charasse. Les Français de Corse !
Mme Hélène Luc. ... c'est le mouvement syndical, social, associatif, culturel qui refuse de se laisser assimiler à une poignée de séparatistes. Le peuple corse, ce sont les femmes, si courageuses, unies dans leur diversité, qui vont manifester de nouveau le 8 juin contre la loi des armes. Nos camarades communistes corses et nous-mêmes sommes solidaires de leur combat.
Le peuple corse,...
M. Michel Charasse. Les Français de Corse !
Mme Hélène Luc. ... c'est tout ce qui vibre à l'unisson du peuple de France, en digne héritier des résistants et patriotes de ce département qui fut, ne l'oublions jamais, le premier à se libérer de l'occupant nazi. Il est le digne descendant de Gabriel Péri, Jean Nicoli, Fred Scamaroni, Arthur Giovoni,...
M. Michel Charasse. Danielle Casanova !
Mme Hélène Luc. ... auxquels le Président de la République et les représentants de la nation et de la Corse, parmi lesquels le sénateur-maire d'Ajaccio, notre ancien collègue, ont rendu hommage en 1993 à l'occasion du cinquantième anniversaire de la libération de la Corse.
Je m'honore d'avoir partagé ce moment fort...
M. Michel Charasse. Exact !
Mme Hélène Luc. ... et émouvant, qui rend toujours plus contemporains les mots de Pascal Paoli prononcés en 1789 et que mon ami Louis Minetti rappelle souvent : « Notre union à la libre nation française n'est pas servitude, mais participation de droit. »
Le peuple corse refuse les pressions et l'anonymat. Il veut la parole libre de citoyen. Il rejette la violence clandestine et se prépare au rassemblement. Il dénonce les manipulations, propose le débat contradictoire et le respect du suffrage universel et de la démocratie en toutes circonstances. Au chauvinisme, il oppose la solidarité, au racket et au crime, la loi républicaine ! Au couple incertain dialogue-fermeté de M. le ministre de l'intérieur, il oppose le couple citoyenneté-modernité.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Allons donc !
Mme Hélène Luc. Oui, modernité.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Quel baratin !
Mme Hélène Luc. Messieurs les ministres, vous avez les moyens de répondre à l'attente des Corses.
Vous pouvez donner un cours nouveau à la politique de l'Etat si vous décidez une action économique de grande envergure en lieu et place de la politique destructrice que vous appliquez depuis un an en Corse, comme pour toute la société française.
Engagez enfin une politique nouvelle de développement fondée sur l'implantation dans l'île d'une base productrice stable, consistante et moderne. Je vais vous suggérer - j'aurais aimé que M. le Premier ministre soit présent ! - une action hautement symbolique, qui peut être, à elle seule, porteuse d'espoir et d'avenir, car porteuse de progrès scientifique, technique, porteuse d'emplois hautement qualifiés.
La Corse a adressé au Gouvernement sa candidature, Bastia s'est notamment proposée pour être site d'accueil, de la future source de rayonnement Synchrotron à énergie intermédiaire, le projet Soleil. Il s'agit d'un projet de très grande importance pour la communauté scientifique, pour la France, pour l'Europe.
Si la candidature corse était retenue par le Gouvernement, ses retombées économiques, industrielles, sociales et universitaires seraient considérables.
M. Michel Charasse. Il serait aussitôt plastiqué !
Mme Hélène Luc. J'ai pris cet exemple car il est particulièrement significatif de la voie nouvelle que peut et doit prendre dans l'île l'action publique. Il faut que le Comité de coordination pour le développement industriel de la Corse, le CCDIC, soit relancé et que l'action sociale et économique devienne vraiment une priorité : elle seule peut la sortir de l'impasse.
M. le président. Madame Luc, il va falloir bientôt conclure.
Mme Hélène Luc. Je termine, monsieur le président.
La politique d'investissement des entreprises publiques doit être résolument soutenue : elles seules, avec les collectivités locales, ont la possibilité d'apporter l'oxygène indispensable au secteur privé insulaire complètement déstructuré et défaillant. Il faut accélérer la réalisation de la centrale au gaz de pétrole liquéfié prévue par EDF-GDF, reprendre les contacts avec l'Italie pour faire le point sur le gazoduc, aider tous les projets qui peuvent irriguer le tissu économique et notamment les PME-PMI.
Il est également nécessaire de permettre aux collectivités locales de sortir du rouge...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Elles ont toujours été dans le rouge !
Mme Hélène Luc. ... en facilitant leur désendettement. Il faut aussi aider les offices publics d'HLM à construire des logements. Sachez que, en Corse du Sud, cette année, l'office public ne construira aucun logement !
M. Michel Charasse. Il sera tout de même subventionné !
Mme Hélène Luc. Des mesures urgentes en faveur du monde agricole doivent lui permettre de résister aux effets dévastateurs de la politique agricole commune.
Les Corses, naturellement, tiennent à leur langue, mais ils ne s'opposent pas à celle de la République. Au contraire, ils sont riches de deux cultures et ils souhaitent que la France ratifie la Charte européenne des langues minoritaires. Ils l'ont dit dans une délibération unanime de l'Assemblée de Corse, dans laquelle nul ne pourra trouver la moindre atteinte à la cohésion nationale. Les moyens doivent être donnés à l'éducation nationale pour préserver et développer l'apprentissage de la langue corse.
Pour terminer, messieurs les ministres, j'ajouterai que ces orientations sont réalistes et applicables rapidement. Elles répondent aux aspirations de nos compatriotes qui n'ont rien à voir avec des criminels et des fanatiques, car les Corses sont avant tout des acteurs, citoyens ayant leur communauté, leur région, leur pays au coeur de leurs projets et de leur vie. C'est pourquoi nous tenons tant à faire entrer leur voix dans notre Haute Assemblée.
Le peuple corse...
M. Michel Charasse. Les Français de Corse !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il n'y a pas de peuple corse !
Mme Hélène Luc. ... doit pouvoir compter sur la nation pour passer les épreuves actuelles, comme la nation a pu compter sur le peuple corse en 1789 comme durant les grandes heures de 1943 qui ont fait dire au général de Gaulle : « Les Corses auraient pu attendre d'être délivrés par nos armes, mais ils ont voulu être eux-mêmes des vainqueurs. »
Messieurs les ministres, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen seront de ceux qui, avec les Corses et avec beaucoup d'autres, oeuvreront activement à donner une nouvelle victoire à cette si belle région et à tout son peuple. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Pierre Mauroy applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, déchirée par la violence, la Corse s'enfonce et n'est plus loin du point de rupture. Les visites ministérielles successives sur l'île, un débat au Parlement, une prochaine visite du Premier ministre suffiront-ils à extirper la Corse de la spirale infernale qui l'emporte à la dérive ? Les républicains et démocrates n'admettront jamais que la violence soit un moyen d'expression politique banalisé.
Le Gouvernement doit faire preuve de courage et de fermeté.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est le cas !
M. Guy Allouche. En effet, l'Etat n'assume plus son rôle en Corse. Que reste-t-il de la République quand l'Etat de droit est bafoué ? Ce ne sont pas les mâles déclarations ministérielles sur cet Etat de droit et les négociations avec ceux qui pulvérisent les symboles de l'Etat, sans que l'on sache qui est en guerre contre qui et pour quels motifs, qui y changeront quelque chose. Quand les « hors-la-loi » deviennent des interlocuteurs privilégiés, c'est que l'ordre républicain est aboli.
Il est urgent de revenir aux pratiques claires de toutes les sociétés démocratiques. La Corse en a les moyens ; elle en a le devoir.
Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs se sont lancés dans des négociations avec des interlocuteurs au crédit inversement proportionnel à leur légitimité.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous le reconnaissez !
M. Guy Allouche. Certes, le dialogue est nécessaire, mais il a des limites, car à force de céder l'Etat finit par concéder.
Aujourd'hui, il est clairement établi que l'on ne doit pas négocier avec ceux qui ont pour seul mode d'expression la violence et la propagation de la terreur. L'ordre républicain ne se marchande pas, il s'impose à tous. Les mouvements qui prônent la violence ne peuvent être composantes du débat démocratique.
L'idéologie nationaliste en Corse n'a plus aucune justification politique. Plus personne n'est dupe. Le seul résultat du terrorisme politique en démocratie, c'est servir de rendez-vous à toutes les délinquances de droit commun qui opèrent, pour leur propre compte, derrière un paravent prétendument politique. Nous assistons à une guérilla entre clans, entre trafiquants en tous genres, entre racketteurs se partageant l'impôt révolutionnaire, entre mafieux qui font « main basse » sur la Corse et qui prennent les Corses et l'Etat en otage. Ils abusennt des libertés pour imposer des diktats à l'immense majorité de la population. Comment peuvent-ils se servir de la fierté, de l'honneur des Corses et tendre constamment la sébile à l'Etat nation ?
Jusqu'à quand le Gouvernement se prêtera-t-il à une négociation fondée sur une arnaque ? Ces pseudo-interlocuteurs ne font que se livrer à des surenchères.
Un Etat républicain comme le nôtre ne pourra jamais admettre que certains s'érigent en justiciers sommaires. Tant que les poseurs de bombes auront la quasi-certitude de ne pas être arrêtés, nous n'avancerons pas. Il faut pouvoir créer l'insécurité chez eux.
Il appartient à la justice d'agir en toute liberté et indépendance, en faisant appel au concours d'une population consciente de ses devoirs civiques et, surtout, soucieuse de sa sécurité. Pour cela, l'Etat doit soutenir sans faiblesse ses représentations directes sur l'île. Que la République cesse d'être humiliée.
Il est urgent d'aboutir à la moralisation de la vie publique. L'ordre républicain ne s'appliquerait-il que sur le continent, particulièrement dans certaines banlieues et quartiers difficiles, alors qu'il s'évaporerait en franchissant le bras de mer qui nous sépare de la Corse ? D'un côté, l'Etat fait cogner sur ceux qui crient leur révolte du mal vivre et de l'exclusion sociale ; de l'autre, ce même Etat serait-il paralytique, aveugle et sourd ? Non, l'Etat de droit n'est pas à géométrie variable. Pourquoi des Bretons sont-ils arrêtés, condamnés et emprisonnés au motif qu'ils ont hébergé des terroristes basques, alors que des terroristes corses s'affichent à la télévision et agissent en toute liberté et en toute impunité ?
La première des conditions à remplir pour assurer l'avenir de la Corse dans la démocratie et le pluralisme et pour favoriser son développement économique, c'est d'éradiquer la violence et la peur en utilisant l'ensemble de notre arsenal juridique. La Corse doit cesser d'être une « zone franche judiciaire », la République étant une et indivisible, aucune zone de non-droit ne doit exister sur son territoire.
M. François Giacobbi. Très bien !
M. Guy Allouche. La situation qui règne aujourd'hui en Corse doit d'abord inciter le Gouvernement et l'ensemble des responsables politiques à faire preuve d'humilité et d'esprit de responsabilité, car toute polémique profite aux partisans de la violence en Corse.
C'est la raison pour laquelle je m'abstiendrai de vous retourner aujourd'hui, messieurs les ministres, les critiques sévères que la majorité sénatoriale adressait au gouvernement socialiste en 1990 et en 1991.
De fâcheuses décisions prises dans les années soixante-dix ont servi de carburant insurrectionnel. Dès 1982, nous étions tous convaincus que la violence résultait des difficultés économiques, sociales et culturelles que rencontre la Corse. De nombreuses réformes ont donc aussitôt été entreprises pour tenir compte du particularisme insulaire. Le statut de 1991 est allé encore plus loin et a permis de faire l'expérience d'une décentralisation avancée et adaptée à la Corse, dans le dessein de responsabiliser nos concitoyens et de leur donner les moyens de prendre leur destinée en main. Nous avions fait le pari de la jeunesse et de l'intelligence. Encore aurait-il fallu qu'ils s'en saisissent et que les élus cessent de reculer devant des choix difficiles.
Ce statut, vous l'aviez rejeté et combattu ; aujourd'hui, vous reconnaissez qu'il y a lieu de ne pas en changer et, surtout, de ne pas aller vers une nouvelle étape. Merci de rendre ainsi hommage au courage et à la lucidité des initiateurs et auteurs de ce statut !
M. Josselin de Rohan. Vous allez un peu loin !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous interprétez un peu !
M. Guy Allouche. Je vous en prie, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
Aujourd'hui, messieurs les ministres, vous nous reprochez l'absence de toute proposition, alors que vous n'êtes pas en mesure d'élaborer une réponse appropriée. Faute de lisibilité, nous n'entendons, hélas ! que les couacs gouvernementaux.
Alors, vous préconisez une zone franche. Cependant, vos hésitations, tant sur le contenu que sur la dénomimation, vos atermoiements prouvent que vous n'êtes pas convaincus de ce que vous avancez, tant il est vrai que c'est l'exemple type de la fausse bonne idée. Avec les avantages fiscaux dont bénéficie déjà la Corse, il faut vraiment un surcroît d'imagination pour inventer une zone franche !
A supposer que la zone franche, telle qu'elle est envisagée, soit possible juridiquement, elle n'est pas souhaitable politiquement. Je dirai même qu'elle est condamnable. Tous les observateurs avertis disent au Gouvernement : « Attention casse-cou ! » les responsables politiques affirment : « Surtout pas ça ! » ; l'inspection des finances, dans un rapport, le met en garde. A vouloir persister, M. le Premier ministre commettrait une erreur de diagnostic et une lourde faute politique. Et pourquoi ? Au lieu de l'autonomie, qu'une minorité seule réclame, vous leur offrirez mieux : vous leur accorderez tous les avantages sans aucun des inconvénients. Les conditions techniques pour que la Corse devienne une « lessiveuse à argent sale » seront plus réelles que jamais.
L'île de Beauté, devenue l'île de bonté, est noyée sous les subventions. Elle vit sous la généreuse perfusion de l'Etat. Si la Corse est économiquement pauvre, peut-on en dire autant de tous ses habitants ? Il faudra bien qu'un jour les juridictions financières s'intéressent à l'utilisation des fonds publics.
Pourquoi les services de Bercy, tout comme la Commission de Bruxelles, ne publient-ils pas les enquêtes sur l'utilisation des très abondants fonds publics et communautaires dont tout le monde sait qu'elle donne lieu à une troublante « évaporation » ? Croit-on que les Français du continent, dont plus de cinq millions connaissent la misère, le chômage, le drame de l'exclusion, accepteront encore longtemps que la Corse soit un véritable tonneau des Danaïdes ? Ces Français-là, et tant d'autres, ont déjà trouvé leur porte-parole en la personne de M. Barre. Si, au nom de l'histoire, l'Etat a des devoirs envers la Corse, il n'est nullement écrit que la Corse n'a que des droits à l'égard de l'Etat.
Que le Gouvernement et sa majorité veuillent bien relire le rapport remis à M. Balladur en décembre 1994 par notre collègue du groupe du RPR M. Jacques Oudin. Qu'y dit-il ? Que « la Corse bénéficie déjà d'un statut fiscal d'exception. »
Il ajoute : « L'île reçoit des aides publiques qui font d'elle la mieux pourvue des régions de métropole. L'Etat apporte 11 milliards de francs à la Corse ». La dotation européenne par habitant est, pour la Corse, dix fois supérieure à ce qu'elle représente dans la France entière.
S'il est, aujourd'hui, une culture florissante en Corse, c'est non plus celle qui valorise les racines identitaires, l'ouverture sur l'autre, culture qui a toujours fait honneur à la communauté nationale, mais bien, hélas ! celle de l'assistanat.
Se montrant sceptique sur de nouvelles aides économiques, M. Oudin indique également : « La première nécessité est de rétablir une paix civile et durable, la solution ne réside pas tant dans une augmentation des aides que dans une meilleure affectation et utilisation de celles existantes. » D'ailleurs, ce diagnostic est confirmé par M. Natali, président du conseil général de Haute-Corse,...
M. Michel Charasse. C'est une référence !
M. Guy Allouche. ...qui déclare : « Pourquoi demander encore plus à l'Etat quand tous les crédits alloués ne sont pas dépensés, faute de projets ? »
Nous sommes tous désormais convaincus du fait que le développement économique, social et culturel de la Corse passe par le rétablissement de la paix et de la confiance. Aucun investisseur ne viendra s'établir en Corse tant que le Gouvernement ne fera pas respecter toutes les lois de la République. La priorité va aussi à la réappropriation de la citoyenneté, seul moyen de remédier au manque de mobilisation de la population insulaire contre la violence. Comme le relevait un procureur de la République de Bastia, « s'il y a la violence qui tue, il y a également la violence du silence, et quand une société meurt de peur, c'est qu'elle va mourir tout court ».
Il est plus que temps, pour la Corse, de se choisir un destin et de le prendre en main.
Le Gouvernement doit continuer à dialoguer, mais il doit le faire dans la plus grande transparence et dans la clarté. Les contacts secrets renforcent la clandestinité. Les élus corses doivent être réintroduits dans le dialogue effectif avec le Gouvernement, car eux seuls sont porteurs de la légitimité du suffrage universel.
A ce dialogue seront naturellement associés les acteurs économiques, sociaux et culturels. Que tous ces responsables entraînent la population et qu'ensemble ils puissent clamer haut et clair ce qu'ils veulent, ce qu'ils pensent de l'idéologie nationaliste et, surtout, la part active qu'ils entendent prendre au développement de la Corse, sans toujours tout attendre de l'Etat.
La véritable solution est évidemment entre les mains des Corses eux-mêmes. Avec tant de moyens, l'heure est non plus à l'hésitation entre passivité, résignation et complicité, mais davantage à la volonté, à l'initiative et au courage.
Comprenons-nous bien, mes chers collègues : s'il appartient au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour appliquer la loi en Corse, en donnant l'exemple et en soutenant sans faille ses fonctionnaires, rien ne pourra se faire sans la participation effective et massive de la population corse.
Les Corses doivent prendre à bras-le-corps les difficultés auxquelles ils sont confrontés : ils doivent crier leur révolte et leur exaspération d'être pris en otage par une minorité ; ils doivent s'exprimer, témoigner ; ils doivent sortir de cette prétendue loi du silence qui ne les protège plus et qui, bien au contraire, les prive de leur liberté individuelle et de leurs droits les plus élémentaires.
Les continentaux auraient tort de pratiquer un je ne sais quel amalgame entre une minorité qui sème la violence et la terreur et l'immense majorité de la population corse dont nous connaissons l'attachement à la République et qui n'aspire qu'à la paix civile et à la sérénité.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est juste !
M. Guy Allouche. Messieurs les ministres, mes chers collègues, dans le cas contraire, la permanence de son mutisme deviendrait coupable et synonyme de complicité. Les femmes corses ne s'y sont pas trompées.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Guy Allouche. Elles sont un exemple pour l'ensemble des Corses et pour le pays. Nous ne pouvons qu'encourager les organisateurs de la manifestation du 8 juin prochain à Ajaccio et oeuvrer à la réussite de ce sursaut, car tout échec ne pourrait conduire qu'à l'application de la règle la plus élémentaire en démocratie : le retour aux urnes. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Ceccaldi-Raynaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Giacobbi.
M. François Giacobbi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, remontant pour la première fois à cette tribune depuis plusieurs années, j'ai l'intention ni de prononcer un réquisitoire ni de faire une plaidoirie, mais de dire ma très vive satisfaction envers M. le Premier ministre - j'aurais d'ailleurs aimé qu'il soit présent pour entendre mes propos - qui a tenu sur la Corse un langage clair, celui que je tiens et que je réclame depuis plusieurs années. Enfin !
J'exposerai les motifs de ma satisfaction, notamment en matière institutionnelle. Puis je suggérerai quelques mesures pratiques destinées à régler des problèmes concrets pour l'immédiat et pour plus tard. Mon collègue et ami Louis-Ferdinand de Rocca Serra parlera plus longuement des problèmes économiques.
Je m'exprime ici au nom du groupe du RDSE - je tiens d'ailleurs à le remercier de sa confiance - en ma qualité de sénateur de la Haute-Corse, c'est-à-dire de représentant du peuple français et participant, à ce titre, à l'exercice de la souveraineté nationale (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur les travées socialistes.)
Il n'est pas inutile de rappeler cette vérité première car, de nos jours, on voit trop souvent des gens essayer de faire croire qu'ils parlent au nom du peuple, alors que celui-ci leur a refusé de parler en son nom.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais balayer rapidement quelques pseudo-arguments relatifs à l'indépendance de la Corse ou à un référendum.
Et d'abord, à tout seigneur, tout honneur, je répondrai à un ancien Premier ministre qu'il n'avait pas à nous parler d'indépendance. Il sait très bien que nous sommes français et républicains et que nous continuerons de l'être.
M. Christian de La Malène. Très bien !
M. François Giacobbi. Je rappelle ici que la Corse a été le premier département français libéré. Il y a quelqu'un ici qui comprend ce que je veux dire. (L'orateur s'interrompt, étreint par une très vive émotion.)
Je remercie M. le Premier ministre d'avoir rappelé que la Corse fait partie de la République et « qu'à ses heures les plus glorieuses, elle a été l'honneur de la France ». Au surplus, je préfère croire avec lui qu'il s'agissait chez M. Barre d'un geste de mauvaise humeur incontrôlé et je ne m'y attarderai pas.
A d'autres qui parlent de référendum, je répondrai ceci : chaque fois que la Corse a eu à voter, son choix a été clair ; elle a dit oui à la France et à la République, non à la subversion.
Depuis vingt ans, en particulier, on a compté une bonne quinzaine de consultations populaires : les autonomistes et les séparatistes n'ont réussi, malgré leur chantage et leurs menaces, à faire élire ni un député, ni un sénateur, ni un conseiller général, ni un maire d'une commune de quelque importance. Celui qui vous parle a été élu sénateur quatre fois de suite au premier tour de scrutin, à une très large majorité. Et je ne porte ni cagoule, ni mitraillette. La seule arme dont je dispose est mon amour de la Corse française et républicaine et du peuple français.
Aussi ce « prurit » référendaire nous irrite-t-il quelque peu car, comme je viens de le dire, nous disons oui à la France en toute occasion. Nous observons, d'ailleurs avec quelque surprise, que ceux qui prétendraient nous demander si nous voulons rester français semblent oublier que nous le sommes depuis plusieurs siècles.
Enfin, je ne vois pas l'utilité d'une dissolution de l'assemblée régionale. S'il doit y avoir des élections, il vaut mieux qu'elles se déroulent dans un climat plus serein.
Comme je le disais au début de mon propos, voilà vingt ans que l'on nous parle d'avancées institutionnelles et que, à peine a-t-on voté une réforme, on voudrait nous en proposer une autre. M. le Premier ministre y a mis le holà. Il était temps ! Bravo !
Permettez-moi d'exposer plus longuement les raisons profondes de ma satisfaction. Il faut, en effet, balayer une fois pour toutes un certain nombre de chimères institutionnelles, qui continuent d'avoir cours en Corse et qui sont trop souvent défendues par une télévision qui est plutôt l'organe de la subversion que celui de la représentation nationale. (Marques d'indignation sur les travées du RPR.)
Je démonterai ces chimères en m'appuyant sur la Constitution et sur des décisions du Conseil constitutionnel qui ne souffrent pas d'équivoque et qui font jurisprendence. Je vous prie, mes chers collègues, de bien vouloir excuser les longueurs et les inévitables redites que comportera mon propos.
Première chimère, première demande déraisonnable : la reconnaissance juridique du peuple corse.
M. Pierre Mauroy. C'est une affaire classée !
M. François Giacobbi. Comme si le peuple corse, breton ou auvergnat avait besoin d'être reconnu ! S'il existe, il n'a pas besoin de béquilles constitutionnelles !
Voici ce que j'en disais ici même, le 20 mars 1991, traitant de l'article 1er du projet de statut particulier : « La souveraineté nationale repose sur l'unité et l'individualité du peuple français.
« L'article 2 de la Constitution dispose : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elles assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion".
« Or, qu'on le veuille ou non, la reconnaissance juridique du peuple corse tient évidemment compte de l'origine et de la race ; on nous l'a assez dit ! Il y a donc dans l'article 1er du projet de loi une atteinte à l'égalité des citoyens en raison de leur race ou de leur origine et, pour tout dire, une connotation raciste que je réprouve fermement, comme vous tous.
« Ne risque-t-on pas, demain, de voir certains réclamer la reconnaissance juridique d'autres peuples, composantes du peuple français, en raison de leur origine ou de leur race, voire de leur religion ? »
Et pourquoi pas un peuple juif ou un peuplemaghrébin, composante du peuple français ?
Je reprends ma citation : « Il paraît que le chef de l'Etat » - celui de l'époque ! - « à qui des journalistes ont posé la même question aurait répondu : "Une fois, c'est assez !" » Eh bien ! non, une fois, ce n'est pas assez, une fois, ce serait déjà une fois de trop. »
Le Conseil constitutionnel a tranché et rejeté sans ambage cette notion de peuple corse, « composante du peuple français ». Eh bien ! on nous en parle encore tous les jours à la télévision de la Corse ! Errare humanum est... - vous connaissez la suite.
M. Michel Charasse. Peut-être les Corses ne savent-ils pas le latin ! (Sourires.)
M. François Giacobbi. ... perseverare diabolicum, if you want me to say that.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On est laïc ou on ne l'est pas !
M. François Giacobbi. Deuxième demande déraisonnable : la suppression des conseils généraux.
L'article 72 de notre Constitution a consacré l'existence constitutionnelle des conseils généraux ; le Conseil constitutionnel a précisé, dans une décision très argumentée, que tout département a droit à un conseil général, même dans une région où il n'y a qu'un département. A plus forte raison dans une région où il y en a deux !
Troisième demande déraisonnable : le statut de territoire d'outre-mer par l'utilisation de l'article 74. La Corse est une région métropolitaine sui generis .
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est sûr !
M. François Giacobbi. ... composée de deux départements métropolitains ; il s'agit de la loi organique sur le Sénat. Par ailleurs, ce n'est pas une région d'outre-mer, elle n'est pas au-delà des mers. Elle est dans la Méditerranée...
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Département ultra-marin !
M. François Giacobbi. ...à trente minutes d'avion de la France continentale : à peine la durée du trajet en métro Vincennes-Neuilly !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. François Giacobbi. Alors, soyons sérieux !
Quatrième demande déraisonnable : l'étude obligatoire - j'y insiste - du corse et la coofficialité.
Le Conseil constitutionnel, examinant la conformité du statut de la Polynésie à la Constitution, vient de rendre un arrêt significatif, le 9 avril 1996 :
« Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution "La langue de la République est le français".
« Considérant que le deuxième alinéa de l'article 115 prévoit l'enseignement de la langue tahitienne dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et primaires ainsi que dans les établissements du second degré ; qu'un tel enseignement ne saurait toutefois, sans méconnaître le principe d'égalité, revêtir un caractère obligatoire pour les élèves ».
Ce qui s'applique à la langue polynésienne s'appliquera évidemment à toute langue régionale en métropole.
En ce qui concerne la coofficialité, je cite encore la même décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1996 :
« Considérant que la référence faite par l'article 115, premier alinéa, au français en qualité de "langue officielle", doit s'entendre comme imposant en Polynésie française l'usage du français aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics ; que toute autre interprétation serait contraire à l'article 2 de la Constitution ; »
Aux termes de cette décision, il ne peut y avoir de coofficialité du français avec une langue régionale minoritaire.
Ce que je viens de dire, et qui est irréfutable, n'empêche en rien que l'on puisse, et même que l'on doive, donner un maximum de facilités à l'étude et à la promotion des langues régionales minoritaires et de la culture régionale. Aussi peut-on signer la charte minoritaire des langues régionales minoritaires, à condition qu'elle ne soit pas en opposition avec la Constitution et sa jurisprudence.
Tous ces révisionnistes me font penser à des insomniaques qui voudraient sans cesse changer de lit pour retrouver le sommeil.
Je vous prie d'excuser, mes chers collègues, la longueur de ces propos. J'espère avoir démontré que, pour donner satisfaction aux différentes revendications que je viens d'énoncer, il faudrait une révision constitutionnelle ; mon collègue et ami M. Jacques Larché, président de la commission des lois, l'a assez souligné. Je suis convaincu que le Sénat ne le permettrait pas.
A ce propos, je voudrais faire remarquer au distingué président de la commission des lois de l'Assemblée nationale que le Sénat ne sert pas qu'à changer des virgules. (Sourire) ; il sert aussi à empêcher que l'on puisse changer, sans son accord, une seule virgule de la Constitution !
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. François Giacobbi. Et c'est fort heureux, car avec la tentation révisionniste inhérente à chaque changement de majorité à l'Assemblée nationale, s'il n'y avait pas le Sénat, on pourrait vite voir succéder à l'instabilité gouvernementale si justement décriée de la IVe République une fragilité institutionnelle qui serait tout aussi pernicieuse pour la Ve République.
J'en viens à ma conclusion : on a pris assez de mesures institutionnelles pour gérer la spécificité de la Corse et reconnaître ainsi son « droit à la différence »
Maintenant, ce qui compte, c'est d'apporter des solutions concrètes aux véritables problèmes que pose l'insularité. Bref, il faut nous reconnaître le droit à la ressemblance, c'est-à-dire à l'égalité des chances !
M. Guy Allouche. Elle était attendue celle-là !
M. François Giacobbi. Eh bien ! vous l'avez, mon cher collègue ! Il ne suffit pas de dire que la Corse est gavée de crédits ! Vous refusez de reconnaître que c'est une île qui a peut-être quelques particularismes.
M. Michel Charasse. C'est une île entourée d'eau de toutes parts. (Sourires.)
M. François Giacobbi. C'est Emmanuel Arène qui le disait ! J'ajoute : « et de préjugés ! »
Mais il y a un préalable : aucune mesure, qu'elle soit d'ordre économique, financier, social ou culturel ne servira à rien, ne sera qu'un cautère sur une jambe de bois si la légalité républicaine n'est pas rétablie ! (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Sur ce point, la population de la Corse qui, dans son immense majorité, approuve la fermeté et la clarté des propos de M. le Premier ministre, se demande encore si les actes répondront bien aux paroles.
M. Christian de La Malène. Eh oui !
M. François Giacobbi. Cette inquiétude peut s'expliquer par quelques faits qui montrent que, jusqu'à ce jour, cela n'a pas toujours été le cas ! Je donne acte à M. le garde des sceaux de ses déclarations, mais je citerai quand même quelques exemples qui donnent à réfléchir, notamment l'affaire de Spérone.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ce n'était pas le même garde des sceaux !
M. François Giacobbi. En mars 1994, une quinzaine de personnes ont été arrêtées au moment même où elles allaient faire sauter les installations du club de golf de Spérone.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela, c'est grave !
M. François Giacobbi. Ces personnes ont été mises en examen et replacées progressivement en liberté. J'ai demandé par écrit à M. le garde des sceaux où en était cette affaire et si, au moins, des actes interruptifs de prescription avaient été accomplis. Je n'ai toujours pas de réponse, mais on m'a dit, en Corse, qu'un magistrat serait venu à Paris, il y a quelques jours, pour faire le point. J'aimerais bien que le Gouvernement fasse le point à propos de ma demande écrite.
Les déclarations récentes de certains leaders « nationalistes », abondamment reprises dans les journaux, voire en première page de grands journaux du soir, à la radio et à la télévision, constituent un appel au meurtre et à la rébellion. Le Gouvernement est-il décidé à examiner ces déclarations sous l'angle juridique et à en tirer les conséquences ?
J'évoquerai une autre question. Une « personnalité nationaliste » a été condamnée, voilà plus d'un an, par le tribunal correctionnel d'Ajaccio à des peines de prison pour port d'arme. Appel du jugement a été interjeté depuis plus d'un an. Cet appel sera-t-il examiné un jour par la cour d'appel de Bastia ?
Ces questions, ce n'est pas moi qui les pose, ce sont les magistrats exerçant en Corse et qui s'inquiètent d'avoir à les poser. Mes collègues et amis MM. Jolibois, et Fauchon, qui étaient avec moi en Corse il y a quelques jours, peuvent témoigner de la réalité de mes propos.
Ce n'est pas moi non plus qui ai parlé, à propos de la Corse, d'une « zone de non-droit ». C'est le Président de la République en personne, voilà quelques jours, en Bretagne.
Et je ne fais allusion ni aux mitraillages de gendarmeries, restés sans réplique, ni à l'absence de coordination entre la gendarmerie et les forces de police - M. Juppé en a parlé fort bien - ni à l'absence d'informations judiciaires sur la « mascarade » de Tralonca. Il s'agit de cette fameuse réunion qui a précédé la venue de M. le ministre de l'intérieur en Corse.
On nous a gavés, et on continue à nous gaver tous les jours, à tout propos, d'informations sur une manifestation de six cents personnes en armes qui se trouvaient au bord du cimetière. Cela aurait dû être le cimetière des illusions gouvernementales ! Ils étaient non pas six cents, mais une cinquantaine ! Et il y avait des figurants, des jeunes filles, des enfants de quatorze ans et des gens d'un certain âge, que j'appellerai des « terroristes honoraires ». Tout cela représentait deux cents ou trois cents personnes. Il n'empêche que ces informations ont circulé partout en Europe et que cela nous a fait le plus grand tort.
M. Guy Allouche. Vous y étiez ?
M. François Giacobbi. Non, mais j'ai quelques renseignements !
M. Guy Allouche. Ah !
M. François Giacobbi. J'appelle cela une mascarade.
M. Pierre Mauroy. Etrange mascarade !
M. François Giacobbi. Personnellement, je suis convaincu, comme mes amis, que la fermeté des actes du Gouvernement répondra à la clarté des propos de M. le Premier ministre. Je veux donc croire que la partie sera gagnée et la paix civile rétablie.
Il n'y a là aucun esprit de revanche ou de répression. Nous voulons, tout simplement, que la légalité républicaine soit respectée en Corse comme ailleurs. Et, pour cela, il ne me paraît pas nécessaire, au moment où je parle, d'expédier en Corse des renforts de CRS ou des bataillons de parachutistes. Il faut, avant tout, parler clairement et agir en conséquence, non seulement pour la Corse mais aussi pour l'opinion publique continentale, qui montre aujourd'hui un certain scepticisme : de tous côtés, on entend dire dans les cercles politiques, dans les salons comme dans les médias : « Oui, M. Juppé a dit ce qu'il fallait dire et il l'a dit très clairement, mais ses ministres suivront-ils et pourra-t-il faire appliquer la décision du Gouvernement ? C'est qu'aujourd'hui les gens ont du mal à croire qu'un chef de gouvernement puisse gouverner ! »
Je suppose que, comme il est d'usage, votre prise de position du 28 mai, monsieur le Premier ministre, a été délibérée en conseil des ministres, sous la présidence de M. le Président de la République. Il faut donc que les gens se mettent enfin en tête qu'une déclaration du chef du Gouvernement traduit bien la volonté du Gouvernement. Il est malheureux d'avoir à rappeler cela, mais vingt ans de faux-semblants, de faux-fuyants, d'incertitudes et de complaisance envers la force et la violence rendent ce rappel obligatoire.
Cela étant, la Corse n'est pas du tout au bord de la guerre civile, comme le disait récemment, avec des trémolos dans la voix, une personne interrogée à la télévision. Je ne suis pas du tout aussi pessimiste que certains, je vous le dis, car je connais la Corse.
En revanche, sa situation économique n'est pas brillante, elle est même catastrophique. Elle exige des mesures d'urgence et des mesures à plus long terme.
J'en donnerai quelques exemples.
Le premier concerne les mesures d'urgence relatives à l'industrie touristique. Il n'est pas question d'opposer l'agriculture, elle aussi indispensable à la vie de la Corse, à l'industrie touristique ; il n'en reste pas moins que celle-ci est l'épine dorsale du développement économique de notre île.
Le comité régional professionnel du tourisme vous a réclamé, à ce sujet, un certain nombre de mesures qui portent sur l'application d'un taux spécial de TVA, l'allégement des charges sociales, la restructuration de la dette hôtelière.
Il faut en tenir compte, sans verser pour autant dans la démagogie.
Le deuxième exemple a trait aux mesures structurelles dont M. le Premier ministre a, j'en suis heureux, parlé. Elles concernent notamment la réorganisation efficace des transports aériens de manière que les usagers puissent venir en Corse et en repartir sans que leur déplacement constitue une course d'obstacles.
Je le disais déjà en juin 1980 à cette tribune : l'avion, c'est notre autobus.
Pour les transports maritimes, il est indispensable de garantir un service minimum, notamment aux périodes de pointe. Une modification de la loi se révélera peut-être nécessaire. Dans ce cas, proposez-la, et nous la voterons si elle est raisonnable.
Pour ce qui est de la zone franche, entre la panacée qu'y voient les uns et le placebo qu'y voient les autres, il me semble que, dans un climat assaini, elle pourrait trouver sa pleine utilité.
Je me résume : je n'ai donné que quelques exemples, soit de mesures d'urgence, soit de mesures structurelles. Il appartient au Gouvernement, après consultation des élus locaux et des socioprofessionnels, de déposer des projets de loi adéquats devant le Parlement, qui est chargé pour sa part de prendre des décisions au nom de la souveraineté nationale.
Les sénateurs de notre groupe vous apporteront en grande majorité un appui lucide et résolu.
Avant de conclure, je vous prie d'excuser, mes chers collègues, l'aridité ou l'émotion qui ont caractérisé mes propos. En revanche, ma conclusion sera brève : M. le Premier ministre a enfin apporté dans le débat sur la Corse la clarté nécessaire. Bravo !
On nous répète sans cesse qu'on a essayé en Corse toutes les politiques et qu'aucune n'a marché. C'est faux ! On a essayé toutes les solutions, sauf celle qui consistait à appliquer la loi républicaine.
M. le Premier ministre est décidé à le faire : cela me redonne confiance dans le destin de la Corse française et républicaine. Je l'en remercie, comme je vous remercie, mes collègues, de votre attention. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tous ceux qui connaissent la Corse éprouvent une réelle fascination devant la beauté de ses paysages, la richesse de son patrimoine culturel et le caractère altier de ses habitants.
La Corse a su préserver ses traditions et sa langue. Le progrès technique, les contingences économiques, les flux touristiques n'ont pas eu raison de son identité et n'ont pas entraîné l'uniformisation des moeurs ou la banalisation du mode de vie, comme dans d'autres territoires. Loin d'être une faiblesse, cette situation devrait faire sa force.
Pour nombre de nos compatriotes, comme pour André Malraux, la Corse est une énigme.
L'insularité, parfois - mais c'est une idée fausse - semble l'avoir refermée sur elle-même plutôt que de l'avoir ouverte sur le grand large. Il lui arrive de revêtir un masque d'impénétrabilité qui déconcerte le continental. Les luttes intestines contrastent avec ce très grand sentiment de solidarité qui unit ses habitants et qui fait sa force.
Pourtant, tous ceux qui ont été admis dans l'intimité des Corses peuvent témoigner de leur générosité, de la richesse de leur culture et de leur fidélité inébranlable à leurs principes et à leurs amis.
Depuis plus de vingt ans, la Corse est en proie à une agitation endémique marquée par des épisodes tragiques, des exactions et des meurtres et une instabilité telle, en dépit de toutes les réformes institutionnelles, que certains en sont venus à s'interroger sur la volonté des Corses de demeurer dans la communauté nationale, mais je dirai plus loin ce qu'il faut en penser.
Tout a été dit et écrit sur les raisons qui ont conduit à cette situation. Nous laisserons aux historiens et aux annalistes le soin de faire le compte des maladresses, des erreurs et des malentendus réciproques.
Comme dans toutes les querelles de ménage, tout le monde a sa part de responsabilité dans cette affaire. La vérité n'est pas univoque et nous percevons bien qu'il existe derrière les apparences une réalité très différente des discours. Les grandes déclarations révolutionnaires cachent mal les ambitions particulières et les intérêts sordides. Les propos énergiques ont été contredits par la complaisance et la lâcheté de trop de responsables.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Josselin de Rohan. La prétendue intransigeance s'est accompagnée de palabres en coulisse dont on ignorait la teneur et qui ont contribué à faire douter des intentions réelles des pouvoirs publics.
En bref, l'équivoque s'est installée. Elle a donné à penser à certains que l'Etat louvoyait et ne savait quel parti prendre entre la répression et la concession ; aux séparatistes de tout acabit, elle a pu faire espérer qu'en usant du chantage et de la violence ils parviendraient à leurs fins en spéculant sur la lassitude des uns et la résignation des autres.
Le temps est venu de dissiper toutes les ambiguïtés et de tracer pour la Corse un avenir clair qui assure à cette partie du territoire français les perspectives de paix et de développement auxquelles elle aspire tant et auxquelles elle a droit.
La première condition d'un retour à la paix et à la concorde, le préalable à toute discussion, est le respect de la loi républicaine et un appel aux sens des responsabilités de nos compatriotes corses.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Nous souscrivons sans restriction à la fermeté des propos de M. le Premier ministre dans sa déclaration à l'Assemblée nationale, le 28 mai dernier, et nous nous félicitons des propos que vous avez tenus à cette tribune, messieurs les ministres, qui montrent votre détermination.
Il est intolérable que, sur le sol français, des édifices publics puissent être impunément mitraillés ou plastiqués.
Il est odieux que des policiers, des gendarmes ou des douaniers, dont nous saluons le dévouement et le courage, soient assassinés lorsqu'ils défendent l'ordre, les personnes et les biens.
Il est honteux que des magistrats, ainsi que leurs familles, puissent être menacés et injuriés simplement parce qu'ils veulent faire appliquer la loi.
Il est inadmissible que des fonctionnaires soient contraints, à la suite de vexations ou d'intimidations, de quitter leur poste où leur sécurité n'est plus assurée.
Nous voulons, nous exigeons, comme l'a dit le Premier ministre, que les auteurs de ces méfaits soient appréhendés, emprisonnés et condamnés à proportion des crimes qu'ils ont commis et, pour reprendre ses propres termes, qu'« aucune organisation, aucun responsable ne bénéficie de quelque impunité que ce soit dès lors que la loi aura été violée ».
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Nous demandons qu'un terme soit mis à ces mascarades ridicules au cours desquelles des cagoulards font étalage de leur armement devant les caméras et donnent des conférences de presse sans être le moins du monde inquiétés, ou se livrent autour des cercueils à des manifestations indécentes.
D'une manière générale, nous entendons que l'Etat en Corse cesse d'être ridiculisé et bafoué, ses agents exposés ou tués, ses décisions violées.
Nous faisons appel au sens de la responsabilité de nos compatriotes corses. Si, comme tout le laisse à penser, la quasi-totalité d'entre eux désapprouve la dérive suicidaire et mafieuse dans laquelle certains veulent entraîner la Corse, ils doivent aider les pouvoirs publics dans leur tâche.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Nous savons que la délation leur répugne, mais il ne s'agit pas de cela.
Nous leur demandons de manifester ouvertement leur rejet de la violence et du brigandage, à l'instar de ces femmes courageuses qui n'ont pas hésité à proclamer dans la rue leur attachement à la paix.
M. Michel Charasse. Et qui n'ont vendu personne ! Elles n'ont pas donné un seul nom !
M. Josselin de Rohan. Nous les invitons à suivre l'exemple des élus qui, fidèles à leurs traditions familiales et à leurs convictions, en dépit des injures et des menaces, et parfois même au péril de leur vie, ont affirmé leur détermination inébranlable de demeurer fidèles à la République et à la France.
Nous adjurons nos compatriotes corses, pour qui l'honneur est tout sauf un vain mot, de condamner avec force et sans restriction comme contraire à leurs coutumes et à leurs valeurs le lâche assassinat d'hommes désarmés, morts pour avoir exprimé une opinion contraire à celle des séparatistes ou pour avoir refusé des extorsions de fonds.
Il est indispensable qu'ils fassent la distinction entre ceux qui luttent pour des idées, et qui méritent le respect, et ceux qui commettent des délits de droit commun sous couvert de militer pour de nobles causes.
Le retour à l'ordre républicain doit être accompagné par de nouveaux modes d'administration et un véritable programme de développement de l'économie corse.
Par nouveaux modes d'administration, nous n'entendons pas prôner une nouvelle réforme des institutions corses ; il faut simplement respecter celles qui existent.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Loin de résoudre les problèmes de l'île, la création de nouvelles entités ajouterait au désordre et à la confusion plutôt que d'apporter une réponse aux questions posées.
Utilisons les institutions existantes, mais donnons-leur les moyens de fonctionner avec efficacité.
Pour ce faire, il faut refonder une administration solide et respectée et recruter des agents sur la base de la compétence, à l'exclusion de tout autre critère.
Il faut cesser de parler de « corsification » de l'administration ! Tous les fonctionnaires, quelle que soit leur origine, doivent pouvoir exercer leurs fonctions en Corse, sans distinction ethnique.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Christian de La Malène. Parfaitement !
M. Josselin de Rohan. Il faut également procéder à une très large déconcentration qui donne aux représentants en Corse du pouvoir central la capacité de régler à l'échelon local le plus grand nombre possible d'affaires.
Il importe également de renforcer la décentralisation au profit des assemblées élues, et singulièrement de l'assemblée de Corse, en les dotant des moyens financiers nécessaires, mais sous réserve du contrôle de la chambre régionale des comptes.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Chacun doit comprendre que l'insularité et l'identité corse appellent parfois d'autres méthodes d'administration et d'autres solutions que celles qui sont en vigueur sur le continent.
Les départements d'Alsace et de Moselle ont un droit local et sont régis par le concordat. Ils font néanmoins partie de la République. La Corse peut aussi, dans le domaine culturel, dans celui de l'enseignement ou dans le domaine économique et social avoir ses particularités, bénéficier de certaines adaptations, sans pour autant cesser d'appartenir à la nation.
M. François Giacobbi. Très bien !
M. Josselin de Rohan. A condition de respecter les principes de notre Constitution et de notre droit public, laissons s'élaborer les initiatives et les expérimentations si, en responsabilisant les décideurs, elles permettent de répondre aux aspirations et aux attentes de la population.
La Corse doit, par ailleurs, bénéficier d'un véritable programme de développement de son économie.
Qu'il s'agisse des transports maritimes et aériens, des infrastructures routières et touristiques, de l'agriculture et de l'emploi, tout doit être réorganisé ou repensé après concertation avec les partenaires sociaux.
Il ne s'agit pas, dans cette affaire, d'une enveloppe de crédits. La République a beaucoup donné à la Corse, mais le problème est de nous assurer que l'argent distribué est bien employé.
La défiscalisation, les aides européennes, les crédits de l'Etat doivent permettre une relance de l'économie corse et la solidarité nationale doit continuer de s'exercer, mais sur la base d'un contrat, car, en contrepartie de ce qu'accorde le pouvoir central, il faut que les Corses fassent un bon usage, loyal et honnête, des crédits que la République met à leur disposition.
M. Michel Charasse. Honnête !
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Josselin de Rohan. La Corse dispose de nombreux atouts. Il faut aider à la constitution de petites et moyennes entreprises et favoriser l'émergence d'une génération d'entrepreneurs. Il faut aussi veiller à ce que s'instaure dans l'île une véritable concurrence, qui s'accompagne d'une baisse des coûts de production en évitant la constitution de monopoles qui pénalisent les consommateurs.
Je voudrais m'adresser particulièrement ce soir à nos compatriotes corses.
Je sais que les questionner sur leur appartenance à la nation française serait leur faire injure. La France ne saurait ignorer tout ce qu'elle doit à leur île. Le plus illustre de ses fils a couvert nos armes de gloire et nous a légué nos institutions.
M. Michel Charasse. Que les Corses détestaient, d'ailleurs !
M. Paul d'Ornano. Oh !
M. Michel Pelchat. Ils le détestaient, mais ils avaient tort !
M. Josselin de Rohan. D'innombrables soldats et fonctionnaires corses ont servi la République avec intelligence, honneur et fidélité, et contribué à son rayonnement dans l'Empire français et dans le monde.
Comment pourrions-nous oublier les 40 000 morts corses de la Première Guerre mondiale qui ont privé l'île du quart de sa population ?
M. Michel Charasse. Voilà ! Très bien !
M. Josselin de Rohan. Comment pourrions-nous oublier les figures héroïques de Colonna, d'Ornano, de Fred Scamaroni et Danielle Casanova qui, aux heures sombres, ont incarné le refus de la France de s'incliner devant la défaite et l'Occupation ?
Comment oublier enfin que la Corse fut le premier département libéré de France, et libéré par lui-même ?
Mais les Corses ne sauraient pour leur part oublier que, sans la France, ils n'auraient pas eu la possibilité de donner dans le monde entier et dans l'Empire français toute la mesure de leur ingéniosité et de leur talent, ni de disposer des ressources sur lesquelles ils peuvent compter pour assurer leur développement.
M. Lucien Lanier. Très bien !
M. Josselin de Rohan. Aussi, leur disons-nous : restez avec nous, car il se fait tard. Depuis plus de deux siècles, nous avons cheminé ensemble dans la prospérité comme dans l'épreuve. Nous avons rencontré des obstacles et des traverses, mais nous avons appris à nous estimer et à nous connaître.
N'écoutez pas ceux qui veulent vous entraîner dans l'aventure car, au bout de la route, vous ne rencontrerez que la pauvreté et la désespérance.
Tournons-nous ensemble vers l'avenir. Nous avons besoin de vous comme vous avez besoin de nous pour construire une France prospère, une France libre à laquelle les Français, dans leur diversité, soient fiers d'appartenir et qui donne à tous ses enfants l'attention et la place qui leur revient. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Michel Charasse manifeste également son approbation.)
M. le président. La parole est à M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ainsi, pour la première fois de son histoire, le Parlement français a-t-il décidé, sur l'initiative du Premier ministre, de consacrer, par ce débat, plusieurs heures à la Corse, à ses problèmes, à la gravité de la situation que connaît l'île, et aussi à la recherche de solutions susceptibles de contribuer au rétablissement de la paix sur cette terre de France et à son redressement économique.
En premier lieu, je veux rendre hommage à l'action que le Premier ministre a entreprise avec son gouvernement et aux initiatives qu'il a suscitées pour s'attaquer aux différentes facettes de la crise économique, sociale, culturelle et politique qui secoue la Corse.
Je voudrais dire ensuite que le Parlement est le lieu idéal pour un débat sur la situation de la Corse, car si les difficultés de l'île ont indiscutablement un caractère particulier, elles constituent, à bien des égards, un clignotant des problèmes de la France et la question corse, sous tous ses aspects, a pris une dimension nationale.
J'aimerais indiquer comment cette Corse, si proche du continent français, a pu apparaître comme la terre la plus lointaine, inaccessible et incompréhensible à tous avant d'explorer quelques solutions, notamment économiques, de nature à l'aider à sortir de l'ornière dans laquelle elle s'est enfoncée.
En fait, la Corse est malade. Sa maladie a deux manifestations principales : l'une est économique, l'autre est morale et politique. Les deux se conjuguent pour induire dans l'opinion beaucoup de scepticisme, beaucoup de pessimisme et souvent du désespoir.
Longtemps, la Corse est restée une région oubliée. Ses habitants l'ont quittée massivement pour poursuivre, à titre individuel, souvent de belles carrières, aussi bien sur le continent qu'outre-mer où ils ont fait, selon la formule consacrée, la « colonie et la coloniale ».
Au début des années soixante, plusieurs facteurs se sont additionnés pour provoquer, quelquefois avec maladresse, un changement de situation : l'afflux de population rapatriée des anciennes colonies, l'essor du tourisme naissant, les retombées de la croissance économique que l'Europe devait, en particulier, à la création du marché européen. C'est dans ces années que se sont manifestées des aspirations régionalistes ; il s'agissait à l'époque de prendre en compte trois nécessités.
C'était d'abord la nécessité, pour la Corse, de maîtriser son destin. Cette nécessité, partagée par toutes les autres régions françaises, motivera le projet de loi de régionalisation soumis à référendum par le général de Gaulle. C'est elle qui sera à l'origine des deux statuts particuliers de la Corse de 1982 et 1991.
C'était ensuite la nécessité, toujours sur le plan économique, de veiller à ce que le développement de l'île ne soit pas trop inégal. Les Corses n'auraient pas compris qu'un secteur moderne et capitaliste se développe, tandis qu'un autre, archaïque, aurait été condamné au dépérissement.
D'importantes mesures ont été prises, depuis, pour réorienter l'activité économique et favoriser, en particulier, l'intérieur, même si les pesanteurs du relief et les effets de la désertification rendent ces efforts aléatoires.
C'était enfin la nécessité de prendre en compte les particularités culturelles de la Corse. Celles-ci sont irréfutables, et les prendre en compte, on le voit bien aujourd'hui, ne met absolument pas en péril l'unité nationale. La Corse a connu, depuis cette période, un renouveau significatif pour tout ce qui a trait aux pratiques culturelles. Tous les genres artistiques s'y sont développés, et l'université de Corte, créée en 1981, a pris en compte, avec d'autres institutions, la spécificité culturelle de l'île.
L'annonce récente par M. le Président de la République que la France pourrait enfin ratifier la charte européenne des langues régionales semble aller dans la même direction, et je m'en réjouis.
Les années soixante-dix se sont caractérisées par l'apparition et l'augmentation du nombre des plasticages et des attentats. Tous n'étaient évidemment pas politiques, tant il est vrai que la tentation a toujours été grande, sous tous les cieux, pour des personnes peu scrupuleuses, de recourir, quand les périodes sont troublées, à des procédés délictueux pour satisfaire leurs intérêts personnels.
L'imprécision doctrinale des autonomistes, le flou de leur idéologie et de leurs revendications a favorisé, de leur part, les surenchères et les fuites en avant. La répression policière des agissements condamnables n'a eu pour effet, en les transformant en victimes de leur cause, que de les renforcer aux yeux d'une opinion dont ils ont habilement su s'assurer la sympathie et la solidarité.
Il fallait alors rompre le cycle provocation-répression, ce piège inévitable dans lequel les pouvoirs publics et les nationalistes, ensemble, sont tombés, les uns ne pouvant décemment pas rester inertes devant des atteintes flagrantes à l'ordre public, à la tranquillité des citoyens, les autres réalisant qu'ils pourraient d'autant mieux mobiliser leurs troupes qu'ils pouvaient, aux yeux de l'opinion, se faire passer pour des victimes de la répression, du colonialisme et de la France.
L'arrivée des socialistes au pouvoir a été marquée par des signes d'apaisement qui, assez rapidement, ont éprouvé leurs limites. Le point le plus remarquable, au début des années quatre-vingt, a été l'adoption, pour la Corse, d'un statut particulier qui ne faisait, en réalité, que préfigurer celui dont seraient dotées, les années suivantes, les vingt et une autres régions françaises.
L'élection du président de la première assemblée régionale élue au scrutin proportionnel sans seuil - c'est-à-dire que s'y trouvaient représentées toutes les tendances de l'opinion - fut saluée, en août 1982, pour ceux qui s'en souviennent, par une salve de quatre-vingt-dix-neuf attentats perpétrés par le FLNC. Il était clair que ce mouvement clandestin avait tout à redouter du débat démocratique : en effet, comment serait-il parvenu à avoir, vis-à-vis de ses militants et de ses sympathisants, quelque légitimité si ce qui faisait l'essentiel de ses revendications avait été sereinement et publiquement débattu au sein de l'assemblée régionale ?
La Corse, à partir de cette date, est empoisonnée par la présence sur son sol de terroristes qui sont, par conviction, hostiles à tout débat et à toute forme de démocratie.
La Corse en est vraiment, au sens propre, empoisonnée : il n'y a pas une fraction de son opinion, il n'y a pas un seul des acteurs publics qui, à un titre ou à un autre, n'ait eu à subir les effets de cette funeste contagion.
Le FLNC, vitrine non légale des nationalistes, a empoisonné la Corse parce qu'il y avait malheureusement trouvé, dans toutes ces années de crise économique, un terrain favorable.
Le chômage sévissait dans l'île comme il sévissait dans le reste de la France. Les jeunes, inoccupés, sont une proie facile pour les mouvements clandestins. Un peu d'argent, le charme sulfureux de la poudre, ce qu'il faut de discours messianique et révolutionnaire : il n'en faut pas davantage pour séduire quelques jeunes que ne contrôle plus une société dont les cadres se défont jour après jour.
Le goût de l'argent facile qui a déferlé sur l'Europe et sur la France, avec quelques figures emblématiques, n'a pas épargné la Corse et a créé d'innombrables tentations que le FLNC a su alors, assez habilement, canaliser et attirer à lui.
Malheureusement, ce qui devait arriver et que nous avions prévu arriva, à savoir que les mouvements clandestins, à la fin des années 1980, ont volé en éclats pour donner naissance au moins à trois groupes - les « historiques », les « clandestins » et « Resistenza » - chacun portant sur les autres les accusations les plus graves quant aux mobiles, purement crapuleux, de leur action.
M. François Giacobbi. Il faudra bientôt un annuaire pour s'y retrouver !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. Les règlements de comptes implacables auxquels se livrent entre elles les diverses organisations terroristes laissent penser que, si le contentieux qui les divise est en partie idéologique et politique, il a certainement une autre dimension qui peut, seule, expliquer la haine exprimée et le nombre des meurtres perpétrés.
La Corse en est là : une population qui, dans la diversité de ses opinions et de ses convictions, n'aspire, comme toutes les autres populations de la planète, qu'à une chose : vivre en paix. L'amalgame qui s'est opéré entre les mobiles politiques et les raisons crapuleuses de la vague de violence qui a déferlé sur la Corse se décante peu à peu.
Si certains gouvernements, dans le passé, ont pu avoir la tentation, pour rétablir l'ordre public, de fermer les yeux ou de faire preuve de complaisance à propos des délits de droit commun commis par tel ou tel se réclamant d'une organisation nationaliste, s'il s'en est trouvé pour espérer troquer tranquillité contre laxisme, ce fut une faute ! La complaisance, en aucun cas, ne peut servir de politique. Et je me réjouis que M. le Premier ministre ait réaffirmé avec force sa volonté de mener en Corse une politique de fermeté.
Aussi, la Commission européenne a-t-elle publié, au mois de juin 1995, un document intitulé : « Evolution prospective des régions de la Méditerranée ouest ». Il trace de l'île un portrait sévère mais juste.
« La Corse est la région de l'arc latin dont l'avenir est le plus incertain : vieillissement de la population, absence de création d'emplois qualifiés, inexistence des activités industrielles, importance des revenus de transfert, faible effet d'entraînement d'une fréquentation touristique massive et très saisonnière, enfin, phénomènes d'insécurité qui conduisent à des désinvestissements.
« Face à des déséquilibres structurels importants, la société corse n'a pas de projet collectif et, faute de résoudre ses contradictions internes, elle court le risque d'un repli sur soi entretenant le processus de sous-développement, pouvant la conduire à devenir, dans les prochaines années, un Mezzogiorno français. »
Comme on peut le constater, la maladie dont souffre la Corse est grave, certes ; mais, à nos yeux, elle n'est pas incurable.
D'abord parce que, il faut le reconnaître, depuis vingt ans, des progrès considérables ont été accomplis.
Ainsi, les infrastructures - routes, ports, aéroports, équipements de santé et culturels - où des améliorations peuvent toujours être apportées, ont été métamorphosées par rapport à leur état voilà seulement un quart de siècle.
Des progrès ont aussi été faits dans le domaine des institutions. Le statut actuel de la Corse a corrigé certaines imperfections du statut précédent et il a doté l'île d'un véritable outil au service de son avenir. Les institutions valent ce que les hommes en font, mais, aujourd'hui, en Corse, les moyens existent pour remplacer l'antique et dégradante attitude d'assisté que les régions ont toujours eue à l'égard de l'Etat par une attitude de responsabilité. L'élaboration par les élus corses d'un plan de développement régional, le premier dans toute l'histoire de la Corse qui ait été élaboré par les représentants de l'île, est un signe encourageant de cette évolution.
Quant à l'état d'esprit, les Corses sont de plus en plus nombreux à souhaiter un développement économique durable et à croire, contre vents et marées, qu'il est possible. Ils sont unanimes, par ailleurs, à vouloir prévenir les déséquilibres qui avaient pu naître d'un développement trop inégal fondé sur quelques monocultures au cours des années soixante ; je fais allusion à la vigne.
Ensuite, parce qu'en s'attaquant aux causes du mal plutôt qu'à ses conséquences, le Gouvernement tend à modifier profondément la démarche utilisée jusque-là, et je ne peux que m'en réjouir.
En effet, en soulignant que la question institutionnelle n'était pas en Corse à l'ordre du jour - M. le Premier ministre l'a réaffirmé avec force tout à l'heure - il a exprimé fermement sa position, qui consiste à rétablir les équilibres nécessaires à toute région française ; qu'il s'agisse du domaine économique et social ou du respect des lois de la République.
Pour ce qui est du retour à la paix civile, le traitement réel du problème ne saurait faire référence ni à un laxisme permanent ni à une répression aveugle.
Il convient surtout d'éviter les crispations qui conduisent parfois à des positions extrêmes dont nul ne peut contester qu'elles interdisent rapidement toute avancée vers l'objectif recherché.
Cet objectif ne peut être que d'assurer un avenir serein à la Corse, au sein d'un ensemble national qui n'ait plus à se poser la question de l'ancrage de l'île à la République.
La Corse attend de cette démarche qu'elle se concrétise par un ensemble de mesures économiques, fiscales et sociales adaptées à sa situation.
A ce sujet, je me félicite du fait que M. le Premier ministre ait souligné sa volonté d'améliorer les conditions du dialogue social, en permettant la reconnaissance des syndicats représentatifs à l'échelon local. C'est le sens d'une proposition de loi que j'ai déposée sur le bureau du Sénat, initiative parallèle à celle de mon excellent collègue José Rossi, à l'Assemblée nationale.
En effet, aujourd'hui, les difficultés économiques de l'île sont caractérisées par l'atonie des investissements privés et, partant, du marché de l'emploi, par un taux de faillites élevé des entreprises locales qui sont endettées et ne peuvent faire face aux charges fiscales et sociales et, enfin, par l'éparpillement communal, qui amoindrit les capacités locales d'investissement, notamment à l'intérieur de l'île.
Actuellement, une partie non négligeable de l'activité économique de la Corse est sous-tendue par les marchés publics des administrations de l'Etat ou des collectivités locales.
L'activité touristique en Corse a été, depuis plusieurs années, particulièrement pénalisée par la conjugaison de plusieurs facteurs, à savoir le différentiel de change favorisant des destinations concurrentes, les perturbations liées aux conflits sociaux et entraînant un manque de fiabilité dans la desserte de l'île, la cherté des transports et de la vie insulaire, enfin la violence.
En conséquence, la Corse est aujourd'hui une région touristique sans touristes. Il est urgent de situer l'activité touristique comme moteur de l'économie insulaire. Cependant, tout autant que celles du littoral, les collectivités publiques de l'intérieur doivent être à même de soutenir les projets locaux de développement. Le dispositif à mettre en place devra prendre en compte le sauvetage des prochaines saisons et le développement des infrastructures nécessaires à l'accueil.
Un tourisme de qualité passe aussi par un environnement protégé. L'agriculture, au-delà de son aspect économique, joue un rôle essentiel dans la gestion d'un espace rural de plus en plus désertifié et ravagé chaque année par les incendies. Le développement de cette activité ne pourra se faire qu'au travers d'une politique volontariste de soutien aux productions locales.
Deux directions me semblent souhaitables : tout d'abord, l'adaptation de la législation européenne aux contraintes physiques de l'île, en cohérence avec la politique nationale et, ensuite, l'abondement des mesures découlant du contrat de plan et du document unique de programmation.
L'Union européenne, par sa politique régionale, a déjà admis la Corse au bénéfice de l'objectif 1. Ne faudrait-il pas profiter de la tenue de la conférence intergouvernementale, qui examine actuellement les conditions d'application du traité de Maastricht, pour demander, une nouvelle fois, que la Corse bénéficie d'un programme d'option spécifique à l'éloignement et à l'insularité ? Seul un effort spécifique, fondé sur des mesures dérogatoires par rapport aux règles qui régissent le fonctionnement du grand marché intérieur, pourrait ainsi permettre à la Corse de prendre toute sa place dans le développement de l'Union européenne.
La prise en compte de ces spécificités passe, en outre, par la reconnaissance d'une fiscalité indirecte particulière, compatible avec les règles du traité et susceptible de contribuer au développement économique et social de la Corse.
L'assemblée de Corse, dans cette perspective, a adopté un certain nombre de propositions, le 13 février dernier, qui militent en faveur d'une telle disposition dérogatoire.
Cette disposition ne saurait constituer un privilège supplémentaire que la Corse réclamerait ; elle ne saurait être qu'un outil exceptionnel adapté à sa situation, qui l'est également.
Si cette disposition ne pouvait aboutir, ce que je regretterais vivement, il faudrait veiller à ce que la démarche engagée avec la zone franche ait le même effet mobilisateur.
Qu'est-ce, en effet, qu'une zone franche ?
Tout d'abord, une telle zone ne doit pas être confondue avec un paradis fiscal...
M. Michel Charasse. Oh !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. ... ou bancaire, qui implique l'idée d'un refuge discret.
MM. Guy Allouche et Michel Charasse. Oh la la !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ne vous laissez pas interrompre !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. C'est un moyen exceptionnel pour faire face à une situation exceptionnelle.
C'est un outil de nature à aider la réalisation du plan de développement régional que vient d'adopter l'assemblée de Corse.
C'est un coup de fouet qui peut être donné à l'économie. (M. Michel Charasse s'exclame.)
C'est enfin un moyen de faire retrouver à l'île un niveau d'investissements privés et publics capables de relancer l'économie.
Toutefois, je me permets de poser au Gouvernement trois questions essentielles qui surgiraient si la zone franche venait à voir le jour.
Celle-ci concernera-t-elle tout ou partie de l'île,...
M. Michel Charasse. Ah !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. ... compte tenu des mesures déjà arrêtées pour la Corse par la loi du 4 février 1995 classant certaines parties de l'île en zones de revitalisation rurale bénéficiant déjà de mesures spécifiques ?
Toutes les aides envisagées seront-elles compatibles avec le droit européen ?
Qui supportera la charge des exonérations et des équipements nécessaires que l'Etat serait tenté de faire supporter par les collectivités territoriales de Corse ?
En effet, il conviendrait qu'on y retrouve, à côté des seules exonérations traditionnelles, des incitations très diverses de nature, fiscale, financière, administrative ou sociale. Ces dernières ont été fort bien recensées et proposées par les multiples acteurs de la vie économique de l'île - agriculteurs, professionnels du tourisme et de l'hôtellerie, commerçants, artisans, chefs d'entreprise et syndicats de salariés - lors des tables rondes et des ateliers organisés par le Gouvernement.
Ce principe de zone franche doit déterminer l'ébauche d'une rentable stratégie de développement économique de l'île, propre à dynamiser son tissu d'entreprises comme à fonder, sur le plan social et sur le plan culturel, les bases d'un renouveau de la citoyenneté insulaire.
Nul ne doute, sur le fond, que le Gouvernement saura donner à la zone franche qu'il veut créer en Corse un contenu qui réponde aux attentes de la grande majorité de la population et qui prenne en compte les inquiétudes qui se sont manifestées ici ou là quant à l'annonce de la quasi-impossibilité d'obtenir un programme spécifique.
Quand le projet de loi concrétisant cette idée de zone franche sera déposé devant le Parlement, non seulement il viendra couronner des mois d'un débat fructueux, mais il sera, dans cette enceinte, l'occasion d'une discussion dans le détail de ses aspects techniques.
Pour l'heure, il faut constater que les problèmes de la Corse sont perçus par l'opinion nationale comme des problèmes compliqués, opaques, particuliers...
M. Michel Charasse. Et lassants !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. ... qui peuvent se réduire à cet antagonisme inepte : la Corse opposée à la France.
Mais les soucis de la Corse, aujourd'hui, sont les soucis de la France ; ceux qui sont nés de l'exode rural, du chômage et, sur le plan culturel, d'une standardisation des modes de vie.
Créer une nouvelle dynamique, en encourageant les entreprises locales et en adoptant une attitude positive à l'égard des investisseurs, redonner confiance aux populations, telle est l'image que la Corse, qui subit comme les autres zones fragiles des handicaps importants, doit donner afin d'être réintégrée dans le développement économique national.
Le groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel j'ai l'honneur de m'exprimer aujourd'hui, souhaite apporter au Gouvernement son entier concours pour éclairer ses choix et l'aider à réussir dans son entreprise de redressement de la Corse vers un développement durable.
Je comparais tout à l'heure les maux dont souffre la Corse à ceux du paludisme. Ce fléau, après avoir fait l'objet de discussions, de rapports, d'études, a pris fin lorsque s'est manifestée une volonté déterminée.
C'est une volonté de cet ordre que la population de la Corse, unanime, attend du Gouvernement pour lui redonner confiance dans son avenir. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous consacrons un débat parlementaire à la situation de la Corse ; c'est dire la gravité de cette situation et donc, pour chacun d'entre nous, la nécessité d'adopter un ton à la mesure des enjeux.
Ce ton, le parti socialiste ne s'en est jamais départi et, après les propos excessifs que vous connaissez, j'ai écrit, avec Michel Rocard et Laurent Fabius, au Président de la République. Celui-ci, dans sa réponse, invoquait la nécessité d'une attitude responsable et exempte de polémique. Dont acte, monsieur le ministre : dont acte pour vous, dont acte pour tout ce qui est excessif.
Reste, légitimement, le débat critique, le seul qui honore notre République, le seul qui soit digne de la Corse, le seul qui doive nous occuper aujourd'hui, avec une triple exigence : faire une analyse juste, ne pas renouveler des erreurs funestes et réinventer l'avenir avec les Corses eux-mêmes.
L'analyse avec lucidité, tout d'abord.
Tous les gouvernements depuis vingt ans ont été confrontés aux mêmes difficultés, à la même succession d'accalmies et de tempêtes, reconnaissez-le, messieurs les ministres. Jamais, pourtant, la crise corse n'avait atteint une dimension aussi spectaculaire. La télévision, les radios ont peut-être amplifié les événements, mais la dimension est spectaculaire.
Elle est aussi grave, car c'est la crise de l'Etat de droit qui est à l'origine de toutes les autres, de toutes les crises qui se sont succédé en Corse.
Démonstration de force médiatique à renfort de cagoules noires et d'armes lourdes, multiplication d'attentats, recrudescence d'assassinats, fusillade contre la presse, meurtre d'un policier, menace d'extension jusqu'au continent : nous sommes tous unanimes : de telles méthodes, tous ces événements sont suffisamment éloquents, inquiétants et affligeants pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y insister davantage. De plus, ces manquements intolérables à la loi ont aussi de lourdes conséquences économiques et sociales qui se retournent contre tous les Corses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Pierre Mauroy. En effet, la deuxième crise, celle du développement économique et du progrès social, paraît trop souvent passée sous silence. En dépit des avantages spécifiques importants, peut-être disproportionnés, dont elle bénéficie, la Corse dispose du plus faible PIB de toutes les régions métropolitaines, pis, sa situation s'aggrave.
Avec une nette régression économique en 1996, une chute, en l'espace de deux ans, de plus de 20 p. 100 du chiffre d'affaires du tourisme, une augmentation du chômage qui s'élève à plus de 15 p. 100 de la population active, cette crise économique et sociale, liée à une crise politique majeure, constitue aujourd'hui une urgence et, bien sûr, une priorité.
Enfin, la troisième crise, qui en découle naturellement, est une crise de confiance, et ce n'est pas céder à la polémique que de considérer que le Gouvernement y a sa part de responsabilité, car cette crise de confiance est aujourd'hui générale.
Elle est celle de l'administration, notamment des policiers et des magistrats qui s'interrogent.
Elle est celle des élus corses, avec lesquels le Premier ministre a été contraint d'organiser une rencontre en janvier dernier.
Elle est celle de nombreux parlementaires, y compris de la majorité.
Elle est celle, enfin, de l'opinion qui, tant en Corse que sur le continent, est partagée entre l'exaspération et le découragement.
Le débat à l'Assemblée nationale, puis le voyage de M. Gaudin n'ont pas constitué l'électrochoc nécessaire. Espérons que la seconde chance qu'offre notre débat aujourd'hui sera saisie. Pour cela, il faut éviter de renouveler les erreurs qui s'empilent dans une construction sans cohérence et, en tout cas, sans avenir si l'on persévérait.
La première erreur, c'est d'agiter l'épouvantail de l'indépendance.
La réplique provocante de M. Barre a rencontré un certain écho dans la presse, mais aussi dans l'opinion exaspérée. Elle n'est pas la solution. L'écrasante majorité des Corses témoignent, à chaque scrutin, de leur attachement à la nation.
Mais l'organisation d'un référendum ne se traduirait, en définitive, que par une perte de temps supplémentaire pour tous et, pour les Corses, par une blessure de trop.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. Pierre Mauroy. La deuxième erreur, ce serait de remettre en cause les avancées institutionnelles.
Le Premier ministre a en effet fustigé l'attention portée par les socialistes aux réformes institutionnelles et rappelé à sa majorité d'aujourd'hui leur commune opposition d'hier contre les lois de 1982 et de 1991.
Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement compte revenir sur ces réformes. Mais comme tel ne semble pas être le cas, c'est donc qu'elles étaient utiles !
Car c'est de la décentralisation qu'il s'agit, du transfert des compétences à la région Corse dans des domaines essentiels.
C'est du renforcement de la légitimité et de la responsabilité des élus qu'il est question, à travers un mode de scrutin à l'assemblée et un engagement de la responsabilité de l'exécutif.
C'est en réalité le pouvoir donné aux Corses sur leur propre destin qui est en jeu.
Et pour notre part, nous considérons que la décentralisation avancée que connaît la Corse constitue davantage un modèle qu'un repoussoir, et que si des modifications à la marge s'avéraient nécessaires, c'est bien plutôt dans le sens d'une étape supplémentaire que d'un retour en arrière.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Pierre Mauroy. La troisième erreur, c'est de créer de faux espoirs économiques et sociaux autour d'une zone franche qui semble se limiter à un mauvais slogan.
Ce qui est certain, c'est que, par un étrange paradoxe, si les Corses récusent le terme mais acceptent le contenu, vous semblez faire l'inverse, messieurs les ministres !
Ce qui est certain, c'est que vous êtes surtout occupés à expliquer tout ce qu'il n'est pas possible de faire, en soulignant ici les contraintes européennes, là le déséquilibre existant avec les autres départements. Et, en définitive, on redoute que la grande zone franche annoncée ne se réduise à un petit catalogue en faveur des PME.
Ce qui est certain, enfin, c'est notre opposition à ce qui serait un paradis fiscal pour les entreprises et un enfer social pour les salariés.
M. Christian Poncelet. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Il ne s'agit pas d'aider davantage, il s'agit de mieux répartir et surtout de ramener la confiance.
Plusieurs sénateurs socialistes. Très bien !
M. Pierre Mauroy. La quatrième erreur, c'est de pratiquer le grand écart entre les discours et les actes.
Les Corses, et avec eux tous les Français, attendent aujourd'hui un discours de fermeté, mais surtout une preuve de correspondance entre ce discours et la pratique du Gouvernement. Ils sont sceptiques. Car on ne peut, d'un même mouvement, condamner les terroristes et négocier avec eux, prôner la fermeté de la justice et la « circonspection » dans la conduite de l'action publique, saluer le travail des policiers et des magistrats et ne pas comprendre leur désarroi.
Est venu le temps d'agir avec fermeté et, surtout, de faire ce que l'on dit.
Il est nécessaire enfin - et j'en terminerai par là - de tracer une nouvelle voie.
Cela passe par un préalable : le droit partout, le droit pour tous. C'est une nécessité républicaine, mais aussi un impératif pour le retour de la confiance et du développement économique.
Cela passe aussi par le respect de deux principes : la responsabilité et la légitimité.
La responsabilité d'abord, pour définir les rôles de chacun et pour que chacun assume naturellement ses actes.
C'est vrai de l'Etat auquel il revient de définir une méthode, de dire avec qui, sur quoi on travaille pour remobiliser toute la Corse autour d'un projet.
Le retour à l'ordre est nécessaire, mais la remobilisation des Corses et de la Corse ne se fera qu'autour d'un projet. C'est naturellement le Gouvernement qui doit donner l'exemple de ce projet.
Le second principe, c'est la légitimité. En démocratie - faut-il le rappeler ? - le peuple seul est souverain, le suffrage universel seul s'impose à tous.
Après le retour de l'ordre, au terme du processus que nous souhaiterions voir s'engager, et au terme de ce processus seulement, il doit y avoir un acte solennel accompli par les Corses eux-mêmes.
Je voudrais simplement, pour conclure, dire aux Corses, en dépit des difficultés qu'ils traversent et des interrogations qu'ils connaissent, que les socialistes leur font confiance, et préciser en particulier à ces courageuses femmes du « Manifeste pour la vie » qui se sont levées pour dire « assez » à la violence, que les socialistes les assurent de leur soutien. On l'a déjà relevé avec raison et je tiens à le souligner.
La France a mobilisé les Corses pour défendre la patrie, et leur tribut a été lourd, par deux fois, au cours de ce siècle.
Les Corses ont pris leur part dans l'édification et la défense de la République.
C'est en son sein qu'ils veulent vivre leur particularisme ; dans une République suffisamment ferme pour faire appliquer partout et par tous la loi commune ; dans une République suffisamment forte pour s'enrichir des diversités ; dans une République qui, demain, sache mieux incarner les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, restaurer la République, restaurer l'Etat, il n'y a pas d'autre mot d'ordre quand une partie du territoire national sombre dans le sang et l'impunité, quand la République n'est plus chez elle à l'intérieur de ses frontières et quand l'Etat est provoqué par des violents et des mafieux. A tout cela, une seule réponse : la loi, rien que la loi, mais toute la loi !
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Michel Charasse. Dans l'épreuve que nous traversons, gardons-nous - exécutif comme législatif - de la division politicienne, méfions-nous des procès faciles, évitons ces ragots dignes des cabarets de chansonniers !
Aussi loin qu'on remonte dans le temps, on constate que la République ne s'est pas toujours bien conduite en Corse et que tous les gouvernements ou presque ont échoué dans l'île.
Mauvaise conduite de la France en 1914-1918, car les Corses sont, de tous les Français, ceux qui ont été contraints de payer le plus cher le droit d'être des nôtres,...
M. Josselin de Rohan. Avec les Bretons !
M. Michel Charasse. ... entre les deux guerres, quand les Corses n'avaient pas d'autre solution à leur misère que de partir dans nos lointaines colonies, où ils ont d'ailleurs fait merveille ; dans les années 1970, lorsqu'on a commis l'erreur psychologique de réserver par priorité aux rapatriés les terres mises en valeur pour les insulaires.
Mais, depuis, la France s'est bien rattrapée, passant d'un extrême à l'autre : d'une rigueur excessive au laxisme total.
Inutile de rechercher quelque hypothétique péché originel pour pointer du doigt les responsables de la situation actuelle. Depuis plus de vingt ans, tous les gouvernements ont cru bien faire en nouant un interminable dialogue de dupes avec les terroristes. En fait, ils ont mis l'Etat toujours plus à la remorque des voyous et des mafieux. Tous ont compensé aussi convenablement l'insularité par des dispositions spéciales - statut administratif en réforme permanente, statut fiscal éternellement renégocié et amélioré - et en faisant pleuvoir par milliards de francs les fonds publics nationaux et européens sur l'île ! La République est allée aussi loin qu'elle le pouvait : les Corses et leurs élus ont plus de pouvoirs et de moyens que partout ailleurs - Pierre Mauroy vient de le rappeler. La Corse reçoit l'aide la plus forte par habitant alors que tant d'autres régions sont plus défavorisées qu'elle pour l'emploi ou le niveau de vie ! Mes chers collègues, qu'ont rapporté tous ces cadeaux à la Corse et à la République ? Rien, sinon l'échec, l'injustice et l'inégalité pour ceux de nos compatriotes qui, sur le continent, sont moins bien traités que les Corses !
Rien n'a marché, sauf la « pompe à fric » de la République. Qu'a-t-on fait de l'argent public déversé dans ce panier percé, puisque la majorité des Corses n'a jamais vu la couleur des allégements fiscaux ni des fonds généreusement distribués pour le développement de l'île et l'emploi de leurs enfants ?
La République devait-elle, pour payer ses fautes d'antan, mettre autant en question, sans résultat et à la faveur d'une indigne danse du ventre avec des malfrats sans scrupules, le principe sacré d'égalité entre les Français ?
Et surtout, pourquoi tous ces gestes accumulés ont-ils été aussi gravement inopérants pour rétablir et garantir en Corse l'ordre républicain ?
Mes chers collègues, la réponse est simple : dans une démocratie comme la nôtre, ce n'est pas, ce n'est jamais en sapant les fondements de l'unité nationale et l'indivisibilité de la République ni en affaiblissant et en abaissant l'Etat qu'on tient le mieux compte des particularismes locaux qui méritent attention et qui s'appellent, en Corse, insularité, culture et langue. Qui peut croire que les milliards de francs déversés et la zone franche de demain attireront un jour autre chose que des voyous ? Quelle entreprise acceptera de venir s'installer dans l'île si sa sécurité n'est pas assurée, si elle est soumise au racket, à l'impôt pseudo-révolutionnaire, à l'obligation de « corsiser » ses emplois ? Il est aujourd'hui moins risqué pour un gangster corse de rester sur place et de se gaver en toute légalité que d'affronter, comme autrefois, les sanglants règlements de compte des bas-fonds de Pigalle ou du cours Belzunze ! On ne fera jamais rien de bon en Corse tant que les lois de la République, qu'elles protègent ou qu'elles punissent, n'y seront pas appliquées comme partout ailleurs en France, sans complaisance ni faiblesse.
Il ne s'agit pas seulement des lois touchant à l'ordre public. On doit certes cesser de pouvoir se promener en Corse armé jusqu'aux dents - Pierre Mauroy et Guy Allouche l'ont dit - au nez et à la barbe des forces de sécurité, qui ont souvent d'ailleurs l'ordre de ne rien voir, et il faut mettre un terme aux menaces contre les biens et les personnes, aux attentats, au racket, au pseudo-impôt révolutionnaire, aux défilés d'encagoulés qui ridiculisent l'Etat et démoralisent les forces de l'ordre !
Sur un territoire d'à peine 200 000 habitants permanents, la France est capable de mettre à la raison cette misérable centaine d'agités dont tout le monde - police, gendarmerie, justice, voisins, opinion publique - connaît le nom, l'adresse, les habitudes, le téléphone et les relations !
Qu'on ne vienne pas nous raconter que ce mouvement vient des profondeurs d'un peuple qui aspirerait à prendre en mains son destin : il y a une différence de hauteur et de fond entre le discours émouvant des apôtres de la décolonisation à travers le monde et les débilités du niveau d'un bambin de six ans proférées sur le ton du commandant Sylvestre par ceux qui n'ont que le crime comme argument !
Chaque été, à la fin des travaux de la Concolta à Corte, on voit rituellement surgir - François Giacobbi le sait - un groupe d'encagoulés l'arme au poing. Seuls les plus naïfs admirent ces « pistoleros » qui, se prenant pitoyablement pour Mandrin et Cartouche dans les films de cape et d'épée, viennent et repartent après avoir tranquillement enfilé leur déguisement à quelques mètres du chapiteau et fendu sans problème un cordon de gendarmes prévenus depuis longtemps et invités à veiller à ce qu'il ne leur arrive rien ! Comediante, tragediante !
Nécessaires, les lois répressives et d'ordre public sont pourtant presque secondaires par rapport aux autres car, en Corse, mes chers collègues, aucune loi n'est jamais appliquée normalement dans aucun domaine. Avant d'être ce paradis que les touristes apprécient, la Corse est d'abord celui de la fraude, de la fraude partout et toujours ! Lorsque l'Europe suspend ses primes aux éleveurs - pour des fraudes bien connues des services locaux de l'Etat - le contribuable national prend aussitôt le relais alors que la France poursuit impitoyablement les irrégularités partout ailleurs.
L'Etat tremble à l'idée de démolir les immeubles construits sans permis et sanctionnés pourtant par la justice. Des masses énormes d'argent public sont attribuées irrégulièrement et des milliers d'avantages sociaux accordés par des commissions achetées ou complices et avec des certificats médicaux de complaisance. Voyez ce maître-nageur d'Ajaccio, classé handicapé par la COTOREP, cet éleveur qui exploite une boîte de nuit construite avec la prime destinée à son écurie. Dès qu'un contrôle est effectué, le service compétent est aussitôt menacé et plastiqué et ses documents dispersés ou volés. Quand cherchera-t-on à en savoir plus du côté de ceux à qui le crime profite ? Et que fait la chambre régionale des comptes ?
Les services locaux de l'Etat ont certes leur part de responsabilité. Mais les premiers fautifs - et je parle en termes généraux, vous le comprenez bien - sont d'abord les ministres et les administrations centrales, qui préfèrent acheter une paix précaire par le silence et la passivité. Quel fonctionnaire local peut oser aujourd'hui exercer son autorité - c'est-à-dire celle de l'Etat - alors qu'il sait que si les choses tournent mal - et c'est toujours le cas en Corse quand on veut appliquer la loi - Paris ne le soutiendra jamais. Au mieux, il sera ridiculisé, au pire désavoué, contraint à des excuses publiques, voire muté.
Alors, qu'on commence d'abord par appliquer la loi, toutes les lois, comme à Mende, à Lille ou à Strasbourg - ce que M. Giacobbi appelle le « droit à la ressemblance », et moi le « devoir de ressemblance » -...
M. François Giacobbi. Nous sommes d'accord !
M. Michel Charasse. ...que Paris donne des ordres clairs et fermes à ses préfets et à ses services locaux, qu'il soutienne leur action et ne cède plus au chantage. Mes chers collègues, un fonctionnaire de l'Etat menacé ne doit jamais être muté. Quoi qu'il en coûte, il faut le maintenir sur place, le faire protéger, le faire savoir haut et fort, et les menaces cesseront ! Un bâtiment public plastiqué ne doit être réparé ou reconstruit qu'avec des crédits prélevés systématiquement sur les dotations normales de la Corse pour que la République ne paye pas deux fois.
Les Corses sont démoralisés par les passe-droits, les injustices, les violations scandaleuses de la loi, l'abaissement de l'Etat. On leur reproche - je l'ai entendu au cours de ce débat, mais sans soupçonner mes collègues de malveillance - la loi du silence et leur refus de coopérer. J'ai entendu l'appel que leur a lancé M. de Rohan.
Comment exiger d'eux qu'ils soient plus courageux et plus déterminés que l'Etat, qui leur donne tous les jours le pire exemple ? Quand ils auront enfin le sentiment d'appartenir à une communauté nationale soumise partout aux mêmes lois, aux mêmes droits, aux mêmes devoirs, les Corses coopéreront. En attendant, ne comptons pas sur eux, car s'ils se mouillent pour l'Etat, ils savent que les autorités de leur pays les abandonneront s'ils doivent les appeler au secours.
Il ne faut plus continuer à discuter à perte de vue avec des assassins et des mafieux qui s'entretuent, qui ne représentent rien et sont écrasés dans chaque scrutin. Aucun Républicain ne peut accepter que l'Etat dialogue avec ceux qui l'insultent et qui le menacent sans même encourir ses foudres. Non seulement c'est inefficace, mais c'est humiliant et cela rappelle l'époque où la France envahie pliait sous le joug étranger.
Et d'ailleurs, pour négocier quoi ? Ce qu'on nous demande désormais, c'est de brader des pans entiers de la souveraineté nationale et de l'autorité de l'Etat pour que les mafieux puissent exercer tranquillement leur petite dictature par la menace, la violence, le racisme - Français d'abord, Arabes dehors, corsisation des emplois - le chantage, les vols, le racket, le crime et le sang. Une dictature qui offrira à tous les voyous de France et de Navarre une grande lessiveuse du blanchiment des produits du crime si Bruxelles commet l'erreur d'accepter l'injustifiable zone franche.
On peut certes toujours discuter pour que les règles spéciales existantes répondent toujours mieux à la légitime attente de la Corse ; je ne suis pas en désaccord avec les propos de M. Mauroy ou de M. Allouche. Mais, là aussi, il faut parler le langage de la vérité : quel avenir et quels emplois peuvent offrir sur les marchés européen et mondial les diplômes de culture, d'artisanat et de langue corse de l'université de Corte ? Si elle veut être prise au sérieux, la Corse doit cesser de se replier frileusement sur elle-même et sur son passé.
En tout cas, mes chers collègues, nous voici parvenus aujourd'hui à ce qui n'est plus négociable : la France, l'Etat, la République.
Puisqu'il n'y a pas en Corse de majorité pour l'indépendance, puisqu'on y veut toujours la France, qui s'est libérée, d'abord là-bas, alors qu'elle soit présente, qu'elle agisse, qu'elle impose, qu'elle protège ses enfants et qu'elle mette fermement un terme à la comédie d'un dialogue dont seule la République a fait les frais, et qui finira par la gangrener et la pourrir de l'intérieur.
Messieurs les ministres, qu'exigent de leur Gouvernement les Français du continent comme ceux de Corse ? Ils exigent qu'il soit enfin la République, qu'il soit enfin l'Etat, qu'il agisse en Corse pour la liberté, pour la sécurité, pour la justice et pour l'unité nationale comme ailleurs. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR).
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je tiens tout d'abord à dire à M. Larché que nous sommes sensibles à l'approbation qu'il a formulée sur la politique suivie par le Gouvernement.
Monsieur Giacobbi, je vous remercie d'approuver la volonté exprimée par M. le Premier ministre de construire l'avenir de la Corse dans le cadre de la République. Oui, le rétablissement de l'ordre républicain est la condition nécessaire et indispensable pour permettre le développement économique.
M. François Giacobbi. C'est une interpellation !
M. Michel Charasse. Oui, mais amicale !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous réponds, monsieur Giacobbi, et M. Charasse a noté que mon propos était amical.
M. François Giacobbi. Moi aussi !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Giacobbi, vous connaissez parfaitement la Constitution, notamment son article 20 : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. »
M. François Giacobbi. Eh oui !
En ce qui concerne la Corse, la politique a été déterminée et elle est conduite par les ministres sous l'autorité du Premier ministre ; ne cherchez donc pas à opposer les uns aux autres.
M. François Giacobbi. Permettez, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Giacobbi !
M. François Giacobbi. Je ne vous ai pas interrompu non plus tout à l'heure !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur de Rohan, l'analyse que vous avez faite de la situation de la Corse était émouvante.
Ne cherchons pas les responsabilités du passé ; laissons cela aux historiens ! En revanche, essayons de tirer des leçons des échecs ou des insuffisances, des maladresses des politiques qui ont été suivies par le passé, car le temps est venu, compte tenu de la situation de la Corse et de l'état d'esprit des Corses, de définir des perspectives d'avenir claires.
Ce temps doit être marqué par la fermeté. Oui, il n'y a pas d'avenir pour la Corse en dehors du rétablissement de l'autorité de l'Etat et des lois républicaines. Mais le temps est venu aussi de faire appel à la responsabilité de l'ensemble des élus et de l'ensemble des Corses, de proposer à ceux qui souhaitent le rétablissement de l'ordre républicain, et qui acceptent d'assumer leurs responsabilités, de dialoguer sur l'avenir de la Corse.
L'enseignement que l'on peut tirer de l'engagement de certaines figures légendaires de la Corse, qu'il s'agisse de Fred Scamaroni, de Colonna d'Ornano, Compagnon de la Libération, premier compagnon du général de Gaulle, de Danielle Casanova ou de Jean Nicoli, c'est qu'il ne faut jamais renoncer ni accepter la fatalité. Ils nous ont enseigné qu'il fallait toujours choisir les chemins de l'effort et s'écarter des chemins du renoncement.
Monsieur Hyest, vous avez, avec lucidité et sincérité, reconnu qu'il n'y avait pas de solution miracle en Corse. S'il y en avait une, on le saurait, monsieur Charasse !
C'est la combinaison de toutes les approches qui peut déboucher sur des solutions. La zone franche n'est certes pas la seule mesure pour assurer le développement économique, mais cela peut être un outil utile.
Madame Luc, je vous envie ! Qu'il est facile aujourd'hui d'être communiste ! C'est le parti des « y a qu'à » et « faut qu'on ». Permettez-moi, madame Luc, de vous citer cette phrase d'Anatole France : « Heureux ceux qui n'ont qu'une vérité ! Plus heureux et plus grands ceux qui, après avoir fait le tour des choses, ont assez approché la réalité pour savoir qu'il existe non pas une, mais une multitude de vérités. » Alors, veillons à ne pas simplifier le débat !
Mme Hélène Luc. Je garde confiance, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Madame Luc, je ne vous ai pas interrompu, et je vous remercie d'être aussi aimable à mon égard que je ne l'ai été au vôtre.
Tout est complexe, et les problèmes que nous avons à traiter en Corse sont difficiles. Il faut s'employer à les résoudre avec sérieux, sans chercher à les simplifier.
Je n'ai jamais dit, le Gouvernement n'a jamais dit, que la zone franche était une zone de non-droit, une zone de déréglementation, une zone de laisser-faire, bien au contraire !
La zone franche peut être l'occasion d'essayer d'orienter la Corse vers des chemins précis, avec un souci pédagogique.
Monsieur de Rocca Serra, vous avez raison d'insister sur les problèmes démographiques et économiques. Vous avez raison également d'avoir rappelé les progrès réalisés dans ces domaines, parce que dire qu'on n'a rien fait en Corse serait une erreur. On a beaucoup fait pour les routes, pour les aéroports, pour les ports.
M. Michel Charasse. Tout ce qui a sauté !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. La nécessité d'intéresser davantage l'Union européenne au problème de la Corse est une réalité.
Vous avez abordé la question de la zone franche.
A l'issue d'une consultation locale approfondie, menée par MM. Gaudin et Lamassoure, le Gouvernement a entamé les discussions avec la Commission de l'Union européenne. Les aides d'Etat auxquelles pourront aboutir les mesures envisagées devront recevoir son accord avant la poursuite du processus de préparation.
Naturellement, les mesures fiscales qui seront retenues auront un coût pour le budget de l'Etat. Il est certain que le montant total de ce programme devra être considéré à l'aune des difficultés budgétaires qui pèsent sur tout le pays. Mais ces aides iront à l'ensemble de l'île et il n'est pas question de les séparer.
D'ici à quelques semaines, M. le Premier ministre fera connaître ce qu'implique la zone franche, et vous verrez alors que nous avons tenu compte de tous les avis.
Monsieur Mauroy, je ne crois pas que la zone franche soit un mauvais slogan. Ne vous inquiétez pas, ce ne sera ni un paradis fiscal, ni un enfer. M. le Premier ministre vous a répondu par avance : nous faisons ce qu'il décide et nous faisons ce que nous avons dit que nous ferions.
Nous proposons aux Corses un projet économique qui a commencé à prendre forme à la suite du conseil interministériel présidé par M. le Premier ministre voilà quelques semaines. Nous allons continuer, dans la concertation avec l'ensemble des représentants, à affiner ce projet car je crois nécessaire, aujourd'hui, d'essayer de mobiliser les Corses sur un projet d'avenir partagé.
Ernest Renan a dit un jour, lors d'une conférence à la Sorbonne, qu'une nation, c'est un rêve d'avenir partagé. Eh bien, je crois qu'il faut que nous proposions aux Corses de continuer à partager le rêve de la France.
Mme Hélène Luc. Dites-nous plutôt ce que vous pensez de nos propositions !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Allons madame Luc, un peu de calme, s'il vous plaît ! (Protestations sur les travées du groupe communiste republicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Vous ne répondez pas aux questions !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Charasse, la République est chez elle en Corse et elle doit s'y sentir à l'aise.
M. Michel Charasse. Je suis heureux de l'entendre !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Elle se doit de construire l'avenir économique de la Corse. L'Etat n'est à la remorque de personne.
Monsieur Charasse, vous êtes pour moi une énigme. Je ne veux pas polémiquer avec vous ni vous faire de faux procès, et je ne m'intéresse pas outre mesure à ce qui est le passé. Mais, lorsque je vous entends dire que la loi n'est pas appliquée en Corse, je ne peux m'empêcher de vous rappeler que les socialistes ont tout de même été au gouvernement pendant près de quatorze ans,...
M. Michel Charasse. Moi, la loi, je l'ai appliquée en Corse !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... qu'il y a eu les lois d'amnistie de 1981 et 1988.
M. Pierre Mauroy. Elles n'ont pas été votées que par les socialistes !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous dites que la Corse vit sous le règne de la fraude, et cela depuis vingt ans. Je vous laisse naturellement la responsabilité de ces propos.
Moi, je ne cherche pas à accuser tel ou tel, mais on ne peut nier que nous héritons de ce passé.
M. Michel Charasse. Vous aurez remarqué que j'ai eu la délicatesse de ne désigner personne !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous avions hérité nous aussi !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Aujourd'hui, les instructions du Gouvernement sont fermes et précises. Elles ont été rappelées aux policiers voilà quelques jours, à ma demande, par le directeur général de la police nationale : il faut poursuivre celles et ceux qui violent la loi républicaine.
En fin de compte, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons la confirmation de ce que Jacques Toubon et moi-même pressentions : personne n'a proposé une autre politique que celle qui est voulue par le Gouvernement,...
Mme Hélène Luc. Si !
M. Michel Charasse. Qu'il s'y tienne !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... et je m'en félicite. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je voudrais brièvement, au nom du Gouvernement, remercier tous ceux qui ont pris part à ce débat, dont la qualité fait honneur au Sénat tout entier. Un sujet aussi important pour la République méritait bien, effectivement, un débat de cette tenue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous êtes un expert !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je tiens d'abord à dire, après Jean-Louis Debré, qu'il faut mettre fin à cette idée, assez bassement politicienne, reconnaissons-le, selon laquelle, au sein du Gouvernement, s'exprimeraient des options très diverses sur cette question.
En vérité, les choses sont parfaitement simples. M. le Premier ministre a eu l'occasion de s'exprimer sur notre politique pour la Corse à trois reprises : d'abord, voilà quelques mois, en répondant à une question à l'Assemblée nationale ; ensuite, la semaine dernière, de nouveau à l'Assemblée nationale, pour ouvrir un débat ; enfin, aujourd'hui, il y a quelques heures, devant vous.
Ce que le Premier ministre a dit, au nom du Gouvernement tout entier, est la traduction des actions que les ministres concernés, tout particulièrement le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux, mais aussi le ministre de l'aménagement du territoire, qui était présent tout à l'heure, le ministre de l'équipement et le ministre de l'économie et des finances, mènent depuis l'automne dernier en direction des deux départements de Corse.
Il ne s'agit pas, pour les membres du Gouvernement compétents, d'appliquer ce que le Premier ministre a dit la semaine dernière ou cette semaine. Nous conduisons une politique qui a été délibérée par le Gouvernement voilà maintenant plusieurs mois et dont le Premier ministre a donné la traduction la plus haute, la plus claire et la plus ferme devant les deux assemblées.
Je tiens à le préciser, car cette espèce de procès politicien qui est instruit par certains ne me semble vraiment pas de nature à faire avancer les choses ni à donner plus d'efficacité - ce que tout le monde a réclamé ici - à l'action de l'Etat dans les deux départements de Corse.
Je veux également dire que la Corse attend, demande, exige que le Gouvernement, c'est-à-dire la nation, conduise à son égard une politique prioritaire.
Il ne s'agit évidemment pas de dire, comme certains le font : « Nous allons abandonner la Corse, prendre les Corses au mot et organiser, de telle ou telle façon, le "largage" de la Corse. »
C'est là une thèse qui est non seulement tout à fait minoritaire mais encore absolument inadmissible et, de toute façon, contraire à l'opinion de 99,99 p. 100 des Corses.
M. François Giacobbi. Et irréaliste !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Mais il faut nous méfier aussi des propos un peu excessifs qui stigmatisent la Corse et les Corses, car ils ne peuvent que renforcer un vague sentiment d'« étrangeté » qui existe dans certaines parties de l'opinion à l'égard de la Corse.
Je tenais à faire cette mise en garde après avoir entendu certains des propos qui ont été tenus dans cet hémicycle.
Ce qu'il s'agit de faire, c'est d'appliquer à la Corse - et nous le faisons - la loi commune de la République.
Mais pouvons-nous le faire, dans un certain nombre de domaines, du jour au lendemain, alors que depuis vingt ans - et M. Charasse a bien voulu le reconnaître - il n'en va pas ainsi ?
M. Michel Charasse. Depuis trente ans plutôt !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Pouvons-nous le faire aussi en alignant les actions que nous conduisons en Corse, d'une manière uniforme, sur celles que nous menons dans tous les autres départements ? Je ne le crois pas.
Il faut donc que nous ayons pour la Corse une politique prioritaire et une politique particulière. Et c'est finalement cela l'unité de la République. La loi est une, mais elle doit s'appliquer en s'adaptant, autant que faire se peut, aux besoins, aux problèmes, aux aspirations de chacun des enfants de la République, là où ils vivent, là où ils travaillent et où ils ont, c'est souvent vrai aujourd'hui, hélas ! bien des difficultés.
D'un débat comme celui-là, il faut que sorte l'idée que les Corses, comme tous les Français, ont des droits et des devoirs et que nous avons, nous, la représentation nationale et l'exécutif, le devoir de faire appliquer la loi, comme l'exige de nous la Constitution, mais aussi de prendre en compte les difficultés spécifiques que rencontrent les Corses.
Nous devons lutter, je le répète, contre deux attitudes dangereuses : celle qui consiste à stigmatiser ce que seraient la Corse, ou les Corses - car les Corses sont aussi divers que tous les autres Français - et celle qui voudrait imposer à tous un moule dans lequel les particularités de chacun ne pourraient pas s'exprimer.
En fait, ce que je viens d'énoncer, c'est tout simplement la définition de la République, et la Corse a besoin de la République. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. François Giacobbi. On n'a pas répondu à mes questions !
M. Michel Charasse. Il ne fallait pas les poser ! (Sourires.)
Mme Hélène Luc. On n'a pas répondu non plus à nos propositions !
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimé sous le numéro 413 et distreibué.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)