M. le président. Nous reprenons la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 391, 1995-1996) relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
Je rappelle que les amendements n°s 12, 77, 78 et 80, ont été présentés.
Quel est l'avis de la commission sur ces amendements ?
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. L'article 6, je le rappelle, traite du financement des retraites des agents de France Télécom.
S'agissant des amendements n°s 12 et 77, la suppression de cet article reviendrait à maintenir l'actuel système de paiement des pensions des anciens « télécommunicants » et donc, en vertu de la loi de 1990, à en faire supporter la charge, pour l'essentiel, à France Télécom, c'est-à-dire à condamner à terme l'entreprise à l'asphyxie financière.
Le taux de contribution de l'entreprise au titre des retraites, qui est aujourd'hui de 29 p. 100, soit déjà neuf points de plus que la concurrence, sera, toutes choses égales par ailleurs, de 38 p. 100 en l'an 2000, de 47 p. 100 en 2005 et de 77 p. 100 en 2010, sous le simple effet de l'évolution démographique. Ces chiffres le démontrent, le mécanisme institué par la loi de 1990 constitue une erreur, qu'il convient de reconnaître. Persévérer dans cette erreur serait effectivement diabolique pour France Télécom ! (Sourires.)
Je précise que 62 p. 100 du personnel de France Télécom a aujourd'hui entre trente-six et quarante-neuf ans, ce qui explique cette croissance exponentielle des charges de retraite d'ici à 2010.
Mme Pourtaud ayant évoqué le nombre d'emplois à France Télécom, je rappelle que, entre 1984 et 1992, c'est plus de 18 000 suppressions nettes d'emplois qui ont été conduites à France Télécom et que, au début de 1993, il y avait dans les tiroirs des prévisions faisant état de plus de 30 000 suppressions d'emplois pour la décennie à venir.
Dans un tel contexte, issu de la loi de 1990, il est impératif d'agir. Maintenir le système actuellement en vigueur, ce serait vouer France Télécom à une mort certaine ; il ne resterait plus qu'à faire la « chronique d'une mort annoncée » !
Il revient aujourd'hui à notre assemblée de modifier le financement des retraites, d'assurer le paiement des retraites au titre du code des pensions civiles et militaires - quelle meilleure garantie pour ces fonctionnaires ? - et, en même temps, de faire de France Télécom une entreprise qui supporte, au titre des retraites, des charges comparables à celles qui pèsent sur les entreprises concurrentes.
Voilà pourquoi nous sommes tout à fait défavorables aux amendements n°s 12 et 77.
La commission est également défavorable à l'amendement n° 78, car la rédaction proposée par le Gouvernement nous paraît plus à même de garantir la loyauté de la concurrence entre France Télécom et les autres opérateurs puisqu'elle prévoit une égalisation des charges entre France Télécom et ses concurrents, ce qui donne en même temps au personnel de France Télécom une garantie quant au paiement des retraites.
En ce qui concerne l'amendement n° 80, les précisions données par M. le ministre sur le montant de la soulte me semblent de nature à apaiser les inquiétudes que nous avions exprimées tous ensemble, notamment au sein de la commission, quand nous avions eu connaissance de chiffres qui circulaient ici ou là.
En conséquence, nous demandons le rejet de l'amendement n° 80.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace. Je suis bien entendu défavorable aux amendements n°s 12 et 77, qui visent à supprimer le dispositif que le Gouvernement propose de mettre en place en ce qui concerne le financement des pensions de retraite des agents de France Télécom.
Je peux comprendre que le groupe communiste soit opposé, parce qu'il se situe dans une autre logique économique, à l'ouverture au capital de France Télécom. En revanche, je comprends moins l'attaque portée contre une mesure qui, indépendamment du changement de statut de France Télécom, vise à assurer, à long terme, la pérennité de l'entreprise.
Personne ne peut imaginer que France Télécom, qu'elle soit en situation de monopole ou en situation de concurrence, puisse un jour supporter une charge de retraites qui représenterait 77 p. 100 de la masse salariale, sauf à augmenter le coût des communications téléphoniques de manière exorbitante, ce qui reviendrait à nous isoler un peu plus de cette société de l'information dont on a beaucoup parlé pendant ce débat.
Les organisations syndicales elles-mêmes reconnaissent que cette situation n'est pas viable et ont souhaité qu'une solution soit apportée.
On aurait pu imaginer - j'ai cru comprendre tout à l'heure que Mme Portaud avançait une telle hypothèse - la création d'un fonds de pension pour les agents de France Télécom. Le Gouvernement s'y est cependant refusé, sachant que cette solution se heurte à une assez large hostilité, notamment de la part des partenaires sociaux qui souhaitent conserver le système de répartition qui est aujourd'hui le nôtre.
Dans ces conditions, les critiques dont ce dispositif fait l'objet m'étonnent vraiment, car il prévoit que l'Etat prend directement à sa charge le paiement des retraites des agents de France Télécom et soulage, du même coup, les comptes de l'entreprise, ce qui ne peut manquer de mieux assurer son avenir.
L'amendement n° 78, qui tend à garantir les prestations servies par les régimes de retraite au personnel de France Télécom, constitue pour moi un non-sens puisque, d'une part, le taux de contribution que nous proposons est égal au taux actuel et que, d'autre part, il correspond, de par sa définition même, à un régime qui n'est pas libératoire.
Cet amendement ferait donc peser, dans le futur, une charge insupportable pour l'entreprise.
J'émets également un avis défavorable sur l'amendement n° 80.
J'ai eu l'occasion d'expliquer à plusieurs reprises quel raisonnement permettait d'arriver au calcul d'une contribution exceptionnelle de l'ordre de 40 milliards de francs.
Je rappelle que France Télécom a déjà provisionné 22,5 milliards de francs, précisément en vue de l'augmentation de la charge des retraites. Ces 22,5 milliards de francs constitueront une partie du paiement de cette contribution exceptionnelle. D'une manière étalée, France Télécom acquittera l'autre partie, de sorte que la différence entre la charge que l'Etat reprend et les contributions que France Télécom apportera à l'Etat, à travers les charges sociales, la contribution exceptionnelle et la mise sur le marché du prix du capital, vienne équilibrer à peu près les 250 milliards de francs que représente l'ensemble des charges de retraite.
J'ajoute que le Gouvernement a veillé à ce que l'avenir de l'entreprise soit préservé : non seulement le montant de cette soulte a été calculé au plus juste, mais l'entreprise n'aura pas à verser de cotisations chômage pour ses employés qui resteront sous le statut de fonctionnaire.
Il est normal, me dira-t-on, que l'entreprise ne paie pas de cotisations chômage pour des fonctionnaires. C'est vrai, mais le choix qui est inscrit dans le texte et qui consiste à aligner les cotisations sociales de France-Télécom sur celles des entreprises du même secteur aurait pu conduire l'Etat - et le débat a eu lieu - à ajouter les cotisations chômage.
Nous avons pensé qu'il valait mieux permettre à France Télécom, par exemple, de mettre en oeuvre un système ambitieux de préretraite ou de congés de fin de carrière et de l'exonérer de cette charge correspondant aux cotisations chômage, qui auraient représenté, sur la période que nous avons évoquée, environ 20 milliards de francs.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n° 12 et 77.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le ministre, je ne vous ferai certainement pas, sur ce sujet, le reproche de l'incohérence : je reconnais bien volontiers que vos explications forment un tout, qu'on approuve ou qu'on désapprouve, et, en l'occurrence, nous désapprouvons.
Je n'hésite pas à le dire, s'il n'était question que d'un débat sur des retraites, le ton serait sans doute différent, parce que le problème ne se poserait pas dans les mêmes termes. Mais nous traitons là des retraites à travers la modification du statut de France Télécom. C'est la raison pour laquelle, en cohérence avec l'ensemble des amendements de suppression que nous avons déposés, qui ne font que prolonger notre opposition de fond à ce projet de loi, nous proposons de supprimer également l'article 6.
Par conséquent, je vous demande de ne pas avoir une lecture tronçonnée de ces amendements de suppression, qui laisserait croire que, sur ce sujet, et sur ce sujet seulement, nous serions favorables au retour au statu quo ante .
S'il fallait engager une discussion globale sur les retraites, les données du problème seraient complètement différentes puisqu'il s'agirait de traiter celui-ci d'une manière générale - nous savons bien que nous allons vers une crise du système des retraites et qu'il faudra y apporter des réponses globales - et nous nous opposerions sans doute sur la manière d'y répondre.
Mais permettez-moi de rappeler pour mémoire, et à sa mémoire, que Pierre Bérégovoy avait envisagé, pour garantir le niveau des retraites sans être obligé de procéder constamment à des ponctions nouvelles, de créer un fonds de garantie alimenté par les actifs des entreprises nationalisées. C'était une idée. Elle avait provoqué bien des débats à l'époque, y compris, je n'hésite pas à le dire, parmi les socialistes, qui voyaient dans ce système une trouvaille efficace, mais qui craignaient que ce ne soit la porte ouverte au système de retraite par capitalisation.
Vous voyez que le diable se loge toujours dans les détails, et que ces questions extrêmement importantes sont l'occasion de confrontations très larges qui atteignent chaque formation politique !
Mais, monsieur le ministre, ce n'est pas de cela qu'il est question en cet instant. Il s'agit simplement ici de s'opposer à un projet de loi dont l'économie, nous en avons déjà fait la démonstration, me semble-t-il, ne nous convient aucunement.
Au demeurant, je vous l'ai déjà dit, quelle que soit la solution que vous trouverez, elle sera toujours insatisfaisante : soit que vous mettiez France Télécom à forte contribution, ce qui serait légitime, puisque, jusqu'à présent, elle assumait ses responsabilités, car, alors, j'en suis tout à fait d'accord, on tuerait l'entreprise ; soit que vous n'en demandiez pas trop parce que vous ne voulez pas tuer l'entreprise, mais lui laisser ses chances, car vous reporteriez alors la charge sur la collectivité ; or celle-ci est en droit de trouver que c'est un procédé qui ne lui convient pas puisqu'il s'agirait en définitive de soulager une société dont les actifs seront progressivement privatisés. Le problème est donc insoluble !
C'est pourquoi j'avais dit, lors de la discussion générale, qu'il me semblait que la question de la soulte et des retraites était en quelque sorte le coeur du cyclone, le coeur des contradictions de l'économie générale de ce texte. Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement de suppression, que bien évidemment je maintiens, nonosbstant les explications de M. le ministre et de M. le rapporteur. J'ai d'ailleurs bon espoir de rassembler une majorité sur cette question.
M. Jean Chérioux. On peut rêver !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 12 et 77, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. Jean Chérioux. Le rêve passe !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 78, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 80, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article 6.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
M. Jean-Luc Mélenchon. Le groupe socialiste également.
(L'article 6 est adopté.)

Article additionnel après l'article 6