M. le président. « Art. 9 - Il est inséré dans la même loi un article 32-1 ainsi rédigé :
« Art. 32-1. - Les dispositions des articles 208-1 à 208-19 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 modifiée sur les sociétés commerciales, des articles 11 à 14 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 modifiée relative à l'actionnariat des salariés et du chapitre 3 de la loi n° 88-1201 du 23 décembre 1988 relative aux organismes de placement collectif en valeurs mobilières et portant création de fonds communs de créances s'appliquent également aux agents ou anciens agents mentionnés aux articles 29 et 44 de la présente loi, affectés à France Télécom ou ayant été affectés pendant au moins cinq ans à la personne morale de droit public France Télécom ou à l'entreprise nationale France Télécom.
« Dans ce cadre, 10 p. 100 du capital de France Télécom seront proposés au personnel de l'entreprise. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 15, Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Garcia, Mélenchon, Pastor, Peyrafitte Saunier et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer cet article.
Par amendement n° 101, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le second alinéa du texte présenté par l'article 9 pour l'article 32-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de remplacer le mot : « proposés » par les mots « attribués gratuitement ».
La parole est à M. Mélenchon, pour présenter l'amendement n° 15.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cette fois-ci, nous y sommes ! Je crois avoir tout à l'heure expliqué assez complètement mon opposition à l'idée de l'actionnariat, mais je vais en dire quelques mots de plus.
Dans la logique de la discussion que nous avons déjà eue avec M. Chérioux, vous avez raison, monsieur le rapporteur, de relever une opposition de conception dans la philosophie des relations sociales. C'est vrai, et tel est le fond de l'affaire. Elle revêt, sur ce sujet, un caractère un peu abstrait, mais elle n'en est pas moins significative selon moi, de l'idée que nous nous faisons des rapports à la propriété, en particulier à la propriété sociale.
J'ai noté que vous aviez bien voulu relever l'expression. Elle est, à nos yeux, tout à fait fondamentale. Nous faisons une distinction entre les formes de propriété et nous attachons à la propriété sociale peut-être cette importance extraordinaire que, de votre côté, vous accordez d'habitude plutôt à la propriété privée.
Telle est la raison de fond.
J'ai dit tout à l'heure ce que j'avais à dire. Je ne porte pas de jugement sur celles et ceux qui, parmi les salariés de France Télécom, pourraient trouver normal, en conscience, de participer à cette opération. Je dis que, en principe, par principe et sur le fond, nous sommes en désaccord philosophique et politique complet avec ce type d'attitude.
Je demande que l'on comprenne bien qu'il y a et qu'il reste pour l'avenir une certaine contradiction à être à la fois fonctionnaire et actionnaire ès qualités de l'entreprise, dans laquelle on se trouvera donc en quelque sorte représenté et intéressé deux fois, et d'une manière contradictoire : d'un côté, en tant que fonctionnaire se réclamant d'une certaine conception de l'intérêt général et du service public, avec des logiques et des dynamiques qui, nous l'avons assez démontré, ne peuvent pas correspondre point par point avec celles qui viennent de la partie privée ; de l'autre, en étant intéressé et représenté du point de vue de cette partie privée.
Peut-être verra-t-on, par exemple, tel syndicaliste assis à la table du conseil d'administration - ce que je ne pense pas possible - ...
M. Gérard Larcher, rapporteur. Mais si ! Il y en aura sept.
M. Jean-Luc Mélenchon. ... en tant que syndicaliste et face à lui tel membre de son syndicat, et peut-être même un membre éminent, qui, lui, représenterait les salariés actionnaires.
M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est cela les rapports modernes !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est une contradiction qui, pour vous, n'en est pas une, mais qui, pour nous, occupe cent ans de notre histoire !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Eh oui ! Mais c'est le passé !
M. le président. La parole est à M. Billard, pour défendre l'amendement n° 101.
M. Claude Billard. En 1994, en France, l'entreprise téléphonique est celle qui a réalisé le plus gros bénéfice : 9,2 milliards de francs. Elle est aussi le plus gros investisseur, la deuxième entreprise de services avec un chiffre d'affaires de 130 milliards de francs et le cinquième employeur.
Comme le précise dans son rapport consacré à l'avenir de France Télécom - rapport datant du 12 mars 1996 - notre collègue M. Gérard Larcher, « ce poids, propre à l'entreprise France Télécom stricto sensu ne reflète qu'une partie de sa puissance. Elle est, en effet, à la tête d'un groupe totalisant quelque 150 filiales, qui ajoutent 20 milliards de francs de chiffre d'affaires à celui qui provient du téléphone et environ 17 000 salariés aux effectifs de la maison mère ».
France Télécom occupe le quatrième rang mondial par le chiffre d'affaires réalisé - 25,6 milliards de dollars en 1994 - dans le secteur des télécommunications, derrière le japonais NTT, l'américain AT&T et Deutsche Telekom, et se situe devant le britannique BT et l'italien Telecom Italia.
De tels résultats ont été possibles en grande partie par l'investissement de l'ensemble des personnels de France Télécom dans leur entreprise, par leur attachement et leur dévouement au service public.
Un tel esprit d'entreprise, lié à leur statut d'agent de la fonction publique, a permis, grâce notamment à son pôle de recherche-développement, des innovations technologiques essentielles, comme la création du Minitel, qui demeure incontestablement une réussite industrielle importante, très appréciée des usagers. Elle a permis le développement d'un réseau filaire couvrant l'ensemble du territoire.
Un seul chiffre, déjà évoqué, suffit pour résumer ce bilan d'activité de France Télécom : 92 p. 100 des usagers se déclarent satisfaits ou très satisfaits des services rendus par cette grande entreprise.
Conscients du fait que ces résultats sont le « fruit des efforts et du talent de la communauté d'hommes et de femmes », selon les termes reproduits par notre collègue M. Larcher à la page 51 du rapport écrit, il est proposé, dans le deuxième alinéa du texte présenté par l'article 9 pour l'article 32-1 de la loi du 2 juillet 1990, que 10 p. 100 du capital de France Télécom soient proposés au personnel de l'entreprise.
Nous estimons, pour notre part, nécessaire de favoriser l'actionnariat salarié en permettant aux agents de France Télécom d'acquérir à titre gratuit des actions.
En commission, on nous a objecté, s'agissant de cet amendement, qu'une telle cession ne saurait s'effectuer à titre gratuit.
Cela étant, je tiens à faire remarquer que, à l'article 1er de ce projet de loi, il est indiqué que les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom seront transférés de plein droit à l'entreprise nationale France Télécom, et ce gratuitement.
Toutefois, si effectivement cet amendement s'avérait impossible à mettre en oeuvre - j'attends sur ce point les explications de M. le ministre et de M. le rapporteur - nous accepterions de le modifier afin de préciser que le personnel de France Télécom pourraient disposer de 10 p. 100 du capital de l'entreprise à un tarif préférentiel.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons déposé cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 15 et 101 ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. S'agissant de l'amendement n° 15, nous nous sommes déjà largement exprimés sur le sujet ; nous avons des approches fort différentes de la question. La commission émet donc un avis défavorable.
J'en viens à l'amendement n° 101. C'est effectivement au personnel de France Télecom, dans sa globalité - je l'ai dit - qu'il convient d'attribuer une très large part du succès de l'opérateur public, qui était auparavant une administration, à partir d'une décision engagée politiquement en 1967 par le gouvernement du général de Gaulle. N'oublions pas que cette décision a été prise à ce moment-là car le niveau du service public était tel que ce dernier n'avait pas pris en compte l'évolution des besoins en matière de télécommunications.
Par ailleurs, je voudrais convertir immédiatement le chiffre donné en dollars par notre collègue M. Billard, car je ne suis pas encore atteint par la « dollarisation » générale. Le chiffre d'affaires de France Télécom est de l'ordre de 130 milliards à 135 milliards de francs, soit quelque 20 milliards d'écus.
S'agissant de la cession gratuite - nous l'avons dit en commission et vous l'avez rappelé, monsieur Billard - le problème se pose par rapport à la jurisprudence constitutionnelle des 25 et 26 juin 1986.
Aux termes de celle-ci, les intérêts de l'Etat font partie d'un droit de propriété. Voilà pourquoi nous avons voulu - cela figure à l'article 7 - que soient prévues les conditions de cession d'actions au personnel.
Je remercie le Gouvernement de l'avoir inscrit, malgré l'adverbe « notamment ». En effet, cela permet de répondre à la préoccupation que vous avez exprimée et que nous partageons. Cela permet aussi de ne pas courir le risque d'inconstitutionnalité que comporte la rédaction de l'amendement n° 101. La commission émet donc un avis défavorable sur celui-ci.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre délégué. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 15. La neutralité est un des principes qui constituent le service public. Elle est garantie par la loi de réglementation des télécommunications. C'est le Gouvernement qui devra veiller à son respect. Je considère donc que l'actionnariat salarié ne constitue en aucun cas une entrave au principe de neutralité.
S'agissant de l'amendement n° 101, il est, comme vient de le démontrer M. le rapporteur, contraire aux principes de la Constitution. En effet, aux termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il n'est pas possible de brader le patrimoine national.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 101, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 9.

(L'article 9 est adopté.)

Article additionnel après l'article 9