M. le président. « Art. 10. - Il est ajouté à la même loi un article 49 ainsi rédigé :
« Art. 49. - 1. Les statuts initiaux de l'entreprise nationale France Télécom sont déterminés par décret en Conseil d'Etat. Ils pourront être modifiés dans les conditions prévues pour les sociétés anonymes par la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales dès lors que l'Etat ne détiendra plus la totalité du capital.
« 2. Le capital social au 31 décembre 1996 de l'entreprise nationale est, dans sa totalité, détenu directement par l'Etat. Son montant est établi à partir des fonds propres figurant au bilan de l'exploitant public au 31 décembre 1995 et en tenant compte des dispositions de la présente loi.
« 3. Le bilan au 31 décembre 1996 de l'entreprise nationale France Télécom est constitué à partir du bilan au 1er janvier 1996 de l'exploitant public et du compte de résultat de celui-ci pour l'exercice 1996.
« Le bilan de l'exploitant public au 1er janvier 1996 pourra prévoir l'imputation sur la situation nette des charges exceptionnelles prévues par la présente loi.
« 4. Le capital social de l'entreprise nationale au 31 décembre 1996 et le bilan de l'exploitant public au 1er janvier 1996 sont fixés par arrêté conjoint des ministres de l'économie, du budget et des télécommunications.
« 5. Les membres du conseil d'administration de France Télécom en fonction le 30 décembre 1996 constituent le conseil d'administration de l'entreprise nationale France Télécom jusqu'à la date d'expiration de leur mandat, sous réserve de l'application des articles 12 et 13 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 modifiée relative à la démocratisation du secteur public. »
Sur les dix amendements déposés sur cet article, quatre n'ont plus d'objet.
Il nous reste donc à examiner six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Je propose à leurs auteurs de les exposer maintenant, puis, compte tenu de l'heure tardive, nous reporterons à la prochaine séance les avis de la commission et du Gouvernement et leur mise aux voix.
Je suis d'abord saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 16 est présenté Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Garcia, Mélenchon, Pastor, Peyrafitte, Saunier et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 102 est déposé par MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer l'article 10.
Par amendement n° 104, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer la seconde phrase du premier alinéa (1) du texte présenté par l'article 10 pour l'article 49 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990.
Par amendement n° 107, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le quatrième alinéa du texte présenté par l'article 10 pour l'article 49 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990.
Par amendement n° 106, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit l'avant-dernier alinéa (4) du texte présenté par l'article 10 pour l'article 49 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 :
« 4. Le capital social de l'entreprise nationale au 31 décembre 1996 et son bilan au 1er janvier 1997 sont fixés par arrêté conjoint des ministres de l'économie, du budget et des télécommunications, au vu des conclusions d'une commission paritaire d'évaluation. »
Par amendement n° 109, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le dernier alinéa (5) du texte présenté par l'article 10 pour l'article 49 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990.
La parole est à M. Mélenchon, pour défendre l'amendement n° 16.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 10 me semble être, pour l'avenir de la société France Télécom, d'une importance comparable, de par les modifications qu'il introduit, à celle de l'article 1er.
L'article 1er crée cette société nationale, prévoit son évolution en société à participation à capitaux privés ; quant à l'article 10, il contient, à notre avis, une disposition centrale, une mesure de transition, une sorte de passerelle entre le présent de France Télécom, tel que nous le connaissons, et l'avenir que vous lui préparez. Vous nous avez dit à maintes reprises que cet avenir était assuré par la lettre même du neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui garantirait à tout jamais que France Télécom serait un service public et une entreprise nationale dans laquelle l'Etat demeurerait majoritaire.
Nous avons maintes fois dit dans ce débat que cet avenir préparait la privatisation : soit la privatisation que j'avais qualifiée de tendancielle et sur laquelle je vais revenir, soit la privatisation que j'ai appelée organique, c'est-à-dire le fait que les entreprises privées se trouveraient en situation d'exercer à leur tour des fonctions que l'entreprise France Télécom serait empêchée d'accomplir du fait des conditions qui lui sont créées aujourd'hui.
Le point crucial, c'est évidemment le fait que, si la totalité du capital social de l'entreprise nationale est détenue, au 31 décembre 1996, directement par l'Etat, dès lors que cela ne sera plus le cas, l'entreprise décidera d'elle-même, comme cela va de soi pour une société anonyme, de ce que seront ses statuts.
C'est évidemment par ce biais que, de cession de parts de capital en cession de parts de capital jusqu'à concurrence de 49 p. 100 et à chacune de ses modifications, la société pourra s'adapter à devenir ce que vous avez appelé « une société comme les autres », c'est-à-dire quelque chose qui ne sera plus le service public mais qui deviendra progressivement une entreprise, laquelle, par ses objectifs comme par ses modes d'organisation, procédera des logiques du secteur privé.
C'est pourquoi nous avons déposé sur l'article 7, comme sur les autres articles, un amendement de suppression ; mais ce dernier prend une force particulière et singulière, car nous touchons ici au coeur de la logique du système que vous mettez en place et que nous réprouvons, ainsi que je l'ai démontré depuis le début du débat.
M. le président. La parole est à M. Minetti, pour défendre l'amendement n° 102.
M. Louis Minetti. Cet amendement vise à la suppression de l'article 10, qui institue des dispositions transitoires contestables.
En effet, il prévoit que les statuts initiaux de l'entreprise seront déterminés par décret en Conseil d'Etat et que leur modification interviendra conformément au droit des sociétés commerciales, c'est-à-dire, dès que l'Etat ne détiendra plus la totalité du capital, par décision du conseil d'administration.
On peut imaginer que les premiers opérateurs privés entrant dans le capital de l'entreprise publique pourront ainsi avoir une influence non négligeable sur les modalités de privatisation du reste du capital.
Une telle situation n'est bien évidemment pas acceptable. Elle participe au bradage du patrimoine de la nation.
Cet article 10 prévoit également les modalités d'évaluation du prix de France Télécom dans des conditions douteuses qui, me semble-t-il, ne correspondent pas à l'usage reconnu en la matière par le Conseil constitutionnel.
Nous pouvons donc craindre que le coût de l'entreprise publique ne soit sous-évalué par rapport à sa réalité. Les précédentes privatisations se sont faites au rabais, et nous pouvons craindre que celles-ci ne le soient encore davantage.
Nous savons, en effet, que l'Etat croule sous un déficit public considérable qu'il se révèle incapable de juguler tant il consacre de milliards de francs à des subventions déguisées en soutien à l'emploi et, dans la plupart des cas, non contrôlées, au bénéfice du patronat.
L'évaluation de l'entreprise se passera donc en petit comité dans les salons feutrés de quelques ministères où quelques hommes politiques, quelques technocrates ou financiers décideront des modalités du changement de propriété de l'entreprise.
Nous refusons absolument une telle perspective. Nous proposons donc au Sénat d'adopter notre amendement.
M. le président. La parole est à M. Billard, pour défendre l'amendement n° 104.
M. Claude Billard. Cet amendement concerne une disposition qui nous paraît inacceptable. En fait, le premier alinéa de cet article 49 nouveau de la loi de 1990 nous semble inconstitutionnel.
Le fait de donner le pouvoir discrétionnaire à l'assemblée générale des actionnaires pose également un problème démocratique à l'égard de la nation.
En ce qui concerne la constitutionnalité de cette disposition, je souhaite m'appuyer sur les décisions du Conseil constitutionnel et les commentaires de constitutionnalistes, dont chacun reconnaît la compétence.
M. le rapporteur ne consacre que trois lignes à cette question, par une simple paraphrase. Je sais bien que c'est le meilleur moyen de ne pas soulever de lièvre !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Je suis pourtant un chasseur !
M. Claude Billard. Regardons ce qu'en dit le professeur Rivero, citant et commentant la décision des 25 et 26 juin 1986 du Conseil constitutionnel sur les ordonnances de privatisations : « La décision du Conseil constitutionnel précise que les règles de nationalisations ou de transferts de propriété d'entreprises du secteur public au service privé n'en seraient pas si elles attribuaient aux seuls organes des entreprises concernées un pouvoir discrétionnaire d'appréciation et de décision soustrait à tout contrôle et d'une étendue excessive. »
Vous voyez bien, mes chers collègues, que l'assemblée générale des actionnaires ne peut être compétente pour décider une modification de statut.
Pour confirmer mon propos, je tiens à évoquer les professeurs Favoreu et Philip, qui, dans leur ouvrage Les grandes décisions du Conseil constitutionnel , précisent, à propos de cet arrêt des 25 et 26 juin : « Cette démarche est exactement celle suivie par le Conseil constitutionnel pour apprécier la constitutionnalité de la législation sur les nationalisations ; la différence tient à ce que, en matière de nationalisations, le Conseil avait invalidé une disposition législative laissant trop de liberté d'appréciation aux organes des sociétés nationales, alors qu'en l'espèce il constate que le législateur a correctement utilisé sa compétence ».
Nul doute qu'avec la disposition prévue au dernier alinéa de cet article 49 nouveau, le Conseil constitutionnel devra rendre un arrêt du même type qu'en 1982.
Mais cette disposition pose une autre question : une question démocratique.
L'assemblée générale des actionnaires, entérinera, chacun le sait, les propositions du conseil d'administration. L'expérience prouve que les petits actionnaires, salariés ou petits porteurs, n'ont jamais voix au chapitre. Ainsi, ce seront les actionnaires de poids qui décideront de l'ouverture encore plus grande du capital de France Télécom.
Or vous comprendrez qu'on ne peut guère compter sur Bouygues, la Lyonnaise ou la Générale des Eaux pour soutenir que l'Etat devra rester majoritaire !
Donner à l'assemblée générale des actionnaires le droit de changer de statut n'est pas une bonne disposition. Bien entendu, M. le ministre ne cesse de répéter que l'Etat conservera jusqu'au bout 51 p. 100 du capital. On sait ce que valent les promesses !
En 1990, lorsque des organisations syndicales avaient exprimé leur crainte d'ouverture du capital, à l'occasion du changement de statut, le ministre et le P-DG d'alors avaient affirmé qu'il n'était question d'aucune privatisation, même partielle !
Malgré toutes les dénégations de M. le ministre, la deuxième phrase de l'article 49 nouveau organise la privatisation totale de France Télécom. C'est pourquoi nous proposons de la supprimer. Nous demandons que, sur ce point, le Sénat se prononce par scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Minetti, pour défendre l'amendement n° 107.
M. Louis Minetti. Cet amendement vise à supprimer le quatrième alinéa de l'article 49 nouveau de la loi de 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
M. le rapporteur nous a expliqué qu'il était normal, pour France Télécom, d'inscrire dans le bilan les charges prévues par la loi, à savoir le transfert de l'enseignement supérieur, la contribution forfaitaire exceptionnelle et les provisions pour retraites, mais, ce qu'il oublie, ce sont toutes les opérations d'alourdissement du bilan qui n'ont rien à voir avec ce projet de loi.
La première décision consiste à alourdir le bilan de 1996 par une provision de 20 milliards de francs.
La seconde décision aboutit à plomber le bilan par la dépréciation des actifs immobiliers de plus de 10 p. 100, ce qui se traduit par une baisse d'environ 23 milliards de francs des actifs !
Ainsi, pour les opérateurs privés qui entreront dans le capital, ce sera une aubaine. On ne peut pas accepter que l'on déprécie France Télécom et que 1996, comme par enchantement, soit une mauvaise année, en termes financiers, au bénéfice des gros porteurs.
C'est pourquoi nous vous demandons d'adopter notre amendement.
M. le président. La parole est M. Leyzour, pour présenter l'amendement n° 106.
M. Félix Leyzour. Cet amendement est directement inspiré du précédent, puisqu'il vise à contrecarrer la dépréciation des actifs organisée par la direction de France Télécom, avec la bénédiction du Gouvernement. C'est ce qui explique le changement d'année pour établir le bilan.
J'ajoute que cette proposition émane de plusieurs syndicats représentatifs qui n'apprécient pas ce tour de passe-passe. Ils l'apprécient d'autant moins que le personnel est exclu de toute évaluation de l'actif.
Aussi, nous souhaitons qu'une commission paritaire d'évaluation puisse donner un avis avant que le ministre de l'économie et des finances, le ministre délégué au budget et le ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications fixent le capital social de l'entreprise et son bilan par arrêté.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous demande d'adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Billard, pour présenter l'amendement n° 109.
M. Claude Billard. Il s'agit, bien entendu, d'un amendement de cohérence.
Nous avons expliqué précédemment les raisons pour lesquelles le nouveau conseil d'administration ne nous convenait pas. Je n'y reviendrai donc pas.
M. le président. Mes chers collègues, ainsi que je vous l'ai indiqué tout à l'heure, le vote sur ces amendements interviendra demain.
La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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