ADOPTION

Discussion d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n° 396, 1995-1996), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'adoption. [Rapport n° 423 (1995-1996) et avis n° 429 (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous abordons la seconde lecture de cette proposition de loi, je tiens tout d'abord à souligner l'importance du travail accompli sur ce sujet si délicat que constitue l'adoption.
Je voudrais rendre hommage à la commission des lois et à la commission des affaires sociales du Sénat, et tout particulièrement à leurs rapporteurs, MM. Luc Dejoie et Lucien Neuwirth, qui ont pris une part décisive dans les améliorations apportées à ce texte. Je tiens à les en remercier très sincèrement au nom du Gouvernement.
Au-delà des discussions très riches qui ont nourri jusqu'à présent les débats au cours de la navette, une volonté commune s'est affirmée de donner à cette loi relative à l'adoption les moyens de répondre mieux encore à cette exigence fondamentale que constitue le droit pour l'enfant d'avoir une famille.
Les objectifs qui sous-tendent la proposition de loi - des procédures d'adoption plus simples, plus sûres et plus justes - sont d'ores et déjà atteints.
Au-delà des nuances qui ont pu être apportées au texte par chacune des assemblées, l'essence même de celui-ci et l'équilibre entre les volets civil et social sont restés intacts.
Quelques points seulement appellent encore une discussion, sur lesquels je voudrais faire de brèves observations.
Je commencerai par le volet juridique du texte.
S'agissant, en premier lieu, de l'assouplissement des conditions requises pour prononcer une adoption, votre commission des lois ne souhaite pas que soit exigé un écart d'âge maximum entre adoptants et adoptés.
Des hésitations sont en effet permises dans la mesure où une telle règle peut apparaître trop rigide, mais il est vrai que l'intérêt de l'enfant est de ne pas avoir de parents trop âgés. La question reste donc ouverte.
En revanche, je suis sensible, malgré la difficulté qu'il y a à fixer la durée du délai de rétractation du consentement à l'adoption, aux arguments militant en faveur de son abaissement à deux mois.
Je crois que cette démarche procède de la recherche d'un équilibre entre des intérêts divergents. J'aurai l'occasion de m'en expliquer à nouveau au cours des débats.
S'agissant en second lieu des dispositions tendant à revaloriser l'adoption simple, j'approuve pleinement le choix de votre commission des lois de maintenir tel quel l'âge limite de l'adoption plénière, tant il est vrai que la période postérieure à l'adolescence est le champ d'application privilégié de l'adoption simple.
Reste la question de la terminologie en vigueur pour ce type d'adoption. Votre commission des lois ne souhaite pas la modifier. Sur ce point également le Gouvernement reste très ouvert.
En ce qui concerne la question du secret de l'identité, j'observe avec satisfaction que votre commission des lois a estimé devoir expliciter le contenu et les conséquences à l'égard de l'enfant du principe, posé à l'article 30 de la présente proposition de loi, de lever le secret initialement demandé.
Je m'interroge en revanche sur le seuil de l'âge de treize ans qui a été introduit dans le même article.
Je crois en effet que le critère de l'âge doit être réservé aux seuls cas où le mineur doit consentir à un acte modifiant son statut juridique. Il semble donc que la communication des renseignements le concernant pourrait être plus logiquement subordonnée au critère de l'aptitude au discernement, tel que retenu par la convention internationale des droits de l'enfant.
Reste enfin un dernier point auquel, vous le savez, le Gouvernement attache une importance particulière : je veux parler de l'introduction d'une norme de conflit de lois relative à l'adoption d'enfants étrangers.
Je partage pleinement le point de vue adopté par votre commission des lois à cet égard.
En effet, au-delà de tous les arguments d'ordre juridique, l'affirmation pure et simple de la suprématie de la loi française sur la loi du pays d'origine de l'enfant, lorque celle-ci prohibe l'adoption, pourrait conduire à donner aux mineurs concernés un statut différent en France et dans son pays d'origine, et ouvrir ainsi la voie à des trafics illicites.
La loi pourrait alors être détournée de sa finalité, ce que, à l'évidence personne ne souhaite. Le Gouvernement soutiendra, par conséquent, l'amendement de suppression de l'article 15 déposé par votre commission des lois.
Concernant, à présent, le volet familial de la proposition de loi, je souhaiterais revenir un instant sur les avancées du texte que nous examinons aujourd'hui.
Je voudrais, tout d'abord, rendre hommage aux travaux de la Haute Assemblée. Vos réflexions ont été guidées, mesdames, messieurs les sénateurs, par le souci de favoriser l'adoption de tous les enfants, mêmes grands ou supposés difficilement adoptables en raison de leur état de santé, de leur handicap ou de leur origine ethnique.
S'agissant de la simplification et de l'assouplissement des procédures pour les candidats à l'adoption, un accord s'est déjà dégagé sur l'abaissement de l'âge minimum et, en cas d'adoption conjointe, sur la durée du mariage requise pour adopter, ainsi que sur la reconnaissance de la validité nationale de l'agrément.
Je souhaite néanmoins m'arrêter un instant sur la procédure de délivrance de l'agrément, et notamment sur le point de savoir s'il est préférable qu'il soit exprès ou tacite.
Le Gouvernement partage à l'évidence avec votre assemblée le souci de réduire les délais dans ce domaine, car ceux-ci constituent une épreuve pour les adoptants, et il faut faire en sorte que les échéances fixées soient respectées. Il ne faudrait pas, en revanche, qu'elles se transforment en couperet, et que les agréments délivrés dans ces conditions, sans que les enquêtes sociales et médicales aient été réalisées, entraînent un refus des orphelinats étrangers de confier des enfants, dans la mesure où certains pays attachent plus de prix aux enquêtes qu'à l'agrément lui-même.
Il ne me semble pas, du reste, qu'il y ait en matière de délais des difficultés qui appelleraient une modification de la procédure. Je ne suis qu'exceptionnellement saisi sur ce point particulier, et pour des cas ponctuels demandant une instruction plus longue compte tenu de leur complexité.
Le Gouvernement considère que l'agrément tacite n'est sans doute pas l'élément de procédure le mieux adapté aux circonstances de l'adoption.
Je m'engage, cependant, à tenir le plus grand compte de votre préoccupation de clairement définir les étapes de la procédure.
Je voudrais, enfin, revenir un instant sur le principe de la parité des droits sociaux en matière de prestations aux adoptants.
Je tiens à saluer tout particulièrement le travail de la commission des affaires sociales et de son rapporteur sur ce sujet. Vous avez, monsieur le rapporteur, très précisément traduit les conséquences juridiques et administratives de ce souci de parité et je voudrais vous en remercier.
Vous contribuez également, aujourd'hui, à faire avancer de manière décisive la parité des droits sociaux entre mères adoptantes non salariées et mères adoptantes salariées. Il est vrai qu'aujourd'hui les premières sont moins indemnisées que les secondes.
MM. Claude Huriet, Jean-Louis Lorrain et Jacques Machet avaient attiré l'attention du Gouvernement sur ce sujet complexe à l'occasion de la première lecture. Nous avons depuis lors travaillé en étroite collaboration avec votre commission des affaires sociales pour parvenir à une solution satisfaisante. C'est, je crois, chose faite aujourd'hui avec l'amendement que vous soumettra votre rapporteur pour avis, M. Neuwirth.
Cette nouvelle disposition, si elle est adoptée, comme je le souhaite, portera donc à un même niveau les indemnisations versées à l'occasion d'une adoption dans les deux régimes, salariés et non salariés.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement s'engagera, par ailleurs, à allonger par voie réglementaire la durée de versement des indemnités forfaitaires journalières des mères adoptantes non salariées de trente jours en cas d'adoptions multiples, comme cela existe déjà en cas de naissances multiples pour les mères biologiques non salariées.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques précisions que je voulais d'ores et déjà porter à votre connaissance avant que s'engage le débat en deuxième lecture, devant la Haute Assemblée, de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au cours de la deuxième lecture de cette proposition de loi relative à l'adoption, je reprendrai les propos que j'ai tenus lors de la première lecture : ce texte a pour objet de rendre les conditions et les procédures d'adoption plus simples, plus sûres et plus justes, sans remettre en cause, bien évidement, les principes fondamentaux qui la régissent.
Je l'ai dit à plusieurs reprises, il s'agit avant tout un texte d'adaptation, même si une ou deux avancées significatives ont été proposées entre-temps par l'Assemblée nationale. Elles ont d'ailleurs été soulignées à l'instant par M. le secrétaire d'Etat.
D'autres points, même s'ils ne figurent pas explicitement dans le texte, ont été l'objet de la réflextion de notre Haute Assemblée en première lecture.
De manière générale, ce qui importe avant tout, c'est l'enfant, et lui seul. D'autres considérations sont dignes d'attention, mais elles passent bien après l'intérêt de l'enfant, nous devons le rappeler. A cet effet, il importe de faire en sorte que toute la procédure d'adoption soit plus simple et plus compréhensible, comme nous devons faire en sorte aussi que l'enfant adopté soit le plus possible assimilé aux autres enfants.
Ces principes ont été présents à l'esprit non seulement de nos commissions, mais aussi du Sénat tout entier.
Comme lors de la première lecture, la commission des lois s'intéressera au titre premier, qui modifie le code civil, tandis que le reste du texte sera traité par la commission des affaires sociales et par son rapporteur, M. Lucien Neuwirth. Mais le rapporteur au fond que je suis vous demandera, bien évidemment, d'adopter les amendements qui seront présentés par M. le rapporteur pour avis.
A l'issue des lectures qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, dix-sept articles demeurent en discussion sur le titre premier. Ce chiffre peut paraître important, mais il recouvre un certain nombre de modifications formelles qui ne devraient pas susciter de difficultés majeures.
Certaines dispositions nouvelles ont été introduites par l'Assemblée nationale. Elles sont, au yeux de la commission des lois, tout à fait judicieuses. Je pense par exemple à la sanction possible du parent naturel qui n'informe pas l'autre parent de son changement d'adresse. S'agissant de l'exercice de droit de visite, cela peut évidemment poser des problèmes ! Je pense également à l'information du parent qui a reconnu l'enfant le premier en cas de reconnaissance par le second parent. Le simple bon sens nous fait approuver une telle disposition.
L'Assemblée nationale a par ailleurs supprimé trois dispositions introduites par le Sénat qui avaient pour objet d'inscrire dans le code civil la faculté de recueillir des renseignements non identifiants - j'utilise cette expression parce qu'il faut bien l'employer, affreuse soit-elle, je le répète pour la énième fois - auprès des parents qui remettent leur enfant aux fins d'adoption, en demandant le secret de leur identité. Cette possibilité de recueillir et consigner des éléments dits non identifiants constitue, à mon sens, une avancée essentielle. Elle existait peut-être dans la pratique, mais elle n'avait pas de base légale.
La Haute Assemblée avait voulu solenniser cette possibilité - sinon révolutionnaire, du moins très nouvelle - en l'inscrivant dans le code civil. L'Assemblée nationale s'y est cependant refusée, au nom d'une logique qui m'échappe. Quoi qu'il en soit, nous ne nous battrons pas sur ce thème. L'absence de mention dans le code civil se traduira par une moindre solennité, mais cela n'a guère d'importance.
Je vous proposerai, en revanche, de reprendre certaines des positions que nous avions prises en première lecture, notamment en supprimant l'introduction d'une différence d'âge maximale entre l'adoptant et l'adopté, qui est inutile et ne peut présenter que des inconvénients. En première lecture, l'Assemblée nationale proposait de fixer cette différence d'âge à quarante-cinq ans ; aujourd'hui, elle nous propose de la porter à cinquante ans. Cela nous paraît inutile, nous vous proposerons donc de revenir au texte actuel, qui ne prévoit aucun écart d'âge maximal, et donc de supprimer l'article 3.
Se pose aussi la question de la réduction du délai de rétractation du consentement à l'adoption, que l'Assemblée nationale avait fixé initialement à six semaines. Nous avions expliqué que c'était trop court, parce que, pendant ce bref délai, la mère pouvait être malade ou se trouver dans des conditions physiques ou morales telles qu'elle pouvait ne pas avoir le temps suffisant pour prendre sa décision en pleine connaissance de cause.
J'avais proposé, au nom de la commission des lois, de porter ce délai à deux mois. Le Sénat m'avait largement démenti et avait choisi d'en rester au délai actuel de trois mois. L'Assemblée nationale a repris les deux mois initialement proposés par la commission des lois. Je n'aurai pas l'outrecuidance de chercher à violer la Haute Assemblée, en quelque sorte, et je m'en tiendrai aux trois mois qu'elle a retenus en première lecture. Nous verrons bien comment les choses se passeront ultérieurement en commission mixte paritaire ! Au demeurant, j'indique dès à présent que j'espère que nous aboutirons alors à un heureux résultat.
Par ailleurs, sur un sujet que M. le secrétaire d'Etat a évoqué, la question de l'adoption internationale, le texte adopté par l'Assemblée nationale conduit non seulement à donner une sorte d'encouragement aux trafics d'enfants, mais encore à nier les principes du droit international privé. Comment imaginer pouvoir, dans un Etat de droit comme le nôtre, dans un pays qui respecte le droit international, affirmer purement et simplement dans notre législation que, si un autre pays ne reconnaît pas l'adoption, voire la prohibe, le juge français passera outre ? Il est difficile de l'accepter pour un juriste, ne serait-ce qu'au nom du simple bon sens, d'autant plus, comme cela a déjà été rappelé en première lecture, qu'une jurisprudence récente de la Cour de cassation règle pour l'instant au cas par cas la quasi-totalité des difficultés.
Le droit est évolutif, les lois sont évolutives ; nous verrons bien, dans quelques années, s'il n'est pas possible de faire mieux. Aujourd'hui, nous disposons d'un moyen pragmatique pour nous en sortir - je vous prie de me pardonner cette expression triviale - et je considère qu'il vaut mieux s'en tenir à ce moyen.
La question de l'agrément administratif avait entraîné quelques difficultés. Celles-ci sont levées et nous proposerons une rectification purement formelle, qui ne devrait pas poser de problème.
De fait, il reste peu de points importants parmi les divergences qui subsistent entre l'Assemblée nationale et le Sénat.
Un accord est en effet intervenu pour le recueil facultatif des éléments dits non identifiants ainsi que pour l'accès de l'enfant à ces informations dès sa minorité, avec l'accord de son représentant légal, ce qui est tout à fait légitime. Il en va de même, en cas de remise de l'enfant aux fins d'adoption, de la limitation à un an de la possibilité pour les parents biologiques de demander l'anonymat. C'est également une question de bon sens. On ne peut pas demander l'anonymat alors que l'enfant a quatre ou cinq ans, car il a non seulement constitué des souvenirs mais aussi établi des relations avec ses parents adoptifs. Pendant les douze premiers mois de sa vie, l'anonymat peut sans doute être respecté ; nous l'avions proposé, cela a été accepté en première lecture par le Sénat.
Il n'y a donc plus de difficultés en la matière, sous réserve de préciser, comme le Sénat l'avait souhaité en première lecture, que l'accès aux éléments non identifiants ne sont ouvert qu'au mineur de treize ans.
L'Assemblée nationale a introduit en deuxième lecture une disposition qui nous semble devoir être retenue : le parent qui demande le secret de son identité doit être informé qu'il lui est possible de renoncer ultérieurement à ce secret. L'enfant devenu majeur pourra alors, s'il le demande, connaître l'identité de ses parents biologiques.
Cette disposition n'était pas juridiquement nécessaire puisque, en vertu des principes généraux du droit, une personne est toujours en droit de renoncer à une protection juridique dont elle a demandé à bénéficier. Celui qui avait demandé le secret a donc toujours la possiblité de renoncer à ce secret ! Cela étant, si chacun est supposé connaître la loi, ce n'est pas forcément évident pour tout le monde et, en l'inscrivant dans la loi, ce sera peut-être plus clair. Cela permettra également de préciser dans quelle mesure l'enfant peut, s'il le souhaite, accéder à l'identité de ses parents lorsque ceux-ci ont levé le secret.
La commission des lois souhaite cependant compléter ce dispositif. Supposons qu'un enfant abandonné, dont les origines sont inconnues, ait fait l'objet d'une adoption. Si ses parents biologiques, par la suite, renoncent au secret de leur identité, cela nous paraît tout de même la moindre des choses que les parents adoptifs, qui élèvent et voient grandir l'enfant, en soient informés, ne serait-ce que pour préparer l'enfant à recevoir ou à demander - puisqu'il doit la demander - cette information.
En conclusion, sous réserve des quelques modifications que nous vous proposons et des quelques réserves que je viens d'exprimer, la commission des lois vous demande d'adopter la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'issue de la première lecture du présent texte, qui a eu lieu les 23 et 24 avril 1996, ici même en séance plénière, il restait trente-quatre articles en discussion concernant les quatre titres pour lesquels votre commission des affaires sociales était saisie pour avis, soit, respectivement, le titre II modifiant le code de la famille et de l'aide sociale, le titre III relatif à la sécurité, sociale, le titre IV concernant le code du travail et le titre V portant sur les autres dispositions. Sur ces trente-quatre articles encore en navette, la moitié concernait le seul titre II.
Compte tenu des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, le 30 mai 1996, ne restent plus soumises à l'examen de la Haute Assemblée que vingt dispositions, dont un article additionnel, pour quinze articles conformes. Ces quinze articles se trouvent essentiellement dans les parties relatives au code de la sécurité sociale, au code du travail - ce titre ayant été adopté totalement conforme - et aux autres dispositions où ne subsiste plus qu'un seul article en discussion.
Voyons quelles sont les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Elles ont trait essentiellement au titre II relatif au code de la famille et de l'aide sociale. Certes, l'Assemblée nationale a entériné un certain nombre des apports de votre commission des affaires sociales, mais en y apportant des précisions ou des modifications rédactionnelles.
On relève également des divergences d'appréciation entre l'Assemblée nationale et la Haute Assemblée, à propos notamment de l'agrément tacite, que l'Assemblée nationale a supprimé. De même, celle-ci a rétabli la notion de mineur capable de discernement, ainsi que la mise à la charge des conseils généraux du remboursement des salaires des représentants des associations non membres de l'UNAF, l'Union nationale des associations familiales, au sein des commissions d'agrément et la création d'une prestation destinée à aider les assistantes maternelles qui adoptent.
Parallèlement, en cohérence avec les dispositions qu'elle a adopté au titre Ier relatif au code civil, l'Assemblée nationale n'a pas rétabli le délai de rétractation qu'elle avait fixé initialement à six semaines. Comme l'a indiqué notre collègue Luc Dejoie, elle a opté pour un délai de deux mois.
Toutefois, une seule disposition véritablement nouvelle a été introduite en deuxième lecture par l'Assemblée nationale. Cette disposition mentionne, explicitement, que, lors de l'établissement du procès-verbal, la personne qui demande le secret de son identité lorsqu'elle remet un enfant au service d'aide sociale à l'enfance doit être informée de la possibilité de faire connaître ultérieurement celle-ci. Cette identité ne pourra alors être communiquée qu'à l'enfant majeur et sur demande expresse de ce dernier. Cette précision semble utile à votre commission des affaires sociales, qui estime, toutefois, que le texte initial ne l'excluait pas. Mais si cela va sans dire, cela va peut-être mieux en le disant !
S'agissant des dispositions relatives au code de la sécurité sociale, nous constatons avec satisfaction que l'Assemblée nationale a repris, à une différence minime près, la rédaction de l'article posant le principe de la parité d'accès aux droits sociaux entre naissance et adoption qu'avait initialement proposée la commission des affaires sociales. Elle a enfin réintroduit le principe de prêts par les régimes de prestations familiales pour faciliter l'adoption d'enfants à l'étranger.
Quelles sont les propositions de la commission des affaires sociales ?
S'agissant précisément de ces prêts, la commission des affaires sociales n'a pas suggéré elle-même leur suppression. Cependant, elle ne trouve pas opportun de créer, comme M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale l'a fort justement dit, le 30 mai 1996, à l'Assemblée nationale, une prestation familliale qui viendra s'ajouter aux vingt-sept déjà existantes. Elles ne souhaite toutefois pas que cette suppression que propose aujourd'hui le Gouvernement soit mal comprise et mal interprétée, comme cela avait pu être le cas en première lecture alors qu'un triple souci la motivait : celui de ne pas privilégier l'adoption d'enfants à l'étranger par rapport à celle des pupilles de l'Etat dont une majorité n'est pas adoptée ; celui de ne pas rendre encore plus complexe le régime des prestations familiales ; celui, enfin, de ne pas contrevenir au principe d'égalité des droits sociaux entre naissance et adoption qu'elle venait d'établir.
A ce point du débat, je veux indiquer que deux approches différentes se dégagent entre le rapporteur de la commision spéciale de l'Assemblée nationale et nous-mêmes.
Nous pensons que la priorité essentielle est de donner une famille à un enfant, d'où notre choix de tout faire pour raccourcir les délais de trop longues procédures qu'il convient de simplifier, afin que, d'atermoiements en lenteurs excessives, on ne retarde plus abusivement l'âge auquel un enfant est enfin déclaré adoptable.
Nous devons tout faire également pour éviter que certains établissements d'accueil ne deviennent, de fait, des parkings payants - et bien payés - pour enfants abandonnés et pour que soient rigoureusement contrôlées les raisons avancées pour les déclarer inadoptables.
De telles attitudes et des délais d'adoption qui durent parfois cinq ans conduisent tout droit à l'adoption d'enfants étrangers trop souvent à travers des opérations mercantiles.
A cet égard, je conteste les déclarations du rapporteur à l'Assemblée nationale et publiées au Journal officiel, à la page 3670 : « Nous abordons là l'un des points de désaccord avec nos collègues sénateurs. Ceux-ci ont en effet supprimé la possibilité d'accorder à des couples qui souhaitent adopter un enfant à l'étranger des prêts destinés à faciliter cette adoption, au motif qu'il est souhaitable de favoriser l'adoption d'enfants français puisque, de ce fait, deux tiers des enfants adoptables ne sont pas adoptés. »
Nous sommes encore moins d'accord avec lui quand il dit : « Un tel raisonnement est tout à fait recevable, sauf qu'il faut prendre en compte que, parmi ces enfants adoptables mais non adoptés, il y a une très grande proportion d'enfants handicapés. Si l'on avait poussé la logique jusqu'à terme, il aurait donc fallu faire en sorte que l'aide sociale facilite l'adoption d'enfants handicapés. »
« Par conséquent - conclut le rapporteur à l'Assemblée nationale je ne crois pas que l'on puisse aujourd'hui refuser un prêt à des couples souhaitant adopter des enfants à l'étranger au motif qu'il existe des enfants adoptables en France, mais des enfants dits "à particularités". »
Je conteste avec la dernière énergie de tels propos. En effet, je ne connais pas de statistiques qui donnent des indications aussi alarmistes concernant les enfants pupilles de l'Etat en France, Mais peut-être M. le secrétaire d'Etat possède-t-il des informations plus précises à ce sujet. Quoi qu'il en soit, il me semble faux de prétendre que, parmi les deux tiers des enfants qui ne sont pas adoptés, une grande partie sont des handicapés.
Compte tenu des conditions d'adoption actuelles, et s'il s'agit simplement, pour un couple, de trouver un enfant, il est bien plus aisé de le chercher à l'étranger, sur un autre continent, plutôt que d'attendre, peut-être en vain, cinq ans pour être autorisé à adopter en France.
Le challenge, c'est de savoir si nous aurons la capacité, le courage de bousculer des situations établies, pour ne pas dire sclérosées, si nous serons capables d'avoir le sursaut salvateur qui poussera nos administrations préfectorales, sociales, ministérielles à faire passer le souffle qui balaiera les conformismes paralysants pour qu'enfin on ne se contente plus de « déplorer » que les deux tiers des enfants abandonnés ne sont pas adoptés parce qu'ils ne sont pas administrativement déclarés adoptables.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour avis. En revanche, toujours sur le titre III, la commission souhaite reprendre à son compte un amendement que M. Claude Huriet avait déposé en première lecture et portant sur l'accroissement de la durée de cessation d'activité indemnisée pour les femmes adoptantes exerçant une profession libérale. Elle estime parachever ainsi la réforme de la couverture maternité des femmes exerçant une profession libérale qu'elle avait initiée, par voie d'amendement, lors de la loi relative à la famille du 25 juillet 1994.
Elle considère, d'ailleurs, que c'est également la volonté du Gouvernement, qui vient de confirmer, si j'ai bien compris, son intention d'améliorer les dispositions actuelles.
L'essentiel des propositions de la commission des affaires sociales concerne le titre II.
Tout d'abord, en cohérence avec la commission des lois saisie au fond, la commission des affaires sociales propose, pour le temps de rétractation, de revenir au délai actuel, qui avait été adopté par la Haute Assemblée en première lecture, à savoir trois mois, et de réintroduire la notion de mineur âgé de plus de treize ans.
S'agissant du principal apport de l'Assemblée nationale en deuxième lecture, à savoir la possibilité pour la personne qui a demandé le secret de son identité de lever celui-ci, la commission, si elle est bien entendu d'accord sur le principe, a souhaité lui apporter quelques compléments.
Tout d'abord, il lui a semblé de bon sens que les parents adoptifs, sans que leur soit révélée l'identité de la personne qui lève le secret, sachent si ledit secret a été levé.
Ensuite, il convient de se demander s'il faut limiter au seul enfant la connaissance de cette identité, dans la mesure où la commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, s'est prononcée récemment en faveur de la communication du dossier d'un pupille de l'Etat décédé à ses ayants droit majeurs. Elle vous propose donc de suivre cette jurisprudence récente.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale n'ayant pas précisé les modalités de conservation de l'identité ainsi révélée - alors qu'il s'agit d'un renseignement essentiel - la commission vous propose de faire comme pour les autres renseignements, les conserver sous la responsabilité du président du conseil général.
La commission des affaires sociales a également souhaité rétablir la formule de l'agrément tacite dans la mesure où elle estime que cette disposition pourrait être une sauvegarde des droits des futurs adoptants et qu'il convient de contraindre l'administration à faire diligence.
A ce sujet, monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai pris acte de votre désir de raccourcir ces procédures. C'est, en fin de compte, ce qui avait motivé le choix de la majorité de la commission d'aller dans le sens de l'agrément tacite.
Enfin, la commission des affaires sociales, fidèle à son attitude en première lecture, a voulu ne pas infliger de charges supplémentaires aux conseils généraux, qu'il s'agisse de la rémunération de certains membres des commissions d'agrément ou de la création d'une nouvelle prestation pour les assistantes maternelles qui adoptent.
La commission des affaires sociales vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter la partie de ce texte pour lequel elle était saisie pour avis, sous réserve de ses observations et des amendements qu'elle a déposés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'affirme que je suis en plein accord avec mon collègue M. Dejoie sur un point. Mais cet accord implique un désaccord tout aussi déterminé sur les conséquences qui en découlent.
Je suis en accord complet sur ce qui est important, l'enfant, et donc en désaccord complet sur le fait qu'il ne puisse pas connaître son identité d'origine. Le texte nous revient, en effet, presque comme si l'on n'en avait pas débattu dans cette enceinte.
Sur les points importants, l'Assemblée nationale semble avoir retenu ses positions sans tenir compte de nos propositions. Qu'elle n'ait pas tenu compte de celles des socialistes, on peut l'admettre à la rigueur, ; mais qu'elle n'ait pas tenu compte de celles qui émanaient d'autres groupes, c'est bien plus contestable.
Je m'associerai bien entendu aux discussions sur ces points-là. Mais vous comprendrez bien que, pour nous, la défense de l'intérêt des enfants est primordiale.
Depuis le 24 mai, date de la discussion en première lecture par le Sénat, les enfants adoptés nous ont d'ailleurs inlassablement fait part de leurs souffrances et de la nécessité, pour eux, de connaître leur identité pour pouvoir construire leur personnalité. Ils n'ont pas pour autant mis en cause leur insertion dans la famille qui les avait adoptés.
Je crois que là, nous nous heurtons vraisemblablement à une vision un peu trop « adultocentriste ». Tous les parents adoptants ne partagent pas ce point de vue, mais certains souhaitent effectivement qu'il n'y ait pas de risque, comme ils disent.
Curieusement, ces adoptants-là sont souvent ceux qui souhaitent adopter un enfant très jeune comme si c'était pour eux un moyen de masquer leur stérilité. Leur vécu s'accommode donc très bien de l'expression « né de », qui est un non-sens, une faute légale, que l'Assemblée nationale a pourtant maintenue.
Il est inadmissible de considérer qu'un enfant est « né de » parents adoptifs. L'expression « fils de » aurait été beaucoup plus satisfaisante. C'est là un point fort, et il est tout à fait dommage de ne pas avoir eu l'audace de déverrouiller le secret, d'autant qu'il le sera forcément par l'application et le respect de conventions internationales, en particulier celles qui donnent le droit à l'enfant d'avoir connaissance de ses origines.
De plus, la pratique de plus en plus répandue d'enfants non français crée immédiatement une différence. Il est évident que certains enfants n'ont pas besoin de longs discours pour comprendre que leurs parents sont des parents adoptifs. On va donc se trouver dans cette situation insupportable avec, d'un côté, des enfants privés du droit de connaître leur identité d'origine et, de l'autre, des enfants qui les connaîtront et que des parents adoptifs emmèneront même dans leur pays d'origine pour la découvrir. J'ai récemment connu le cas de parents qui, ayant adopté deux petites Indiennes, ont trouvé tout à fait normal de les conduire en Inde.
Je vous remercie en tout cas, monsieur le rapporteur de la commission des lois, d'avoir insisté sur ce trompe-l'oeil, sur cette redondance, qui consiste à introduire dans une loi une autorisation qui existe déjà. Cela traduit un comportement que je ne qualifierai pas de malhonnête, le mot serait trop fort, mais qui n'est ni strict ni régulier. En effet, cela revient à faire croire qu'on donne une possibilité nouvelle alors qu'on sait bien qu'elle est du seul ressort de l'intéressé, s'il a laissé des éléments secrets permettant de connaître son identité. Or il ne reviendra sûrement pas, même s'il le peut, car le désir de l'oubli est fort aussi. Alors que nos collègues croient avoir ouvert une porte, il s'agit en définitive d'un faux-semblant, et je vous remercie de l'avoir indiqué.
Mon point de désaccord le plus fort porte sur les notions non identifiantes. En effet, il est bien évident qu'on ne peut pas identifier par des indications non identifiantes. Par conséquent, monsieur le rapporteur, il ne faut pas espérer qu'il s'agit là d'une ouverture utile : c'est aussi une fausse ouverture.
Je ne m'étendrai pas sur l'article 15. Je laisse à Mme Monique ben Guiga, qui est plus au fait de ces problèmes internationaux, le soin de développer cet article, qui serait la consécration dans la loi de la jurisprudence de la Cour de cassation. Mais nous savons combien la jurisprudence est aléatoire et combien elle peut varier. Sur ce point encore, il nous faudra bien de toute façon honorer nos signatures en toute clarté.
La disposition relative à la réduction des délais de rétractation du consentement à l'adoption serait presque amusante si toutefois ce domaine-là prêtait à sourire. Ramené de trois mois à deux mois par l'Assemblée nationale, au lieu de six semaines en première lecture, nous souhaitons lui conserver sa durée actuelle de trois mois.
En langage vulgaire, on appelle cela des discussions de marchands de tapis ! Ce n'est pas sérieux pour des législateurs tels que nous sommes. Je crois que trois mois sont effectivement nécessaires pour éviter, comme vous l'évoquiez tout à l'heure, que des incidents n'interviennent. Il faut surtout du temps pour l'accompagnement psychologique, pour que s'estompe ce moment tragique et que la relation maternelle puisse à nouveau jouer. Ce délai permet, en un mot, une relative tranquillité.
Au fond, ce texte donne l'impression qu'on veut aller plus vite mais, pour moi, cela n'est peut-être pas le plus important. Dans des circonstances que je me permettrai d'évoquer rapidement, les décisions prises ou non à l'occasion de ce texte créent surtout, chez moi, un sentiment d'incertitude et d'inquiétude. Au risque peut-être de froisser certains de mes collègues, d'en irriter d'autres, peut-être même de me tromper, je crains effectivement que deux d'entre elles surtout ne soient portées par un souci de moraliser la société.
Pourquoi avoir exclu les concubins ? L'union spontanée d'un couple serait-elle a priori chargée de difficultés ? N'aurait-elle pas des chances de pérennité, de fidélité ? Actuellement, un enfant sur trois naît chez un couple de concubins. La légitimité du mariage n'est-elle pas surtout un moyen d'organiser les incidents, notamment le divorce, puisqu'il est plus facile de respecter ou de protéger l'enfant dans ce cas-là ? Pourquoi une telle exclusion alors que l'on a accepté le recours à la procréation médicalement assistée pour les concubins ? Il est vrai que l'intervention de Mme Missoffe avait été particulièrement émouvante à cette occasion et peut-être a-t-elle été déterminante ?
L'exclusion de droit à laquelle on parvient pour l'adoption amorce peut-être une réflexion et une tentative de moralisation. Ne faut-il pas, d'une façon ou d'une autre, punir celui qui a fauté, lui ou ses descendants ?
Et si, aujourd'hui, rien d'autre ne laissait percer une telle tentation, un tel désir de moralisation ? Dans certains domaines, peut-être notre société est-elle aujourd'hui quelque peu débridée ? Mais elle a des lois ; il faut qu'elle sache les appliquer.
Je ne vais pas revenir sur le choix entre zygote et embryon. Selon M. Mattei lui-même, on ne sait pas quand le zygote devient embryon, ni quand l'embryon devient foetus. En revanche, on sait fort bien - et je n'ai jamais discuté cette interprétation - que la vie commence quand le spermatozoïde entre dans l'ovocyte ; mais il n'y a pas de personne encore. Ce sont ces éléments-là qui s'ajoutent à cette première inquiétude.
J'en viens à la seconde. Tout récemment, un préfet, parce qu'il était chrétien, a interdit une activité musicale. Pouvait-il exciper de cette qualité ? C'est déjà une interprétation de son rôle dans le contexte que j'évoquais.
Monseigneur Lustiger a également fait part, dans une publication, de son inquiétude face à ce qu'il considère comme une situation grave : le fait que la loi civile prime sur la loi morale.
Existent aussi aujourd'hui des tentations, peut-être nécessaires, de réglementer Internet, notamment en matière de pédophilie. Mais nous savons fort bien que le code pénal permet d'ores et déjà d'intervenir effectivement. Veut-on trouver tout à coup dans Internet des choses choquantes, comme aujourd'hui on trouve des photos choquantes ? Qui détermine qu'elles sont choquantes ?
Nous entrons dans une démarche qui pourrait être interprétée, je reste très prudent, comme le souhait non seulement de moraliser mais également de faire en sorte que la France soit effectivement la fille aînée de l'Eglise.
M. Emmanuel Hamel. Elle l'est !
M. Franck Sérusclat. Aujourd'hui, nous avons une inquiétude dernière à cause du débat qui vient d'être engagé en Espagne. En effet, le Premier ministre, qui a rencontré le responsable diocésain de l'éducation, envisage de réintroduire l'enseignement religieux obligatoire à l'école.
Ce ne sont peut-être là que billevesées d'une personne qui s'inquiète à tort, mais je le dis d'autant plus facilement que si nous sommes dans un espace confidentiel, nos débats auront quand même des répercussions nationales, ne serait-ce que par le Journal officiel !
Telles sont les remarques que je voulais présenter. Si aucun des amendements qui ont été déposés par le groupe socialiste n'est adopté, nous ne voterons pas ce texte, malgré l'intérêt qu'il présente, en raison des lacunes qu'il contient et des inquiétudes qu'il suscite.
M. Emmanuel Hamel. Nous le regretterons !
M. le président. La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette proposition de loi, telle qu'elle nous revient de l'Assemblée nationale, est décevante, à deux titres au moins.
Elle reste trop centrée sur les adultes, sur la volonté de répondre prioritairement au désir d'enfant de couples malheureusement frappés par la stérilité. La rupture, voulue trop précoce, des liens avec les parents biologiques et la négation de la réalité du lien avec les grands-parents dans le cas de l'adoption par un conjoint témoignent de cette orientation.
Elle n'atteint pas non plus son objectif proclamé qui est d'adapter notre législation interne au fait que les enfants adoptés en France sont majoritairement étrangers et qu'ils le seront de plus en plus.
Certes, faciliter la démarche des candidats à l'adoption est un objectif louable, à condition qu'il s'agisse de lever des obstacles administratifs inacceptables. Mais encore faut-il veiller, à ce que, sous couvert de simplification administrative, on n'en vienne pas à dévaloriser l'agrément, démarche sociale et psychologique indispensable aux candidats à l'adoption pour vérifier leur propre capacité affective et matérielle à accueillir et à accompagner jusqu'à l'âge adulte un enfant fragilisé. Au motif que l'agrément n'est pas délivré dans des conditions satisfaisantes dans tel ou tel département, on en vient à autoriser le magistrat à prononcer une adoption malgré un refus d'agrément. J'espère que notre assemblée ne réintroduira pas non plus sa délivrance tacite.
De mon point de vue, ce ne serait pas responsable à l'égard de l'enfant. C'est grâce aux entretiens avec des assistants sociaux spécialisés, avec de bons psychiatres et avec des groupes de parents adoptifs que les candidats à l'adoption prennent conscience de la profondeur de leur désir, de leur capacité à sacrifier des objectifs professionnels et des habitudes de loisirs et de vie sociale aux soins à prodiguer à l'enfant qu'ils adoptent. Il y a une ascèse préparatoire à l'adoption, qui renforce la générosité de la démarche et qui garantit aux enfants les meilleures conditions d'accueil. Il ne faudrait pas que les dispositions du texte qui nous revient de l'Assemblée nationale allègent à l'excès des contraintes qui sont nécessaires.
Je regrette donc d'avoir à dire que le texte, en son état actuel, vise à favoriser l'appropriation d'enfants par des couples plutôt que l'accueil des enfants abandonnés au sein d'une famille.
Ainsi, la dévalorisation de l'agrément et l'absence d'incitation forte à l'accompagnement psycho-pédagogique des familles relèvent de la même erreur d'appréciation qui consiste à assimiler l'adoption à une naissance biologique. C'est sur la même fiction qu'est fondé le refus de l'accès aux origines, en dépit de la demande pressante des adoptés, que le Parlement a commencé enfin à entendre. Je crois que, en l'occurrence, nos efforts n'auront pas été tout à fait vains.
En ce qui concerne l'adoption internationale, la réintroduction de l'article 15 me paraît vraiment témoigner d'une méconnaissance des réalités des relations diplomatiques et juridiques internationales. Nous prétendons, par ce texte, adapter notre législation interne à l'adoption internationale telle que la convention de la Haye signée par la France le 5 avril 1995 l'organise et nous introduisons simultanément dans cette législation interne une norme qui entre en contradiction avec cette convention. Ce n'est pas conséquent ! Une convention internationale n'est ni un contrat, ni une convention bilatérale, lesquels n'engagent que les deux parties signataires : elle définit des normes de droit international qui engagent les signataires bien au-delà de la réciprocité d'une convention bilatérale.
Enfin, quel est l'intérêt d'introduire une disposition en réalité inapplicable ? Or l'article 15, tel qu'il est rédigé, est inapplicable. Les pays visés n'ignorent pas l'adoption, il faut le répéter. Ils la prohibent. Il n'y a pas « d'absence de législation, dans le pays d'origine, sur l'adoption » comme le précise l'article 15 ; il y a interdiction.
L'article 15 ne pourra donc pas être appliqué pour des enfants adoptés, en dépit de la législation locale au Maroc et en Algérie, grâce à des magistrats ou à des notaires peu scrupuleux, ce qui est d'ailleurs source d'erreurs pour les parents de bonne foi.
En adoptant l'article 15, nous nous placerions en contradiction avec nos engagements internationaux sans pour autant résoudre le cas des enfants adoptés illégalement au Maroc ou en Algérie.
Le problème posé par ces enfants est réel, mais la solution proposée, bien qu'inspirée par un sincère souci de leur venir en aide, n'est réellement pas pratiquable.
L'intérêt des enfants, dans ce domaine comme dans tous les autres, doit être notre guide, comme le respect bien entendu des législations étrangères. Le blocage vient, à mon avis, du fait que nous avons une connaissance lacunaire des législations musulmanes.
Je me suis fait confirmer, lors d'un récent déplacement à Alger, par une des juristes qui font autorité en matière de droit de la famille au Maghreb, que l'adoption simple peut être conciliable avec le droit musulman parce qu'elle ne substitue pas une filiation juridique à la filiation biologique.
Notre erreur sur le droit musulman est de dire qu'il interdit l'adoption. Ce qu'il interdit, c'est la substitution d'une filiation juridique à la filiation biologique. Or, l'adoption simple ne produit pas cette substitution.
Cette voie mériterait d'être sérieusement explorée ; elle ajouterait une solution à celle qui est déjà offerte par l'arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 1995.
Il convient de trouver une solution pour la vingtaine d'enfants actuellement concernés par cette difficulté liée au fait qu'ils ont été adoptés illégalement, souvent à l'insu des parents, dans un pays du Maghreb.
Pour autant, il ne faut pas placer la France dans une situation intenable au regard du droit international en inscrivant dans notre législation une disposition en réalité inapplicable. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte qui nous revient en deuxième lecture n'est pas, en l'état, pleinement satisfaisant.
Comme je l'ai dit en première lecture, tout ce qui ira dans le sens d'une amélioration de la législation existante sur l'adoption aura notre soutien, particulièrement pour mieux garantir ce qui nous tient le plus à coeur : les droits de l'enfant.
Comprenons-nous bien : il s'agit non pas, au nom des droits de l'enfant, de prétendre juger avec des a priori des situations individuelles et souvent désespérées, ou d'arbitrer en faveur de la famille adoptive contre les liens biologiques, mais de reconnaître que l'adoption n'est pas seulement l'affaire des parents adoptants ou des parents d'origine, mais d'abord celle de l'enfant adopté.
Un enfant est une personne humaine à part entière, et c'est seulement lorsque son intérêt l'exige qu'il peut être adopté.
N'oublions pas que l'adoption est réciproque : l'enfant, lui aussi, doit adopter ses parents, avec son identité et son histoire personnelle. Il doit tout à la fois assumer la construction d'une famille avec ses parents adoptifs et la souffrance indélébile de l'abandon et de la quête de ses origines, quels qu'en soient les éléments connus. La loi ne peut privilégier l'un de ces aspects par rapport à l'autre.
De même, l'amélioration des dispositions législatives sur l'adoption ne peut pas gommer les inégalités sociales et la crise qui touche tant de monde aujourd'hui, tout particulièrement les enfants.
Comme l'a dit très justement mon amie Muguette Jacquaint lors de son intervention à l'Assemblée nationale, n'y a-t-il pas contradiction à vouloir améliorer la loi sur l'adoption et, dans le même temps, à pérenniser les saisies et les expulsions, dont la brutalité est particulièrement traumatisante pour les enfants ?
Sans céder à l'illusion qu'il serait possible, par la loi écrite, de remédier aux inégalités économiques qui se creusent dans notre pays, il est de notre devoir de soutenir tout ce qui ira dans le sens d'une amélioration des services sociaux.
Si nous reconnaissons que la loi écrite ne peut résoudre tous les problèmes sociaux, elle se doit, en revanche, de ne pas être à la traîne des évolutions de la société.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous pourrez de plus en plus difficilement faire la sourde oreille en ce qui concerne les transformations des notions de couple et de famille.
Le mariage n'est plus, depuis un certain nombre d'années, la seule manière de vivre en couple.
Chez les jeunes, le mariage est même devenu minoritaire.
Nous réitérons notre regret que le législateur n'ait pas profité de ce texte pour donner aux concubins les mêmes droits qu'aux personnes mariées.
La garantie du « projet parental » peut exister dans les deux cas, et c'est la justice qui doit en apprécier la réalité.
Nous proposions également que l'âge requis pour adopter soit abaissé à vingt-cinq ans, dans un souci d'harmonisation européenne. Toutefois, l'abaissement de l'âge des deux époux de trente ans à vingt-huit ans aux termes de la proposition de loi va dans le bon sens.
S'agissant de l'écart d'âge maximum entre les adoptants et les adoptés, qui a été porté en deuxième lecture à cinquante ans par l'Assemblée nationale, nous soutiendrons la proposition de la commission des lois du Sénat, qui tend à la supprimer.
Il serait, en effet, injuste que l'institution de cet écart d'âge maximal empêche l'adoption par des couples plus âgés ayant déjà eu des enfants ou par des grands-parents tout à fait en mesure de constituer une famille pour des enfants.
Pour ce qui est de l'accouchement anonyme et du secret des origines, il s'agit de bien distinguer les deux et d'éviter une confusion qui ne pourrait que remettre en cause la possibilité pour les femmes en grande détresse de pouvoir donner la vie dans des conditions sanitaires satisfaisantes.
Ne pas respecter ce choix douloureux, ce serait pousser des femmes ou des familles à se mettre dans des situations qu'elles estiment ne pas pouvoir assumer.
Il n'est pas souhaitable de déstabiliser par la levée de l'anonymat les femmes qui seront tentées - et qui pourra les en empêcher dans ce cas ? - dans le meilleur des cas, de faire de fausses déclarations d'identité et, dans le pire des cas, d'accoucher dans des conditions d'hygiène précaires pour préserver l'anonymat, mettant ainsi en danger l'enfant qui aurait pu être mis au monde dans une structure hospitalière.
Nous ne pourrons donc accepter la création d'un organisme central de recueil des renseignements, qui serait une atteinte à l'anonymat.
En revanche, nous approuvons la possibilité pour la mère de donner des renseignements ne permettant pas son identification.
Cette possibilité donnée à l'enfant d'avoir accès, y compris dans le cadre de l'accouchement anonyme, à des renseignements non identifiants sur ses parents va dans le bon sens, mais seulement si ces renseignements recueillis ne permettent pas de porter de jugement de valeur sur la mère, le père ou la personne qui remet l'enfant aux services de l'aide sociale à l'enfance.
Le fait de donner aux femmes la possibilité de bénéficier d'un accompagnement psychologique et social, mesure proposée par la commission des lois, est également une bonne chose.
Nous nous opposons, en revanche, aux pratiques de certaines administrations qui refusent de lever le secret concernant les origines des enfants élevés par l'aide sociale ou adoptés par des familles.
Il est nécessaire, selon nous, que, si l'administration dispose de ces renseignements, les parents adoptifs, le jeune adulte ou l'enfant avec l'accord de ses parents puissent les consulter librement. Nous soutiendrons toute amélioration allant en ce sens.
Venons-en maintenant à un autre aspect de l'adoption qui a pris une importance croissante : je veux parler, bien sûr, de l'adoption internationale.
La France est le deuxième pays d'accueil au monde, le premier en Europe. La croissance du nombre d'enfants adoptés est le fait de l'adoption à l'étranger, nous le savons. L'importance de ce phénomène nous oblige à trouver des solutions satisfaisantes pour les enfants ainsi adoptés.
Je suis obligée de constater que, en l'état actuel des débats, nous n'avons pas vraiment progressé sur ce sujet.
Notre préoccupation concernant l'adoption est d'assurer en premier lieu le bonheur de l'enfant et non pas de satisfaire exclusivement l'envie d'enfant ressentie par les parents.
Nous approuvons toutes les mesures proposées pour moraliser les procédures d'adoption d'un enfant étranger.
Tous ceux qui en font une filière « commerciale » doivent être poursuivis, et je ne peux que partager l'indignation de M. le secrétaire d'Etat au sujet des « catalogues d'enfants » diffusés sur Internet.
Par ailleurs, les deux tiers des adoptions internationales sont réalisés par les futurs parents adoptifs eux-mêmes, sans qu'ils passent par les cinquante oeuvres d'adoption d'enfants en France, ce qui n'est pas sans poser problème.
Cette situation favorise sans doute l'existence de certaines filières, en particulier dans les pays où l'adoption est prohibée ou n'est pas réglementée.
La résolution de ce problème n'est pas évidente. Il aurait été préférable, comme j'ai eu l'occasion de le dire en première lecture, que la France se donne les moyens nécessaires pour améliorer les relations bilatérales avec les Etats concernés et agisse en faveur d'une amélioration grâce aux conventions internationales, qui restent insuffisantes quant aux procédures d'adoption, plutôt que d'engager, avec l'article 15, un conflit de lois qui risque d'être considéré par les gouvernements de certains pays comme une déclaration de « guerre juridique ». En effet, cela peut avoir pour conséquence d'inciter les gouvernements à faire pression sur leurs juges pour qu'ils ne rendent plus de jugements favorables à la sortie d'enfants du territoire en vue d'une adoption en France.
Toutefois, il est vrai, comme l'a relevé M. Mattei, qu'en 1994 près de trois quarts des 2 414 enfants entrés en France pour être adoptés venaient de pays non signataires de la convention de La Haye et dont la loi nationale ignorait ou prohibait l'adoption.
Aujourd'hui, au regard de la loi française, ces enfants sont donc dans une situation précaire, puisque ceux qui ne pourront bénéficier d'une adoption plénière n'auront pas la qualité de Français alors qu'ils auront été élevés sur le territoire national.
Nous nous inquiétons du sort de ces enfants qui, à l'âge de dix-huit ans, subiront alors le sort réservé aux étrangers par les lois Pasqua.
Nous voyons encore une fois l'effet néfaste de ces lois dont nous demandons, par ailleurs, l'abrogation.
A l'heure actuelle, l'avenir de ces enfants est dans les mains de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui leur reconnaît la possibilité de bénéficier de l'adoption plénière, et donc de la nationalité française.
Nous proposions en première lecture de consolider ce fragile édifice et d'accorder la nationalité française à l'ensemble des pupilles qui ne la possèdent pas.
Nous déposerons de nouveau cet amendement, qui permettra, s'il est adopté, de lever les angoisses des parents adoptifs d'enfants adoptés à l'étranger dont le statut juridique n'aura pas pu être entièrement défini.
J'en reviens à l'article 15 : si nous sommes contre l'introduction d'un conflit de lois qui nous semble dommageable, nous comprenons également la crainte éprouvée par les familles adoptantes que le refus de transcrire la jurisprudence de la Cour de cassation ne soit perçu par les juges français comme un signal de ne plus accorder d'adoptions plénières et donc de détruire le fragile édifice de la naturalisation.
Nous ne pouvons qu'espérer que, quoi qu'il arrive, la jurisprudence poursuive dans la voie actuelle et que les juges ne se laissent pas perturber par les incohérences et les maladresses de certains qui, en posant le problème de cette façon, créent autant de difficultés qu'ils en résolvent. Pour notre part, nous ne pouvons pas suivre l'Assemblée nationale en la matière.
En revanche, nous nous félicitons que la commission des affaires sociales ait retenu finalement le prêt sans intérêt pour couvrir les dépenses importantes rendues nécessaires par une adoption d'un enfant étranger.
Cela m'amène à parler du volet social de cette proposition de loi.
Si nous nous réjouissons, comme je viens de le dire, du crédit sans intérêt attribué aux parents adoptant un enfant à l'étranger, nous regrettons que le texte que l'on nous propose soit passé par les fourches caudines de l'ordonnance du 24 janvier 1996, qui octroie les prestations familiales sous conditions de ressources. Il en va, évidemment, de l'égalité des enfants, mais, en l'occurrence, c'est une égalité par le bas.
S'agissant de l'âge maximal pour la perception des différentes prestations, qui serait l'âge de la fin de l'obligation scolaire, permettez-moi de dire qu'il n'est pas sérieux de faire des économies de bouts de chandelles !
Nous nous réjouissons, en revanche, de l'allocation de remplacement pour les femmes exerçant une profession libérale qui adoptent un enfant. Il s'agit d'une nouveauté introduite par la commission des affaires sociales du Sénat, nouveauté qui a été l'objet d'un de nos amendements en première lecture.
En l'état actuel des choses, cette proposition de loi constitue indéniablement un progrès. Nous souhaitons donc la voter, et nous espérons qu'elle sera utilement améliorée par nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, je termine ce festival de dames, je parle, bien sûr, des trois dernières intervantes. Tout à l'heure, M. Neuwirth, regardant l'hémicycle, a dit que nous étions presque à parité. C'est effectivement presque vrai, mon cher collègue !
Quoi qu'il en soit, je souhaiterais vivement que le Sénat, dans sa grande sagesse, tienne compte, dans ses votes à venir, de ces voix de femmes qui viennent de s'élever, comme de celle des hommes, bien sûr.
A l'occasion de cette deuxième lecture de la proposition de loi relative à l'adoption, je voudrais dire, à la fois, ma satisfaction pour les quelques avancées qui me semblent avoir eu lieu, aussi bien en première lecture au Sénat qu'en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, et mon inquiétude devant certains aspects du texte.
S'agissant du délai de rétractation de la mère qui décide d'abandonner son enfant, que le texte qui nous était soumis, en première lecture, portait à six semaines, nous avions été plusieurs, dans cette enceinte, à le juger trop bref et à souligner la grande détresse de ces femmes, qui sont très souvent en rupture avec leur milieu familial se trouvent donc confrontés à une extrême solitude, à des problèmes de logement, etc.
Après un débat long et passionné, nous avions décidé de maintenir le délai actuellement en vigueur : trois mois. Cela me semblait extrêmement sage.
Malheureusement, l'Assemblée nationale est revenue sur ce délai, coupant en quelque sorte la poire en deux, pour le porter à deux mois.
La commission des lois propose au Sénat de revenir à trois mois. Nous sommes nombreux à approuver cette position. Je souhaite que ceux d'entre nous qui nous représenteront en commission mixte paritaire ne considèrent pas ce délai comme un point de négociation possible et qu'ils soient déterminés à ne pas céder.
S'agissant de l'adoption par des concubins, le Sénat et l'Assemblée nationale ont malheureusement voté dans le même sens. Je regrette vivement, avec d'autres, que le Parlement ait ainsi fermé une porte, ne laissant ouvertes que deux possibilités : l'adoption soit par un couple marié, soit par une personne seule.
Il y a là, je le répète, une aberration. Ou alors, il fallait aller au bout de cette logique et prévoir que seuls les gens mariés peuvent adopter. Au lieu de quoi, on a préféré une solution bancale.
En première lecture, M. Dejoie nous avait expliqué que, certes, les concubins en tant que tels n'auraient pas le droit d'adopter mais que l'un des membres du couple le pourrait. Ainsi, c'est le père adoptif ou, plus souvent sans doute, la mère adoptive qui sera le seul représentant légal.
Dans quelle situation mettons-nous les parents futurs et l'enfant lui-même ? Quelle situation familiale créons-nous avec une telle disposition ? Imaginez que l'enfant dise à celui qui n'est ni réellement ni légalement son père ou sa mère : « C'est l'autre qui m'a adopté et donc tu ne peux pas me faire cette remarque ! »
Il y a là quelque chose d'humainement invivable. Je ne comprends pas ! Ni l'intervention de M. Huriet, qui pensait comme nous, ni nos propres arguments n'ont, hélas ! convaincu le Sénat.
Comme l'a dit M. Sérusclat, nous revenons ainsi sur des avancées que nous avions réalisées ici même. En effet, au cours des très riches débats sur la bioéthique, nous avions décidé qu'un couple non marié pouvait avoir recours à l'assistance médicale à la procréation. Or voilà que nous refusons à ce même couple, si la fécondation in vitro , par exemple, échoue, la possibilité d'adopter un enfant ! Au nom de quoi ? Je ne vois qu'une explication : c'est un repli frileux sur des valeurs morales étroites.
On a parlé de texte d'adaptation. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'en adoptant cette disposition le Sénat et l'Assemblée nationale ne paraissent pas animés d'un souci d'adaptation de notre législation à l'évolution de la société. On a tout à l'heure rappelé qu'un tiers des naissances étaient le fait de couples non mariés. Selon les chiffres de l'INED, tous âges confondus, près de 20 p. 100 des couples vivent hors mariage. Il y a donc bien discordance avec l'évolution actuelle de la société.
J'en viens, enfin, à l'importante question de l'accouchement anonyme ou de l'accouchement secret. Manifestement, la confusion sémantique entre les deux termes est totale : « anonyme » égale « secret ». Eh bien, non ! La loi prévoit l'accouchement secret, mais l'accouchement secret n'est pas nécessairement anonyme. Du fait de cette confusion, nous rencontrerons un jour des difficultés à la fois d'interprétation et de concordance avec les textes européens.
J'avais déposé un amendement visant à supprimer l'accouchement sous X. C'était peut-être un peu excessif, et je n'ai pas déposé à nouveau un tel amendement. Je veux bien croire que, dans certains cas, les femmes veuillent absolument préserver leur anonymat. Il reste que, malgré cette disposition permettant aux femmes d'accoucher anonymement, on a trouvé encore récemment deux bébés dans des poubelles. Cela prouve bien que cette disposition n'empêche malheureusement pas que se produisent des faits aussi affligeants lorsque les femmes sont vraiment en situation de détresse.
En tout cas, je ne vois pas au nom de quoi on interdirait aux femmes qui veulent accoucher dans le secret de laisser des renseignements identifiants qui resteront secrets jusqu'au moment où interviendra, éventuellement, une levée du secret, ce qui permettra à l'enfant devenu adulte d'accéder à ces renseignements.
Tout le monde le sait, un secret, c'est quelque chose qui est connu de quelques rares personnes, mais ce n'est pas quelque chose d'inconnu.
L'Assemblée nationale a fait une petite avancée en prévoyant que, ultérieurement, la mère pourrait revenir sur sa décision. Ce n'est pas suffisant : allons jusqu'au bout, mes chers collègues, prévoyons que non seulement elle pourra ultérieurement lever l'anonymat mais qu'elle peut aussi décider d'accoucher secrètement, c'est-à-dire en laissant des renseignements identifiants, qui seront conservés par telle ou telle instance, à définir, de telle manière que, avec son accord, le secret puisse être éventuellement levé, lorsque l'enfant est devenu adulte.
Tels sont, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les différents éléments que je souhaitais soumettre à votre réflexion. (Mme ben Guiga applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au moment où s'achève cette discussion générale, je voudrais présenter quelques observations.
Je rappellerai d'abord, pour éviter que l'on ne se perde dans les détails, que l'amélioration et la simplification de notre régime de l'adoption sont l'un des trois volets de la politique familiale que nous cherchons à mettre en place depuis un certain nombre d'années.
De même que, à l'époque de la discussion du texte sur l'interruption volontaire de grossesse, le Gouvernement avait pris l'engagement de tout mettre en oeuvre pour lutter contre la stérilité des couples - et nous avons obtenu des résultats à cet égard, les lois relatives à la bioéthique en témoignent - il est clair qu'une politique familiale bien comprise suppose une simplification des procédures d'adoption.
Dans une telle optique, ce qui prime, c'est l'épanouissement de le cellule familiale et des enfants, non la joie égoïste du couple. Quand on raconte tant de choses sur l'évolution de la société, il n'est pas inutile de fixer clairement ce préalable.
Reconnaissons que, grâce à notre collègue député M. Mattéi - malgré, monsieur Neuwirth, ce qu'il a pu dire en première lecture ! - la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui comporte quelques éléments importants : la généralisation de l'agrément, certaines améliorations concernant les délais et les conditions de l'adoption, ainsi que l'avancée qui a été obtenue - même si Mme Dusseau la trouve insuffisante, elle est réelle - s'agissant de la levée du secret des origines, qui peut permettre de répondre à un certain nombre de préoccupations et qui, dans l'état actuel de notre droit, représente un progrès.
Je souhaite donc que, grâce aux efforts des deux commissions, en accord avec l'Assemblée nationale, nous puissions trouver des solutions satisfaisantes sur les points qui restent litigieux.
A mes yeux, monsieur le secrétaire d'Etat, deux véritables difficultés subsistent.
Tout d'abord, la notion d'enfant adoptable n'a pas été suffisamment précisée.
M. Neuwirth a eu tout à fait raison de dire qu'il fallait favoriser au maximum l'adoption d'enfants français. A cet égard, je salue, bien sûr, le dévouement de tous les services, composés d'hommes et de femmes admirables, dans tous les départements, qui s'occupent de l'aide à l'enfance. Mais ils doivent comprendre que leur objectif essentiel dans une société comme la nôtre n'est pas de « conserver » les enfants dans des structures collectives : il est de faciliter l'adoption des enfants adoptables.
Je souhaite donc que l'on étende le plus possible la notion d'enfant adoptable, même si certains mettent en avant des handicaps rédhibitoires, même si certains estiment que, passé tel âge, les enfants ne peuvent plus guère s'adapter à une famille.
Par conséquent, nous avons intérêt, tant sur le plan législatif que sur celui du fonctionnement des conseils généraux, à réduire les délais de manière que les enfants restent effectivement adoptables. Cela ne joue, certes, que sur quelques centaines de cas par an, mais, sur plusieurs années, cela finit par faire quelques milliers de cas.
La seconde difficulté, qui est bien plus délicate à traiter, est celle que soulève l'adoption internationale.
C'est manifestement parce que nombre de blocages administratifs ont freiné l'adoption interne que certaines familles ont été poussées vers l'adoption internationale. Or, qui dit adoption internationale dit règles difficilement codifiables et pratiques plus ou moins commerciales.
Si l'adoption internationale doit continuer d'être encouragée, le Gouvernement français doit faire en sorte de l'encadrer et de la moraliser en passant des accords bilatéraux avec les gouvernements des pays principalement concernés.
Selon le texte de la proposition de loi et compte tenu des propositions des deux rapporteurs, l'adoption internationale va se trouver de plus en plus assimilée à l'adoption interne. On unifie ainsi les mécanismes de prises en charge sociale. Tout cela va dans le bon sens.
Il reste que, en raison d'un taux de natalité en régression, quoi qu'on en dise, le nombre d'enfants adoptables en France est relativement faible, ce qui incite des familles à l'adoption internationale. Il faut les sécuriser et leur donner les possibilités d'adoption les plus normales et les plus régulières possibles.
J'ai peur que ce texte ne permette pas de régler totalement ces deux problèmes sur lesquels je souhaitais insister. J'espère néanmoins que des progrès pourront être enregistrés sur ces deux points et je me félicite des avancées qu'il permet d'ores et déjà de réaliser au regard de notre politique familiale.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons bien sûr l'occasion, à la faveur de l'examen des articles, de revenir sur un certain nombre de questions qui ont été soulevées au cours de cette discussion générale. Pour ma part, je me ferai l'écho de ce que M. le garde des sceaux, retenu par une autre obligation, ne peut vous dire lui-même aujourd'hui sur les sujets qui relèvent de son autorité.
Je voudrais tout d'abord remercier l'ensemble des intervenants et, madame Dusseau, des intervenantes, de la qualité, de la hauteur de vue et de la chaleur de leurs réflexions. Chacun a bien conscience que, sur un texte de cette nature, ce ne sont pas uniquement la raison et le droit qui comptent : il y a également place pour la conviction, la passion et l'écoute de l'autre.
Vous avez, les unes et les autres, bien illustré non seulement la difficulté de légiférer sur un tel sujet, mais aussi la nécessité de remettre périodiquement l'ouvrage sur le métier. En effet, la société évolue, les problèmes changent, et le rôle du législateur est de prendre en compte ces modifications. M. le rapporteur a bien résumé les lignes de force de cette proposition de loi. Nous travaillons pour les enfants ; c'est pourquoi il faut avoir des procédures et des textes plus simples, plus compréhensibles et, dans toute la mesure possible, assimiler l'enfant adopté à l'enfant biologique. Je crois que nous sommes tous animés par cette idée parce qu'elle relève tout simplement du bon sens.
M. le rapporteur pour avis a, lui aussi, évoqué la nécessité de simplifier et d'accélérer les procédures.
Il m'a interrogé sur les chiffres relatifs aux causes de non-adoption mais nous ne pouvons, de par leur nature, les connaître vraiment. Certes, des chiffres circulent, comme celui que vous avez cité. Mais, à partir du moment où les dossiers n'ont pas été soumis aux commissions d'éducation spéciales, il est extrêmement difficile d'avoir des chiffres très fiables. Toutefois, ne l'oublions pas, un enfant est un enfant et il ne faut pas vouloir le classer dans une catégorie plutôt qu'une autre.
Je suis également convaincu que nous devons alléger les procédures, car leur complexité peut conduire à prendre des décisions qui ne sont pas très satisfaisantes.
M. Sérusclat a évoqué de très nombreux sujets sur lesquels nous reviendrons plus en détail lors de l'examen des articles. Il a parlé de moralisation et a notamment soulevé le problème d'Internet. Les débats qui ont eu lieu à ce sujet devant l'Assemblée nationale ont résulté, comme l'a expliqué M. Jean-François Mattei, le rapporteur de l'Assemblée nationale, de l'adoption sur catalogue. En effet, après avoir pianoté sur Internet, il a reçu, quelques semaines plus tard, un catalogue en couleur comprenant des photographies d'enfants. Il était même possible de choisir la couleur des yeux et celle de la peau et un prix en dollars était mentionné.
Il est vrai que ce procédé est intolérable mais il ne faut pas se cacher la difficulté de légiférer en ce domaine. M. Sérusclat a d'ailleurs, à juste titre, souligné que les outils existent déjà dans notre code pénal.
Le Gouvernement, par la voix du garde des sceaux, a confié à Mme Falque-Pierrotin, qui est maître des requêtes au Conseil d'Etat, le soin d'examiner les moyens d'éviter de telles dérives en ce domaine car elles remettent en cause le fondement même de notre société et le respect de l'autre.
Mme ben Guiga a particulièrement insisté sur la question que soulève notamment l'article 15, qui, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, a suscité de longs débats. Nous aurons l'occasion d'y revenir longuement mais je voudrais, d'ores et déjà, lui dire, même si le Gouvernement ne partage pas son opinion, à quel point j'ai été sensible à la qualité de sa réflexion et à sa connaissance approfondie des différentes législations étrangères, notamment du droit musulman qui est parfois difficile à appréhender et surtout à comparer à notre droit civil, compte tenu de la structure différente de nos sociétés.
Mme Borvo a également évoqué, au début de son propos, la nécessité de respecter avant tout le droit de l'enfant. Tel est bien l'objet de ce débat. Nous devons faire prévaloir dans toute la mesure possible l'intérêt de l'enfant dans l'ensemble des dispositions de cette proposition de loi.
Il est vrai que des questions difficiles se posent. Mme Borvo a notamment évoqué les problèmes posés à la fois par l'accouchement sous X et par la notion de secret des origines. Il n'est pas aisé de trancher de telles questions. Nous avons tous bien conscience que la vérité n'est pas détenue entièrement par l'un ou par l'autre. Elle résulte toujours d'un compromis entre des conceptions contradictoires. Voilà d'ailleurs l'intérêt et la difficulté d'un tel débat.
Je tiens à remercier Mme Dusseau pour l'approche qui a été la sienne, notamment sur ce sujet. Nous avons bien conscience qu'il s'agit là d'un domaine dans lequel, pour citer Montesquieu, « il faut parfois légiférer en tremblant ». C'est bien la haute conscience du législateur à l'égard d'un tel texte qui permet d'apporter autant de précisions, de précautions et d'attention envers l'autre.
M. Fourcade, enfin, a rappelé les grands objectifs et les apports essentiels de cette proposition de loi, et je l'en remercie. Si, en seconde lecture, le législateur se concentre sur les problèmes qui restent encore en discussion, il peut parfois, à la veille d'une commission mixte paritaire, perdre de vue l'essentiel.
M. Fourcade a également évoqué deux difficultés.
S'agissant du concept d'enfant adoptable, je partage entièrement ses réflexions. En effet, en tant qu'élu local, responsable de la commission des affaires sociales de mon département, je perçois quotidiennement sur le terrain ce à quoi il fait allusion. Je ne puis donc qu'être très favorable à ce que l'association des présidents de conseils généraux et le Gouvernement travaillent ensemble en ce domaine.
Je crois, comme vous l'avez dit, qu'il suffit de peu de chose pour que la situation s'améliore. En tout cas, pour ma part, je retiens votre suggestion. M. Jacques Barrot et moi-même nous prendrons dans les prochains jours les initiatives qui s'imposent.
S'agissant de l'adoption internationale, qui est en quelque sorte une « réflexion-miroir » par rapport à votre première observation, chacun est bien conscient de la nécessité d'encadrer et de moraliser les procédures. Le nombre d'adoption d'enfants étrangers diminuera si nous parvenons à mieux définir le concept d'enfant adoptable. Voilà qui démontre bien que ce texte est peut-être plus un point de départ qu'un aboutissement.
Je tiens à me rallier à l'hommage que M. Fourcade a rendu aux personnels qui, dans les départements et les administrations de l'Etat, travaillent en ce domaine car leur tâche n'est pas facile et elle doit encore s'accroître.
Telles sont, monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je voulais vous livrer avant que nous abordions l'examen des articles.

(M. Jean Delaneau remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
M. Luc Dejoie, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Luc Dejoie, rapporteur. Monsieur le président, je demande une suspension de séance d'une vingtaine de minutes pour permettre à la commission d'examiner les amendements.
M. le président. Le Sénat va, bien entendu, accéder à votre demande.

7