M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° I-44, est présenté par M. Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Le second, n° I-140, est déposé par Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à insérer, avant l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après la deuxième phrase du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, il est inséré une phrase ainsi rédigée : "Ne sont pas déductibles les provisions pour licenciements". »
La parole est à M. Massion, pour défendre l'amendement n° I-44.
M. Marc Massion. Cet amendement tend à rendre non déductibles les provisions pour licenciement.
Si l'impôt sur les sociétés reste faible en France et s'affaiblit depuis 1990 en dépit de la bonne santé financière de nos entreprises, c'est parce qu'il existe une certaine évasion fiscale. Là encore, il s'agit d'un constat partagé et M. François d'Aubert avait retenu cette explication pour démontrer les raisons de la surestimation des recettes de cet impôt l'année dernière.
Plusieurs mécanismes avaient alors été mis en cause : l'évaporation d'assiette fiscale de la France vers d'autres pays, les mécanismes de compensation des résultats à l'intérieur d'un groupe et le gonflement des provisions.
Je voudrais insister sur ce dernier point : les dotations aux provisions que constituent les sociétés, qui représentent une part importante du résultat fiscal, sont certes très fluctuantes d'une année à l'autre. Mais, depuis quelques années, elles augmentent rapidement : elles ont doublé entre 1990 et 1993, passant de 600 milliards de francs à 1 200 milliards de francs. Et, ces dernières années, deux catégories de dotations aux provisions ont largement augmenté : celles qui sont prévues pour l'immobilier par les banques et celles qui le sont pour les plans sociaux.
Or une entreprise qui licencie pénalise ses salariés, ainsi que la collectivité. Il serait donc équitable, notamment lorsque son résultat est bénéficiaire, que l'entreprise soit également pénalisée.
C'est pourquoi cet amendement prévoit que les provisions pour licenciement ne soient plus fiscalement déductibles. Les entreprises bénéficiaires seraient, dans la pratique, les seules sanctionnées, puisque les entreprises déficitaires ne feraient qu'accroître leur déficit. De plus, au moment du licenciement, l'entreprise pourrait comptabiliser les frais de licenciement.
La non-déductibilité des provisions pour licenciement permettra donc, sans pénalisation des entreprises réellement en difficulté, de résoudre une disposition choquante par certains côtés, et qui coûte de plus en plus cher à la collectivité.
En outre, cela permettra de peser sur les choix en faveur de solutions alternatives aux licenciements.
M. le président. La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° I-140.
M. Paul Loridant. Cet amendement est de même inspiration que celui que vient de défendre M. Massion.
L'impôt sur les sociétés souffre incontestablement d'un problème d'efficacité économique. En effet, contrairement à l'impôt sur le revenu, il ne porte que sur un solde économique très largement influencé par l'ensemble des dispositions correctrices du taux et de l'assiette de l'impôt qui ont été prises ces dernières années.
Je rappelle que l'impôt sur les sociétés ne représente plus que 10 % environ des recettes fiscales du budget, et s'élève, pour 1995, à 118 milliards de francs.
Dans le même temps, nous constatons que l'Etat consacre exactement 115 milliards de francs de dépenses budgétaires au soutien, sous des formes diverses, de l'activité des entreprises.
La balance est la suivante : 118 milliards de francs au titre de l'impôt sur les sociétés, 115 milliards de francs d'aides diverses.
Il s'agit presque d'une opération blanche, et encore faut-il s'interroger sur le périmètre de ce que le rapport Carayon appelle « l'aide aux entreprises ».
Par ailleurs, nous constatons que les provisions pour amortissement de certains investissements ainsi que les provisions pour risques et charges d'exploitation sont déductibles de l'impôt sur les sociétés et constituent, en quelque sorte, des mesures en faveur des restructurations.
Dans les faits, cela signifie donc que l'on propose aux entreprises privées de prendre en compte, sous certaines conditions, la déductibilité des charges liées à la conclusion de conventions de préretraite du Fonds national pour l'emploi pour l'établissement de leur impôt, mais il est patent que le coût réel en est imputé à la collectivité.
La suppression massive d'emplois dans le cadre de plans de restructuration offre aux entreprises l'opportunité d'alléger leur masse salariale, et donc l'ensemble des cotisations sociales afférentes.
L'amélioration de la situation financière qui découle d'un partage défavorable aux salariés lors d'une restructuration - autrement dit d'un licenciement - et des gains de productivité qui en résultent permet bien souvent de servir aux actionnaires des dividendes plus importants et génère donc, pour l'Etat, un coût marginal complémentaire dû à l'avoir fiscal.
Pour conclure sur cette proposition visant à ne pas prendre en compte au titre des charges déductibles du résultat fiscal la provision pour licenciement, comment ne pas souligner de nouveau que des entreprises en situation bénéficiaire comme Peugeot, Renault, Danone ou Alcatel Alsthom s'apprêtent à mettre en oeuvre de tels plans de restructuration ? Or cela est inacceptable aux yeux de nos concitoyens, puisque les entreprises bénéficiaires restructurent, licencient et mettent à la charge de la collectivité le coût de ces licenciements à travers une fiscalité qui leur est favorable.
Les gains de productivité apparents réalisés à partir de la surexploitation des hommes et des femmes salariés servent ensuite purement et simplement à licencier lesdits salariés.
En clair, une entreprise qui veut se restructurer remercie des salariés qui l'ont servie pendant longtemps et profite de mesures fiscales favorables, alors même qu'elle est bénéficiaire.
Notre amendement tend à interdire aux entreprises qui ont des résultats positifs de déduire les provisions pour licenciement, et donc à réintroduire le montant correspondant dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés.
Mes chers collègues, je ne doute pas un seul instant que vous serez sensibles à cet amendement, qui est parfaitement lisible pour nos concitoyens, en particulier ceux qui sont menacés de licenciement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-44 et I-140 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. M. Loridant aurait dû douter ! (Sourires.)
Certes, la commission des finances a bien compris quelle était la préoccupation de M. Loridant et des membres de son groupe. Cependant, elle n'a pas vu un lien aussi direct entre la question de la provision et celle du licenciement. Soit il s'agit d'une préoccupation relative aux provisions, et elles obéissent au droit commun des provisions. Il faut alors qu'elles soient constituées pour un objet identifié et probable, et, en l'occurrence, le comité d'entreprise doit être consulté sur un projet de licenciement, lorsqu'il s'agit de licenciement. En revanche, si la préoccupation, comme nous le pensons, est celle du licenciement, la commission a considéré que la non-déductibilité n'est pas une réponse appropriée au souhait d'éviter le licenciement, et en tout cas n'est pas une garantie contre les causes de licenciement. Au contraire, il a semblé à la commission que la provision pouvait être la garantie du paiement des indemnités, dès lors que le licenciement deviendrait irréversible.
Pour toute cette série de raisons, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements n°s I-44 et I-140.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, pour les mêmes raisons.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-44 et I-140, repoussés par la commission et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

Article additionnel avant l'article 9
ou après l'article 9