M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant le ministère de la justice.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les crédits demandés pour la justice pour 1997 progressent de 1,77 % par rapport à 1996 et atteignent 23,892 milliards de francs. Cette stabilisation en francs constants succède à une augmentation de 6,04 % annoncée par la loi de finances initiale pour 1996. Relevons que la régulation budgétaire 1996 a en effet amputé le budget de la justice de 306 millions de francs en dépenses ordinaires, de 215 millions de francs en autorisations de programme et de 15,5 millions de francs en crédits de paiement nets.
Ces amputations sont intervenues après un gel décidé, au mois de février 1996, qui a porté sur 416 millions de francs en dépenses ordinaires, 406 millions de francs en autorisations de programme et 86 millions de francs en crédits de paiement, soit 15 % des crédits de fonctionnement et 25 % des crédits d'équipement nouveaux.
Ces méthodes relèvent, certes, d'un usage qui remonte loin dans le temps. Elles n'en sont pas moins tout à fait regrettables.
Quoi qu'il en soit, la part du budget de la justice dans le budget de l'Etat devrait poursuivre sa très lente progression en passant de 1,506 % en 1996 à 1,511 % en 1997. Dans les budgets ministériels civils, cette part devrait atteindre 2,55 % l'année prochaine contre 2,51 % en 1996.
Il convient de souligner la très forte progression - de 364 % - du titre IV, « interventions publiques », ce qui s'explique par le transfert des crédits évaluatifs de l'aide juridique du chapitre 37-12, au sein du titre III, au chapitre 46-12, qui figure au titre IV.
En 1995, première année d'application de la loi de programme sur la justice, l'accent fut mis sur les juridictions administratives. En 1996, la progression la plus nette fut celle des crédits de l'administration pénitentiaire. Le projet de loi de finances pour 1997 privilégie, quant à lui, les services judiciaires, dont la part relative dans le budget de la justice - 44,1 % - augmente, alors qu'elle s'était réduite l'année dernière au profit de l'administration pénitentiaire.
Rappelons que le programme pluriannuel pour la justice a prévu un montant d'autorisations de 8,1 milliards de francs, dont 4,5 milliards de francs pour les services judiciaires, 3 milliards de francs pour l'administration pénitentiaire, 400 millions de francs pour la protection judiciaire de la jeunesse et 200 millions de francs pour les juridictions administratives.
Il a aussi prévu la création de 5 760 emplois budgétaires pendant la période 1995-1999.
Le Gouvernement a décidé d'étaler sur une année supplémentaire l'exécution des lois de programme. Pour la justice, cela implique une application de la loi de programme sur six budgets, de 1995 à 2000, au lieu de cinq, de 1995 à 1999.
Les crédits qui sont alloués à l'administration centrale progressent de 0,35 %, pour atteindre 3,2 milliards de francs, soit 14 % de l'ensemble. Il est prévu 43 suppressions d'emplois et la création, par transformation, d'un emploi de sous-directeur d'administration centrale affecté au service du casier judiciaire national.
L'effectif budgétaire des magistrats de l'administration centrale, les MACJ, qui était de 154 au 1er septembre 1996, se décomposait en 18 premiers substituts et en 136 substituts.
Il convient aussi de noter le faible nombre d'emplois du premier grade par rapport à celui des emplois du second grade, ce qui rend souvent malaisé le développement, souhaité par certains, d'une véritable carrière dans l'administration centrale des magistrats qui y sont affectés et provoque une « rotation » importante des effectifs. Mais cette carrière est-elle souhaitable ?
Je tiens à souligner l'importance des mises à disposition dans l'administration centrale du ministère de la justice. Au 1er septembre 1996, 26 % de l'effectif était composé de « mis à disposition ».
Le projet de budget pour 1997 prévoit, pour les services judiciaires, une progression des crédits de 4,46 %. Ils devraient représenter 10 535 millions de francs.
On relève, au titre du programme pluriannuel, la création de 30 emplois de magistrat et de 147 emplois de greffe uniquement en catégorie C, c'est-à-dire des personnels d'exécution.
Par ailleurs, 3,8 millions de francs de crédits de vacations permettront le recrutement de 100 assistants de justice, ce qui ne peut que réjouir le Sénat, qui fut à l'origine, rappelons-le, de cette initiative.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est exact !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Les frais de justice représenteront 1 519 millions de francs, soit une progression de 7,8 % après une augmentation de 7,6 % en 1996.
La dotation d'aide juridique atteindra 1 214 millions de francs, soit une progression de 11,9 % par rapport à l'année dernière. La situation devient donc préoccupante.
Si les nouveaux palais de justice de Caen, de Montpellier et de Nanterre ont été mis en service en 1996, l'achèvement des travaux engagés à Aix-en-Provence et à Béthune ainsi que l'engagement d'opérations pour les nouveaux palais de justice d'Avesnes-sur-Helpe, d'Avignon, de Bourgoin-Jallieu, de Fort-de-France, de Narbonne et, enfin, de Pontoise devraient intervenir en 1997. Cela aussi mérite d'être souligné. Voilà quelques années encore, on état loin d'envisager des constructions de nouveaux palais de justice.
Comme l'a souhaité, à l'unanimité, la commission des finances, notamment son président, que je salue, l'année prochaine, le rapporteur spécial s'intéressera plus particulièrement à l'activité des parquets, notamment à la pratique et à la problématique des classements sans suite.
Conformément au souhait exprimé par la commission des finances, il effectuera des missions de contrôle budgétaire dans un certain nombre de parquets de tribunaux de grande instance et de cour d'appel afin d'analyser les causes des diverses pratiques de classement sans suite constatées dans les parquets.
Rappelons très sommairement que, en 1995, 5 191 255 plaintes, dénonciations et procès-verbaux sont parvenus aux parquets ; 58 % d'entre eux, soit 3 017 000, ont été transmis contre auteurs inconnus. Le nombre de procédures classées sans suite a atteint 4 161 924.
Si le nombre de classements sans suite avec auteurs inconnus a enregistré une baisse, en revanche, le nombre des classements sans suite avec auteurs connus a progressé d'environ 70 000. Il a représenté, en 1995, environ 28 % des classements sans suite, mais ce n'est qu'une moyenne.
Les investigations du rapporteur spécial sur place et sur pièces porteront donc sur les causes des différences en matière de taux de classement sans suite constatées dans les parquets des divers ressorts de notre territoire, afin de savoir s'il s'agit d'un manque de moyens.
L'Ecole nationale de la magistrature reste la voie principale d'accès à la magistrature. La prochaine promotion de sortie sera composée de 110 auditeurs de justice entrés à l'école en 1994.
En 1995 et en 1996, cet effectif a été sensiblement accru puisque l'on a offert, au cours de ces deux années, 145 postes au concours. Cet effort doit être souligné alors que, dans le même temps, du fait de la pyramide des âges, on n'enregistre que 50 à 60 départs à la retraite.
Monsieur le garde des sceaux, il faudra sans doute aussi, dans le cadre de nos réflexions communes sur la justice, songer à une plus grande diversité de ce recrutement et peut-être mettre en place ce qu'on peut appeler, dans certains autres corps, un véritable tour extérieur qui affine les compétences et aère le corps judiciaire.
S'agissant de l'administration pénitentiaire, notons que les dépenses ordinaires augmentent de 1,5 %, alors que les crédits de paiement enregistrent une baisse de 42,9 %. Les autorisations de programme diminuent, pour leur part, de 3,7 %.
Le projet de loi de finances pour 1997 prévoit 167 créations nettes d'emplois ; 127 nouveaux emplois sont destinés au centre pénitentiaire de Remiré-Montjoly en Guyane, alors que 37 renforceront les moyens du « milieu ouvert ».
Par ailleurs, les personnels de surveillance des établissements pénitentiaires bénéficieront d'une amélioration de leur retraite grâce à la « bonification du cinquième », qui avait déjà été à l'ordre du jour de nos débats de l'an dernier, c'est-à-dire la bonification d'annuités à raison d'une annuité pour cinq années de services effectifs, dans la limite de cinq annuités.
L'incidence financière de cette mesure est évaluée à 2 millions de francs pour 1996 et devrait atteindre 68 millions de francs par an à partir de l'an 2000.
Les crédits d'équipement de l'administration pénitentiaire devraient atteindre 337 millions de francs en autorisations de programme et 297 millions de francs en crédits de paiement.
Le projet de budget pour 1997 prévoit, pour les services de la protection judiciaire de la jeunesse, une dotation de 2,5 milliards de francs, soit une augmentation de 1,5 % par rapport à 1996, après, notons-le, une progression de 5,5 % l'année dernière.
Est prévue la création de 65 emplois, dont 25 par transformation d'emplois en provenance des services pénitentiaires. Ces nouveaux emplois seront notamment affectés aux unités à encadrement éducatif renforcé, les UEER.
Pour les juridictions administratives, le projet de budget prévoit une dotation de 677 millions de francs en dépenses ordinaires et en crédits de paiement, soit une progression de 7,9 % par rapport à l'année dernière.
Les dépenses ordinaires augmentent de 5 %, pour s'établir à 636 millions de francs, alors que les crédits de paiement des opérations en capital progressent de 64 %, pour s'établir à 41 millions de francs. Les autorisations de programme demeurent, quant à elles, stables, puisqu'elles s'élèvent à 40 millions de francs.
Il sera créé seize emplois de magistrats dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel et trente emplois de fonctionnaire, dont six au Conseil d'Etat, soit un total de 46 nouveaux emplois.
Dans mon rapport écrit, j'ai consacré, à la demande de la commission des finances, un long développement au Conseil supérieur de la magistrature, pour dresser un bilan de son activité plus de deux ans après la profonde réorganisation dont il a fait l'objet par la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, mais aussi et surtout pour donner un coup de chapeau à cette institution, qui célébrera bientôt son cinquantenaire. Cet examen m'a inspiré plusieurs réflexions.
En dehors du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement, et au même titre que quelques rares autres institutions telles que le Conseil constitutionnel, le Conseil économique et social et les hautes cours de justice, le Conseil supérieur de la magistrature est un organe constitutionnel dont l'une des missions essentielles est d'assister le Président de la République, garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, aux termes de l'article 64 de notre Constitution.
A cet égard, nous pouvons nous étonner que, dans leurs relations de nature administrative, les services de la Chancellerie aient, dans le passé, parfois hésité à tirer pleinement les conséquences de la réforme du 27 juillet 1993 qui a été voulue par le pouvoir constituant et dont l'objet fut notamment de rappeler la place éminente du Conseil supérieur de la magistrature en renforçant ses prérogatives exclusives en matière de nominations et de déroulement de la carrière des magistrats du siège et en étendant notablement ses attributions en ce qui concerne les magistrats du Parquet. Ces hésitations tenaient sans doute à l'ampleur de la réforme dont certains n'ont pas pris toute la mesure. Il semble qu'un certain nombre de mises au point soient aujourd'hui nécessaires.
En effet, dans les temps difficiles que vit actuellement la justice, la manière dont sera considéré le Conseil supérieur de la magistrature ne fera que refléter l'état de la considération dont bénéficie l'ensemble de l'institution judiciaire elle-même.
De ce point de vue, des aspects qui peuvent paraître secondaires tels que l'hébergement du Conseil supérieur de la magistrature, la gestion budgétaire et le personnel ont en réalité, à tort ou à raison, une dimension lourde de signification.
Pour mettre un terme à l'image « brouillée » que nos concitoyens ont de leur justice et au profond malaise d'un monde judiciaire qui a de plus en plus le sentiment que l'institution n'est plus que le réceptacle de tous les dysfonctionnements de la société, il faudra bien mettre fin à quelques ambiguïtés.
Les cérémonies présidées par M. le Président de la République, qui célébreront, au début de l'année prochaine, le cinquantième anniversaire de la création du premier Conseil supérieur de la magistrature devraient fournir l'occasion d'apporter des réponses aux interrogations qui se font jour sur le rôle des diverses composantes de la puissance publique.
Quelles sont, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les conclusions de la commission des finances ?
Si l'on considère que les moyens mis depuis un certain nombre d'années à la disposition de la justice sont globalement à la mesure de l'enjeu, alors le budget de 1997 peut paraître, dans le contexte budgétaire actuel, relativement satisfaisant. Le traitement qui est ainsi réservé à la justice pourrait constituer un motif de satisfaction, de même d'ailleurs que la prise en compte de propositions de réforme émanant du Parlement, notamment de la Haute Assemblée.
Mais, en dépit de ces progrès, que je tiens à souligner, nous avons le sentiment que le profond malaise qui affecte le monde judiciaire ne se résorbe pas et même qu'il s'amplifie.
Certains parlent de justice déboussolée, d'autres de justice sinistrée, à l'abandon, asphyxiée, paralysée, déstabilisée, médiatisée, politisée,...
M. Pierre Fauchon. Hémiplégique !
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. ... à l'italienne. Certains utilisent les termes de « petits juges » ou de « grands magistrats ». D'autres n'hésitent pas à employer des noms d'oiseaux.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il y a de jolis oiseaux ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Plus grave, certains parlent aujourd'hui de « gouvernement des juges ».
Vous avez eu raison de reconnaître, monsieur le garde des sceaux, lors du débat qui s'est récemment tenu au Sénat sur les moyens de la justice, que « la solution ne peut être seulement quantitative ».
Le malaise, en effet, selon toute vraisemblance, est généré par l'incompréhension qui s'aggrave, d'une part, entre les citoyens et leur justice et, d'autre part, entre la justice et, les autres composantes de la puissance publique, l'exécutif, bien sûr, mais aussi la représentation nationale elle-même.
Je ne puis qu'appeler de mes voeux une réforme profonde de l'architecture même de la justice, car les moyens de la justice, dont je suis le rapporteur, ne sont pas seulement une organisation, des méthodes, une carte judiciaire ou des procédures. Il convient de revoir aujourd'hui ses structures et le périmètre de ses attributions et de rappeler sans cesse, à temps et à contre-temps, que le juge tire ses pouvoirs de la Constitution et de la loi. Aujourd'hui, notre société, comme le dirait mieux que moi le doyen Carbonnier, a perdu le sens même de la nature de la loi, essentiellement fondée sur l'intérêt social et l'intérêt général, qui, seuls, la légitiment.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel rapporteur spécial. Je conclus, monsieur le président.
De fait, la nécessaire réorganisation passe par des réformes du type et de l'ampleur de celles que Michel Debré fit adopter par voie d'ordonnances pour adapter la justice d'alors à la France de 1958.
Je souhaite enfin dire aussi un mot sur la création, très intéressante, d'un « bureau de police judiciaire », chargé de « cogérer » avec le ministère de l'intérieur les statuts des personnels qui exercent des fonctions de police judiciaire.
De grands chantiers sont donc devant nous. De nombreuses pistes ont d'ores et déjà été ouvertes par le Parlement, ainsi que par les juridictions et le parquet eux-mêmes. La contribution souvent soulignée du Sénat à ces réflexions ne fait que traduire la démarche tout à la fois sereine et tenace qui caractérise notre assemblée.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, plus que jamais il importe de maintenir notre effort. En effet, comme beaucoup d'autres, je sens monter des périls qui menacent l'un des piliers de notre démocratie, je veux parler de la justice, qui se trouve au coeur de l'équilibre institutionnel établi par notre Constitution et garant des libertés publiques.
Il est urgent de clarifier les rôles respectifs des uns et des autres. Sinon, on finira par raconter n'importe quoi, et nos concitoyens ne tarderont pas à nous le rappeler. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Authié, rapporteur pour avis.
Je rappelle que les rapporteurs sont, eux aussi, tenus de respecter un temps de parole, qui a été fixé par la conférence des présidents. Dans ce cadre, vous disposez, monsieur le rapporteur pour avis, de cinq minutes.
M. Germain Authié, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les services généraux. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, notre collègue M. Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, vient de le rappeler : les crédits de la justice progressent de 1,8 % dans le projet de loi de finances pour 1997, pour atteindre 23,9 milliards de francs.
Autrement dit, l'effort budgétaire d'ensemble consenti en faveur de la justice marque le pas, puisque cette augmentation n'est même pas égale à la hausse prévisionnelle des prix.
Dans la mesure où je suis chargé de rapporter l'avis de la commission des lois sur les crédits que ce budget consacre aux services généraux de la justice, mon propos se limitera à quelques observations sur l'administration centrale, les services judiciaires et les juridictions administratives.
En premier lieu, s'agissant de l'administration centrale du ministère de la justice, j'observe que les réductions d'effectifs y suivent la norme nationale, qui est de moins 2 %, mais qu'elles portent principalement sur les postes de greffiers en chefs et de greffiers, qui auraient pu être utilement redéployés dans les juridictions.
Je constate, en outre, que l'administration centrale continue à bénéficier de la mise à disposition de 433 fonctionnaires, prélevés sur les services déconcentrés, notamment sur les juridictions.
En deuxième lieu, pour ce qui est des services judiciaires, la commission souligne une nouvelle fois la modicité de leur part relative au sein des crédits du ministère de la justice par rapport à 1996. Ils ne représenteront, en effet, que 44,4 % de ces crédits en 1997. Les perspectives d'évolution sont, en outre, préoccupantes. La construction programmée de 4 000 places de prison de 1998 à 2000 devrait consommer l'essentiel des crédits d'équipement sur ces trois exercices.
Surtout, ce résultat positif n'est qu'apparent, dans la mesure où les crédits des services judiciaires sont progressivement grignotés par deux postes de dépenses en forte augmentation : les frais de justice et l'aide juridique. En 1997, ces deux dépenses devraient s'établir à 2,7 milliards de francs, soit 25,83 % des crédits destinés aux services judiciaires. De surcroît, ces deux enveloppes croissent plus rapidement que toutes les autres ; leur progression est évaluée à 8,8 % pour 1997.
Lors de son audition par la commission des lois, M. le garde des sceaux s'est inquiété de ces évolutions, d'autant plus, nous a-t-il indiqué, que toute augmentation nouvelle de ces crédits non limitatifs serait désormais gagée pour moitié sur les crédits de fonctionnement des juridictions. Voilà qui est particulièrement préoccupant quand on sait que, dans certains ressorts, ces dépenses ne sont manifestement pas maîtrisées !
Je vous renvoie à mon rapport écrit pour l'analyse de la diversité des situations et la présentation des mesures annoncées par le garde des sceaux pour stabiliser les frais de justice. Peut-être M. le garde des sceaux pourra-t-il nous indiquer tout à l'heure les effets budgétaires qu'il attend de ces mesures.
En troisième lieu, les moyens de fonctionnement des juridictions du premier degré régressent de près de 10 %. Cette baisse est d'autant plus préoccupante que, des gels de crédits risquant d'intervenir dès le début de l'année, ces juridictions pourraient très rapidement se trouver dans l'incapacité de faire face à leurs dépenses.
Je rappelle que, en 1996, les gels sont intervenus dès le mois de février et que les levées ont été successives, partielles et, pour les dernières, très tardives.
En quatrième lieu, l'exécution de la loi de programme relative à la justice est étalée, vous le savez, sur une année supplémentaire. On ne peut que le regretter, dans la mesure où tout le monde s'accorde pour admettre que la justice devrait être considérée comme une priorité.
Cet étalement se traduit par une réduction du nombre des créations d'emplois par rapport aux prévisions : trente postes de magistrats, au lieu de soixante, et soixante-six emplois nets pour les greffes, ce qui comble tout juste les retards de créations de poste des deux derniers exercices et ne correspond donc même pas à la moitié des emplois qui auraient dû être créés en 1997.
S'agissant des dépenses d'équipement prévues pour les services judiciaires par la loi de programme, leur taux d'exécution devrait atteindre 72 % sur les trois premières années, ce qui correspond à un bon niveau, même si les reports sont encore importants, en raison notamment des gels de crédits. Il apparaît par ailleurs que les commissions de sécurité estiment à plus de 1 milliard de francs le coût des travaux de sécurité qu'elles jugent indispensables.
La commission des lois, dans le cadre de la mission d'information qu'elle a conduite, a pu constater que la situation de la justice administrative n'était pas très satisfaisante.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur pour avis !
M. Germain Authié, rapporteur pour avis. Je conclus, monsieur le président.
Le projet de loi de finances pour 1997 maintenaient un rythme correct de créations d'emplois - les deux-tiers d'une année d'exécution pleine - et ouvre 41 millions de francs de crédits de paiement.
Les résultats observés sont fragiles et encore insuffisants. En outre, comme M. le garde des sceaux le faisait observer lors de son audition devant la commission des lois, un mouvement de bascule n'est pas à exclure d'ici à deux ou trois ans. Il est donc nécessaire de demeurer particulièrement vigilants.
En 1997, l'effort budgétaire en faveur de la justice se stabilise à un niveau dont il faut bien admettre qu'il est insuffisant, mais dont on osera espérer qu'il n'est que transitoire.
C'est dans cet esprit que je m'en étais remis à la sagesse de la commission des lois.
Cette sagesse, semble-t-il, a parlé, et je suis donc chargé, mes chers collègues, de donner, au nom de la commission des lois, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés aux services judiciaires et aux juridictions administratives par le projet de loi de finances pour 1997. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Othily, rapporteur pour avis.
Je vous rappelle, monsieur le rapporteur pour avis, que le temps de parole qui vous est imparti est de cinq minutes.
M. Georges Othily, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l'administration pénitentiaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les chiffres sont souvent parlants, parfois cruels, mais ils peuvent aussi être trompeurs.
Les données relatives au budget de l'administration pénitentiaire pour 1997 en sont une preuve éclatante : avec une diminution de 1,83 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996, le premier réflexe serait pour beaucoup d'affirmer, un peu hâtivement d'ailleurs, qu'il s'agit d'un mauvais budget.
Erreur !
Au risque de surprendre les partisans de l'analyse strictement quantitative, un budget en diminution n'est pas forcément un mauvais budget.
S'agissant de l'administration pénitentiaire, la réduction des crédits s'explique, en partie, bien entendu, par le souci de maîtriser les dépenses publiques, objectif auquel chaque département ministériel est appelé à participer.
Mais elle s'explique également par le fait que 1996 aura été une année clé en matière de grandes opérations d'infrastructures. Elle aura vu, notamment, l'achèvement des prisons de Baie-Mahault et de Ducos ; celle de Rémiré-Montjoly, en Guyane, suivra l'année prochaine.
Après cet effort en termes d'investissement, le Gouvernement souhaite poursuivre les efforts entrepris en termes de personnels : 167 emplois nets seront créés en 1997. C'est d'autant plus appréciable que, si l'on excepte les emplois destinés à l'ouverture de la prison de Rémiré-Montjoly, le principal bénéficiaire de cet effort sera le milieu ouvert. Cela traduit le souci de développer le recours aux mesures dites alternatives à l'incarcération, ce qui se situe dans la ligne droite ligne des préoccupations de la commission des lois.
Au-delà des aspects purement budgétaires, des modifications législatives et réglementaires ont été décidées, ou sont actuellement proposées, qui vont toutes dans la bonne direction.
Je ne reviens pas sur les réformes législatives dont nous avons été appelés à débattre cette année, notamment à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la détention provisoire et de la proposition de loi de M. Guy Cabanel relative au placement sous surveillance électronique.
Dans mon rapport écrit, j'ai insisté sur les deux réformes réglementaires intervenues cette année.
Il s'agit, d'une part, de la modification de l'article D. 49-1 du code de procédure pénale, dont le champ d'application a été étendu. Cette proposition figurait dans le rapport de mission de M. Cabanel. L'objectif est d'augmenter le nombre des mesures d'individualisation des peines. En effet, l'article D. 49-1 permet au juge de l'application des peines de décider ab initio du mode d'exécution d'une peine privative de liberté lorsque le condamné n'est pas incarcéré au moment de la décision. La commission des lois s'en réjouit, elle qui, dans son dernier avis budgétaire, avait regretté la sous-utilisation de l'article D. 49-1.
Il s'agit, d'autre part, de la modification du décret du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus. Ce décret, qualifié par certains de « révolutionnaire », a, pour la première fois, énuméré les comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire ; il a aussi mis en place une procédure disciplinaire préservant les droits du détenu.
Je conclurai, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, en disant que, bien entendu, tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes. Des problèmes demeurent, notamment celui de la surpopulation carcérale. Mais le ministère de la justice en est bien conscient, j'en suis persuadé, et s'efforce d'y remédier progressivement. L'administration pénitentiaire est au coeur de ses préoccupations.
C'est pourquoi la commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits qui lui sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 1997. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Rufin, rapporteur pour avis.
M. Michel Rufin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la protection judiciaire de la jeunesse pour 1997 devrait s'élever à 2,5 milliards de francs, soit une augmentation de 1,47 % par rapport à 1996.
C'est une progression qui peut paraître modeste, mais qui est significative dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques à laquelle chaque département ministériel doit contribuer.
Au-delà de cette constatation purement quantitative, on peut qualifier le budget de la protection judiciaire de la jeunesse pour 1997 de « budget de mutation ».
Par mutation, j'entends à la fois souligner l'évolution de l'activité de cette administration et mettre en avant les modifications apportées à son organisation.
L'évolution de l'activité de la protection judiciaire de la jeunesse se caractérise essentiellement par une augmentation continue du nombre de jeunes pris en charge : plus 3,6 % en 1995 ; nous étions ainsi parvenus à 135 775 jeunes au 31 décembre dernier, contre 125 538 trois ans plus tôt.
Sans vouloir jouer les Cassandre, cette évolution risque de se confirmer dans un contexte de graves difficultés économiques et sociales.
J'ajoute que la tâche de la protection judiciaire de la jeunesse risque d'être compliquée par la crise qui touche ses auxiliaires traditionnels.
Je pense à l'école, marquée par la montée de la violence scolaire et par la baisse de considération des élèves pour l'enseignant.
Je pense également à la famille, dans un contexte de crise de l'autorité parentale, d'augmentation du nombre des familles monoparentales et de développement de la polygamie. Je pense, enfin, à l'influence du milieu de vie où évoluent certains jeunes.
Bref, la protection judiciaire de la jeunesse risque d'avoir à relever toujours plus de défis et d'être de plus en plus isolée face à ceux-ci.
Vous vous efforcez, monsieur le ministre, d'apporter des solutions à cette inquiétante évolution, et je veux vous en remercier publiquement.
Ces solutions passent d'abord par la recherche d'une meilleure réponse éducative, qui doit être plus précoce, plus fréquente et plus diversifiée.
Une réponse plus précoce à la délinquance, c'était l'objet de la loi du 1er juillet 1996 qui a réformé l'ordonnance de 1945. Je rappelle simplement qu'elle a créé la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement, qu'elle a institué la comparution à délai rapproché et qu'elle a assoupli le recours à l'ajournement du prononcé de la peine devant le tribunal pour enfants.
La recherche d'une réponse plus fréquente à la délinquance ou aux situations de danger a pris la forme d'une politique partenariale renforcée : entre les départements et la justice en matière de signalement des enfants en danger ; entre les parquets, la protection judiciaire de la jeunesse, les services de l'éducation nationale et les établissements scolaires s'agissant des faits délictueux commis en milieu scolaire et de l'absentéisme scolaire.
Quant au souci de diversification de la réponse éducative, il a conduit à la création des unités à encadrement éducatif renforcé, dont vingt devraient fonctionner à la fin de 1997.
S'agissant des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, et plus particulièrement des moyens en personnels, l'année 1997 devrait donner lieu à un nombre assez important de créations d'emplois, même s'il faudrait faire encore plus tant sont considérables les besoins de cette administration.
La protection judiciaire de la jeunesse verra en effet ses effectifs augmenter de 60 emplois nets en 1997. Ces créations se feront quasi exclusivement au profit des éducateurs, qui seront 2 902 l'année prochaine contre 2 838 aujourd'hui.
Le ministère de la justice a également consenti un effort appréciable en faveur des juges des enfants : 9 postes ont été créés en 1996 ; 4 devraient l'être en 1997.
Au-delà de cet effort en termes d'effectifs, il convient de saluer les efforts faits pour valoriser le rôle des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse. Je pense notamment à la réforme du statut des directeurs et à l'institution d'une prime d'encadrement éducatif renforcé, de 9 000 francs par an, en faveur des personnes affectées dans les UEER.
Telles sont, brièvement résumées, les principales orientations du budget de la protection judiciaire de la jeunesse pour 1997, sur lequel la commission des lois a émis un avis favorable. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 19 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 13 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le garde des sceaux, je consacrerai les quelques minutes qui me sont accordées par la conférence des présidents à la reprise du dialogue que nous avons engagé à la suite du rapport de la mission de la commission des lois sur les moyens de la justice, dialogue auquel vous avez bien voulu vous prêter, dans un esprit de coopération auquel je tiens à rendre hommage, lors du débat que nous avons eu voilà une quinzaine de jours.
Je partirai donc du point où nous en étions restés à la fin de ce débat. Je dirai un mot sur la carte judiciaire et je ferai quelques observations sur l'idée qui nous tient le plus à coeur, à savoir la transformation des tribunaux d'instance.
En ce qui concerne la carte judiciaire, il y a un malentendu entre nous, monsieur le ministre ; je crois que nous ne nous sommes pas bien compris.
Ce que nous souhaitions, c'est que l'on établisse une carte judiciaire théorique, idéale, dans l'abstrait, et que, compte tenu de la masse du contentieux et du nombre de magistrats, on établisse des ratios ; ensuite, en fonction de ces ratios, dans une démarche, encore une fois, abstraite, nous souhaitons que l'on dise : il serait souhaitable qu'il y ait des tribunaux comportant tel nombre de chambres, dans tel endroit.
Nous savons très bien qu'il s'agit d'un exercice abstrait. Nous ne préjugeons pas les voies et les moyens, le temps, le lieu, les conditions dans lesquels on pourrait passer de la situation actuelle à une situation plus conforme à la « demande », car c'est, au fond, plutôt affaire de Gouvernement.
Vous nous avez répondu que vous alliez procéder à une consultation à la base pour savoir quelles sont les dispositions souhaitées par les uns et par les autres et l'idée qu'ils se font de la carte judiciaire. C'est là une tout autre démarche !
Ce n'est naturellement pas à la base que l'on vous dira que, dans tel tribunal, il y a une chambre de trop ; on vous fera toujours savoir qu'il en manque. Cette consultation, qui est certainement utile et que vous menez comme vous jugez devoir la mener, ne répond pas à la question que nous avons posée.
La seule réponse qui peut être apportée à celle-ci est une réponse nationale, au niveau du Gouvernement, et à partir des statistiques dont il dispose. Il faut aussi que certaines affaires, et vous le savez mieux que moi, soient traitées tout à fait d'en haut, car c'est cela gouverner !
Ma seconde réflexion concerne la transformation des tribunaux d'instance.
Nous sommes parvenus à la conclusion que les retards divers dont nous souffrons actuellement proviennent essentiellement de l'invasion des contentieux de masse, il faut donc trouver un moyen de les traiter d'une manière originale, qui réponde à leur spécificité, et ce avec la rapidité voulue.
Vous nous avez fait remarquer - nous ne l'ignorions pas -, que les retards affectent tout autant les affaires importantes, c'est-à-dire le contentieux classique. Certes. Mais il y aussi des retards importants dans le contentieux de masse. Je ne parle pas des affaires classées sans suite - M. Haenel les a évoquées tout à l'heure - car elles ne connaissent pas la notion de retard puisqu'elles sont enfouies dans l'oubli - ce qui est tout de même assez désastreux. En revanche, dans d'autres domaines - M. Rufin a évoqué voilà un instant les mesures concernant la protection de la jeunesse - notamment en matière de prud'hommes ou de loyers, on enregistre des retards - en particulier pour les prud'hommes -, qui sont invraisemblables.
Bien entendu, cette invasion du contentieux de masse a des répercussions sur le contentieux classique et celui-ci finit par être traité dans des conditions de moins en moins satisfaisantes.
Il faut noter au passage que le taux de recours en cassation représente un tiers des affaires dans certains domaines, ce qui est tout à fait excessif. En effet, il devrait se situer entre 5 et 10 % au maximum ; et quand le tiers des affaires fait l'objet d'une décision de cassation, c'est vraiment un signal d'alarme.
Ma réflexion suivante portera sur la conciliation.
Vous m'avez, monsieur le garde des sceaux, « blagué » si j'ose employer l'expression, sur mon goût supposé pour les procédures anglo-saxonnes, qui n'est d'ailleurs par tel que vous paraissez le croire. Vous savez aussi bien que moi que la démarche de conciliation est traditionnelle, depuis le jugement de Salomon jusqu'aux juges de paix que nous avons connu jusqu'au milieu du xxe siècle. L'idée selon laquelle il faut essayer de concilier avant de trancher, surtout dans certains domaines, reste tout à fait vivante. Vous m'avez d'ailleurs vous-même rappelé que vous aviez pris et que vous continuiez de prendre des dispositions pour étendre le champ de la conciliation, ou de la médiation. Mais vous savez que cette procédure reste tout à fait marginale.
En ce qui concerne les affaires classées sans suite, la question de la conciliation ne se pose pas au pénal, sauf dans les cas de classement sous condition, ce qui est une bonne formule mais qui reste extrêmement rare.
Au civil, cette procédure reste intéressante, mais tout à fait marginale, et elle ne peut pas sortir de la marginalité, car si une fraction importante du contentieux devait en quelque sorte être déléguée à l'extérieur du système judiciaire, à des organismes conciliateurs ou médiateurs sans les garanties que seul le système judiciaire est à même d'apporter, cela constituerait - je crois que nous sommes d'accord sur ce point - une autre forme de déviation contestable.
C'est pourquoi je pense que notre requête, monsieur le garde des sceaux, reste d'actualité.
Nous sommes parfaitement conscients du fait que nous ne pouvions pas aborder tous les aspects du problème de la transformation des tribunaux d'instance, qui requiert un professionnalisme que seuls vos services possèdent. Il faut se poser des questions sur l'articulation nécessaire, mais pas si facile à réaliser, entre la conciliation et la décision par le même homme. En effet, s'il faut donner deux fois les explications, faire deux fois les plaidoiries et les procédures, on n'aura obtenu aucun progrès. Comment faire ? Comment organiser en cas de non-conciliation le débat contradictoire, la présence des avocats, l'écrit et les communications de pièces dans une telle procédure ? On ne peut pas ignorer ces problèmes, auxquels il faut réfléchir.
Il convient aussi de réfléchir aux problèmes des voies de recours et de se demander quel serait le coût d'une réforme aussi importante, puisque nous l'imaginons évidemment sur une grande échelle.
Voilà une série de problèmes qui mériteraient d'être analysés. Nous vous avons proposé de participer à cette étude. Mais il vous appartient à cet égard de prendre des décisions, que nous nous permettons d'attendre avec une certaine confiance, d'autant que, depuis que ce rapport de la mission d'information a été mis en circulation, il a reçu des approbations dont je crois pouvoir dire qu'elles viennent d'un assez haut, et même d'un très haut niveau, ce qui semble indiquer qu'il doit bénéficier d'une certaine crédibilité.
Pour conclure, je dirai un mot de votre projet de budget, monsieur le garde des sceaux.
Nous savons tous, et vous le premier, que c'est probablement ce que l'on peut faire de mieux dans la conjoncture actuelle. Mais si l'on veut bien considérer les choses avec un peu de recul, c'est-à-dire sur les dernières décennies, on est bien obligé de constater une certaine monstruosité dans la structure de votre budget.
Il est, en effet, monstrueux que la France trouve tant et tant d'argent à dépenser pour des choses absolument injustifiées. Ai-je besoin de détailler les milliards de francs que l'on déverse dans les trous sans fonds d'un certain nombre d'entreprises auxquelles l'Etat a apporté sa participation ou par lesquelles il se croit concerné ? Comment peut-on dépenser des sommes aussi invraisemblables alors que le budget de la justice reste si notoirement insuffisant ? Encore une fois, cette situation est ancienne ; mais cela ne signifie pas pour autant que l'on doive l'accepter indéfiniment. Je me permets d'exprimer le voeu que le présent septennat, qui en est encore à son commencement, apporte de ce point de vue des modifications substantielles.
C'est le moment que s'exprime la voix de Cassandre, car si celle-ci doit quelquefois être entendue, c'est bien maintenant à propos de la justice. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. le rapporteur spécial applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un contexte de nécessaire rigueur budgétaire, consécutif à la volonté d'assainissement des finances publiques, le projet de budget de la justice pour 1997 marque la priorité du Gouvernement pour l'un des piliers de notre démocratie.
Le législateur ne peut qu'approuver le recentrage de l'action gouvernementale sur les missions régaliennes de l'Etat.
Le projet de budget pour 1997 que vous nous présentez, monsieur le garde des sceaux, est en progression de 1,77 % et s'élève à 23 892 millions de francs. Il prévoit la création de 327 emplois nets supplémentaires. C'est donc un budget qui poursuit l'effort engagé par votre prédécesseur pour moderniser la justice sur le fondement de la loi de programme du 6 janvier 1995.
Cette loi avait notamment permis de développer l'aide juridique et les investissements, de réformer la prise en charge sanitaire des détenus et de renforcer les effectifs de magistrats.
En dépit de cette augmentation budgétaire, le ministère de la justice apporte sa contribution au redressement des finances publiques à travers deux mesures.
La première consiste dans la mise en oeuvre d'une politique nouvelle de réduction et de rationalisation des dépenses publiques.
La seconde mesure propose l'étalement sur une année supplémentaire de la réalisation du programme pluriannuel, évoqué précédemment.
Aussi, il ne s'agit nullement d'une remise en cause d'un plan que nous considérons comme indispensable à la modernisation de notre justice ; il s'agit plutôt d'un réaménagement technique.
En revanche, ce budget permettra de dynamiser la justice, de l'adapter aux enjeux et aux exigences de notre société et de prévenir l'encombrement des juridictions.
Nous prenons acte de la création de 30 emplois de magistrats dans les cours d'appel et dans les tribunaux pour enfants, ainsi que de 147 emplois de fonctionnaires de catégorie C, afin de réduire les délais de traitement du contentieux.
Nous ne pouvons qu'approuver la création pour les juridictions administratives de 27 emplois de magistrats, ainsi que la création de 24 nouveaux emplois d'agents de greffe, qui doivent faire face à une augmentation significative du nombre des affaires enregistrées.
A ce propos - il semble d'ailleurs que vous en soyez d'accord, monsieur le garde des sceaux - il faudrait que, dans certains domaines, les greffiers, notamment les greffiers en chef, se voient confier certaines tâches accomplies à l'heure actuelle par les magistrats.
Avec cette délégation de pouvoir, les greffiers en chef pourraient intervenir chaque fois qu'il ne s'agit pas « de dire le droit », dans des domaines contentieux, comme les changements de noms ou les mises sous tutelle, par exemple.
Nous appelons de nos voeux une réforme de la justice qui devra tenir compte des travaux de la mission d'information sénatoriale menée sous l'autorité de mes collègues Charles Jolibois et Pierre Fauchon. Cette mission d'information considérait comme indispensable d'améliorer la gestion des juridictions, d'établir un plan de modernisation, de mieux utiliser les moyens, de favoriser l'évolution des mentalités et des méthodes de travail.
Pour mettre en place de tels objectifs, il était suggéré de mieux répartir les moyens, de les adapter aux flux de contentieux, de développer les actions de médiation et d'améliorer l'assistance aux magistrats.
Il faudra réaliser, pour cela, une réforme du statut de la magistrature, afin d'améliorer la gestion des carrières, d'augmenter la mobilité géographique des magistrats à travers des mesures incitatives et, ainsi, de donner une certaine souplesse aux affectations en fonction de la charge réelle de travail.
En rencontrant les différents intervenants de justice de Tours, j'ai pu constater que cette restructuration des emplois et le redéploiement des personnels au sein des juridictions sont très attendus.
De plus, monsieur le ministre, il conviendra de réorganiser la carte judiciaire sans méconnaître les impératifs de l'aménagement du territoire et le nécessaire maintien d'un service de proximité de la justice.
C'est ce qui doit nous conduire à diversifier les modes d'action, à améliorer et à accélérer le traitement des affaires pénales dit « traitement en temps réel ».
Il est vrai, monsieur le garde des sceaux, que le budget de la justice reste insuffisant au regard du budget général, avec 1,54 % des dépenses de l'Etat et 2,55 % des dépenses des budgets civils.
En effet, il existe une attitude contradictoire chez nos concitoyens qui, dans le même temps, critiquent la justice et se précipitent en masse devant elle ! Le juge est devenu non plus un ultime recours, mais un arbitre.
La progression des affaires civiles en témoigne : le procès tend à devenir un « produit de consommation courante ». Cette attitude est favorisée à la fois par un accès volontairement plus facile à la justice et par l'évolution des mentalités. De plus, l'inflation des normes prête trop souvent à contentieux.
Néanmoins, si les moyens sont encore insuffisants, nous ne pouvons que nous féliciter de la dotation destinée au soutien de l'aide juridique issue de la loi du 10 juillet 1991 à hauteur de 1 214,32 millions de francs. Cela marque votre souci d'un meilleur accès à notre justice pour les personnes les plus démunies.
En ce qui concerne le budget de l'administration pénitentiaire, la dotation représente 6 777 millions de francs pour 1997, soit 28,3 % du budget du ministère de la justice.
Malgré cette baisse de 1,83 % par rapport au budget de 1996, 167 emplois nets seront créés. En outre, les programmes de construction de 4 390 places nouvelles de détention et de 1 200 places de semi-liberté seront poursuivis.
Cependant, ces efforts ne compenseront pas l'augmentation permanente de la population pénale, due en partie à la durée de la procédure, à l'aggravation des peines et à un recours encore trop fréquent à la détention provisoire.
Le projet de loi relatif à la détention provisoire, adoptée par le Sénat le 30 mai 1996 et présenté à l'Assemblée nationale le 9 octobre 1996, doit aboutir rapidement, car la détention provisoire se situe à un niveau excessif, représentant 39,8 % en 1996 de la population pénale.
Il n'y a pas de fatalité à l'augmentation de la population carcérale. Celle-ci a encore augmenté de 2 % cette année, ce qui représente 20 % en dix ans. La surpopulation carcérale accroît les risques de conflits entre les détenus et rend plus difficile la tâche des personnels de l'administration pénitentiaire.
En ce qui concerne le débat sur les peines de substitution, il est indispensable de mesurer les effets des moyens alternatifs à l'incarcération. Ces derniers doivent contribuer à prévenir les récidives et les risques de délinquance accrue, au-delà de l'économie qu'ils représentent. Les moyens de substitution ne peuvent être la seule réponse à l'augmentation de la population carcérale.
Il faut ainsi améliorer la prise en charge des détenus pour pallier les récidives et éviter leur marginalisation croissante.
De même, pour éviter la récidive, le suivi des détenus est essentiel. Les détenus libérés en fin de peine n'en bénéficient pas. Aussi conviendrait-il d'élargir les systèmes de libération conditionnelle et les régimes de semi-liberté, permettant ainsi le développement indirect d'un tutorat.
Une autre action consiste à prévenir les agissements de ceux qui seraient tentés de tomber dans la délinquance.
Comme outil de paix social, l'action de la justice doit donc se recentrer sur des actions de prévention de la délinquance et d'amélioration de la prise en charge des détenus afin que la sanction ne soit pas vécue comme une exclusion.
La politique de la justice doit toujours être orientée dans le sens du retour à la vie en société.
C'est dans cette perspective, monsieur le garde des sceaux, que nous ne pouvons que saluer l'annonce que vous avez faite des mesures tendant à l'amélioration de la santé des détenus. J'ai pu constater localement les effets très positifs de cette politique de continuité des soins, un an après la signature de la convention.
La présentation du rapport de M. Gentilini consacré au sida, aux hépatites virales et à la toxicomanie en milieu pénitentiaire, en présence de M. Hervé Gaymard, le vendredi 22 novembre dernier, procède du même esprit.
C'est en brisant les tabous et en prévenant les risques de toxicomanie et de maladies que l'on évitera de marginaliser ces populations. Nous contribuerons ainsi à prévenir les dérives ultérieures, qui ont un coût humain et financier.
Aussi devons-nous accentuer l'hospitalisation des détenus quand elle se révèle nécessaire, et pas seulement dans des cas exceptionnels.
En ce qui concerne l'action de protection judiciaire de la jeunesse, les crédits progressent de 1,47 %, à hauteur de 2,5 milliards de francs, et représentent 10,5 % des crédits consacrés à la justice.
Cette action intègre les mesures préventives prises dans le cadre du plan de relance pour la ville. Elle prévoit notamment la mise en place des unités d'encadrement éducatif renforcé.
Ne faut-il pas accentuer les efforts sur les services de protection judiciaire de la jeunesse en termes de moyens et d'effectifs ? Ceux-ci sont encore insuffisants pour permettre une prise en charge personnalisée des mineurs dans des conditions satisfaisantes.
Il serait dommageable que ce manque de moyens aboutisse à un résultat contraire à celui qui est escompté.
Néanmoins, à côté de l'action préventive, il convient de ne pas sous-estimer le problème des multirécidivistes mineurs.
A la lumière des actes de vandalisme et de violence récents survenus dans l'agglomération tourangelle, je souhaiterais appeler votre attention sur la petite délinquance, celle qui génère un sentiment d'insécurité quotidienne dans ces quartiers et qui concerne souvent des mineurs.
Ces mineurs comparaissent devant une juridiction correctionnelle. Si la peine est inférieure à deux mois, elle n'est pas reportée sur le casier judiciaire, quand elle n'est pas effacée par une amnistie. Ces individus multirécidivistes, une fois majeurs, seront considérés comme des délinquants primaires lorsqu'ils comparaîtront devant un tribunal.
Aussi, je souhaiterais une adaptation du régime du casier judiciaire afin de garder pour l'institution judiciaire la mémoire de l'ensemble des condamnations sur la partie B 1 et de conserver la procédure actuelle pour la partie B 2, afin de ne pas pénaliser la recherche d'emploi et d'insertion.
Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je souhaiterais à nouveau vous faire part de la position du groupe du RPR sur une question qu'il considère comme particulièrement importante : l'éventuel rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice. En effet, il lui semble que la situation actuelle correspond à un équilibre satisfaisant. De plus, un tel rattachement ne pourrait pas être envisagé sans qu'une mesure analogue intervienne pour la gendarmerie, qui apporte, elle aussi, son concours à la justice.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Mais non !
M. Dominique Leclerc. Ces implications paraissent difficilement réalisables.
Monsieur le garde des sceaux, le projet de budget pour 1997 est marqué par une nécessaire rigueur. Mais il a su préserver l'essentiel des efforts entrepris pour moderniser et pour adapter l'institution judiciaire. C'est pourquoi mes collègues du groupe du RPR et moi-même le voterons. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un débat de cet ordre, il convient, du fait du temps de parole imparti, de cibler son propos. Je consacrerai donc mon analyse non pas à la politique judiciaire du Gouvernement, mais au budget lui-même, plus particulièrement à la partie du budget concernant les services judiciaires. En effet, ces derniers sont au coeur du problème du fonctionnement de notre justice et, à partir de l'analyse, il convient de dégager une réflexion pour l'avenir.
S'agissant des services judiciaires, il m'est difficile de rejoindre M. le rapporteur spécial quand il se déclare relativement satisfait. En effet, le constat que les chiffres appellent est simple : on observe une quasi-stagnation de l'ensemble du budget puisque, en francs constants, l'augmentation de 1,77 % représentera à peu près le maintien du budget ; peut-être, si nous avons de la chance, cette progression atteindra-t-elle 0,2 %.
Mais les services judiciaires eux-mêmes sont, hélas ! en régression. En effet, il faut prendre en considération deux facteurs dont l'évolution est conditionnée par des éléments extérieurs et pour lesquels il y a peu de chance de parvenir à une maîtrise budgétaire : les frais de justice ainsi que l'aide juridique et judiciaire.
Les frais de justice sont liés en effet à l'inflation judiciaire, que l'on ne peut pas espérer maîtriser avec les moyens actuels. Il en est de même de l'aide juridique et judiciaire, l'aide juridique étant liée de surcroît à la conjoncture économique très difficile que nous traversons.
Je rappellerai que les frais de justice, pour l'année écoulée, connaissent un accroissement de 7,8 % ; quant à l'aide juridique et judiciaire, elle progresse de 11,19 %. A eux deux, ces postes absorbent 25,83 % des crédits des services judiciaires. Si l'on examine le budget de fonctionnement de la justice, on constate ainsi que les services judiciaires ont régressé, passant de 35,46 % à 32,4 %. Les conséquences en sont inévitables. Quelles sont-elles ?
C'est tout d'abord - avec le regret unanime, je le sais, de la Haute Assemblée - l'inexécution de la loi de programme présentée par votre prédécesseur, M. Méhaignerie, et votée ici même. Sa durée est passée du rythme quinquennal à la durée sexennale, ce qui permet de camoufler le fait que nous n'aurons que trente créations de postes de magistrat au lieu des soixante créations de postes initialement prévues.
De la même façon, s'agissant des fonctionnaires, le calcul net - créations moins suppressions - fait apparaître un solde de soixante-six fonctionnaires, essentiellement de catégorie C. Je ne reviens pas sur la question des greffiers. On comprend que, avec cela, il n'y a guère d'espérance d'amélioration des effectifs.
Quant aux crédits de fonctionnement des juridictions du premier degré, ils baissent de 10 %. Voilà pour les moyens dont nous disposerons.
En ce qui concerne la gestion même, qui prend encore plus d'importance quand les moyens sont ainsi réduits, nous ne pouvons pas ne pas relever le retard dans les recrutements qui a caractérisé la période 1995-1996. Sur le papier, douze postes de conseiller de cour d'appel en service extraordinaire et trente-deux postes de magistrat à titre temporaire ont été créés. On promet aujourd'hui d'y pourvoir. Reconnaissons que ce n'était pas le moment de prendre ce retard !
En ce qui concerne les assistants de justice, comment ne pas s'inquiéter ? Il a fallu dix-huit mois - je dis bien « dix-huit mois » - pour passer les décrets et pourvoir au premier recrutement de ces assistants de justice, dont on connaît la nécessité.
On nous promet que demain verra les lendemains qui chantent. Nous en acceptons l'augure, mais je ne peux pas ne pas relever ces manquements.
En ce qui concerne le concours des greffiers, voilà quelques jours, à Dijon, le directeur me faisait part de son inquiétude, je dirai presque de sa mélancolie, en constatant qu'aucun concours de recrutement de greffier n'était prévu pour l'année 1997.
En ce qui concerne l'école nationale de la magistrature, l'ENM, il semblerait que l'on soit arrivé à stabiliser les choses. Je le dis très clairement depuis longtemps, on n'ouvre pas assez largement les portes de l'ENM.
Monsieur le garde des sceaux, je suis forcé de le dire, vous avez suscité chez moi une inquiétude assez rare à mon âge lorsque, dans Le Point du 8 juin 1996, j'ai lu, dans l'une de vos nombreuses interviews, cette déclaration : « Il faut mettre en place des concours exceptionnels ou des concours parallèles pour faire face à "l'hystérésis" de l'Ecole nationale de la magistrature ». J'ai eu un vertige. Seigneur ! quelle est cette maladie singulière dont notre école est affectée, me suis-je dit ? L'hystérésis de l'ENM ?
Fort heureusement, le Robert était là ! C'est ainsi que, grâce à vous, j'ai pu apprendre que l'hystérésis était une forme de ce que l'on appelle, dans d'autres domaines, le retard à l'allumage.
Grâce à vous donc, nous allons maintenant pouvoir pallier cette hystérésis de l'ENM. L'école est sauvée !
En ce qui concerne la réflexion, il est évident que la séance consacrée, sur l'initiative du Sénat, à l'examen du rapport de la mission Jolibois, présenté en termes excellents par notre collègue M. Fauchon, a ouvert des pistes.
Je tiens à marquer que deux évidences dominent le débat.
La première, c'est qu'il est de règle, je n'ose dire de mode, de venir à cette tribune dire que c'est un scandale, qu'il faut faire progresser sans tarder, et de façon significative, le budget de la justice. Qui ne s'associerait à cette proposition ?
Mais, si l'on veut bien considérer ce qui a existé dans le passé, si l'on veut bien prendre en compte ce qu'a été l'effort constant des gardes des sceaux et des gouvernements successifs depuis quinze ans, on constate que, dans ce domaine, la progression du budget de la justice a été véritablement très supérieure à celle du budget de l'Etat lui-même. On s'est constamment appliqué à améliorer ce budget.
Reprenons les chiffres et, d'abord, le pourcentage du budget de la justice dans le budget de l'Etat ; il était de 1,06 % en 1981, de 1.18 % en 1986, de 1,42 % en 1991, de 1,51 % en 1996. En quinze ans, on est donc passé de 1,06 % à 1,51 % du budget de l'Etat, soit un accroissement de 50 %.
Considérons maintenant l'augmentation en volume, en francs constants, bien sûr, sinon cela n'aurait aucun sens puisque dans les premières années de la période considérée on était encore en période de forte inflation et que ce n'est qu'à partir de 1983-1984, chacun le sait, qu'il y a eu un infléchissement : en partant du coefficient 100 en 1981, on arrive à 127,4 en 1986, à 164,3 en 1991 et à 193,5 en 1996.
Autrement dit, on a pratiquement doublé, en francs constants, le budget de la justice et accru de 50 % sa part dans le budget de l'Etat.
On me dira que ce n'est pas assez. Certes, mais je demande à chacun d'être lucide.
A cet égard, ce qu'a dit M. le garde des sceaux le 7 novembre dernier, à cette tribune, à savoir que, à la fin du siècle, nous serions à 2 % du budget de l'Etat, me paraît être, compte tenu des prévisions économiques et des engagements de la France, un voeu pieux. Il n'y faut pas compter !
Cela supposerait, en effet, une augmentation des crédits de quelque huit milliards de francs, en francs constants, dans les trois années à venir. Je n'y crois pas ; personne ne peut y croire sérieusement. Ce serait un miracle budgétaire, et l'expérience nous enseigne que les miracles sont rares en ce domaine.
Par conséquent, il faut que nous puissions, d'abord, nous en tenir à la loi de programme votée. Or, ce qui est navrant, et ce que reflète le budget actuel, c'est qu'un engagement solennel pris devant le Parlement voilà à peine deux ans, on n'est déjà pas capable de le tenir, en raison de la récession générale, certes, et non pas de votre fait, monsieur le garde des sceaux. Nous sommes en période de restriction budgétaire.
Partant de là, puisqu'il faut faire face à la deuxième donnée, c'est-à-dire l'inflation judiciaire continue, c'est ailleurs que dans la référence à un voeu pieux, à savoir l'accroissement illimité du budget de la justice, qu'il faut tourner nos yeux.
Le mérite premier de la mission du Sénat est, précisément, de s'être efforcée de trouver les pistes qui permettent, sans accroissement autre que celui de la loi de programme ou que celui, régulier, du budget, de faire face à la demande judiciaire.
Les choses sont simples, simples dans leur principe, mais difficiles dans leur application.
Elles sont simples si l'on suit les lignes indiquées dans le rapport de M. Fauchon.
D'abord, mieux utiliser ce dont nous disposons, c'est-à-dire redéployer les effectifs, et, à cet égard, la carte judiciaire a une importance capitale.
Ensuite, mieux utiliser les moyens dont nous disposons à l'intérieur des juridictions, ce qui suppose, évidemment, des réformes de procédure civile.
A cet égard, les lignes indiquées par la conférence des premiers présidents sont importantes. J'irai plus loin. Je dirai que, dans le passé, j'ai, me fondant sur le rapport Dehaussy, utilisé une méthode qui s'est révélée extrêmement fructueuse, celles des contrats passés dans les juridictions entre les chefs de juridiction et les représentants des avocats et des avoués à la cour. C'est grâce à cette méthode que nous avons pu complètement rétablir la situation dans les tribunaux de grande instance, en 1985 et 1986, en ce qui concerne les flux et les stocks.
Après avoir indiqué les priorités, j'en viens à la troisième donnée.
La conférence des premiers présidents a eu ce mot saisissant que je demande à chacun de retenir : « La voie du tout judiciaire est déraisonnable. » Sous la plume des premiers présidents, on mesure l'importance du propos ! Il est temps de quitter la voie du tout judiciaire.
Il y a d'abord le problème du tout juridictionnel, c'est-à-dire ce qui, dans la justice, fait l'objet de décisions ; à cet égard, au sein même de l'institution judiciaire, sous des formes diverses, il faut développer ce que l'on appelle unanimement maintenant la médecine douce, entendez la conciliation, la médiation.
Mais il faut aussi, je le répète, lutter en amont, et cela ne sera possible qu'en développant au sein même de la société, dans tout ce qui constitue des foyers sociaux, que ce soient les associations, les ensembles immobiliers, les syndicats, partout, des lieux de solutions amiables de conflit. Une expérience importante de médiation est en cours, à cet égard, à la chambre de commerce de Paris.
J'en terminerai en indiquant que nous ne sommes pas les seuls, en Europe - et au-delà d'ailleurs, mais je m'en tiens à la scène européenne - à connaître une crise judiciaire, c'est-à-dire à avoir ce fossé qui sépare la demande de justice des moyens de la justice.
Nos amis anglais ont le même problème. Il vient d'être publié un rapport de Lord Woolf, fort long - 330 pages - mais passionnant et extrêmement instructif à tous égards. Dans ce rapport, l'auteur indique que ce qui fut en son temps « la Rolls-Royce des justices » souffre aujourd'hui de graves manquements - et pas seulement à l'allumage ! - et qu'il faut résolument s'orienter vers d'autres voies.
La première proposition de Lord Woolf est que, dans une société moderne, le contentieux doit être l'exception, d'où le développement des moyens alternatifs de solution de conflit.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Facile à dire !
M. Robert Badinter. En ce qui concerne la solution judiciaire des litiges, le Sénat apprendra avec plaisir que le distingué Lord Woolf considère qu'il est temps que l'Angleterre, à son tour, se pourvoie de véritables juges de la mise en état et que, de l'accusatoire pur, qui a si longtemps régné, on passe maintenant à une forme plus mixte, dont certaines inspirations se trouvent très nettement dans la procédure française.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez évoqué les réformes de procédure civile, annonçant que ce serait l'objet de votre préoccupation au cours de l'année à venir. Nous en prenons acte.
J'ai relevé avec quelque étonnement votre propos selon lequel vous feriez cela avec les parlementaires intéressés des deux assemblées. Je pense que c'est aux commissions des lois qu'il appartient de suivre avec vous très étroitement ces questions.
Au regard de ce budget de la justice, dont nous ne pouvons, hélas ! en cet instant, que déplorer la régression, nous devons constater que c'est dans d'autres voies que se trouve celle de l'avenir. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Pierre Fauchon applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « qu'attendent nos concitoyens de l'Etat ? Qu'il assure la sécurité intérieure et extérieure du pays et que la justice soit rendue au nom de la République française et du peuple français.
« Cette dernière mission a-t-elle été remplie dans des conditions satisfaisantes ? A l'évidence, non.
« Depuis de nombreuses années, le Parlement, notamment la Haute Assemblée, n'a pas manqué de mettre en lumière les dysfonctionnements d'un système qui ne parvient ni à rendre des décisions dans des délais satisfaisants, ni à assurer véritablement la recherche, la poursuite et la répression des crimes et délits.
« Les causes de cette situation sont maintenant bien connues. Il ne s'agit pas de contester la qualité, la compétence et la conscience professionnelle de nos juges et des personnels. Il s'agit bien, et ce depuis longtemps, d'un problème de moyens, moyens que les gouvernements et les majorités successifs n'ont jamais su mettre à la disposition de notre justice.
« Le contexte budgétaire actuel ne permet pas la mise en place d'un véritable plan Marshall pour la justice, qui serait pourtant seul de nature à juguler l'asphyxie de nos juridictions.
« Seule une revalorisation du budget de la justice de l'ordre de 50 % pourrait garantir les recrutements, les formations, les aménagements et les équipements indispensables au désengorgement de notre système judiciaire. »
Tels étaient - vous les aurez reconnus - les propos tenus dans cethémicycle par M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, lors du débat sur les moyens de la justice.
A la question : la mission de la justice est-elle accomplie dans des conditions satisfaisantes, dignes d'un Etat de droit ? l'ensemble des intervenants au débat de novembre dernier répondaient par la négative.
Compte tenu de cette situation, il serait légitime d'attendre d'un gouvernement qui dresse le même constat qu'il prenne ses responsabilités et ouvre des crédits très importants pour que la justice sorte de son état de délabrement.
Force est de constater que tel n'est pas le cas, bien au contraire. Jugeons-en plutôt.
Le budget de 1997 de la justice s'élève à 23 892 millions de francs. La progression des crédits est de 1,77 %, ce qui représente en francs constants, soyons clairs, une quasi-stagnation. La part du budget de la justice dans le budget total de la nation demeure à un niveau quasi insignifiant : 1,51 %.
De plus, alors que les contentieux continuent d'augmenter, votre projet de budget, monsieur le garde des sceaux, ne satisfait même pas aux engagements pris en 1994 devant le Parlement, puisqu'a été annoncé unilatéralement l'étalement sur une année supplémentaire du programme pluriannuel, cela sans qu'aucune concertation ni même aucune information préalable des parlementaires n'ait eu lieu.
La loi de programmation pour la justice était pourtant jugée insuffisante à l'époque par la majorité des syndicats et des praticiens de la justice.
Sur le plan des créations de postes, le programme pluriannuel pour la justice voté en 1994 prévoyait la création de 300 postes de magistrats et celle de 1 020 postes de fonctionnaires des greffes sur cinq ans, soit, pour 1997, 60 magistrats et 204 fonctionnaires pour les services judiciaires.
La moitié de ces engagements ne seront pas tenus, comme cela vient d'être indiqué.
Alors que chacun s'accorde à reconnaître que la justice est proche de l'asphyxie, de l'embolie, comment se satisfaire d'une création nette de 96 emplois ?
Mesurons pleinement la portée de ces créations d'emplois en gardant à l'esprit que notre pays compte 1 195 juridictions de l'ordre judiciaire, plus de 6 000 magistrats et 19 107 agents des greffes.
Point n'est besoin de se livrer à un examen attentif de ces données pour arriver à la conclusion qu'un tel budget ne saurait réduire les dysfonctionnements de notre système judiciaire.
En outre, la pratique des gels d'emplois hélas ! connue dans le domaine de la justice va-t-elle perdurer ? Sur ce point, il convient de saluer le fait qu'en juillet 1995 l'ensemble des gels avaient été levés. Pourquoi cette pratique a-t-elle été réintroduite en mai dernier ?
De plus, quelles mesures, monsieur le garde des sceaux, comptez-vous prendre pour faire face aux besoins supplémentaires en magistrats et en personnels des greffes, dans l'hypothèse où votre projet de réforme des cours d'assises serait adopté dans les prochains mois ?
Cette question est d'autant plus d'actualité qu'il ne suffit pas de procéder à un recrutement supplémentaire de magistrats ; encore convient-il de les former, ce qui nécessite, vous en conviendrez, une vision prospective de l'avenir.
Je rappelle, pour mémoire, qu'entreront en fonction en 1998 les 145 personnes recrutées au concours de l'Ecole nationale de la magistrature en 1995, et en 1999 celles qui ont été recrutées en 1996.
En ce qui concerne l'aide juridique, la loi du 10 juillet 1991 devait permettre à notre pays de rattraper, par rapport à ses principaux voisins européens, son retard en matière d'accès au droit et à la justice des catégories de la population les plus défavorisées. Les résultats, là aussi, sont loin d'être à la hauteur des louables ambitions affichées.
En effet, la ligne budgétaire prévoit 920 millions de francs de crédits alors que l'Etat s'était engagé à consentir un effort financier étalé sur trois ans, de façon à porter à 1 350 millions de francs par an le montant des fonds consacrés à l'aide juridictionnelle.
Or le projet de loi de finances pour 1997 prévoit simplement l'indexation des plafonds de ressources pour l'admission des justiciables au bénéfice de l'aide et ne comporte pas de revalorisation de la rétribution des avocats, l'unité de valeur déterminant cette rétribution restant fixée à 140 francs en moyenne.
Pour ce qui concerne l'administration pénitentaire, les agents de cette administration dénoncent une dégradation continue de leurs conditions de travail, provoquée par le surpeuplement des établissements et l'insuffisance des effectifs.
Au 1er janvier 1996, 55 062 personnes étaient détenues dans les prisons françaises, soit 1 127 de plus que douze mois auparavant, et le nombre de détenus est passé en dix ans de 44 000 à 55 000, soit une hausse de 20 %.
Par ailleurs, le taux d'encadrement était en 1996 de 33,2 gardiens pour 100 détenus.
En regard de cette situation, le secteur pénitentiaire verra la création de 167 emplois, dont 127, c'est-à-dire la majeure partie, seront affectés au nouveau centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly, en Guyane.
S'il est aujourd'hui de bon aloi de discourir sur la nécessité de développer les mesures alternatives à l'incarcération, la promotion de celles-ci est loin d'être favorisée, et l'enfermement demeure privilégié, avec les conséquences que l'on connaît : hausse du nombre des incidents collectifs, augmentation du nombre des suicides et recrudescence des aggressions envers les personnels.
Nous avons eu l'occasion, lors des débats relatifs notamment à la détention provisoire - nous y reviendrons sans doute - d'évoquer cette question. Je souhaite toutefois rappeler qu'il était prévu dans le programme pluriannuel pour la justice d'augmenter de 770 les emplois budgétaires des agents chargés du suivi des condamnés en milieu ouvert. L'échéancier prévoyait le recrutement de 250 agents en 1995, 250 en 1996 et 270 en 1997.
Quant au projet de loi de finances pour 1997, il ne prévoit la création que de 40 nouveaux emplois en milieu ouvert.
Nous sommes, là encore, bien loin des belles déclarations d'intention et des beaux discours sur le caractère éminemment nocif de l'incarcération.
Je ne saurais conclure mon intervention sans évoquer le sort réservé aux services de la protection judiciaire de la jeunesse.
D'un montant de 2,5 milliards de francs, les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse augmentent de 1,47 % contre 5,5% l'an passé, ce qui correspond, en fait, à une stagnation, voire à une diminution.
Ce chiffre est à rapprocher de celui qui indique la progression des jeunes pris en charge et qui a crû de 3,6 %.
En outre, la priorité est donnée à l'équipement des nouvelles unités à encadrement éducatif renforcé, ce qui a pour conséquence une réduction des moyens mis à la disposition des structures classiques de prise en charge des jeunes en difficulté.
Avec les personnels de la protection judiciaire, nous déplorons le fait que leur mission éducative de prévention et de réinsertion soit ainsi de plus en plus oubliée au profit d'une action répressive, remettant ainsi en cause, comme le fit le projet de loi relatif à l'enfance délinquante, l'esprit même de l'ordonnance de 1945. L'examen des créations d'emplois est significative de cette orientation, puisque sur les 65 créations brutes d'emplois, 59 sont destinées à ces fameuses UEER.
Je voudrais indiquer, en conclusion, monsieur le garde des sceaux, que nous ne saurions voter un budget allant à l'encontre des besoins et des aspirations tant des personnels de justice que des justiciables.
Lors du débat du 7 novembre dernier, vous aviez contesté mon intervention qui expliquait comment vous répondiez à l'engorgement de notre système judiciaire par la déjudiciarisation de certains contentieux ou encore par le recours à la vacation ou au recrutement de magistrats non professionnels. De fait, avais-je indiqué, l'absence de moyens tend à entraver l'accès à la justice, à limiter la demande de justice, droit pourtant fondamental dans un Etat de droit.
Qui pourrait le contester ? Vous l'avez pourtant fait, monsieur le garde des sceaux, sans plus d'explication que cela. Je vous invite aujourd'hui à développer votre point de vue.
Pour revenir au budget lui-même, nous sommes bien loin des promesses du candidat Jacques Chirac de porter à 2,5 % la part du budget de la justice dans le budget total de la nation !
L'année prochaine, monsieur le garde des sceaux, ferez-vous comme cette année en annonçant promptement l'étalement sur une année supplémentaire du programme autrefois quinquennal relatif à la justice pourtant voté par le Parlement en 1994 ?
Vous comprendrez dès lors notre inquiétude de voir perdurer une situation désastreuse dans laquelle les intérêts des justiciables sont une nouvelle fois sacrifiés sur l'autel des réductions des dépenses publiques.
Nous ne saurions souscrire à une telle logique et nous regrettons que le Gouvernement et sa majorité, après avoir été unanimes à constater l'état de délabrement de la justice, souscrivent à un budget que l'ensemble des personnels de justice dénoncent comme insignifiant.
Demain, comme aujourd'hui ou le 7 novembre dernier, vous serez encore nombreux, mes chers collègues, à déplorer l'asphyxie ou l'embolie de notre système judiciaire. Et les Français seront en droit de s'interroger sur votre attitude et vos responsabilités alors que tout va mal et que rien ne change !
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, disposant de trois minutes, je me bornerai à traiter deux questions intéressant particulièrement les Français établis hors de France.
La première concerne les délais de délivrance des certificats de nationalité pour nos compatriotes nés à l'étranger.
Le service de la rue Ferrus est enfin opérationnel, grâce à la réorganisation totale de son fonctionnement, qui s'appuie sur un personnel motivé de cinq greffiers en chef et de cinq greffiers. Ainsi, depuis le 1er janvier 1996, les dossiers sont traités au fur et à mesure de leur arrivée, ce qui représente un progrès notable, avec des délais moyens de délivrance des certificats de nationalité de quatre à cinq mois.
Ce sont les dossiers en stock qui posent encore un problème : de 14 000 au début de 1995, ils ont été réduits à 11 000, mais cette résorption paraît encore trop lente à nos nombreux compatriotes qui attendent depuis plusieurs années leur certificat de nationalité.
Mais nos administrés expatriés les moins bien lotis sont ceux de Madagascar et des pays de l'océan Indien, qui dépendent du tribunal d'instance de Saint-Denis de la Réunion. Des délais encore exorbitants de cinq à six années pour la délivrance des certificats de nationalité sont courants et la communication avec ce service est pour le moins difficile.
Monsieur le garde des sceaux, vous aviez annoncé en septembre dernier au Conseil supérieur des Français de l'étranger que la mission d'étude mise en place à l'occasion de la réforme de l'Etat et chargée de faire le bilan de l'organisation et du fonctionnement des services du traitement des questions de nationalité relative notamment aux Français nés à l'étranger devait rendre ses conclusions avant la fin de l'année. Ces conclusions ont-elles été rendues et quelles sont-elles ?
Ma seconde question concerne surtout les femmes françaises à l'étranger : il s'agit des délais de transcription des jugements de divorce, qui attendent souvent près de deux ans.
Vous avez déclaré au CSFE que vous alliez essayer de mettre l'accent sur ce point. Quelle mesure avez-vous pu prendre, monsieur le garde des sceaux, pour améliorer la situation à ce sujet ?
Je vous remercie par avance de vos réponses, monsieur le garde des sceaux, et, bien entendu, nous voterons votre budget, en augmentation pour 1997. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la justice est le dernier que nous examinons avant les articles de la deuxième partie du projet de loi de finances. Cela démontre sans doute l'importance que nous attachons à ce budget. Dans la mesure où c'est le dernier que nous examinons - et un lundi matin ! - il est certainement le plus noble... (Sourires.)
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est une tradition !
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le garde des sceaux, je ne redirai pas tout ce qui a été excellemment dit par mes collègues sur la situation du budget de la justice.
On peut en avoir une approche qui est très négative ou une approche qui, sans être positive, est plus optimiste, en estimant que, compte tenu des efforts entrepris pour redresser les finances publiques, ce budget s'en sort un peu mieux que d'autres.
Cela étant, je partage le sentiment de M. Badinter : il ne faut pas laisser croire que l'on augmentera indéfiniment le budget de la justice. Néanmoins, il ne serait pas impossible d'y affecter 2 milliards de francs de plus par an et d'arriver ainsi à 2 % du budget de l'Etat à la fin du siècle. Quand on voit les sommes que l'Etat est obligé de dépenser pour combler les gouffres qui ont été creusés par le Crédit lyonnais, le Crédit foncier ou quelques autres établissements... Lorsque ces dettes seront épongées, peut-être pourrons-nous faire un effort supplémentaire pour la justice !
Au sein de ce budget, les services ne sont pas tous traités de la même manière. Ainsi, la dotation consacrée aux services judiciaires augmente-t-elle de 4,40 %. Celle qui est consacrée à l'administration centrale et aux services communs, en revanche, diminue. Il est vrai qu'il est plus facile de faire des économies dans ce domaine. De plus, il vaut mieux que ce soit ceux qui sont sur le terrain qui profitent d'une augmentation du budget.
Je ferai quelques observations sur le fonctionnement des services judiciaires.
De gros efforts ont été accomplis par les magistrats pour améliorer la productivité. Si le démarrage de l'informatisation a donné lieu à quelques difficultés, on le sait, il apparaît qu'on se trouve maintenant, à cet égard, dans une phase de fonctionnement satisfaisant.
Cela dit, les juridictions semblent avoir atteint aujourd'hui, en matière de productivité, un seuil difficile à dépasser. On ne peut plus guère espérer gagner beaucoup en ce domaine, sinon du côté des assistants de justice, qui sont susceptibles d'apporter une aide précieuse aux magistrats.
A ce propos, nous regrettons tous que l'on mette tant de temps à appliquer la loi du 8 février 1995.
De même, nous ne comprenons pas pourquoi les décrets sur les magistrats à titre temporaire ne sont toujours pas parus. Cela fera bientôt deux ans que le Parlement attend la concrétisation de sa volonté de voir ainsi rendre une justice de proximité. Je rappelle que ces magistrats à titre temporaire, aux termes de la loi, doivent répondre, pour assurer un certain nombre de missions, à des exigences précises de qualification.
Nous savons qu'il y a des candidats, mais, faute des décrets nécessaires, il ne peut être donné suite à ces offres de services.
C'est fort regrettable, car il y a, dans ce dispositif, une source d'améliorations considérables.
J'ai également beaucoup de mal à comprendre que l'on crée tant d'emplois d'agents administratifs. Ce n'est pas là que, à mon sens, se trouve la priorité ; mieux vaudrait faire porter l'effort sur la création d'emplois de catégorie B, eu égard aux difficultés que rencontrent les greffes. Vous voudrez bien nous expliquer pourquoi, monsieur le garde des sceaux, on a fait ce choix, qui ne correspond pas tout à fait à la loi de programmation.
Par ailleurs, ainsi que mon excellent collègue et ami M. Pierre Fauchon l'a souligné, à l'examen d'un grand nombre de juridictions françaises, il apparaît clairement qu'on ne peut continuer à laisser supposer que l'on ne fera rien en ce qui concerne la carte judiciaire. On le sait, selon les juridictions, pour un même nombre de magistrats, l'indice de l'activité varie de un à cinq.
Je pense ici, notamment, à certains tribunaux de la grande couronne, et plus particulièrement aux tribunaux de grande instance de Meaux et de Melun, qui ne peuvent plus faire face, notamment en matière pénale, ce qui est très grave, aux missions qui sont celles de la justice.
Je sais bien qu'on avance des exigences d'aménagement du territoire et qu'un certain nombre de collectivités auraient à souffrir d'un regroupement de juridictions - au demeurant, il y a peut-être d'autres formules - mais il est évident qu'il va falloir s'attaquer courageusement au problème de la carte judiciaire, car il n'est pas normal que certains tribunaux d'instance aient une activité extrêmement réduite alors que des tribunaux de grande instance rencontrent les pires difficultés, faute d'un nombre suffisant de magistrats : il suffit qu'un magistrat soit malade pour que le tribunal ne fonctionne plus ! Il y a donc vraiment à oeuvrer dans ce domaine.
Monsieur le garde des sceaux, j'aurais mauvaise grâce à me plaindre en ce qui concerne la juridiction administrative puisqu'un tribunal administratif a été créé à Melun.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. La Seine-et-Marne est gâtée ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. Nous allons enfin connaître, dans l'ancienne juridiction de Versailles, des délais de jugement à peu près raisonnables.
Je me contenterai donc de rappeler que, en matière de contentieux administratif aussi, la demande de justice est de plus en plus forte.
En ce qui concerne la formation, des efforts sont réalisés. Néanmoins, monsieur le garde des sceaux, je me permettrai de me faire, auprès de vous, l'écho des préoccupations des barreaux.
La dotation pour la formation des avocats est restée stable. De ce fait, sa part dans l'ensemble, des crédits consacrés à la formation est passée de 50 % en 1981 à 17 % aujourd'hui. Je pense que les avocats ne pourront pas continuer à faire eux-mêmes l'effort nécessaire pour compenser cette situation.
J'avais été amené, à la demande du Gouvernement, à formuler quelques propositions concernant la formation des avocats et des magistrats. Il y a là matière à réflexion car, bientôt, les écoles des barreaux ne seront plus en mesure de remplir leur mission.
Monsieur le garde des sceaux, le groupe de l'Union centriste votera ce projet du budget, en souhaitant que la durée d'exécution du programme pour la justice ne soit pas de nouveau allongée.
M. Badinter a indiqué que l'amélioration des conditions dans lesquelles la justice est rendue exigeait des réformes portant à la fois sur les structures et sur les procédures. Pour ma part, j'insisterai sur l'augmentation de la demande de justice.
Ainsi, les affaires familiales connaissent une véritable explosion. Cela montre toute l'utilité du juge aux affaires familiales dans notre société.
De même, en matière de relations de travail, les contentieux se sont multipliés. Peut-être n'a-t-on pas encore trouvé les formules adéquates.
En tout état de cause, monsieur le garde des sceaux, si l'on veut entreprendre des réformes touchant les procédures, les études d'impact manifesteront tout leur intérêt, car il n'est pas question que des procédures nouvelles soient institué sans que des moyens supplémentaires soient consentis. (M. Robert Badinter acquiesce.) En effet au cours des vingt dernières années, les juges ont connu trop de réformes sans que de nouveaux moyens soient accordés, ce qui a aggravé dans des proportions considérables la situation de la justice en France. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Authié.
M. Germain Authié. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, mon collègue Robert Badinter a analysé, voilà quelques instants, la part du budget de la justice pour 1997 qui est réservée à l'administration centrale et aux services judiciaires. Je ne traiterai donc que de l'administration pénitentiaire, et, si le temps me le permet, monsieur le président, j'évoquerai la protection judiciaire de la jeunesse.
Nous examinons un budget qui ne peut se prévaloir de faire partie des priorités du Gouvernement. Son taux de progression est à peine supérieur à l'inflation. Dès lors, si l'on tient compte de la courbe des salaires, il régresse. Quand on se souvient, monsieur le garde des sceaux, des déclarations que vous faisiez lorsque vous siégiez à l'Assemblée nationale, il n'y a pas si longtemps, et des engagements que vous avez pris à la suite de votre prédécesseur, M. Méhaignerie, on peut considérer qu'il s'agit presque d'un budget de renoncement.
Les lois de finances de 1995 et 1996 comportaient des mesures budgétaires propres à assurer les deux premières tranches du plan pluriannuel. Nous nous attendions légitimement que le projet de budget pour 1997 comportât les crédits nécessaires à la mise en oeuvre de la troisième tranche. Or nous ne les avons pas trouvés, du moins pas dans leur intégralité, en raison de la décision du Gouvernement d'étaler sur six ans, et non sur cinq, l'exécution du programme pluriannuel.
Cette décision que vous avez présentée, monsieur le ministre, comme l'expression de la contribution de lajustice à l'effort de redressement des finances publiques, augure mal de l'avenir. Ne faut-il pas craindre, en effet, une nouvelle décision de prolongation lors de la préparation du budget pour 1998, dans l'hypothèse, fortprobable, où la situation économique et financière ne s'améliorerait pas ?
Le budget de l'administration pénitentiaire, d'un montant de 6,8 milliards de francs, est en diminution de 1,8 % par rapport à 1996. Certes, les dépenses ordinaires augmentent de 1,48 %, soit presque autant que l'inflation, mais les dépenses en capital baissent fortement : de 44 %. Quant aux autorisations de programme, elles subissent une diminution de 3,7 %.
Que dire des mesures indemnitaires ? Les personnels pénitentiaires ne vont bénéficier que de l'application de la réforme Durafour. Mais les grands oubliés sont les personnels techniques de l'administration pénitentiaire : ce n'est pas encore l'année prochaine que les personnels administratifs percevront enfin l'indemnité de sujétion spéciale à laquelle le statut spécial dont ils relèvent leur donne droit et que vous vous étiez engagé à verser.
L'allongement d'une année du programme pluriannuel pour la justice aura aussi des incidences en ce qui concerne l'équipement pénitentiaire. En effet, les premiers établissements correspondant aux 4 400 places nouvelles prévues par la loi du 6 janvier 1995 devaient être livrés à la fin de l'année 2000. Peut-on penser que cette échéance sera respectée, après la remise en cause du calendrier initialement arrêté ?
Je n'ai pas le temps d'aborder les conséquences du surpeuplement carcéral. J'aurais pourtant voulu les évoquer, notamment en ce qui concerne la drogue dans les prisons.
Le développement de la toxicomanie dans les prisons me conduit, monsieur le ministre, à vous demander de poursuivre les réformes du dispositif de soins en milieu pénitentiaire. Les enjeux de cette réforme sont considérables en termes de santé publique tant l'état de la santé mentale et physique de la population pénale est préoccupant.
La protection judiciaire de la jeunesse subit, elle aussi, les conséquences des restrictions budgétaires. Or il s'agit d'un secteur où les besoins sont de plus en plus grands, comme vous nous le disiez, monsieur le ministre, à l'occasion de l'examen de votre projet de loi relatif aux mineurs délinquants. Malheureusement, les solutions qui ont été retenues dans ce texte ne sont pas de nature à décharger les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse.
Considérant que les crédits inscrits à votre budget ne sont pas à la hauteur des besoins de la justice, le groupe socialiste ne peut les voter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, la justice est l'objet d'un véritable chantier de réformes, celles-ci étant rendues nécessaires par l'évolution de la société française.
Monsieur le garde des sceaux, comme vos prédécesseurs, vous êtes confronté à ce défi. Vous avez la volonté de le relever. La tâche n'est pourtant pas aisée. Le consensus n'est pas toujours au rendez-vous, que ce soit au Parlement, dans les médias ou, surtout, dans une opinion publique inquiète et exigeante.
Le défi est complexe, les problèmes sont multiples, les solutions ne sont pas toujours évidentes et certains dossiers sont ouverts depuis longtemps. Ils ont nom : détention provisoire, secret de l'enquête et de l'instruction, pouvoirs du juge d'instruction, agissant isolément ou dans la collégialité, augmentation de la délinquance, lenteur des procédures, allongement des peines et surpopulation carcérale, sans oublier le droit des sociétés et la difficile adaptation de la carte des juridictions à la France de la fin du xxe siècle.
La commission des lois du Sénat, à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir autrefois, a voulu apporter sa contribution. Sous la présidence de M. Jacques Larché, elle a organisé des débats, procédé à des investigations, entendu de nombreux rapports de missions, notamment celui de MM. Haenel et Arthuis, celui de MM. Jolibois et Fauchon, et celui de M. Rufin sur la protection judiciaire de la jeunesse.
On peut dire que, au Sénat, existe une prise de conscience de la nécessité d'adapter la justice à son temps...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Tout à fait !
M. Guy Cabanel. ... et qu'elle concerne l'ensemble des groupes de notre assemblée. C'est pour vous, monsieur le garde des sceaux, un élément encourageant dans votre action réformatrice. Bien sûr, cela n'exclut pas l'éventualité de contradictions ardentes ; mais c'est la loi de la démocratie !
La question que l'on peut d'abord se poser est de savoir si le budget de votre ministère est à la hauteur des objectifs que je viens d'évoquer.
Avec près de 23,9 milliards de francs, le budget du ministère de la justice progressera en 1997 d'environ 1,8 % par rapport à la loi de finances initiale de 1996. Cette augmentation est certes modeste mais elle est significative dans le contexte général de maîtrise des dépenses. Elle témoigne, en effet, du souci du Gouvernement d'accorder à la justice une place qui doit rester prioritaire.
Le budget de la justice participe cependant à l'effort de redressement des finances publiques. L'augmentation qu'il enregistre bénéficiera surtout aux crédits consacrés aux juridictions administratives et aux services judiciaires.
La recherche d'économies a notamment porté sur l'étalement sur une année supplémentaire du programme pluriannuel, ce qui a entraîné une diminution de 266 millions de francs en autorisations de programme. Mais il faut souligner que ce dispositif est appliqué à tous les programmes quinquennaux.
Par ailleurs, la réduction des effectifs dans l'administration centrale traduit le souci de privilégier les actions sur le terrain.
Trois points me paraissent positifs dans votre budget, monsieur le ministre. En effet, les marges de manoeuvre dégagées, et je m'en félicite, contribueront, dans certains domaines, à la modernisation du service public de lajustice.
Le premier point concerne les créations d'emplois. A ce titre, il convient de saluer la création nette de 377 emplois au ministère de la justice alors que, d'une manière générale, les effectifs civils de l'Etat diminueront de 5 599 unités. A l'exception de l'administration centrale, tous les secteurs du ministère de la justice bénéficieront de ces créations : les services judiciaires bénéficieront de 96 emplois dont 30 magistrats, les administrations pénitentiaires de 167 emplois, dont 105 surveillants, la protection judiciaire de la jeunesse de 60 emplois et les juridictions administratives de 46 emplois dont 16 magistrats.
Deuxième point : je me réjouis des éléments de réponse apportés au problème de la délinquance. Nous sortons un peu ici du domaine budgétaire mais le domaine réglementaire est aussi de votre responsabilité. Je me réjouis personnellement du décret du 22 juillet 1996 qui a pris en compte l'une des propositions qui figurait dans mon rapport intitulé Pour une meilleure prévention de la récidive. Il a en effet étendu le champ d'application de l'article D. 49-1 du code de procédure pénale des peines de six mois à celles de un an. Cette disposition contribuera à améliorer l'individualisation des peines et peut-être à diminuer la surpopulation carcérale.
S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, deux dispositions ont été prises afin de lutter contre le problème très préoccupant de la délinquance juvénile. La première concerne la création d'unités à encadrement éducatif renforcé. Ces unités permettront de remédier au chaînon manquant entre le simple hébergement et la prison. Sachez que je ne suis pas de ceux qui protestent contre cette disposition, loin de là.
La seconde disposition concerne l'essor des mesures de réparation, tout particulièrement celles qui sont prononcées à l'égard des mineurs. Cette disposition traduit non seulement le souci de refuser le « tout carcéral », mais aussi celui de prononcer des mesures pédagogiques et mieux adaptées à la réparation du préjudice de la victime.
Quant au placement sous surveillance électronique, qui figurait également dans mon rapport, le Sénat a récemment adopté les dispositions de mise en oeuvre de cette technique comme modalité d'exécution des peines inférieures à un an et des fins de peines. Je tiens, à cet égard, à vous remercier de l'aide que vous avez apportée à ce débat. Je souhaite que vous fassiez en sorte que cette proposition de loi soit rapidement examinée par l'Assemblée nationale.
S'agissant de la garantie des droits des détenus - c'est un autre point positif que j'évoquerai - deux séries de mesures ont été prises au cours des années 1995 et 1996.
Je rappellerai d'abord, en matière de santé, que tout détenu, depuis le 1er janvier 1994, est obligatoirement affilié au régime d'assurance maladie. Et surtout, la loi du 18 janvier 1994 a confié aux services hospitaliers la responsabilité de la santé en milieu carcéral.
Le décret du 27 octobre 1994 a attribué à l'établissement de santé, en accord avec la direction de l'établissement pénitentiaire, la coordination des actions de prévention, de traitement et de suivi des malades.
En tant que médecin, je craignais que l'extension de ce dispositif à l'ensemble des établissements pénitentiaires français ne soulève de sérieuses difficultés. Mes craintes ont été levées puisque, après un départ difficile, la plupart des protocoles d'accord entre les hôpitaux et les établissements pénitentiaires sont signés et entrent en application.
S'agissant du droit disciplinaire, le décret du 2 avril 1996 clarifie opportunément la situation. Notre collègue Georges Othily en a présenté les apports relatifs notamment à la nouvelle définition des fautes disciplinaires, à la procédure et aux sanctions ainsi qu'à la consécration d'un droit de recours du détenu.
Quant à l'accès au savoir, qui est un élément important de la réinsertion - certains ont parlé un peu pompeusement d'un droit à l'enseignement dans les prisons - il a été bien développé au cours des années 1995 et 1996. En effet, 314 000 heures d'enseignement ont été assurées en 1995 et 24 552 détenus en ont bénéficié. Par ailleurs, 1 600 détenus ont suivi des cours par correspondance. Ce sont là des motifs de satisfaction.
Toutefois, on éprouve quelques inquiétudes. En effet, la limitation des crédits pour 1997 amène à regretter le maintien de quelques points noirs.
Le premier concerne les juridictions. On peut déplorer le taux réellement excessif des classements sans suite puisqu'il concerne 80 % des plaintes. Des progrès ont été enregistrés au cours de ces dernières années. Cependant, 45 % des plaintes contre auteur connu sont toujours classées.
Par ailleurs, se pose le problème connexe du délai de traitement des affaires. Le programme pluriannuel pour la justice s'est fixé pour 1999 des objectifs pour un traitement en temps réel des procédures pénales. En effet, les délais prévus sont de douze mois pour les cours d'appel contre quatorze mois à quinze mois en moyenne en 1995, de six mois pour les tribunaux de grande instance contre neuf mois en 1995 et de trois mois pour les tribunaux d'instance contre cinq mois à cinq mois et demi en 1995. Ces objectifs doivent être maintenus, mais ils seront difficiles à atteindre.
Dans ce contexte, nous pouvons nous demander pour quelles raisons il n'a pas été prévu d'organiser de concours de greffiers en 1997.
Par ailleurs, s'agissant de l'administration pénitentiaire, se pose toujours le lancinant problème de la surpopulation carcérale. En dépit de la loi d'amnistie, celle-ci se maintient à peu près au même niveau. Le taux d'occupation des maisons d'arrêt est, en moyenne, de 125 %, ce qui est considérable. Les établissements pour peines sont légèrement sous-occupés, puisque ce taux avoisine 85 %. Mais certaines prisons connaissent des situations très difficiles, telle celle de Meaux où ce taux est de 284 % ou celle de Béziers où il est de 238 %.
En milieu carcéral, existe le douloureux problème de la contamination au VIH et aux hépatites du fait de la circulation de la drogue et du partage de seringues. Le rapport d'activité de l'administration pénitentiaire et le récent rapport du professeur Marc Gentilini, publié le 22 novembre, ont lancé des cris d'alarme. Le rapport de M. Marc Gentilini a d'ailleurs pu choquer l'opinion car il a bien mis en lumière les problèmes de sexualité et de drogue dans les prisons, faits jusqu'à présent occultés.
Quelques petits problèmes administratifs nécessiteraient une solution. Je joins ma voix à celle de mon collègue Georges Othily en ce qui concerne la prime pour la fermeture d'établissement aux personnels guyanais. Cette prime ayant été payée en effet partout, nous ne voyons pas pourquoi elle ne le serait pas en Guyane.
La protection judiciaire de la jeunesse a subi un gel budgétaire portant sur le quart des 107 créations d'emploi inscrites dans la loi de finances pour 1996. Nous devrons être particulièrement attentifs à ce sujet de même qu'à certaines revendications des personnels de la protection judiciaire de la jeunesse qui ne bénéficieraient pas des « protocoles Durafour ».
Un problème se pose également dans l'administration pénitentiaire. Vous avez récemment présenté en conseil des ministres un décret relatif aux personnels de l'administration pénitentiaire, et tout particulièrement à leur classement indiciaire. La situation statutaire des personnels administratifs proprement dits de l'administration pénitentiaire a-t-elle été évoquée ? Nous recevons, à cet égard, un abondant courrier.
Tels sont les sujets qui nous interpellent et qui mériteraient de faire l'objet d'un certain nombre de réponses.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, je dirai que la justice nécessite encore bien des adaptations pour répondre au développement actuel de la délinquance. Le budget de la justice pour 1997 n'échappe certes pas aux stricts impératifs du projet de loi de finances. Mais il est, à mon avis, mieux traité que d'autres.
Les efforts que vous avez déjà entrepris pour rapprocher les Français et leur justice, monsieur le garde des sceaux, pourront se poursuivre en 1997, et c'est pourquoi, tout comme la majorité des membres du Rassemblement démocratique et social européen, je m'associerai à votre démarche et je voterai votre budget. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Turk.
M. Alex Turk. Monsieur le garde des sceaux, le budget que vous nous présentez est, comme mes collègues l'ont souligné avant moi, l'un des rares budgets épargnés par l'impératif de réduction des dépenses publiques.
Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons, il parvient même à enregistrer une légère progression.
En particulier, l'équipement judiciaire fait l'objet de dotations budgétaires importantes, avec près de 2 milliards de francs en autorisations de programme et en crédits de paiement.
Je me bornerai, dans le temps qui m'est imparti, à évoquer la poursuite du programme pluriannuel d'équipement et à vous poser une question.
Les crédits inscrits en 1997, soit 590 millions de francs en autorisations de programme, permettront le financement des opérations liées à la construction des nouveaux palais de justice d'Avesnes-sur-Helpe, d'Avignon, de Bourgoin-Jallieu, de Fort-de-France, de Narbonne et de Pontoise.
A elle seule, cette liste montre bien que la présence de la justice est nécessaire à l'aménagement du territoire de notre pays, mais aussi, sur un plan plus symbolique, au renforcement de la confiance de nos concitoyens dans leur système judiciaire.
Peut-être plus que toute autre, l'administration de la justice doit être un service de proximité et un exemple en matière d'aménagement du territoire afin de permettre aux citoyens de bénéficier de la même justice en termes de délais de jugement, d'accessibilité et de personnels.
Je ne citerai qu'un exemple, celui que je connais le mieux, celui d'Avesnes-sur-Helpe, dans le département du Nord.
L'état actuel du tribunal de grande instance est tel que le bâtiment a été classé dangereux pour la sécurité des personnes. M. Poyart, député-maire d'Avesnes-sur-Helpe, me disait récemment que, pendant quelque temps, la justice avait même été rendue dans la salle des fêtes.
Le calendrier de réalisation prévoit le choix des équipes de maîtrise d'oeuvre pour la mi-décembre et la sélection du lauréat pour le printemps prochain, mais le début des travaux n'est programmé que pour juillet 1998.
Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je suis attentif aux coûts de construction des équipements publics et je vous rejoins dans votre souci de rigueur et d'économies, il faut demander aux maîtres d'ouvrage comme aux maîtres d'oeuvre d'éviter de prendre en compte certaines demandes excessives exprimées ici ou là.
Cependant, il me semble que l'accélération des mises en chantier traduirait un objectif prioritaire de votre politique en vue de valoriser la place de la justice dans la cité et de contribuer à l'efficacité et au prestige de l'institution judiciaire. C'est pourquoi je serais heureux, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez nous indiquer si cette accélération vous paraît opportune et possible. (MM. Fauchon, Durand-Chastel et Habert applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'efforcerai de ne pas répéter les propos, fort excellents, tenus par MM. Haenel, Authié, Othily et Rufin. Je les remercierai simplement d'avoir exposé au Sénat, avec beaucoup d'exactitude et de pertinence, les dispositions de ce projet de loi de finances pour 1997 concernant la justice.
Pour ma part, j'essaierai de vous présenter de manière plus intelligente, au sens de plus politique, les raisons pour lesquelles il s'agit d'un budget à la fois d'économies et de mesures nouvelles, ce qui n'est pas toujours compris. Par ailleurs, en réponse à certains intervenants, j'indiquerai quelles sont les grandes lignes de notre action.
D'ailleurs, comme l'a souligné M. Fauchon tout à l'heure, nous ne faisons là que poursuivre, un mois plus tard, le débat que nous avons eu ici le 7 novembre dernier, à propos du rapport de la mission communément dénommée « mission Jolibois-Fauchon ».
Je soulignerai tout d'abord, comme vous l'avez tous fait, que, pour 1997, le budget de la justice reste prioritaire : il comporte 327 créations nettes d'emplois, alors que les effectifs budgétaires civils de l'Etat diminueront d'environ 5 600 emplois, et une progression des crédits de 1,77 %, ce qui représente 415 millions de francs supplémentaires, alors que les autres budgets civils demeurent constants.
Naturellement, je ne peux qu'être heureux de présenter ce projet de loi de finances à l'approbation des parlementaires, d'autant que le Sénat - l'un d'entre vous l'a souligné voilà quelques instants - a, de longue date, marqué une prédilection particulière pour le secteur de la justice. Il a d'ailleurs souvent effectué des études et formulé des remarques fort judicieuses à ce sujet.
Au cours des derniers mois, trois rapports sénatoriaux remarquables ont traité de la justice : le rapport de la mission d'information du Sénat consacré aux juridictions judiciaires, sous la présidence de M. Jolibois et sur le rapport de M. Fauchon le rapport sur la population pénale, les alternatives à l'incarcération et la lutte contre la récidive, qui avait été confié par le précédent gouvernement à M. Guy Cabanel, qui me l'a remis au début de l'été dernier ; enfin, le rapport de M. Rufin, établi également à la demande du Gouvernement, sur la protection judiciaire de la jeunesse et la délinquance juvénile. Vos travaux comme nos propres réflexions sont marqués du résultat et des propositions de ces études.
Je vais donc vous présenter les emplois et les crédits prévus pour le ministère de la justice en 1997.
Premièrement, ce budget a une ligne directrice : tout en participant à l'effort de rigueur pour le redressement des finances publiques, il permet un déroulement très correct de la loi de programme.
Deuxièmement, il donne la possibilité de mettre en oeuvre, dans chaque secteur, des politiques de rationalisation et de progrès. J'évoquerai successivement ces deux points.
La ligne directrice du budget de la justice pour 1997 c'est la rigueur, comme pour tous les autres, mais c'est également un déroulement aussi satisfaisant que possible de la loi de programme relative à la justice.
Il convient de souligner que le budget de la justice est caractérisé par de très fortes progressions automatiques et inéluctables d'une année sur l'autre.
Les dépenses de la justice sont à 60 % des dépenses de personnel, qui ont une progression mécanique très lourde. Ainsi, dans le projet de loi de finances pour 1997, les ajustements obligatoires pour les agents déjà présents augmentent de 158 millions de francs.
De même, il y a environ 2 000 détenus de plus chaque année, dont il faut assurer la prise en charge et les soins : 66 millions de francs supplémentaires devaient ainsi être obligatoirement inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997, en dehors même de toute mesure que l'on pourrait souhaiter par ailleurs pour améliorer, par exemple, l'encadrement des détenus, la préparation de leur réinsertion, ou pour développer les mesures de milieu ouvert.
En outre, 30 millions de francs supplémentaires sont nécessaires pour les jeunes de la protection judiciaire de la jeunesse confiés au secteur associatif habilité, qui, comme vous le savez, exécute les deux tiers des décisions des juges des enfants.
Il est un autre facteur dont la progression est, en quelque sorte, inéluctable : la montée en régime de l'aide juridictionnelle - à laquelle plus de 340 000 admissions ont été prononcées au 1er semestre 1996 - a conduit à un ajustement de 131 millions de francs supplémentaires pour 1997.
D'autres ajustements sont liés à l'activité des juridictions : 30 millions de francs de plus pour les frais de justice et 10 millions de francs supplémentaires pour les vacations des conseillers de prud'hommes.
Au total, et en s'en tenant aux masses principales, il était donc nécessaire d'inscrire de toute façon 425 millions de francs de crédits supplémentaires pour les grandes évolutions obligatoires par rapport à 1996.
Compte tenu du contexte général d'économie qui conduisait à n'allouer au ministère de la justice que 415 millions de francs de crédits supplémentaires, nous aurions été incapables d'engager des actions nouvelles. Pour éviter cette perspective inacceptable, j'ai donc recherché des économies.
S'agissant du fonctionnement courant, l'économie est de 2,2 %, soit 87 millions de francs. J'attends, en effet, d'une meilleure organisation des services déconcentrés davantage de rigueur dans l'utilisation de l'argent public. Par ailleurs, je fais procéder à d'importantes renégociations de loyers et de contrats de maintenance.
Je souhaite préciser à ce sujet à M. Authié que la baisse de la dotation affectée au fonctionnement des services judiciaires est non pas de 10 % mais de 4 %. Et, sur le chapitre 37-92, qui concerne le fonctionnement courant, la diminution des crédits ne représente que 1,15 %. Si, en apparence, la baisse s'élève à 10 %, c'est parce qu'un certain nombre de crédits ont été transférés aux cours d'appel. Si vous le souhaitez, monsieur Authié, je pourrai vous donner des explications techniques.
Les crédits informatiques centraux ont été réduits de 15 %, soit de 48 millions de francs. Cette économie trouve son origine dans la poursuite des actions engagées depuis plusieurs années : rigueur dans la gestion des crédits, achèvement des grands projets - le casier judiciaire en 1995 et la nouvelle chaîne pénale au premier trimestre de 1996 - et lancement d'un seul grand projet pour l'informatique pénitentiaire, le projet de gestion informatisée des détenus en établissement, le GIDE.
La troisième marge d'économie qui a été dégagée touche aux crédits d'équipement : d'une part, l'exécution de la loi de programme, comme tous les engagements pluriannuels de l'Etat, est étalée sur une année supplémentaire, ce qui a engendré mécaniquement une diminution de 266 millions de francs sur les autorisations de programme ; d'autre part, les crédits de paiement ont été réduits de 91 millions de francs.
Toutefois, cette approche globale ne doit pas masquer le fait que les crédits de paiement alloués à l'équipement judiciaire progresseront, en 1997, de 20 % pour financer tous les marchés de travaux en cours des opérations de Bordeaux, Grasse, Melun, et des opérations de sécurité dans de nombreux palais de justice.
En revanche, les crédits de paiement alloués aux services pénitentiaires baissent puisque les prisons de Baie-Mahault et de Ducos sont livrées en 1996, que Rémiré-Montjoly le sera à la mi-1997 et que le programme de 4 000 places ne sera lancé qu'en 1997, lorsque sera connu le montant des autorisations de programme pour 1998, c'est-à-dire en juillet 1997 - je réponds à MM. Othily, Authié et Cabanel.
Il s'agit d'un bon calendrier, qui respecte ce qui a été prévu dans la loi de programme relative à la justice : d'abord les mesures concernant les services judiciaires, ensuite, les investissements dans le pénitentiaire.
Enfin, 148 emplois budgétaires, soit à peu près 23 millions de francs, ont été supprimés : 36 au titre de la réduction des effectifs des administrations centrales, 112 au titre de l'accroissement de productivité lié au développement de l'informatique.
A ce propos, j'apporterai quelques précisions.
Tout d'abord, répondant à une remarque de M. Badinter, j'indiquerai que jamais le niveau des vacances d'emploi n'a été aussi bas au ministère de la justice : au 30 novembre 1996, seulement 302 emplois étaient vacants, soit 1,3 % du total des emplois, ce qui peut être considéré comme un taux « frictionnel » et l'indice d'une très bonne gestion de nos moyens.
Ensuite, je préciserai que, actuellement 1 005 agents recrutés sont en cours d'affectation.
Par ailleurs, pourquoi recruter de manière privilégiée des agents de catégorie C ? Cette question a été posée notamment par MM. Badinter, Authié et Leclerc. D'une part, parce qu'un très important repyramidage a été effectué, ces dernières années, de la catégorie C vers la catégorie B ; d'autre part, parce que le besoin essentiel auquel il était urgent de pourvoir concernait les agents d'exécution de catégorie C. Sur ce point, je pourrais me référer à deux bibles : dans le rapport Haenel, Arthuis élaboré il y a trois ans, et dans le rapport Jolibois-Fauchon, établi voilà un mois figurent exactement les mêmes choses à ce sujet.
Bien entendu, à partir de 1997-1998, il sera de nouveau procédé à des recrutements d'agents de catégorie B, c'est-à-dire de greffiers, ne serait-ce que pour ne pas provoquer d'à-coup dans la gestion du corps. D'ailleurs, je puis d'ores et déjà vous indiquer - je m'adresse notamment à monsieur Authié - qu'un concours sera certainement ouvert à la fin de l'année 1997, selon les vacances de poste constatées.
Par conséquent, au total, s'agissant des points essentiels, environ 250 millions de francs d'économie ont pu être prévus.
Ces marges de manoeuvre retrouvées permettront d'introduire une certaine souplesse dans différents domaines et de financer en partie des mesures entièrement nouvelles inscrites dans ce projet de budget pour 1997.
Ce sont 111 millions de francs qui seront consacrés à des mesures véritablement nouvelles : 475 créations brutes d'emplois, dont 374 au titre de la loi de programme, soit un crédit total de 81 millions de francs ; 11 millions de francs pour des mesures statutaires ; 19 millions de francs pour le fonctionnement des services et l'action sociale en faveur des personnels.
Par ailleurs, j'ai obtenu, je le rappelle, 1 357 millions de francs en autorisations de programme pour la poursuite de la loi de programme et des équipements dans tous les secteurs.
Je répondrai maintenant aux questions qui m'ont été posées par M. Durand-Chastel. Il s'agit d'un bon exemple de l'utilisation des moyens supplémentaires dont nous disposons.
M. Durand-Chastel a reconnu combien s'était améliorée la situation rue Ferrus, et je l'en remercie. Les magistrats et les personnels concernés seront satisfaits de voir leurs efforts reconnus par un orfèvre en la matière.
Il est vrai, monsieur le sénateur, que le stock de dossiers reste important. Je souhaite vous donner à ce sujet quelques indications que je pourrai qualifier d'optimistes - je sais que M. de Cuttoli s'intéresse également à cette question.
Depuis 1996, nous traitons les affaires en temps réel ; nous ne prenons plus de retard.
A la fin de l'année 1994, le stock était de 16 000 dossiers ; aujourd'hui, il s'élève à 11 000 dossiers. Par conséquent, en deux ans, un progrès très important a été accompli.
Je tiens surtout à souligner que, sur ces 11 000 dossiers en instance, 9 700 sont considérés comme ayant déjà été examinés ou sont en voie d'examen, 5 700 sont en attente de pièces, et 4 000 sont à la frappe. On peut donc considérer que, sur le stock de 11 000 dossiers, moins de 2 000 dossiers seulement n'ont pas été examinés.
S'agissant de la question particulière à propos de Madagascar, la situation est effectivement plus mauvaise que prévu, monsieur le sénateur : Madagascar dépend non pas du tribunal de premier arrondissement, mais, exceptionnellement, du tribunal d'instance de Saint-Denis de la Réunion.
Nous avons, en effet, deux ans de retard. J'étudie actuellement la possibilité d'affecter en surnombre un greffier en chef au tribunal d'instance de Saint-Denis, comme nous l'avons fait rue Ferrus, ce qui nous permettrait d'entreprendre le traitement des affaires en instance, la résorption du stock, et, bien entendu, de pouvoir traiter en temps réel les demandes nouvelles.
Je souhaite à présent vous faire un résumé d'ensemble de la situation à ce jour au regard de la loi de programme. Je signale d'ailleurs que je viens d'envoyer au Parlement le rapport d'exécution prévu par la loi de programme. Mais je peux, puisque nous sommes réunis aujourd'hui, vous donner quelques indications. Je vous avais promis d'apporter ces précisions lors du débat que nous avons eu ici même le 7 novembre dernier.
Au titre du redressement des finances publiques, le Gouvernement a décidé d'étaler sur un an supplémentaire l'exécution des lois de programme. Pour la justice, cela implique une exécution de la loi de programme sur six budgets de 1995 à 2000, au lieu de cinq de 1995 à 1999.
Dans ce contexte, le taux d'exécution de la loi de programme pour la justice, compte tenu des lois de finances de 1995 et 1996 et du projet de loi de finances pour 1997, me paraît satisfaisant, et je vais le démontrer.
En ce qui concerne les emplois budgétaires, la loi de programme prévoit la création de 5 760 emplois supplémentaires. Parmi ceux-ci, 1 750 sont réservés pour les projets de loi de finances pour les exercices 1998 et suivants : ce sont les emplois pénitentiaires qui sont liés à l'ouverture du programme de construction des « 4000 » et aux 1 200 places nouvelles en centres de semi-liberté.
L'exécution idéale du programme pluriannuel pour la justice sur six ans serait d'avoir, au terme des budgets 1995 à 1997, obtenu 2 005 emplois, soit 50 % de 4 010 emplois c'est-à-dire les 5 760 emplois diminués des 1 750 emplois de l'administration pénitentiaire qui sont reportés dans la deuxième partie.
Or, nous aurons en fait 1 943 emplois - soit un taux de réalisation de 48,5 % - ce nombre d'emplois étant fort proche des 2 005 prévus, qui représenteraient un taux de 50 %.
En ce qui concerne l'équipement, il en est de même.
La loi de programme prévoit 8 100 millions de francs d'autorisations de programme. Au bout des trois années 1995 à 1997, 4 528 millions de francs ont été inscrits, soit 55,9 %, avec, bien entendu, un plus faible taux pour les services pénitentiaires puisque, je le rappelle, la construction des places nouvelles est pour la deuxième partie du programme pluriannuel pour la justice.
Qu'il s'agisse des emplois ou des équipements, le bilan d'exécution de la loi de programme est donc des plus corrects.
Derrière les crédits sur lesquels je viens de vous donner quelques explications, quelles politiques va t-on mener pour les différents secteurs de la justice ?
Ma ligne directrice est toujours la même : l'amélioration du service rendu par la justice passe à la fois par le renforcement de ses moyens budgétaires et par des mesures d'organisation, qui permettent une meilleure efficacité des moyens alloués.
En ce qui concerne les juridictions judiciaires, ce projet de budget me permet de poursuivre un double objectif : des juridictions plus efficaces, pour une justice dont la place doit être mieux reconnue.
L'efficacité, c'est surtout la lutte contre l'engorgement grâce à l'accroissement des moyens et au choix des méthodes les plus propres à augmenter la productivité.
Ainsi sont prévues quatre-vingt-seize créations d'emplois nettes, dont trente emplois de magistrat et soixante-six emplois de fonctionnaire. Comme en 1996, l'accent sera mis sur les catégories C, comme je l'ai indiqué tout à l'heure. Les magistrats, les greffiers en chef et les greffiers seront ainsi déchargés de tâches d'exécution qui obèrent leur activité propre.
De même, pour aider le juge à se recentrer sur sa fonction essentielle, le projet de budget prévoit la création de cent emplois d'assistant de justice en plus des deux cents emplois pour lesquels des crédits ont déjà été inscrits en 1996. Je voudrais préciser que nous n'avons pas attendu le décret sur les assistants pour les mettre en place. On en compte déjà environ cent cinquante dans les juridictions. Je réponds ainsi à ce qui a été dit par M. Hyest à leur sujet. Je lui ai également répondu en ce qui concerne les fonctionnaires de catégorie C, dont il se plaignait qu'ils soient recrutés de préférence aux greffiers. Je lui ai indiqué tout à l'heure ce qu'il en était : nous reprendrons naturellement le recrutement pour les catégories A et B l'année prochaine.
Il n'y a pas que l'augmentation des moyens. S'agissant des juridictions, il faut aussi mieux maîtriser certains postes de dépenses. Ainsi - et vous avez tous souligné ce point que j'ai mis à l'ordre du jour, notamment depuis mon audition, à la fin du mois d'octobre, par la mission d'information Jolibois-Fauchon - l'augmentation des dépenses pour frais de justice est préoccupante. En 1997, elles devraient représenter 6,3 % de l'ensemble des crédits du ministère. Pour éviter une croissance qui serait plus importante encore si la tendance des années précédentes, qui est de l'ordre de 10 % par an, se maintenait, et qui serait donc sans rapport avec l'augmentation de l'activité pénale, nous préparerons des mesures législatives et réglementaires permettant, par exemple, de ne plus conserver pendant des années des pièces à conviction devenues inutiles en payant des frais de garde parfois considérables.
De même, l'accroissement du coût des missions des conseillers prud'hommes est sans proportion avec l'augmentation, beaucoup plus modeste, du contentieux prud'homal. En 1997, j'espère limiter à 10 millions de francs la progression de ces dépenses de vacations par une gestion plus rigoureuse, en liaison, bien sûr, avec les présidents de ces juridictions, avec qui j'ai commencé à m'en entretenir.
En outre, il faut en finir avec le paradoxe suivant : alors que la plus grande partie des crédits judiciaires sont déconcentrés, ce ministère n'a jamais mis en place de véritables structures de gestion déconcentrée, pas plus qu'il ne dispose d'un véritable contrôle de gestion à l'échelon central.
Tout cela changera avec la création de services d'administration régionale dans chaque cour d'appel et avec une rapide évolution des relations entre l'administration centrale et les services déconcentrés. Nous expérimenterons en 1997, dans deux cours d'appel, une nouvelle procédure budgétaire.
Par ailleurs, des mesures doivent être prises pour rendre plus efficace le travail judiciaire lui-même. Nous avons déjà eu un échange approfondi sur ce sujet le 7 novembre dernier je vous y renvoie.
Pour compléter mes propos, sur les questions d'organisation des juridictions et de carte judiciaire, et pour répondre aux préoccupations de plusieurs orateurs, notamment MM. Haenel et M. Fauchon, je préciserai que j'ai mis en place, en novembre, un groupe de travail sur la simplification de l'organisation des juridictions de première instance et sur l'amélioration de l'accès à la justice par un « guichet universel de greffe ». Ce groupe est présidé par M. Francis Casorla, premier président de la cour d'appel d'Orléans ; il remettra son rapport en mars 1997.
Je voudrais dire également à M. Fauchon que ses propositions relatives aux contentieux de masse vont être étudiées très sérieusement, mais que j'attends les conclusions définitives du président Coulon - qui doit me rendre, vous le savez, un rapport sur la réforme de la procédure civile - pour commencer cette réflexion.
Enfin, je rappellerai à MM. Fauchon et Hyest ce que j'ai annoncé le 7 novembre ici même, à savoir l'ouverture d'une réflexion sur la carte judiciaire, réflexion qui doit bien sûr partir d'une certaine conception d'ensemble. Depuis vingt ans, on a fait, à Paris, des rapports sur la carte judiciaire idéale et on n'a rien fait pour la carte judiciaire. J'en ai conclu qu'il était peut-être nécessaire de recourir à une autre méthode !
C'est la raison pour laquelle, monsieur Fauchon, j'ai décidé de commencer du bas vers le haut,...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... ce qui n'interdira pas, naturellement, lorsque la base aura fait son diagnostic, que, ensuite, les administrations centrales - les inspecteurs des finances, les inspecteurs des services judiciaires et tous les grands cerveaux politiques que nous pouvons compter à Paris - indiquent quelle est leur conception.
Je crois que, dans ce sens-là, nous avons une chance d'aboutir, alors que la démonstration a été faite, depuis vingt ans, que, dans l'autre sens, c'est-à-dire de haut en bas, nous n'avons jamais abouti à quoi que ce soit, et ce pour une raison simple : chacun d'entre nous ressent les propositions qui sont faites par l'administration centrale comme une agression injustifiée et donc, comme l'huître dans sa coquille, rentre chez lui et refuse d'en parler. Moi, je voudrais qu'on en parle.
Tel est, monsieur Fauchon, le sens de cette consultation nationale. Quand on en aura parlé effectivement, on élaborera une carte judiciaire idéale. Et je suis persuadé qu'elle sera non pas conflictuelle mais consensuelle. Si elle était conflictuelle, on ne pourrait pas la faire ; si elle est consensuelle, on pourra sans doute avancer.
Il faut des juridictions plus efficaces, mais aussi une justice dont la place soit mieux reconnue.
Je rappelle que - et cela peut paraître un détail pour certains - dès mon arrivée à la Chancellerie, en août 1995, j'ai fait procéder à une revalorisation du rang protocolaire des magistrats - et Dieu sait que cela n'a pas été facile ! J'ai également lancé un plan, qui se poursuivra en 1997, en vue de donner aux chefs de juridiction des conditions de vie comparables à celles des représentants de l'exécutif dans les départements, notamment du point de vue des logements et des voitures de fonction.
Les fonctionnaires des services judiciaires, quant à eux, continueront, en 1997, à bénéficier des très importantes avancées du protocole Durafour, et, s'agissant des greffiers, des repyramidages supplémentaires spécifiques. J'ai tenu, mardi dernier, un important comité technique paritaire ministériel au cours duquel nous avons mis en place sept décisions très importantes comportant des améliorations statutaires en application du protocole Durafour qui, à la justice, avait pris, il faut le souligner, un certain retard.
Par ailleurs, nous poursuivrons pour les juridictions notre ambitieux programme d'équipement. Sont ainsi prévus pour les services judiciaires 884 millions de francs en autorisations de programme pour 1997, pour les grandes opérations, mais aussi pour la rénovation des bâtiments existants, avec une priorité nouvelle et absolue pour la sécurité des bâtiments judiciaires.
En ce qui concerne les grandes ou les moyennes opérations, M. Türk a souligné - et je l'en remercie - que j'avais donné des instructions pour une architecture pratique, symbolique de la place de la justice, mais aussi peut-être moins coûteuse que ce que l'on a fait jusqu'à maintenant.
S'agissant des services judiciaires, je dirai un mot à M. Authié, en réponse à l'un des points qu'il a soulignés dans son rapport, celui de la part de plus en plus importante des frais de justice et de l'aide juridictionnelle dans les crédits des juridictions judiciaires. C'est un sujet que j'ai moi-même, si j'ose dire, inauguré, alors que jusqu'à maintenant on était un peu prudent dans l'expression sur ce point.
Il faut effectivement maîtriser l'évolution des frais de justice, mais on ne peut pas considérer qu'ils ne sont pas des dépenses pour les juridictions. On ne peut pas faire ce que vous avez fait, monsieur Authié, c'est-à-dire les déduire des bases de comparaison sur l'évolution des crédits de juridictions. En effet, si on adoptait ce principe pour toutes les administrations, je crois que l'on fausserait complètement l'analyse budgétaire.
Les frais de justice, ce sont des achats de biens et de services qui concourent directement au fonctionnement de la justice, mais qui ont pour particularité d'être liés au traitement des affaires prises individuellement.
Par ailleurs, on ne doit pas mettre dans un pot commun la forte progression des frais de justice et celle de l'aide juridictionnelle, car elles sont d'une nature radicalement différente. En effet, l'aide juridictionnelle est une prestation sociale, et non pas une dépense de fonctionnement. La progression des crédits pour l'aide juridictionnelle est, elle, tout à fait normale, contrairement à celle des frais de justice, puisqu'elle traduit l'arrivée de cette prestation à son régime de croisière après la profonde réforme de 1991.
En ce qui concerne les services pénitentiaires, l'année 1997 marquera bien la dualité des orientations d'avenir : d'une part, renforcer le nombre de places et l'encadrement en milieu pénitentiaire pour limiter la surpopulation carcérale et mieux l'encadrer, y compris en vue de la réinsertion ; d'autre part, développer les mesures qui permettent d'éviter le recours à l'incarcération.
Ces deux objectifs se retrouvent directement dans le projet de loi de finances pour 1997, avec 167 créations nettes d'emploi réparties de la manière suivante : 127 emplois pour le nouveau centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly en Guyane - il ouvrira au milieu de l'année 1997, avec un taux d'encadrement considérablement renforcé puisqu'il comptera 160 surveillants au lieu de 56 dans le centre actuel - 37 emplois pour les personnels d'insertion et de probation en milieu ouvert - cela signifie que, pour les budgets 1995, 1996 et 1997, il y aura eu 297 emplois supplémentaires pour les comités de probation et d'assistance aux libérés - et 3 emplois de direction et de personnels techniques.
Je voudrais, à ce sujet, répondre plus précisément à plusieurs questions posées par MM. Othily, Cabanel et Authié, et concernant les personnels du secteur pénitentiaire.
Monsieur Othily, s'agissant des effectifs des nouveaux établissements des Antilles-Guyane, nous allons procéder à leur installation, puis nous ferons une étude technique afin de savoir si, comme vous l'avez dit, il manque un certain encadrement. Les organisations syndicales ont présenté à cet égard des revendications que nous étudions ; mais il faut disposer de tous les éléments pour pouvoir les apprécier. C'est à la fin du premier trimestre de l'année 1997, je pense, que nous pourrons déterminer les éventuels ajustements des organigrammes actuels, ainsi que certaines modifications éventuelles de l'organisation actuelle du service. Mais croyez bien que je prends en compte ces questions. Nous n'allons pas restés figés, si je puis dire, dans la situation actuelle, si des modifications se révèlent nécessaires.
En ce qui concerne les personnels pénitentiaires de réinsertion, M. Othily a déploré le retard des créations d'emplois ; le programme pluriannuel prévoit effectivement 768 créations ; c'est un rythme annuel de 128 créations, sur la base d'une exécution sur six ans de ce programme. En fait, ce rythme a été respecté en 1995 et en 1996, avec 260 travailleurs sociaux recrutés.
Le projet de loi de finances pour 1997 ne tient pas tout à fait ce rythme, puisque nous passons à 37 recrutements ; mais j'ai souligné que, sur les trois années 1995, 1996 et 1997, nous parvenions à un niveau de 297 emplois nouveaux, ce qui me paraît manifester clairement la priorité que nous accordons aux personnels de réinsertion.
MM. Othily et Cabanel m'ont interrogé sur l'octroi de l'indemnité de fermeture aux personnels de la maison d'arrêt de Cayenne comme aux autres personnels de l'outre-mer. Il faut bien comprendre que cette indemnité de fermeture a été créée à l'occasion de la mise en service des établissements du parc 13 000 places et de la fermeture de manière concomitante d'un certain nombre d'établissements. Depuis, elle a été attribuée lors des fermetures des maisons d'arrêt de Bastia et de Fort-de-France, et elle le sera prochainement à Pointe-à-Pitre.
Son attribution au personnel de la maison d'arrêt de Cayenne est actuellement à l'étude, et la décision du Gouvernement sera arrêtée avant l'ouverture du nouveau centre pénitentiaire de Rémiré-Montjoly qui, comme vous le savez, interviendra au cours de l'été ou au tout début de l'automne de l'année 1997.
Enfin, monsieur Authié, les personnels administratifs techniques de l'administration pénitentiaire ne sont pas oubliés. Les personnels administratifs vont bénéficier sans délai du protocole Durafour, et nous préparons pour les personnels techniques un projet statutaire nouveau qui sera approuvé d'ici à quelques mois.
J'en viens à l'équipement pénitentiaire. En 1997, 337 millions de francs d'autorisations de programme nous permettront de poursuivre la rénovation du parc existant et d'engager les acquisitions foncières ainsi que diverses études en vue des nouvelles constructions prévues par la loi de programme relative à la justice. Je compte lancer des concours durant l'été 1997, dès que je connaîtrai le niveau des autorisations de programme et des crédits de paiement pour 1998. Mais en dehors des moyens proprement budgétaires, l'année 1997 sera aussi une année clé pour avancer sur la voie des alternatives à l'incarcération et de la diversification des modes d'exécution des peines. Je pense à cet égard à l'aboutissement, d'ici à la fin de l'année, du projet de loi sur la détention provisoire et, dans le prolongement direct des propositions du rapport de M. Cabanel et de la proposition de loi du Sénat récemment transmise à l'Assemblée nationale, à l'engagement de l'expérience de placement sous surveillance électronique.
En 1997, mon administration approfondira les études techniques pour lesquelles des premiers contacts ont déjà été pris avec des entreprises spécialisées ; elle étudiera, par ailleurs, les mesures d'organisation des services pénitentiaires qu'une telle évolution impliquera.
J'ajoute, notamment à l'intention de M. Cabanel, que, si l'Assemblée nationale n'inscrivait pas suffisamment vite cette proposition de loi à l'ordre du jour réservé de l'Assemblée nationale, je ferais le nécessaire pour qu'elle soit inscrite à l'ordre du jour prioritaire, fixé par le Gouvernement, de manière que son examen intervienne au plus tard à la fin du printemps et que cette nouvelle loi sur le placement sous surveillance électronique puisse être promulguée.
MM. Othily et Cabanel ont très justement insisté sur la mutation que représente, pour l'administration pénitentiaire, le nouveau régime disciplinaire transparent et plus moderne. Cette mutation doit bien sûr s'accompagner de la recherche d'une plus grande rigueur et d'une meilleure efficacité de la part de l'administration pénitentiaire. C'est la raison pour laquelle je m'attache, comme je viens de le dire à M. Authié, à améliorer les conditions statutaires et indemnitaires des personnels concernés - une réforme très significative du statut des personnels de direction a notamment été engagée cette année - tout en modernisant la gestion de ceux-ci et en réorganisant le fonctionnement de l'administration centrale autour du concept de contrôle de gestion.
Vous avez souligné aussi le formidable progrès qu'a représenté la mise en place du système de santé pénitentiaire de droit commun. En effet, les détenus sont des assurés sociaux, et ils reçoivent à ce titre les mêmes soins préventifs ou curatifs que le reste de la population. A cette fin, je me suis attaché, depuis que je suis arrivé à la Chancellerie, à mettre en place tous les protocoles nécessaires avec les hôpitaux. Cela n'a pas été facile, mais c'est maintenant chose faite.
Par ailleurs, j'ai décidé de lever un certain nombre de tabous. C'est ainsi que j'ai demandé à l'inspection des services judiciaires un rapport sur la drogue en prison. J'ai également demandé au professeur Gentilini un rapport, qu'il m'a remis voilà quelques jours, de manière que nous puissions faire face sans faux-semblants à la réalité qui prévaut dans les centres de détention. Il faut utiliser la détention comme un temps de prévention et de prise en charge sanitaires ; nous pouvons le faire, et nous devons y consacrer les moyens nécessaires. Je puis vous assurer, en tout cas, que les décisions qui relèvent de ma compétence et de celle du ministre de la santé seront prises.
S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, M. Rufin a mis en évidence, dans le rapport qu'il a remis cet été au Premier ministre ainsi que dans l'avis qu'il a présenté au nom de la commission de lois sur les crédits prévus à cet effet pour 1997, l'ampleur de la tâche, ainsi que la grande difficulté que présentait l'accomplissement de cette mission dans la France d'aujourd'hui.
Il a notamment souligné, en s'en inquiétant un peu, la plus forte part que représentent, dans le secteur public, les mesures pénales
Je voudrais préciser ici deux points.
Tout d'abord, ce recentrage est prévu par la loi de programme relative à la justice ; il est du reste normal que ce soit le secteur public qui assure prioritairement le traitement de la délinquance, et, comme il ne peut pas tout faire compte tenu de ses moyens, qui se limitent à 1,3 milliard de francs au total, il est normal que les jeunes délinquants représentent une part croissante - 49 % en 1995 - du total des jeunes pris en charge dans le secteur public.
Pour autant, il faut souligner l'importance de l'effort budgétaire consenti en faveur du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse dans son ensemble, qu'il s'agisse ou non du domaine pénal.
En emplois, 198 postes budgétaires nets auront été créés au titre de la loi de programme en trois ans, c'est-à-dire en 1995, 1996 et 1997, soit un taux d'exécution de la loi de programme de près de 50 %, le meilleur du ministère avec les juridictions administratives ; de plus, 59 emplois sont inscrits à part pour 1997 pour les unités à encadrement éducatif renforcé que j'ai commencé à mettre en place à partir du mois de septembre dernier.
Je précise à cette occasion que les vacances d'emploi à la protection judiciaire de la jeunesse que M. Rufin a relevées sont largement dues au fait que certains reclassements statutaires sont en cours de publication et que les nominations aux postes vacants dans ces emplois ne pourront avoir lieu qu'ensuite, c'est-à-dire très prochainement.
En équipement, 240 millions de francs auront été inscrits sur ces mêmes trois années, soit 60 % de ce qui est prévu par la loi de programme. Je précise que, sur les années 1995 et 1996, 133 places supplémentaires d'hébergement auront été réalisées dans le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, en plus des UEER.
Enfin, l'année 1997 verra l'aboutissement d'importants plans statutaires pour les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse qu'il s'agisse des personnels de direction, des agents spécialistes ou des agents techniques d'éducation. Ce sont également ces textes qui ont été examinés par le comité technique paritaire ministériel mardi dernier.
J'ajoute en réponse à certaines interventions à cette tribune, que je voudrais que nous parvenions à prendre en charge avec les parquets tout particulièrement ce que l'on appelle aujourd'hui les « incivilités ». Si cela ne concerne certes pas que des mineurs, cela s'applique néanmoins particulièrement aux délinquants mineurs. Dans nombre de parquets, certaines expériences, tournant notamment autour de l'utilisation des maisons de justice, mériteraient d'être généralisées ; voilà qui ne peut que nous inciter encore davantage à mettre en place les dix nouvelles maisons de justice que nous avons prévues.
En ce qui concerne les juridictions administratives, je dirai, pour faire suite à la satisfaction non dissimulée de M. Hyest en ce qui concerne le tribunal administratif de Melun...
M. Jean-Jacques Hyest. C'est normal !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... que les choses vont indiscutablement mieux, car un effort tout particulier a été fait pour ces juridictions tant en emplois qu'en crédits d'équipement.
Au Conseil d'Etat, l'encombrement est en voie de résorption rapide. Certes, au 30 septembre dernier, il restait encore 17 000 dossiers en stock. Mais, sur les neuf premiers mois de l'année 1996, plus de 8 000 affaires auront été jugées, pour 6 000 entrées environ. Le stock devrait donc diminuer de 3 000 à 4 000 dossiers par an, pour atteindre, dans deux ans et demi, un an d'activité, ce qui correspond à un bon objectif.
Dans les tribunaux administratifs, le délai moyen est encore de vingt-deux mois. Cependant, les sursis à exécution sont maintenant jugés partout à une vitesse normale et un nombre croissant de tribunaux ont des délais de jugement de l'ordre d'un an ; c'est ce que j'ai pu constater au cours de la tournée des tribunaux que j'ai entreprise. Mais le contentieux fiscal, par exemple, est jugé trop lentement dans l'ensemble.
Surtout, les moyens dont disposent les tribunaux administratifs de la région parisienne ne permettent pas de faire face à l'importance des flux contentieux. C'est pourquoi j'ai inauguré, le 23 septembre, le tribunal administratif de Melun, tandis qu'un autre sera ouvert dans le nord de la région parisienne d'ici à l'an 2000.
La principale source de nos difficultés réside dans l'insuffisance des capacités de jugement en appel, face à des recours qui croissent d'autant plus vite que les tribunaux administratifs améliorent leur productivité en première instance. Le renforcement des cours administratives d'appel est plus que jamais prioritaire. C'est pourquoi seront créées deux nouvelles cours, l'une à Marseille en 1997, l'autre à Douai en 1999.
Par ailleurs, afin d'assurer un déroulement de carrière normal et donc les recrutements nécessaires sur les postes actuellement vacants, je présenterai en 1997 au Parlement un projet de statut des magistrats administratifs qui facilitera le recrutement des magistrats dans les cours administratives d'appel, recrutements qui sont rendus très difficiles par les règles actuelles.
Je voudrais maintenant dire un mot sur les remarques faites notamment par M. Haenel à propos des gels budgétaires. Je n'ai pu en parler auparavant, car la situation ne s'est stabilisée qu'à la fin du mois de novembre.
Le gel partiel des emplois vacants, qui avait été totalement levé en juillet 1995 - 400 emplois - a été réintroduit en mai 1996. Après des allégements successifs que j'ai réussi à obtenir, le gel total est actuellement de 226 emplois.
Le ministère de la justice fait un emploi maximum de ses effectifs disponibles puisque le taux des vacances - je l'ai dit tout à l'heure - hors vacances gelées, est de 1,36 %.
S'agissant de l'équipement, 36 millions de francs ont finalement été annulés en autorisations de programme en 1995, et 215 millions de francs en 1996, soit, en 1996, à peu près la moitié des autorisations de programme qui avaient été gelées en début de gestion et 25 % de la dotation inscrite en loi de finances initiale.
Le gel de 25 % s'est également appliqué les deux années sur les crédits de paiement en mesures nouvelles ; en 1996, il a intégralement été converti en annulations, soit 86 millions de francs.
S'agissant des crédits de fonctionnement et interventions, un gel de 15 % a été appliqué en début d'année 1996, et l'annulation finale est de 306 millions de francs, mais, par ailleurs, il y a eu environ 61 millions de francs d'ouverture de crédits en cours de gestion, par exemple pour les crédits de rémunérations, pour les vacations des CPH, etc.
La régulation budgétaire n'a pas repris le bénéfice des budgets très favorables de 1995 et de 1996 à cet égard ; la priorité accordée à la justice par la volonté parlementaire n'a donc pas été remise en cause.
Cependant, il est très clair - je partage le point de vue de M. le rapporteur spécial sur ce point - qu'il faut être attentif. Sans, bien évidemment, pouvoir m'engager sur le résultat des discussions et sur les décisions du Gouvernement, je fais pour ma part les analyses suivantes au regard des préoccupations que vous aviez exprimées par l'article 6 de la loi de programme.
S'agissant des emplois, il ne faut pas arriver à une situation où l'on devrait utiliser une partie des emplois créés en loi de finances initiale pour combler des postes devenant vacants au lieu de pourvoir aux emplois nouveaux.
S'agissant des autorisations de programme, il faudrait que les annulations faites en gestion soient « remboursées » dans les lois de finances ultérieures pour que les engagements de la loi de programme soient tenus.
S'agissant, enfin, du fonctionnement, il faudra refléchir à l'assiette du gel, compte tenu de l'importance des dépenses obligatoires dans ce budget, et aussi aux dates auxquelles le gel est levé, pour permettre une programmation et une utilisation intelligentes des crédits restitués, c'est-à-dire sans précipitation à la fin de la gestion.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, l'exposé complet que je voulais faire sans reprendre ce qu'avaient déjà dit excellemment les différents orateurs.
Je vous demande d'adopter ce budget, qui me paraît constituer un apport net et positif à l'oeuvre de justice. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la justice et figurant aux états B et C.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : moins 859 439 063 francs. »