M. le président. « Art. 61. _ I. _ Après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Pour l'imposition des revenus des années 1997, 1998 et 1999, la limite de 50 000 francs mentionnée au troisième alinéa est respectivement fixée à 30 000 francs, 20 000 francs et 10 000 francs. »
« II. _ Le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts est supprimé à compter de l'imposition des revenus de l'année 2000. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 61 du présent projet de loi de finances porte sur l'extinction progressive des déductions supplémentaires pour frais professionnels dont bénéficient, à divers titres, un certain nombre de salariés de notre pays, déductions qui concernent quelque 1 100 000 personnes.
Je n'aborderai pas les conséquences de l'adoption en l'état de l'article 61. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce débat de fond lorsque nous défendrons plusieurs de nos amendements.
La liste des professions visées à l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts recouvre un inventaire que d'aucuns trouvent désormais quelque peu dépassé, pour ne pas dire folklorique.
Quoi de commun a priori entre les pilotes de ligne, les stewards de compagnies aériennes et les ouvriers à domicile fabriquant dans le département de l'Ain, singulièrement dans le pays de Gex, des éponges métalliques ?
Quelle justification, selon certains, pourrait avoir le maintien de telle ou telle spécificité fiscale, alors même que les entreprises auraient désormais pris en compte la réalité des frais professionnels censés être couverts par ces déductions supplémentaires ?
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat est loin d'être récent puisque, depuis 1971, le montant des sommes admises au titre de ces déductions supplémentaires est plafonné, et qu'un débat sur cette question s'était déjà instauré en 1978, lors de la discussion de la loi de finances pour 1979.
A plusieurs de nos interventions, il nous a été répondu - cela figure au Journal officiel - que les intéressés ont toujours la possibilité de produire leurs frais réels pour les déduire, ce qui, d'aileurs, n'implique pas pour eux la tenue d'une comptabilité précise et complète.
Le discours n'a donc guère évolué puisqu'une lettre datée du 3 décembre dernier, signée par M. le Premier ministre, en reprend les termes.
Dans ce courrier adressé au syndicat national des artistes musiciens, le Premier ministre fait en effet référence tant à l'allégement des taux d'imposition du barème qu'à la possibilité d'opter pour l'imposition aux frais réels pour justifier à nouveau la suppression des déductions supplémentaires.
Il faudrait quand même que les choses soient claires.
La déduction supplémentaire a l'avantage d'être simple, claire, lisible, et de ne pas nécessiter la justification de pièces dont la gestion, tant pour les contribuables que pour les services fiscaux, pourrait, à la longue, se révéler particulièrement complexe et astreignante.
La meilleure justification de ces déductions ne tient-elle pas au fait que le Gouvernement est prêt, en quelque sorte, à concéder dans la définition des frais réels des charges réelles supportées par le salarié et qui sont, entre autres, les contraintes de déplacement, les frais de nourriture ou de logement, les frais d'acquisition des outils de travail, etc ?
Il y aurait d'ailleurs un réel besoin de codification des frais admis en déduction ; par conséquent, le simple maintien des déductions supplémentaires éviterait aux services de l'Etat d'avoir à mener de longues négociations sur les normes retenues dans la définition desdits frais et à rédiger quasiment un décret par catégorie de salariés visée.
Il n'est même pas exclu de penser que cette situation ne conduise en fin de compte à alourdir la gestion des dossiers fiscaux des contribuables concernés, sans d'ailleurs que le produit fiscal tiré de l'opération soit à la hauteur des attentes.
Sous le bénéfice de ces observations, nous voterons contre cet article 61, qui, à notre avis, est peu cohérent avec la volonté du Gouvernement de simplifier et de rendre plus lisible l'impôt sur le revenu, et se situe loin des besoins et des exigences en matière de recherche de l'équité fiscale.
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le ministre, nous voilà donc parvenus à la discussion de cet article 61 du projet de loi de finances qui provoque un grand débat depuis plusieurs semaines. Nous en demandons la suppression, non parce que nous serions des défenseurs de ce que l'on appelle des « niches fiscales », mais parce que, entre autres choses, il est contradictoire avec la diminution de l'impôt sur le revenu que vous vous flattez de vouloir amorcer à partir de l'an prochain.
La suppression des abattements dont bénéficient depuis fort longtemps un certain nombre de catégories de citoyens va en effet se traduire pour eux par un accroissement d'impôt. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas à une contradiction près, puisque vous avez encouragé au cours de ce même débat l'allégement de l'impôt sur les plus grandes fortunes.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Claude Estier. Je pense en particulier à la situation des journalistes, qui vont être parmi les principales victimes de votre réforme contre laquelle on comprend qu'ils se soient, aujourd'hui encore, mobilisés.
Faut-il rappeler une fois de plus que l'abattement de 30 % pour frais professionnels qui leur est accordé depuis plus de soixante ans, et qui a été confirmé à plusieurs reprises avec un plafonnement de 50 000 francs, n'est pas un privilège ? Il a toujours été considéré comme une aide indirecte aux entreprises de presse, ce qui a permis à celles-ci de contenir les salaires du plus grand nombre des journalistes à un niveau relativement bas si l'on songe aux servitudes d'une profession qui exige une formation de plus en plus poussée et une disponibilité que l'informatisation notamment a sensiblement accrue ces dernières années.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Emmanuel Hamel. C'est vrai !
M. Claude Estier. A l'heure où de nombreuses entreprises de presse écrite et audiovisuelle tombent aux mains de groupes industriels d'abord préoccupés de rentabilité, la suppression de ce qui est en fait un complément de salaire pourrait avoir des conséquences graves en remettant en cause le statut des journalistes dont cet abattement fait partie de facto...
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Claude Estier. ... et en aggravant la précarité dont souffre déjà cette profession.
Monsieur le ministre, lors de la discussion à l'Assemblée nationale, vous avez imaginé un système de compensation qui nous paraît à la fois ingérable, inadapté et extrêmement dangereux dans la mesure où il introduirait l'Etat dans la vie interne de la profession.
Le fait de changer le nom du fonds envisagé, comme le prévoit l'amendement que vous venez de déposer sur l'article suivant, ne change rien à la chose.
M. Roland Courteau. Absolument !
M. Claude Estier. Vous êtes vous-même conscient de la difficulté, et vous avez accepté la nomination d'un médiateur, que vous avez chargé de procéder à l'étude - je cite la lettre de mission que vous avez signée à l'intention de M. Jacques Bonnet - « premièrement, de l'évaluation des charges qui seraient ainsi à compenser, deuxièmement, des moyens pratiques de parvenir à cette compensation et de la faisabilité des solutions préconisées, troisièmement, des méthodes de suivi, par toutes les parties intéressées, de la bonne application du système susceptible d'être retenu ».
Vous souhaitiez pouvoir obtenir pour le 9 décembre les premières conclusions « suffisamment précises » du médiateur ainsi nommé. Nous sommes le 9 décembre, et il ne semble pas que le médiateur soit en mesure de présenter des conclusions. On le comprend. Il n'était, en effet, pas réaliste d'imaginer qu'une solution satisfaisante puisse être trouvée en quelques jours à un problème beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons la suppression de cet article 61 ou, à tout le moins, le report de la mesure envisagée, afin de ménager le temps nécessaire à une véritable concertation entre le Gouvernement et les différents représentants de la profession. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hamel et Gerbaud applaudissent également.)
M. le président. Sur cet article, je suis saisi de dix-sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° II-126 est présenté par M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° II-161 est déposé par MM. Estier, Masseret, Mmes Bergé-Lavigne et Pourtaud, MM. Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Sergent, Courteau et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° II-127, M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit l'article 61 :

« I. - Après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour l'imposition des revenus des années 1997, 1998 et 1999, la limite de 50 000 francs mentionnée au troisième alinéa est respectivement portée à 60 000 francs, 70 000 francs et 80 000 francs. »
« II. - Les droits prévus à l'article 978 du code général des impôts sont relevés à due concurrence. »
Par amendement n° II-128, M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - dans le premier alinéa du paragraphe I de l'article 61, de supprimer les mots : « et du 1 quater de l'article 93 ».
B. - Dans le paragraphe II de cet article, de supprimer les mots : « et du 1 quater de l'article 93 ».
C. - Pour compenser la perte de recettes résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de ressources résultant du maintien de la déduction forfaitaire supplémentaire pour frais professionnels sur les droits d'auteur des écrivains et compositeurs est compensée par le relèvement à due concurrence du taux prévu au I de l'article 39 quindecies du code général des impôts. »
Par amendement n° II-156 rectifié, M. Pelchat propose :
I. - Dans le premier alinéa du paragraphe I de l'article 61, de supprimer les mots : « et du 1 quater de l'article 93 ».
II. - Dans le paragraphe II de cet article, de supprimer les mots : « et du 1 quater de l'article 93 ».
III. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du I et du II ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - la perte de recettes résultant de l'application du I et du II ci-dessus est compensée par une majoration des droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° II-1, MM. Gerbaud et Vinçon proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante :
« Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux journalistes. »
B. - De rédiger ainsi le II de l'article 61 :
« II. - A compter de l'imposition des revenus de l'année 2000, le troisième alinéa du 3° de l'article 83 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Les journalistes bénéficient en plus de la déduction prévue au deuxième alinéa du 3° d'une déduction de 30 % limitée à 50 000 francs. Elle est calculée sur le montant global des rémunérations et des remboursements et allocations pour frais professionnels perçus par les intéressés, après application à ce montant de la déduction forfaitaire pour frais professionnels de 10 %. »
« A compter de l'imposition des revenus de l'année 2000, le troisième alinéa du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts est abrogé. »
C. - Pour compenser la perte de recettes résultant des dispositions des A et B ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« III. - La perte de recettes résultant du maintien pour les journalistes de la déduction forfaitaire supplémentaire pour frais professionnels est compensée à due concurrence par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° II-130, M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante : « Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux journalistes. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des journalistes de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-66, Mme Lucette Michaux-Chevry propose :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par un alinéa ainsi rédigé :
« Les précédentes dispositions ne s'appliquent pas aux journalistes exerçant leur activité en outre-mer. »
B. - Pour compenser la perte de recettes résultant des dispositions du A ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Les pertes de recettes éventuelles résultant du maintien pour les journalistes exerçant leur activité en outre-mer de la déduction forfaitaire supplémentaire pour frais professionnels sont compensées à due concurrence par l'augmentation des droits sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° II-129, M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante : « Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux ouvriers d'imprimeries de journaux travaillant la nuit. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des ouvriers d'imprimeries de journaux travaillant la nuit de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-131, M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour compléter après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante : « Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux artistes musiciens. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des artistes musiciens de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-132, M. Renar, Mme Luc, M. Ralite, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante : « Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux artistes dramatiques, lyriques, cinématographiques ou chorégraphiques. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des artistes dramatiques, lyriques, cinématographiques ou chorégraphiques de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-133, Mme Beaudeau,MM. Loridant, Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante :
« Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux chauffeurs et receveurs convoyeurs de cars à services réguliers ou occasionnels, conducteurs démonstrateurs et conducteurs convoyeurs des entreprises de construction d'automobiles, chauffeurs et convoyeurs de transports rapides routiers ou d'entreprises de déménagements par automobiles. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des chauffeurs et convoyeurs de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-134, Mme Beaudeau,M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante :
« Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux personnels des casinos et cercles ainsi définis : personnel supportant des frais de représentation et de veillée, personnel supportant des frais de double résidence, personnel supportant à la fois des frais de représentation et de veillée et des frais de double résidence. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion de certains personnels des casinos et cercles de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-135, Mme Beaudeau,M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante : « Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux voyageurs, représentants et placiers de commerce ou d'industrie. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des voyageurs, représentants et placiers de commerce ou d'industrie de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-136, Mme Beaudeau,MM. Loridant, Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante : « Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux ouvriers forestiers. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des ouvriers forestiers de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-137, Mme Beaudeau,MM. Loridant, Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante :
« Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux ouvriers du bâtiment visés aux paragraphes 1er et 2 de l'article 1er du décret du 17 novembre 1936, à l'exclusion de ceux qui travaillent en usine ou atelier. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion de certains ouvriers du bâtiment de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
Par amendement n° II-138, Mme Beaudeau,MM. Loridant, Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De compléter le texte présenté par le I de l'article 61 pour être inséré après le troisième alinéa du 3° de l'article 83 et du 1 quater de l'article 93 du code général des impôts par la phrase suivante :
« Les dispositions de cet alinéa ne s'appliquent pas aux ouvriers mineurs travaillant au fond des mines. »
B. - De supprimer le paragraphe II de l'article 61.
C. - Pour compenser la perte de ressources résultant des A et B ci-dessus, de compléter l'article 61 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'exclusion des ouvriers mineurs travaillant au fond des mines de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels est compensée par le relèvement à due concurrence des droits prévus à l'article 978 du code général des impôts. »
La parole est à M. Renar, pour défendre l'amendement n° II-126.
M. Ivan Renar. L'article 61 que nous examinons aura, sous prétexte d'égalité, des conséquences importantes sur nombre de professions, au premier rang desquelles on dénombre les artistes et les journalistes, mais aussi les VRP et les ouvriers du bâtiment, par exemple.
M. Michel Charasse. Les pilotes de ligne, aussi !
M. Ivan Renar. De fait, cette disposition concerne une série d'activités dont l'existence est vitale pour nombre de régions et portera atteinte à de multiples professions, notamment dans le secteur artistique, et ce de façon directe ou indirecte.
Les réponses apportées par le Gouvernement ne sont pas pour nous satisfaire. Il va sans dire que l'application de cet article pèsera très lourdement, comme l'a rappelé notre collègue Mme Beaudeau, sur le traitement des dossiers fiscaux, donc sur le personnel des impôts, pour un résultat qui sera certainement très modeste.
Cet article va plus loin en tendant à accréditer l'idée selon laquelle se trouveraient, parmi les gens qui vivent de leur travail ou de leur art, des privilégiés.
Un journaliste est-il un privilégié ?
M. Jean Chérioux. Oui !
M. Ivan Renar. Un artiste est-il un privilégié ?
M. Jean Chérioux. Oui !
M. Ivan Renar. Un ouvrier du bâtiment ou un représentant de commerce sont-ils des privilégiés ? Les privilèges ne sont-ils pas plutôt à rechercher du côté de ceux auxquels sont consentis des privilèges fiscaux extraordinaires - je pense ici à certains groupes financés sur des fonds publics pour créer, en définitive, du chômage et de la précarité au détriment de millions de nos concitoyens ?
L'« économie du peu » que vous prônez aujourd'hui est moins regardante quand il s'agit d'abaisser le taux de l'impôt de solidarité sur la fortune ; elle est moins regardante encore quand il s'agit de la loi Pons, qui permet à de réels privilégiés de faire financer le quart de leur actif budgétaire par l'ensemble des contribuables.
Opposer entre eux, comme vous tentez de le faire, des gens qui tirent leurs moyens d'existence de l'exercice de leur profession est en soi inacceptable et justifie pleinement la suppression de cet article.
Je prendrai deux exemples pour appuyer ma démonstration.
S'agissant des journalistes ou des musiciens, la réalité de ces professions, que je vais brièvement évoquer, justifie pleinement le régime de déductions existant.
En ce qui concerne tout d'abord les musiciens, ceux-ci font partie de ces salariés qui sont obligés d'acheter leur outil de travail, c'est-à-dire leur instrument, mais aussi de l'entretenir.
M. Roland Courteau. C'est vrai !
M. Ivan Renar. Sachez que les prix sont élevés et que les musiciens doivent changer régulièrement d'instrument. L'abattement de 20 % a été conçu pour compenser cette situation, et l'on pourrait ajouter les frais induits par la formation, les répétitions. Quels sont donc les privilèges des membres d'une profession - je parle de celle des musiciens d'orchestre symphonique - dont le salaire moyen est de 14 000 francs ?
Cet abattement est la clef de voûte d'un système qui permet à la musique d'exister et de se développer dans notre pays, car il exonère les orchestres de frais qu'ils ne pourraient pas assumer, ceux qu'occasionneraient la possession d'une bonne part du patrimoine instrumental français.
J'en viens à l'exemple des journalistes.
L'abattement de 30 % est devenu un élément constitutif du statut des journalistes - je pense non pas aux « vedettes », mais à l'immense majorité des journalistes - et une forme d'aide à la presse. Il a été institué pour compenser la faiblesse des salaires de cette profession.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Ivan Renar. Là aussi, s'agit-il d'aides à des privilégiés ? Les salaires de la grande masse des journalistes n'ont rien à voir avec les mirobolantes « indemnités » de quelques stars du petit écran. Dans cette profession, les frais sont très importants.
M. Roland Courteau. Exact !
M. Ivan Renar. Ici aussi, supprimer cet abattement, c'est menacer l'équilibre déjà précaire de tout un système.
Le Gouvernement se trompe manifestement de cible. Toutes les conséquences de ses propositions ont-elles été mesurées à leur juste niveau ?
M. Roland Courteau. Certainement pas !
M. Ivan Renar. Etranges paradoxes de la langue française : sous couvert de lutte contre les privilèges, on accentue la pression fiscale sur certains salariés.
Soyez pigiste en province ou musicien d'orchestre contraint de payer vos outils de travail, et vous serez considérés comme de honteux privilégiés. Profitez de la loi Pons pour vous payer un yacht ou un hôtel à touristes dans les DOM-TOM, et vous serez aidés en raison de votre investissement dans le développement local du Pacifique ou des Caraïbes !
Ce qui nous est proposé est injuste !
Je ne dis pas que ce système d'abattement est le meilleur et que rien ne doit changer. Les professions concernées, en particulier celles des musiciens et des journalistes, sont prêtes à discuter. Il faut engager la concertation avant coup. Négocier après coup coûte d'ailleurs toujours plus cher.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Ivan Renar. Mais les changements ne doivent pas entraîner de nouvelles injustices ni menacer, comme c'est le cas, l'existence de secteurs culturels ou économiques.
Voilà pourquoi nous demandons pour l'immédiat le maintien des abattements pour frais professionnels, c'est-à-dire le gel des mesures proposées, et donc la suppression de l'article 61.
Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Claude Billard et Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre l'amendement n° II-161.
Mme Danièle Pourtaud. L'article 61 du projet de loi de finances prévoit la suppression de l'abattement supplémentaire dont bénéficient certaines professions, ce qui, pour l'ensemble des salariés de celles-ci, va constituer en réalité une amputation de leur pouvoir d'achat.
De façon générale, le Gouvernement revient sur une aide sociale acquise, qui profitait principalement à de nombreux contribuables à revenus modérés, puisque les abattements sont, vous le savez, plafonnés. Cet avantage fiscal est, en outre, très souvent pris en compte dans la politique salariale que pratiquent les employeurs.
Le Gouvernement s'attaque donc à une catégorie de citoyens à revenus extrêmement modérés, au lieu d'aller traquer les niches fiscales là où elles existent réellement, et ce alors que le candidat Chirac s'était engagé à baisser les impôts et que vous prétendez entamer une baisse générale de l'impôt sur le revenu !
Il existe de nombreuses professions pour lesquelles l'abattement trouve aujourd'hui encore une réelle justification. Ainsi, les artistes du spectacle vivant et les musiciens ont des frais de déplacement, d'entretien de leurs instruments, comme cela a été rappelé par M. Renar. Certaines professions visées par l'article 61 ne constituent pas, contrairement à ce qu'indique l'exposé des motifs de l'article 61, des activités salariées.
C'est le cas des écrivains, des auteurs, des compositeurs et des traducteurs, qui engagent souvent des frais considérables, tels ceux que je viens de citer, dans le cadre de leurs activités et sont simplement assimilés fiscalement à des salariés sans que cela recouvre la réalité de l'exercice de leur profession.
Je m'attarderai quelques instants, moi aussi, sur le cas des journalistes. Il s'agit d'une profession dont les salaires, hormis le cas de quelques journalistes « vedettes », ne sont d'aucune manière mirobolants ; ceux-ci sont même généralement extrêmement modérés.
L'abattement de 30 % supplémentaire est donc à l'évidence, aujourd'hui, un élément de la rémunération de cette profession et ne peut-être supprimé d'un trait de plume. Que le Gouvernement le supprime nous semble même scandaleux.
Quant à la solution concoctée à la sauvette par le Gouvernement à l'Assemblée nationale - je veux parler du fonds de modernisation de la presse que l'on nous propose de rebaptiser maintenant « fonds d'adaptation pour les journalistes » - nous l'avions déjà dénoncée au cours de la discussion de la première partie de la loi de finances comme, au mieux, un rideau de fumée, puisqu'il n'est toujours pas financé, et, au pire, une tentative de s'immiscer dans la gestion des entreprises de presse.
Conscient de la légèreté de sa proposition, le Gouvernement a nommé, la semaine dernière, un médiateur. Malheureusement, le délai de réflexion et de négociation a été bien court : il semble, selon mes informations, qu'aucune solution satisfaisante n'ait été trouvée à l'heure actuelle, le fonds étant rejeté aussi bien par l'intersyndicale des journalistes que par la fédération nationale de la presse française.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Danièle Pourtaud. Enfin, monsieur le ministre, je tiens à vous mettre en garde contre les conséquences de cette décision, car une centaine de professions se trouveront, de facto , dans une situation d'inégalité de traitement.
Je tiens également à attirer votre attention sur le surcoût qu'entraînera, pour nombre d'entreprises, la compensation salariale de la perte de l'abattement que ne manqueront pas de réclamer les personnels concernés.
Le secteur public ne sera pas exclu de ces revendications : France Télévision et, plus encore, Radio France, dont les budgets sont, comme vous le savez, déjà dramatiquement insuffisants, devront compenser en termes salariaux l'avantage perdu non seulement par leurs journalistes, mais aussi, en ce qui concerne Radio France, par les membres des orchestres et des choeurs. Comment cela sera-t-il financé ?
Voilà exposées, monsieur le ministre, nos réticences vis-à-vis de la suppression précipitée et insuffisament étudiée des abattements dont bénéficient de nombreuses professions.
Vous comprendrez que, dans ces conditions, le groupe socialiste propose la suppression de l'article 61. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Roland Courteau. A juste raison !
M. le président. La parole est à M. Renar, pour défendre les amendements n°s II-127 et II-128.
M. Ivan Renar. Nous proposons de relever le plafond de 50 000 francs mentionné au paragraphe 3 de l'article 83 et au paragraphe 1 quater de l'article 93 du code général des impôts.
Non seulement nous sommes résolument opposés à l'article 61, pour les raisons que j'ai eu l'occasion d'évoquer tout à l'heure - les privilèges ne sont pas chez les salariés qui tirent leur existence de leur salaire - mais nous pensons, mes collègues et moi-même, que l'abattement, parce que limité à 50 000 francs, est notoirement insuffisant aujourd'hui quand il s'agit d'aider des professions dont l'existence est fragile.
J'en veux pour preuve quelques exemples : un violon d'orchestre coûte aujourd'hui de 100 000 francs pour un violon du rang jusqu'à 500 000 francs, voire un million de francs pour un soliste ; un cor d'harmonie, qu'il convient de changer tous les trois ans, entre 30 000 francs et 50 000 francs. Et je vous passe le coût d'un piano et de nombreux autres instruments utilisés par les artistes musiciens pour pratiquer leur art !
Les artistes musiciens, dont l'outil de travail est l'instrument de musique, doivent investir des sommes considérables pour pratiquer leur art. Ce faisant, ils permettent à nombre de professions - luthiers, facteurs de pianos - d'exercer des professions artisanales de très haut niveau et garantissent, par leurs achats d'instruments, l'existence et la survie de nombreux métiers d'art.
Le forfait annuel de 50 000 francs d'abattement fiscal ne leur permet pas de faire face, compte tenu de leurs besoins, aux sommes nécessaires à l'acquisition d'un matériel dont la valeur patrimoniale n'est pas contestable.
C'est pourquoi nous proposons un relèvement du plafond des déductions supplémentaires, pour le porter progressivement à 80 000 francs.
Le transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon ainsi que le bel hommage qui lui a été rendu par notre collègue M. Alain Peyrefitte nous ont rappelé le combat qui fut le sien pour amplifier le rôle que l'Etat est appelé à jouer en matière d'aide à la création artistique.
Ce rôle doit être encore accru aujourd'hui, au moment où certains ne voient dans le culturel qu'une marchandise ordinaire, au moment où le budget de la culture est menacé par la logique du « moins de dépenses publiques ».
Nous nous devons d'aider les hommes et les femmes qui s'engagent une vie durant dans l'exercice de leur art.
Nous devons aider les journalistes, nous devons aider l'ensemble des professions qui doivent faire face à des frais professionnels importants : c'est vrai pour les journalistes, c'est vrai pour les artistes, c'est vrai pour les VRP, c'est vrai pour tous ceux qui, de manière anonyme, participent par leur travail à la richesse de notre pays.
Tous les journalistes ne présentent pas le « 20 heures » sur les chaînes de télévision, nombre de musiciens exercent de manière confidentielle - et pour des salaires inférieurs aux musiciens allemands, par exemple - dans des orchestres qui oeuvrent au rayonnement musical de notre pays.
Pour eux, pour la création, pour notre presse, contre le chômage, pour oeuvrer à ne pas grossir davantage encore le nombre de ceux qui sont privés d'emploi, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter l'amendement n° II-127.
J'en viens à l'amendement n° II-128.
Dans le cadre de la réforme de l'impôt sur le revenu, vous souhaitez, monsieur le ministre, supprimer les déductions forfaitaires pour frais supplémentaires.
Tel est l'objet de cet article 61, aux conséquences néfastes pour nombre de professions : artistes, journalistes, musiciens, VRP, ouvriers du bâtiment, tous ceux que votre logique comptable désigne à la vindicte comme des « nantis », voire des privilégiés.
L'article 61, tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale, mêle des catégories de contribuables et des revenus qui ne sont pas comparables.
Ainsi, les écrivains et compositeurs doivent déclarer leurs droits d'auteur selon les règles prévues en matière de traitements et salaires, mais ils ne sont pas pour autant fiscalement des salariés dans la mesure où ils n'ont pas d'employeur.
Les droits d'auteur visés par les articles 92 et 93-1 du code général des impôts ne sont pas des salaires, mais sont assimilés à des bénéfices de professions non commerciales.
Notre amendement vise donc à supprimer du champ d'application de ce funeste article 61 les droits d'auteur des écrivains et compositeurs.
Cette mesure nous paraît d'autant plus justifiée que la rédaction actuelle de l'article 61 instaure une discrimination injustifiable entre le traitement fiscal des revenus de la propriété industrielle - article 93-2 du code général des impôts - et les revenus de la propriété littéraire, tous deux considérés comme des revenus de la propriété intellectuelle.
C'est pourquoi je vous invite à exclure de l'application de l'article 61 la référence à l'article 93-1 quater du code général des impôts.
Tel est le sens de notre amendement, pour lequel j'en appelle à la sagesse de notre assemblée, en particulier de ceux de ses membres qui sont des écrivains notoires.
M. le président. L'amendement n° II-156 rectifié est-il soutenu ?...
La parole est à M. Gerbaud, pour présenter l'amendement n° II-1.
M. François Gerbaud. Cet amendement s'inscrit objectivement dans la logique de la réforme fiscale qui prévoit la réduction progressive de l'impôt sur le revenu.
Si l'on peut se réjouir d'une réforme fiscale qui conduira, à terme, à une réduction significative de l'impôt sur le revenu, on ne peut constater et regretter qu'une partie de nos concitoyens en soit exclue, et soit de surcroît pénalisée.
Ainsi en est-il des journalistes.
C'est un constat de fait que M. le ministre de l'économie et des finances a authentifié à l'Assemblée nationale, le 15 octobre, en disant : « Pour certaines personnes, notamment les journalistes célibataires dont le revenu est inférieur à 15 000 francs, il y aura un supplément d'impôts. »
J'ajoute que d'autres journalistes sont concernés, notamment ceux de la presse de province, qui sont beaucoup plus nombreux qu'on le croit. Je crois utile de rappeler, comme l'a fait un de mes collègues, qu'il n'y a pas que des stars dans le journalisme !
MM. Emmanuel Hamel et Roland Courteau. Très bien !
M. François Gerbaud. Conséquence directe et connue de la mesure envisagée, la suppression définitive de l'abattement spécifique de 30 %, plafonné à 50 000 francs depuis au moins deux décennies, dont bénéficiaient les journalistes est inopportune, prématurée et inadaptée.
L'amendement que je présente, qui a été cosigné par M. Vinçon et auquel se sont associés M. Peyrefitte et beaucoup de nos collègues, vise à maintenir pour les journalistes la déduction forfaitaire pour frais professionnels de 30 %.
Contrairement à ce qui est avancé ici ou là, cette déduction n'est pas un avantage sans fondement. Elle correspond, entre autres, à la couverture de frais dont la nature, dans le cadre de l'exercice de la profession de journaliste, ne permet pas d'obtenir le remboursement systématique. Acceptez que le journaliste que je fus puisse en témoigner largement !
Cet avantage constitue également une aide indirecte au secteur de la presse, secteur aujourd'hui plus que jamais particulièrement fragile.
La suppression de cet abattement entraînerait une perte substantielle du pouvoir d'achat des journalistes, notamment pour ceux qui ne disposent que de bas et moyens salaires, et ils sont nombreux dans la presse.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. François Gerbaud. Par ailleurs, cette mesure défavorable pour l'ensemble des journalistes interviendrait au moment où le présent projet de loi de finances tend à réduire le montant des aides générales à la presse.
L'existence de cette déduction permet d'alléger la masse salariale des organismes de presse. L'abattement de charges sociales qui l'accompagne démontre l'objectif réel de cette aide : à régime fiscal constant, sa suppression entraînerait immanquablement une perte importante de pouvoir d'achat pour les journalistes, ...
M. Roland Courteau. Oui !
M. François Gerbaud. ... pouvant aller jusqu'à un mois de salaire moyen.
Les journaux étant incapables de compenser le manque à gagner, il serait, par ailleurs, paradoxal de vouloir atténuer les effets de cette suppression par une augmentation à due concurrence des subventions versées aux organismes de presse soit directement, soit par l'intermédiaire d'un fonds spécial.
Le Gouvernement, lors de la discussion à l'Assemblée nationale, a reconnu le caractère spécifique de la situation des journalistes au regard de l'impôt sur le revenu. Il l'a exprimé très clairement dans l'exposé des motifs de l'amendement qu'il a alors déposé : « Le fonds de modernisation de la presse assurera la compensation financière au profit des journalistes dont la contribution fiscale augmenterait à l'issue de la réforme de l'impôt sur le revenu. »
L'amendement du Gouvernement dont nous débattrons tout à l'heure ne fait que le confirmer, en spécifiant le rôle de cet organisme.
Sur ce fonds, dont la gestion serait tripartite en associant les représentants de l'Etat, des journalistes et des entreprises de presse, je ne peux que m'en remettre, en m'y associant étroitement, à la très pertinente remarque de M. le rapporteur général lorsqu'il écrit : « On peut s'interroger sur les conséquences d'un tel dispositif. En effet, il conduirait l'Etat à s'immiscer dans la politique salariale des entreprises de presse, laquelle doit être de la responsabilité exclusive de l'équipe de direction de l'entreprise. »
Si ce fonds reconnaît indirectement la spécificité des journalistes au regard de l'impôt sur le revenu, il n'apparaît pas, dans l'immédiat, comme une réponse positive.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gerbaud, car vous avez dépassé le temps de parole prévu pour la présentation d'un amendement.
M. François Gerbaud. Je termine, monsieur le président.
Ce sentiment a conduit la commission des finances à réserver jusqu'à notre séance publique son vote sur l'article 61.
L'amendement que je propose au Sénat d'adopter me paraît répondre à toutes les interrogations. Il s'agit d'obtenir le report au terme de l'application de la réforme fiscale de la décision de suppression de l'abattement fiscal, afin d'en mesurer le plein effet et la parfaite lisibilité.
M. Emmanuel Hamel. C'est le point de vue de nombre d'entre nous !
M. Jean Chérioux. Pas de tous !
M. Emmanuel Hamel. Mais de beaucoup !
M. François Trucy. De certains !
M. le président. Mes chers collègues, si vous désirez prendre la parole, je vous la donnerai tout à l'heure pour explication de vote !
M. Emmanuel Hamel. Merci, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Renar, pour défendre l'amendement n° II-130.
M. Ivan Renar. Décidément, la proposition de suppression de l'abattement de 30 % dont bénéficient les journalistes aura déjà fait couler beaucoup d'encre - à juste titre, d'ailleurs - et je ne suis pas sûr que les auteurs de cette proposition aient bien saisi toutes les conséquences d'une telle mesure sur un secteur aussi fragilisé que la presse, en particulier la presse écrite.
M. François Gerbaud. Et la presse régionale !
M. Ivan Renar. Effectivement, mais c'est le cas de toute la presse en général.
Institué en 1934, réintroduit en 1948 après avoir été abandonné par Vichy, ce dispositif est devenu, au fil des années, un élément indispensable à l'équilibre, voire à la survie de certains titres. Ni avantage ni privilège, l'abattement fait partie des aides indirectes à la presse en ce sens qu'il compense la faiblesse de nombreux salaires.
En fait, si avantage il y a, c'est pour les entreprises et non pas pour les journalistes, car la déduction supplémentaire a permis aux entreprises de presse de ne pas augmenter les salaires dans des périodes de difficultés économiques.
Le contexte économique aurait-il évolué au point de transformer ce dispositif ? Certes pas ! Jamais la presse écrite n'a été au coeur de tant de difficultés.
L'essentiel des aides qui garantissent l'existence du pluralisme de la presse et des titres qui bénéficient le moins de recettes publicitaires et des forces de l'argent est réduit. Les observateurs les plus avertis parlent, pour 1997, au mieux d'une année noire, au pis d'une « volonté de nuire », pour reprendre l'expression du président du syndicat national de la presse quotidienne régionale, même s'il faut acter les aménagement positifs que nous avons votés samedi dernier mais qui ne font pas le compte. Cette mesure fiscale a en effet un coût, que les journaux les plus pauvres ne pourront pas assumer.
Le Gouvernement a proposé, à l'Assemblée nationale, la création d'un « fonds de modernisation » destiné à compenser les effets de cette réforme fiscale. Majoritairement rejetée par les journalistes, cette proposition, au demeurant très floue quant à son contenu et sa répartition, est jugée également ingérable par bon nombre de patrons de presse.
Cette proposition ne convient pas, et seul le maintien de l'abattement peut garantir pour l'immédiat un minimum de justice sociale. Car les journalistes sont loin, très loin d'être privilégiés.
En moyenne, le salaire brut mensuel dans la profession est de 12 000 francs, mais cela recouvre de très importantes disparités selon les contrats, selon que l'on travaille en province ou à Paris. On fait de plus en plus appel à des pigistes, on offre des contrats à durée déterminée, des petits contrats. Ainsi, aujourd'hui, 2 000 journalistes sont au chômage.
Les frais professionnels sont très importants, en particulier pour les pigistes, qui doivent bien souvent investir eux-mêmes pour travailler : achat d'un ordinateur, d'un portable, d'un télécopieur...
C'est pour tout cela qu'existe l'abattement. Où sont les privilèges ? Les plus gros salaires n'en profitent pas, car le plafonnement est fixé à 50 000 francs.
En fait, sous couvert de lutter contre les inégalités, ce nouveau dispositif va en créer des nouvelles.
Pis même, vous portez atteinte au statut des journalistes, car l'abattement est un élément constitutif de ce statut que le législateur a créé pour garantir la liberté des journalistes face à toute pression externe et interne. Cette liberté serait remise en cause, d'une manière ou d'une autre, par le système des frais réels, incompatible avec les exigences de confidentialité des sources et des méthodes de travail et de recherche inhérentes à la profession.
Pour résumer, le fonds de modernisation ne répond pas aux vrais problèmes et l'option des frais réels est inapropriée aux spécificités de la profession ; le dossier reste donc ouvert.
Dès lors, n'est-il pas temps d'engager une véritable concertation ? Les journalistes, vous le savez, sont prêts à se mettre autour de la table pour discuter. Mais, dans l'immédiat, il faut geler la situation et donc maintenir l'abattement de 30 %.
M. le président. L'amendement n° II-66 est-il soutenu ?...
La parole est à M. Renar, pour défendre les amendements n°s II-129, II-131 et II-132.
M. Ivan Renar. Au moment où l'on examine la situation de la presse, notamment de ceux qui emplissent les colonnes de nos journaux avec leur plume, ou, de plus en plus, avec leur ordinateur portable, il ne serait pas logique d'oublier que, parmi les professions bénéficiant encore aujourd'hui d'une déduction supplémentaire, figurent les ouvriers imprimeurs des journaux quotidiens.
Dans les faits, cette déduction fiscale a des motivations tout à fait compréhensibles. Les ouvriers imprimeurs sont en effet confrontés à des conditions de travail tout à fait particulières, qui ont, certes, évolué d'un point de vue technique, mais qui n'en demeurent pas moins astreignantes.
Dans la presse, ne l'oublions jamais, on travaille la nuit, à des heures avancées même, des heures où, par exemple, il n'y a plus de transports en commun, ce qui contraint les salariés du secteur à utiliser leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail.
La productivité s'est sensiblement accrue ces dernières années ; l'on imprime aujourd'hui plus vite plus de journaux avec moins de salariés.
Cette activité professionnelle, dont le statut présente par ailleurs des garanties acquises de longue date par les salariés du secteur, persiste à présenter d'incontestables contraintes.
Aujourd'hui, le secteur de la presse est, on le sait, concurrencé en bien des domaines par d'autres vecteurs de communication.
Il n'en demeure pas moins que le maintien et le développement de la presse écrite continuent de constituer l'un des éléments fondamentaux de la vitalité démocratique, par ailleurs fortement attaquée par l'aggravation des inégalités sociales, qui se traduit parfois, d'ailleurs, par la réduction du lectorat des grands quotidiens d'information politique générale.
Cette vitalité démocratique impose que l'on préserve les statuts et les garanties de ceux qui, à des degrés divers, permettent, par leur travail, de la faire vivre.
Ce sont, naturellement, les journalistes, qui signent les articles, mais ce sont aussi les imprimeurs, même si leur signature ne réside, si l'on peut dire, que dans l'apposition du label syndical dans les pages intérieures d'un quoditien.
Les salariés du secteur de la presse sont des salariés dont les compétences professionnelles et l'attachement à la qualité du travail sont réels et reconnus.
Le secteur est aujourd'hui soumis à de sérieuses turbulences. Les évolutions résultant de la révolution informationnelle, le fait que le marché publicitaire soit de plus en plus accaparé par les médias audiovisuels et échappe donc aux entreprises de presse sont parmi les éléments qui conduisent à la situation actuelle, où la plupart des titres de la presse nationale sont en difficulté - soit par déficit d'exploitation, soit par détérioration du bilan - tandis que le lectorat s'effrite, y compris, désormais, pour les journaux régionaux.
Pour autant, devons-nous ajouter à cette situation déjà complexe la frustration qui pourrait naître de la suppression de la déduction supplémentaire des ouvriers imprimeurs et qui viendrait favoriser une forme de déstabilisation d'un secteur déjà fragilisé ?
C'est au bénéfice de l'ensemble de ces observations que je vous invite, mes chers collègues, à adopter l'amendement n° II-129.
J'en viens à l'amendement n° II-131.
On le sait, l'émotion est grande chez les musiciens, à la suite de la proposition de suppression des 20 % d'abattement dont ils bénéficient actuellement en raison de leurs frais professionnels.
Mais, au-delà de ce sentiment légitime, ces aménagements fiscaux témoignent d'une très grande méconnaissance de la réalité de la vie et du travail des musiciens.
Sont-ils des privilégiés ? Je suis moi-même président de l'orchestre national de Lille.
M. Emmanuel Hamel. Un grand orchestre !
M. Ivan Renar. Je parle donc en connaissance de cause.
Je l'ai dit tout à l'heure, le salaire moyen des musiciens est de 14 000 francs nets. Imaginez la perte de pouvoir d'achat que représentera la suppression des 20 % d'abattement, d'autant qu'elle s'accompagnera du calcul de certaines cotisations sociales non plus sur 80 % du salaire brut, mais sur l'intégralité de celui-ci.
C'est un manque à gagner très important, d'autant que l'exercice de la profession de musicien implique des frais professionnels très importants pour travailler, mais aussi pour se former en permanence.
En effet, le musicien est un salarié qui doit acheter son outil de travail. Or - je ne le répèterai jamais assez - les instruments coûtent très cher et se déprécient très vite. Ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, un violon coûte en moyenne 100 000 francs, sans tomber dans les excès, et une trompette ou un cor doit être changé tous les trois ou quatre ans.
Des orchestres peuvent aussi exiger de certains solistes l'achat de tel ou tel instrument avec telle ou telle sonorité très précise. Mais à quel prix ! En effet, bon nombre d'instruments n'échappent pas à la spéculation financière.
Il faut également savoir que les musiciens, pour pouvoir travailler et répéter, sont de plus en plus souvent contraints d'insonoriser leur habitation ou de trouver, à leur frais, des locaux adaptés.
Ces quelques exemples témoignent bien de la validité du mécanisme actuel prévoyant cet abattement de 20 %. Il s'agit donc non pas d'un privilège, mais d'une juste compensation pour un salaire qui ne prend en compte ni les frais d'achat et d'entretien des outils de travail ni les frais de la formation permanente nécessaire à chaque musicien.
D'autres conséquences sont à craindre, en particulier pour les orchestres. Ceux-ci devront-ils prendre le relais de l'Etat en augmentant les salaires, en remboursant les frais professionnels ou en achetant les instruments ? Ils n'en ont tout simplement pas les moyens, et ce ne sont pas les crédits alloués à la culture pour 1997 qui permettront de remédier à cette situation !
Déjà, les crédits du patrimoine diminuent. Quant au patrimoine instrumental, ce ne sont pas les subventions qui l'assurent, mais les musiciens avec leur salaire.
Injuste socialement, cette réforme est dangereuse pour l'avenir de la musique. C'est une atteinte à la culture.
Les musiciens sont prêts à discuter et souhaitent, comme pour la presse, la nomination d'un médiateur. Il faut répondre positivement à cette demande. Cela implique, pour le moment, le retrait de la disposition fiscale en cause.
J'en arrive à l'amendement n° II-132.
Le budget de la culture est bien mal en point. « C'est comme si l'on reprochait sans le dire à la dépense culturelle d'exister » pouvait-on lire dans le rapport de la commission Rigaud !
Seulement 0,81 % du budget de l'Etat, élargissement du périmètre d'activité du ministère de la culture, atteintes à l'expression des artistes - on l'a vu avec NTM, les Chorégies d'Orange ou les déclarations du maire de Toulon - telles sont les menaces qui pèsent sur la création, et notamment sur le spectacle vivant, dans une société qui se délite.
Mon ami Jack Ralite résumait la situation par cette belle formule : « Les artistes ne se plaignent pas, ils portent plainte. »
Les risques qui pèsent sur l'indemnisation chômage des intermittents du spectacle par la volonté du CNPF symbolise ce que devient la politique culturelle de notre pays, dont Malraux et ceux qui ont partagé son combat nous ont fait héritage.
Comme la politique sociale, indispensable au fondement de notre société et de nos valeurs républicaines, la politique culturelle a un coût, et il nous faut aider ceux qui, par leur travail, par leur talent, par leur art, consentent à nous livrer une émotion et une connaissance du monde originale.
Dès l'aube des temps, les différents types d'organisation de la société ont aidé la création culturelle. La culture n'est pas un supplément d'âme. Elle est l'épanouissement de toutes les facultés humaines et doit donc être financée pour exister.
Quelques subventions en moins, et ce sont parfois des années d'efforts, de savoir-faire, des compétences et des talents qui disparaissent !
Ne gardons pas en mémoire les seuls noms de ceux qui sont au firmament de leur art et au sommet des affiches. Dans notre pays, des milliers de jeunes artistes - danseurs, artistes dramatiques, lyriques, cinématographiques - travaillent à fabriquer pour nous de l'art. Le revenu de leur travail est très souvent modeste, et l'Etat se doit de leur apporter son soutien.
C'est l'objet de notre amendement ; qui vise à exclure du champ d'application de l'article 61 - terrible article ! - les artistes dramatiques, lyriques, cinématographiques et chorégraphiques.
M. le président. La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° II-133.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le récent conflit majeur qui a opposé les chauffeurs routiers à leurs employeurs a mis en évidence l'extrême précarisation des conditions de travail de ces forçats de la route.
On a ainsi pu apprendre que les durées hebdomadaires de travail de la profession étaient bien souvent supérieures à quarante-huit heures et qu'il n'était pas exceptionnel qu'elles atteignent soixante heures.
Certes, la Haute Assemblée connaît parfois un régime identique. Il n'en demeure pas moins que ce conflit nous a éclairés sur des situations insupportables pour une certaine catégorie de travailleurs.
Il nous faut rappeler ici que la plupart des entreprises du secteur procèdent aujourd'hui à la mise en oeuvre de la précarisation des conditions de travail des salariés, se refusent à rémunérer des compétences, transgressent les normes en matière de conditions de travail, font du dumping commercial sur les tarifs des prestations.
Ainsi les patrons du secteur proposent-ils régulièrement à leurs chauffeurs de truquer les chronotachygraphes, encore appelés « mouchards », qui enregistrent la réalité des heures passées au volant par le chauffeur.
Le niveau moyen de rémunération des chauffeurs routiers est aujourd'hui inférieur à 7 000 francs mensuels et les défraiements ne s'élèvent, toutes formes confondues, qu'à 2 800 francs en moyenne.
On applique donc, en moyenne, la déduction supplémentaire de 20 % à des salaires d'un montant inférieur à 10 000 francs tout compris, la retraite étant ensuite fixée à des niveaux relativement modestes, aux alentours de 5 500 à 6 000 francs.
La même observation vaut pour les chauffeurs des réseaux de transports collectifs privés, souvent placés sous la coupe de grands groupes privés.
Cette faiblesse des rémunérations des personnels du transport et de la logistique a toutefois une compensation : la bonne santé financière de certaines grandes entreprises du secteur.
Peut-être cette situation nous donne-t-elle tout simplement une exacte mesure de ce qu'est l'économie réelle, qui continue de reposer sur la rémunération du capital et la sous-rémunération du travail !
Le puissant mouvement de cet automne a permis quelques avancées significatives pour les salariés : âge de la retraite abaissé à cinquante-cinq ans ; limitation du temps de travail, si tant est qu'elle soit appliquée ; négociations ouvertes sur les rémunérations et la circulation de fin de semaine.
Il serait donc paradoxal que le Gouvernement, qui se félicite par ailleurs d'avoir contribué au règlement du conflit et va s'engager dans la prise en charge des nouvelles conditions de départ en retraite, en vienne, par le biais de la mesure visée à l'article 61 à reprendre d'une main ce qu'il a cédé de l'autre.
Nous l'avons dit, les salaires moyens des routiers demeurent faibles - moins de 10 000 francs par mois - et l'on ne pourrait nous objecter que l'abaissement du plafond n'aura pas d'effet immédiat sur cette catégorie de salariés avant même l'entrée en vigueur des accords qui ont été conclus ces dernières semaines.
Voilà pouquoi nous proposons que les chauffeurs routiers et assimilés soient, en raison de la pénibilité de leur travail, soustraits à l'application de l'article 61.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre les amendements n°s II-134, II-135 et II-136.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on pourrait s'étonner de l'existence de l'amendement n° II-134, qui vise explicitement au maintien des différents taux de déduction supplémentaires dont bénéficient aujourd'hui les salariés des casinos et établissements de jeux.
M. Jacques Oudin. Même les casinos !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais à y regarder de plus près, force est de constater que, si les établissements considérés accueillent bien souvent des clients pour le moins fortunés, la situation n'est pas du tout la même pour les salariés.
Il est indéniable que, pour les salariés des casinos et établissements de jeu, la déduction fiscale a des justifications : on travaille la nuit, dans ce secteur, et l'on n'habite pas nécessairement à côté de son lieu de travail.
Le recours aux frais réels pourra-t-il répondre à la suppression de la déduction supplémentaire ? Il faudra - je le répète - un sérieux effort de codification pour prendre en compte, dans cette éventualité, la spécificité des conditions d'emploi des salariés du secteur.
On peut encore s'épargner cet effort en adoptant cet amendement de bon sens, qui, à l'instar d'autres que nous avons déposés sur cet article 61, propose des exceptions au régime prévu.
J'en viens maintenant à l'amendement n° II-135. La profession de voyageurs-représentant placier dans le commerce et l'industrie bénéficie aujourd'hui, au titre de l'article 5 de l'annexe IV du code général des impôts, d'une déduction supplémentaire pour frais professionnels de 30 % dans la limite de 50 000 francs, limite dont nous avons souligné qu'elle n'avait pas été réévaluée depuis longtemps.
Cette situation a d'ailleurs conduit un nombre croissant de VRP à opter pour le régime des frais réels. Beaucoup de choses justifient d'ailleurs pleinement l'adoption de cette option.
Ainsi, mais c'est sans doute là l'une des contradictions de l'évolution de notre système fiscal - il n'en est pas avare, soumis qu'il peut être à l'examen annuel de son contenu par la discussion des lois de finances - si le plafond de la déduction supplémentaire n'a quasiment pas évolué depuis son instauration, le forfait kilométrique admis par l'administration fiscale a connu, lui, une réévaluation annuelle constante.
Ce forfait est simplement calculé par rapport à un barème de référence fixé dans le cadre d'une concertation entre les professions concernées et par application d'un indice combinant distance parcourue et puissance fiscale du véhicule. Il est largement utilisable par les VRP pour majorer sensiblement la déduction forfaitaire de 10 %.
On peut même rappeler qu'une utilisation normale - pour un VRP - d'un véhicule de 5 ou 6 CV fiscaux pour 30 000 kilomètres parcourus suffit presque à effacer toute éventuelle suppression de la déduction supplémentaire.
De même, en combinant le forfait kilométrique avec le simple forfait logement-nourriture retenu, lui aussi, par l'administration fiscale, on peut très vite arriver à des sommes bien supérieures à celles qui résulteraient de la stricte application des 10 % et de la déduction supplémentaire.
Pour autant, un voyageur-représentant placier a, sans doute, autre chose à faire que de fournir tous les ans un justificatif plus ou moins détaillé des dépenses réelles qu'il a engagées pour l'exercice de sa profession.
Imaginons qu'il retienne le forfait kilométrique en vigueur, ce qui le dispensera de produire par ailleurs les factures de ses deux ou trois pleins d'essence hebdomadaires ou encore les factures d'entretien de véhicule, ou bien encore l'attestation d'assurance, de paiement de la vignette ou des traites du crédit-bail sur voiture qu'il a pu souscrire.
Il pourra être aussi amené à produire les factures des différents restaurants dans lesquels il aura pu manger, soit entre deux visites, soit avec un client, soit encore, lorsqu'il est amené à passer une nuit en dehors de son domicile, dans l'hôtel où il réside provisoirement.
Voyons le total : deux cent vingt ou deux cent trente factures pour le repas de midi, peut-être cent à cent cinquante pour celui du soir, sans compter, éventuellement, les défraiements de l'employeur.
C'est la même chose pour les notes d'hôtel ou encore les frais occasionnés par une double résidence - loyer, entretien du domicile professionnel - situation fréquente lorsqu'un secteur de province est confié à un VRP résidant habituellement en région parisienne.
Ajoutons, par exemple, des abonnements à des revues techniques - nécessaires quand on est placier en informatique ou en matériel médical, par exemple - ou encore des frais de représentation propres à l'exercice de la profession et l'on arrive vite à une comptabilité particulièrement complexe, lourde à gérer, bien que sincère, tant pour le contribuable que pour l'administration.
On peut, en effet, souligner que l'option, pour le régime des frais réels, dont la géométrie est parfois variable d'un centre des impôts à un autre, occasionne une réelle contrainte de travail pour les contrôleurs et agents d'assiette des services fiscaux.
Et quel en est le résultat, en termes de recouvrement ? Car c'est bien le problème que pose l'article 61, singulièrement pour les VRP.
Il n'est pas interdit de penser que la dépense liée à l'option sera, demain, plus importante que le produit attendu de la suppression de la déduction supplémentaire. On pourrait même voir fleurir des emplois de conseiller fiscal au service des particuliers pour la mise en oeuvre et le calcul des différents effets de l'option.
Posons-nous la question, monsieur le ministre : de la même façon que l'administration admet en déduction forfaitaire de 20 % l'adhésion à un centre de gestion agréé d'un agent commercial, concurrent d'ailleurs non salarié des VRP, admettra-t-elle, demain, que les VRP puissent imputer sur leurs frais réels la dépense occasionnée par le recours à un comptable professionnel ou à un conseil pour l'établissement de leur déclaration d'impôt ?
Au-delà de cette considération, ne vaudrait-il pas mieux éviter que, par un recours accru à l'option pour le régime des frais réels, ne se développe un contentieux fiscal lourd et quelque peu dérisoire, en conséquence de l'application de l'article 61, notamment aux VRP ?
Le simple maintien de la déduction supplémentaire est, en fait, une mesure de bon sens et de simplicité dans le traitement des dossiers fiscaux.
Observons, enfin, que la profession de VRP est aujourd'hui largement touchée par la précarisation qui gangrène l'ensemble du monde du travail. Cette précarisation est notamment accentuée par l'accroissement du nombre d'agents commerciaux non salariés livrés à eux-mêmes, au seul profit de donneurs d'ordre plus ou moins honnêtes.
Nous pensons que c'est un mauvais point pour l'équité, d'autant que, par exemple, les retraites sont calculées sur les rémunérations soumises à cotisation. On voit tout le manque à gagner pour les VRP ! C'est une des raisons, mais il y en a beaucoup d'autres, qui militent pour l'adoption de cet amendement.
L'amendement n° II-136 porte sur une profession dont il est aujourd'hui évident qu'elle est assez rarement concernée par le plafond de déduction supplémentaire retenu aux termes de l'actuel article 83 du code général des impôts.
Dans le cas des ouvriers forestiers, l'application du plafond résulterait d'une rémunération, après abattement de 10 %, de 500 000 francs. On est assez loin du compte dans le cas qui nous préoccupe, puisqu'il est tout de même reconnu que, de façon générale, les salariés de la filière bois et du secteur agro-forestier sont en général plutôt mal payés. Le nombre des ouvriers forestiers est d'ailleurs aujourd'hui en baisse, du fait de la crise profonde que traverse l'ensemble de la filière dans notre pays.
Comment, en effet, à l'examen de cet amendement, ne pas constater, à nouveau, qu'il a fallu attendre la présente loi de finances, par exemple, pour enfin obtenir que le bois de chauffage soit taxé au taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée ?
Ne serait-ce que pour cette simple raison de justice sociale, il conviendrait de retenir l'amendement que nous avons présenté.
M. le président. La parole est à M. Loridant, pour défendre l'amendement n° II-137.
M. Paul Loridant. Cet amendement traite du cas des ouvriers du bâtiment sur chantier, qui comptent pour plusieurs centaines de milliers dans le million de salariés bénéficiant de déductions supplémentaires. On connaît la situation professionnelle des salariés du secteur.
Pour une part importante, ils sont employés dans de petites entreprises de moins de cinquante salariés, voire de vingt salariés et sont soumis directement aux aléas de la conjoncture.
Le niveau de rémunération des salariés concernés est d'ailleurs assez faible, les salaires de référence étant relevés par les primes diverses primes de panier ou primes de chantier, notamment.
En fait, les salariés du secteur sont souvent d'origine étrangère, plutôt mal payés, courent des risques professionnels plus graves que bien d'autres salariés et sont de plus en plus soumis à des contraintes de travail particulièrement lourdes.
Le recours au chômage technique et partiel est fréquent selon les aléas de la conjoncture dans le bâtiment. Dans ce secteur, la gestion des chantiers à flux tendu occasionne également le retour des heures supplémentaires lorsque cela est nécessaire. La pratique courante de la sous-traitance se généralise, avec la multiplication de contrats de chantiers à durée déterminée, la recherche de productivité à tout prix augmentant les risques et la gravité des accidents du travail.
Que dire encore, sinon que les ouvriers du bâtiment n'ont pas la même espérance de vie que d'autres catégories de salariés ? Bref, l'activité sur chantier est souvent ingrate et pénible.
C'est en 1936, dans la foulée des grèves du printemps et de la ratification législative des accords de Matignon, qu'un décret signé par Albert Lebrun, président de la République, Léon Blum, Jean Lebas et Charles Spinasse donnait enfin un statut aux salariés du secteur du bâtiment. Le décret du 17 novembre 1936 limitait notamment à quarante-deux heures la durée hebdomadaire du travail dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. Après la guerre, ce texte a servi de référence à la mise en oeuvre de la déduction fiscale supplémentaire pour les salariés du bâtiment.
Oserez-vous, monsieur le ministre, invoquer, là encore, le recours à la négociation avec les employeurs pour compenser la perte de la déduction supplémentaire ? On connaît, en effet, trop bien la situation du bâtiment aujourd'hui. Et c'est donc le moment choisi par ce gouvernement pour éteindre progressivement le petit avantage fiscal dont bénéficient les salariés du bâtiment.
Je ne saurais vous dire, monsieur le ministre, le coût de cet amendement, mais il est, à n'en pas douter, sans commune mesure avec les dispositions exorbitantes du droit commun que constituent les avantages donnés aux investissements privés dans l'immobilier ou le traitement fiscal des revenus fonciers.
Sous le bénéfice de ces observations, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement n° II-137.
M. le président. La parole est à M. Renar, pour défendre l'amendement n° II-138.
M. Ivan Renar. L'amendement n° II-138 porte sur la question du régime particulier des mineurs aux termes de l'article 83 du code général des impôts, qui prévoit une déduction supplémentaire pour frais professionnels au bénéfice de cette catégorie de salariés.
Il s'agit ici des mineurs de fond, et non des employés sur le carreau de la mine ou encore au criblage, qui ne bénéficient pas des dispositions concernées.
Le statut du mineur, notamment le statut des mineurs de charbon, date pour l'essentiel de la Libération et résulte, en fait, de la nationalisation des compagnies d'exploitation des gisements houillers.
Cette nationalisation, rendue indispensable du fait de la nécessité pour la nation de maîtriser son approvisionnement énergétique et de la manière pour le moins particulière avec laquelle le patronat minier français s'était comporté sous l'Occupation, s'est traduite par la mise en place d'un certain nombre de garanties collectives dont la moindre n'est d'ailleurs pas la création de la caisse de sécurité sociale minière.
Elle a aussi revêtu d'autres formes, et la déduction supplémentaire en est un élément parmi d'autres. Qu'est-ce qui peut la justifier, dans les faits ? Sans nul doute l'exceptionnelle pénibilité du travail au fond de la mine, incontestable à l'époque de la Libération.
Aujourd'hui encore, qu'on le veuille ou non, cette pénibilité existe, même si la mise en oeuvre d'un certain nombre d'outils nouveaux a permis de remplacer la productivité de l'effort physique humain par celle de la machine.
Elle a sa traduction dans le paysage de nos cités houillères, où l'on compte bien plus de veuves que les veufs, parce que ce métier était pénible, usant, même s'il était admirable par bien des aspects.
L'extraction du charbon, du fer et de tout autre minerai dans les bassins français est et demeure un travail pénible, dur physiquement et qui mérite d'être considéré comme tel.
L'attitude du Gouvernement vis-à-vis de cette profession est aujourd'hui faite de morgue. On programme, en effet, l'arrêt pur et simple de l'extraction houillère ; on réduit pour ce faire la dotation à l'entreprise publique Charbonnages de France ; on tente, petit à petit, de rogner sur la sécurité sociale minière ; on oublie de rénover le patrimoine immobilier des Charbonnages ; on laisse à la charge des collectivités le coût de la dépollution des sites proches des lieux d'exploitation minière. A quoi il faut donc ajouter la remise en cause de la déduction supplémentaire, sous prétexte d'égalité de traitement entre salariés devant l'impôt sur le revenu.
Cette politique cherche à faire accepter l'inacceptable et fait assaut de mansuétude et de bienveillance au profit de ceux de nos compatriotes qui gagnent de l'argent sans travailler et profitent simplement du travail des autres.
On ne réduit pas la fracture sociale de la sorte, en montrant du doigt des professions salariées qui ont, objectivement, de bonnes raisons d'être considérées de manière spécifique. En revanche, on accroît sans doute les inégalités réelles devant l'impôt, qui sont bien connues et dont souffrent ceux qui travaillent et qui produisent les richesses de l'économie réelle.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. La discussion a été très riche, aussi, j'aimerais, à ce stade, avant que la commission des finances ne se prononce sur les amendements, resituer cet article dans l'ensemble de la réforme.
Cette discussion très intéressante montre bien qu'en France on est toujours pour la réforme, sauf au moment où on la fait, et que l'on veut supprimer tous les privilèges, mais que les privilégiés, ce sont les autres. (Sourires.)
Que souhaitons-nous faire avec cette réforme de l'impôt sur le revenu ? Nous voulons réduire la pression fiscale, simplifier le système d'imposition et le rendre plus équitable, ainsi que je l'indiquais tout à l'heure.
A cette fin, nous proposons de supprimer tous les régimes spéciaux liés à l'exercice d'une activité professionnelle. C'est un choix politique. On peut naturellement faire un choix différent, nous sommes là pour en discuter.
Les seuls régimes spéciaux, les seules déductions - ce qu'on appelle familièrement « les niches » - que nous proposons de conserver peuvent profiter à tous les contribuables, quelle que soit leur activité professionnelle, et ont un effet économique favorable.
Ils peuvent ainsi être liés à l'épargne, à la création d'emplois à domicile, à l'investissement dans certains domaines que nous jugeons dignes d'un effort de la collectivité nationale, que ce soit, par exemple, l'investissement dans la production cinématographique, dont nous avons parlé précédemment et qui a fait l'unanimité lors du vote de l'amendement proposé par la commission des finances, ou encore l'investissement dans les départements d'outre-mer.
En revanche, il est proposé de supprimer tous les régimes fiscaux liés à l'exercice d'une profession, qui ont pu se justifier autrefois mais que, manifestement, rien ne justifie plus aujourd'hui.
Les très nombreux amendements déposés, notamment par le groupe communiste républicain et citoyen, ont le mérite de bien montrer que la question est de savoir si on les supprime tous ou si l'on n'en supprime aucun.
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Si, par hasard, on décidaient d'exclure de la mesure de suppression une profession, d'en mettre une en exergue par rapport à toutes les autres, on tirerait le fil du tricot et on reconstituerait la pelote de laine.
En fait, il s'agit du dispositif le plus archaïque de notre système fiscal, qui comporte non pas une, mais plusieurs listes, certaines dispositions ayant un fondement législatif, donc juridiquement irréprochable, et d'autres, prises par des gouvernements ou des ministres par arrêtés ou par circulaires n'en ayant aucun...
M. Michel Charasse. Exactement !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... mais étant quand même appliquées.
C'était une espèce de tradition républicaine - des républiques antérieures à l'actuelle - qu'un ministre des finances allonge cette liste, soit en passant par le Parlement, soit de sa propre autorité, sans en avoir le pouvoir juridique.
Alors, on voit que les émouleurs, polisseurs et trempeurs de la coutellerie de la région de Thiers, dans le Puy-de-Dôme, bénéficient de 15 %... que les fabriquants de galoches du Pas-de-Calais bénéficient soit de 10 %, s'ils sont piqueurs non propriétaires de leur machine... soit de 15 %, s'ils sont piqueurs propriétaires de leur machine, que les ponceurs, mouleurs, entrecoupeurs et rogneurs de peignes de la région d'Oyonnax bénéficient de 25 %... que les ourdisseurs, bobineurs et caneteurs du tissage de la région de Fourmies bénéficient de 25 %, alors que les passementiers et guimpiers bénéficient de 20 à 40 % selon leur spécialité !
M. Ivan Renar. Vous savez bien que ce n'est pas le problème.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. C'est au contraire le coeur du problème. Vous-même avez cité diverses professsions.
M. Philippe Marini. C'est du clientélisme !
M. Jean Chérioux. Exactement !
M. Ivan Renar. Mais non !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Nous en sommes arrivés à une situation indescriptible, à peu près inapplicable pour les services fiscaux et qui aboutit à des injustices absolument incroyables, d'autant plus que nombre de ces dispositions ont donné lieu à jurisprudence et que celle-ci a été amenée à préciser, parfois à étendre ou à resteindre la portée des décisions du législateur ou du pouvoir réglementaire.
Le Sénat doit savoir que, par exemple, les internes des hôpitaux de Paris ont droit à une déduction supplémentaire de 20 %...
M. Emmanuel Hamel. Savez-vous comment travaillent les internes des hôpitaux de Paris ? Savez-vous quelles sont leurs conditions de travail ? Allez dans les hôpitaux !
M. Ivan Renar. Vous avez raison ! A gauche toute, monsieur Hamel !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Monsieur Hamel, si vous me permettez d'achever ma phrase...
M. Emmanuel Hamel. Achevez-la ! M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... alors que les internes des hôpitaux de province ne bénéficient pas de la même déduction.
M. Philippe Marini. Notamment ceux de Lyon, monsieur Hamel !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. En effet ! notamment ceux de Lyon !
M. Emmanuel Hamel. Parler ainsi, c'est se moquer du peuple !
M. le président. Monsieur Hamel, je vous en prie ! Vous n'avez pas la parole !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je me contente de rappeler l'état du droit, et si ce rappel suscite des indignations, c'est bien que l'état du droit n'est pas satisfaisant.
Les inspecteurs d'assurance, s'ils appartiennent aux branches vie, capitalisation ou épargne, ont droit à une déduction supplémentaire de 30 % ; s'ils appartiennent à la branche incendie, maladie ou accident, ils n'ont droit à rien.
On a parlé des ouvriers du bâtiment. Cela dépend des spécialités, des chantiers : ils peuvent avoir droit à 10 %, comme ils peuvent n'avoir droit à rien.
On a parlé des chauffeurs et convoyeurs. A cette occasion, M. Loridant a utilisé l'expression « forçats de la route ». Bien ! Mais il faut savoir que les chauffeurs et convoyeurs ont droit à une déduction supplémentaire de 20 % à condition qu'il s'agisse de transport routier rapide dans un rayon compris entre 150 et 200 kilomètres. Donc, si vous êtes entre 150 et 200 kilomètres, vous êtes ce que M. Loridant appellerait - je le dis avec un sourire et entre guillemets - un « forçat de la route », mais, à 149 kilomètres, vous ne l'êtes pas encore, et à 201 kilomètres, vous ne l'êtes plus, et vous ne bénéficiez pas de 20 % de déduction supplémentaire.
Voilà la situation actuelle du droit et de la jurisprudence.
C'est un système absurde, c'est un système qui est devenu indéfendable.
Il est clair que si l'on créait aujourd'hui, à partir de rien, l'impôt sur le revenu, il serait hors de question de mettre en place de tels mécanismes.
Il est clair aussi qu'à partir du moment où nous voulons réformer l'impôt sur le revenu, il faut supprimer les mécanismes de ce genre.
Dès lors, quelles sont les conséquences pratiques pour les professions concernées ?
Toutes ne sont pas dans la même situation au regard de la réforme. Il y a, dirai-je, quatre catégories.
Dans la première catégorie, il y a les professions qui ont disparu. J'en ai cité quelques-unes tout à l'heure pour rappeler l'origine historique de certaines déductions.
Dans la deuxième catégorie, il y a les professions dont le taux de déduction forfaitaire est inférieur à 25 %, et qui ne paieront donc pas plus après la réforme.
Je rappelle en effet que la réforme de l'impôt sur le revenu va entraîner une baisse du barème de 25 % en moyenne sur les cinq ans à venir. Par conséquent, toutes les professions dont le taux de déduction est inférieur à 25 %...
M. Philippe Marini. C'est le cas des internes !
M. Emmanuel Hamel. Il faut les laisser vivre !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. C'est le cas des internes, effectivement ; c'est le cas aussi des ouvriers forestiers et de bien d'autres professionnels qui, en réalité, seront des bénéficiaires nets de la réforme : ils perdront l'avantage de la déduction supplémentaire, mais ils bénéficieront de la baisse du barème et don, en définitive, ce sera au pire neutre, et, le plus souvent, avantageux pour eux.
La troisième catégorie, ce seront les professions qui pourront, en optant pour le régime des frais réels, régler les problèmes que pourrait leur créer la suppression de la déduction supplémentaire de frais forfaitaire.
Parmi les professions qui ont été citées, figure évidemment, monsieur Renar, celle de musicien. En effet, un musicien qui doit acheter un instrument a tout à fait intérêt à opter pour le régime des frais réels ; cela lui rapportera beaucoup plus que les 20 % ou 30 % de déduction auxquels il a droit aujourd'hui.
M. Ivan Renar. Non, parce que la somme est trop élevée par rapport à ses revenus. Demandez à vos responsables des services fiscaux !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Raison de plus ! Car, à ce moment-là, il ne paie pas du tout d'impôt sur le revenu.
Il n'y a donc aucun problème pour les musiciens.
C'est le cas également pour les VRP, dont une très grande majorité a déjà opté pour le régime des frais réels.
Naturellement, - c'est un point important - nous sommes prêts à réfléchir, avec les services fiscaux, aux moyens de faciliter la production de pièces justificatives des frais réels, de manière à ne pas obliger les professionnels concernés à tenir une comptabilité trop complexe ou à conserver par devers eux une paperasserie excessive.
Voilà donc trois catégories de professions qui ne sont pas « pénalisées » par le dispositif global de la réforme.
Puis il existe une quatrième catégorie : celle des journalistes. Ces derniers représentent un cas particulier pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, le taux de déduction de frais forfaitaires qui leur est applicable est de 30 % et dépasse donc les 25 %.
Ensuite, il s'agit de l'un des régimes dérogatoires à l'impôt sur le revenu les plus anciens, peut-être même du plus ancien - il date, me semble-t-il, de 1934 - d'un régime voté par le Parlement au moment de la mise au point du statut moderne du journaliste, tant et si bien que les journalistes sont fondés à considérer, même si cela n'est pas tout à fait vrai juridiquement, psychologiquement, socialement et historiquement du moins, que cette déduction constitue un élément de leur statut.
Enfin, pour un certain nombre de journalistes, l'option « frais réels » ne règle pas la question. Le choix de cette option constitue une réponse pour ceux qui se déplacent beaucoup, qui ont d'ailleurs souvent des frais importants, voire supérieurs à ces fameux 30 %, mais il ne règle nullement le cas des autres.
Voilà pourquoi le Gouvernement a admis que cette profession constituait un cas particulier, qui devait être traité en tant que tel.
Peut-on maintenir un régime fiscal propre aux journalistes ? Non ! En effet, je le rappelle encore une fois, si on maintient ce régime pour une profession, on ne peut pas le supprimer pour les autres ; on risquerait de se retrouver dans le système que j'ai décrit tout à l'heure.
En revanche, le Gouvernement est prêt à étudier, avec les représentants de la profession, un système de compensation qu'il soumettra au Parlement.
Je rappelle, à cet égard, à la fois ce qui est déjà acquis au sortir de l'examen par l'Assemblée nationale et ce qui est en cours de discussion.
Tout d'abord, dans le calendrier d'application de la réforme, nous avons pris la précaution de préciser que, pour toutes ces professions - et pas seulement celle de journaliste - la réforme concernant la suppression progressive des déductions supplémentaires ne s'appliquera qu'à compter de 1998, aux revenus de 1997,...
M. Christian Poncelet, président de la commission. C'est exact !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... ce qui présente deux avantages.
Premièrement, les intéressés qui voudraient opter pour les frais réels auront la possibilité, à partir du 1er janvier prochain, de s'organiser et de tenir la comptabilité de leurs frais réels.
Deuxièmement, cela permet au Gouvernement, au Parlement et aux représentants des professions concernées, notamment aux journalistes, de disposer d'un an pour mettre au point le système de compensation.
De toute manière, tous les contribuables, toutes les professions dont nous avons parlé, y compris les journalistes, bénéficieront de la baisse du barème d'environ 9 % dès 1997, et ce n'est qu'à partir de 1998 qu'il est proposé de commencer à baisser le plafond des déductions de frais professionnels, la réforme s'étalant ensuite sur les trois années suivantes.
Par ailleurs - c'est important parce qu'il s'agit d'un dispositif spécifique aux journalistes - nous proposons de maintenir le mode de calcul de l'assiette des cotisations sociales. Or, à l'heure actuelle, il s'agit d'une particularité de la profession de journaliste : l'assiette des cotisations sociales correspond au salaire brut diminué des 30 %, en parallélisme avec l'abattement fiscal de 30 %.
Il s'agit là d'une mesure originale, spécifique à la profession, que nous n'envisageons pas de modifier et qui a un fondement juridique d'ordre réglementaire. A ce sujet, je peux renouveler devant le Sénat les engagements très clairs que j'ai pris, au nom du Gouvernement, devant l'Assemblée nationale.
S'agissant maintenant des journalistes qui seront perdants du fait de cette réforme, en particulier de ceux qui n'ont pas un quotient familial très élevé ou qui perçoivent un salaire relativement faible, nous sommes d'accord pour proposer au Parlement une compensation en leur faveur, qu'ils exercent dans la presse écrite, dans l'audiovisuel ou dans une agence de presse. Nous prendrons également en compte les pigistes, qui se trouvent dans une situation particulière, généralement plus précaire que les autres.
Enfin, nous avons également indiqué que le mécanisme de compensation devra être mis en place en concertation avec les représentants de la profession, et qu'il y aura un contrôle du suivi par les représentants de la profession ainsi que par les représentants des deux commissions des finances, si celles-ci le souhaitent.
C'est dans cet esprit qu'a été adopté par l'Assemblée nationale un amendement créant un fonds dit « de modernisation de la presse », amendement dont l'exposé des motifs avait pour objet la justification de la compensation, sans qu'à ce stade une somme ait été attribuée à ce fonds - c'est pourquoi un certain nombre de députés ont ironisé sur ce « fonds sans fonds » - car nous souhaitions commencer la négociation avec les représentants des journalistes par l'évaluation de la somme à compenser,...
M. Jacques Oudin. C'est le bon sens !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... et donc ne pas préjuger, à ce stade, ce que serait la somme en question.
Depuis, j'ai de nouveau rencontré l'intersyndicale. Nous ne sommes pas parvenus à un accord, l'intersyndicale des journalistes continuant de repousser le principe même de la réforme. Toutefois a été acceptée la désignation d'un médiateur, M. Jacques Bonnet, président de chambre à la Cour des comptes, qui a commencé immédiatement son travail. Il est chargé, comme cela a été indiqué, de trois missions : premièrement, évaluer le montant de la compensation nécessaire, deuxièmement, étudier les méthodes possibles de compensation, leur faisabilité et leurs modalités d'application et, troisièmement, nous faire des propositions en matière de suivi.
Une première réunion plénière a eu lieu à la fin de la semaine dernière avec les représentants de l'intersyndicale. Le médiateur a également rencontré les représentants des fédérations de presse, et d'autres réunions sont naturellement prévues.
J'ai compris - parce que cela m'a été dit de manière très claire par les intéressés - que, tant du côté de l'intersyndicale des salariés que du côté des patrons de presse, la notion de fonds de modernisation était récusée et qu'en particulier l'appellation de modernisation ssemblaient ambiguë.
C'est pourquoi je vous proposerai un amendement tendant à modifier ce libellé, pour qualifier ce fonds de « fonds d'adaptation pour les journalistes. En effet, l'objectif est très clair : il ne s'agit pas de donner une aide aux entreprises de presse - vous avez débattu samedi soir du budget de la communication et vous avez d'ailleurs obtenu du Gouvernement une majoration des aides à la presse par rapport à ce qui avait été voté à l'Assemblée nationale - il s'agit de prévoir une compensation pour les journalistes.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit dans lequel le Gouvernement a proposé cette réforme.
Nous sommes donc tout à fait d'accord pour considérer qu'il y a un problème spécifique aux journalistes et nous sommes tout à fait d'accord sur le principe d'une compensation financière.
Nous avons engagé avec la profession intéressée une négociation. Nous souhaitons que le débat au Sénat soit l'occasion de marquer un progrès par rapport à ce qui a été dit et voté à l'Assemblée nationale, tout en laissant les modalités de cette compensation suffisamment ouvertes pour garder du grain à moudre pour la négociation et pour garantir qu'à la fois le système que nous mettrons finalement au point et le montant de la compensation que nous déciderons auront bien l'accord des représentants des professionnels intéressés qui ont accepté ce dialogue.
C'est dans cet esprit, monsieur le président, que le Gouvernement est hostile à l'ensemble de ces amendements et qu'il a lui-même déposé un amendement qui sera examiné à l'article suivant. (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le rapporteur, dans un instant, la commission des finances sera invitée à donner un avis sur les amendements qui ont été déposés à l'article 61.
Nous avons écouté attentivement les explications fournies à l'instant par M. le ministre délégué au budget. Toutefois, il subsiste encore quelques incertitudes. C'est la raison pour laquelle je sollicite une suspension de séance d'une dizaine de minutes pour recueillir de la part de M. le ministre des informations complémentaires sur ce fonds de modernisation de la presse, dont vous accepteriez, monsieur le ministre, vous venez de nous l'indiquer à l'instant, que l'on modifie le libellé afin d'en faire un fonds d'adaptation pour les journalistes.
Nous ne connaissons pas encore la manière dont ce fonds sera géré ni le montant des crédits qui y seront affectés, et nous ne savons pas non plus s'il permettra d'adoucir, en quelque sorte, les dispositions qui prévoient la disparition de l'avantage fiscal adoptées à l'Assemblée nationale. C'est pourquoi je demande une suspension de séance, qui nous permettra de recueillir de plus amples informations auprès de M. le ministre et donc de renseigner le Sénat sur ses intentions.
M. Claude Estier. M. le ministre pourrait donner ces informations directement au Sénat. Une suspension de séance n'est pas nécessaire !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur Estier, ces informations sont nécessaires à la commission des finances, qui va être invitée à donner, par la voix de son rapporteur général, un avis sur cette série d'amendements.
M. Claude Estier. C'est le Sénat tout entier qui doit être informé !
M. le président. Monsieur le président de la commission, pouvez-vous nous indiquer le temps qui vous sera nécessaire ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. A questions précises, réponses précises ! Aussi dix minutes devraient-elles suffire pour compléter l'information de la commission des finances et lui permettre de donner un avis en toute connaissance de cause.
M. le président. Le Sénat va bien entendu accéder à votre demande, monsieur le président de la commission des finances.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures quarante.)