M. le président. Je suis saisi, par M. Estier et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 40, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'épargne retraite (n° 100, 1996-1997). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Massion, auteur de la motion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres de la majorité semblent manifester une exceptionnelle ardeur à se projeter dans le passé, alors qu'il faut regarder vers l'avenir. Par ailleurs, les batailles de citations ne mènent à rien. J'ai noté avec bienveillance que M. Marini avait porté intérêt aux propositions de Pierre Bérégovoy en 1993. Je n'ai cependant pas le souvenir qu'il ait à l'époque manifesté son intérêt publiquement !
Je souhaiterais, à l'occasion de l'examen de cette motion de renvoi à la commission, insister sur la très mauvaise rédaction de cette proposition de loi. En effet, le rapporteur de ce texte au Sénat n'a pas réussi à l'améliorer, même si, j'en conviens, son travail a été incontestablement bien supérieur à celui de son homologue à l'Assemblée nationale.
On a l'impression que, malgé le temps qui a été laissé à l'auteur de cette proposition de loi, cette dernière a été élaborée à la va-vite, comme si, finalement, l'important était d'afficher une annonce, sans se préoccuper de l'application du dispositif.
Par ailleurs, le texte a été rédigé, semble-t-il, sans que le ministère chargé des affaires sociales soit associé, voire simplement consulté.
Comme je l'ai déjà dit, le caractère facultatif de ces nouveaux plans, exprimé dans l'article 1er, ne permettra pas de résoudre les problèmes que rencontrent les régimes de base et les régimes complémentaires de sécurité sociale. Ce nouveau dispositif, en revanche, conduira à un démantèlement de ces derniers et ce n'est pas l'article 26, même amendé, qui résoudra les problèmes.
Qui plus est, d'emblée, la proposition de loi cible très précisément la portée du texte en faveur des catégories de salariés, excluant du dispositif ceux qui sont en situation précaire, c'est-à-dire plusieurs millions de personnes.
L'article 2 prévoit une liquidation quelque peu hybride du plan d'épargne retraite puisqu'il autorise une sortie en capital, sans toutefois préciser ce qui adviendra de la rente qui sera versée au titre du solde des versements effectués.
Ce mélange des genres entre sortie en capital et sortie en rente illustre le compromis concédé par le Gouvernement auprès des banques et des compagnies d'assurances. Cela ne correspond à aucune logique de retraite laquelle, elle, impose la rente seulement.
Ce nouveau régime ne pourra que mettre en difficulté les régimes d'entreprise ou la PRÉFON, qui ne prévoient pas de sortie en capital. Aucune durée n'est fixée pour le plan. Qui plus est, chacun peut s'arrêter quand il veut : c'est un très mauvais principe, car, dans ce cas, la rente sera minime et les intéressés n'en auront pas toujours conscience.
L'article 5 ouvre une possibilité pour que la rente soit reversée, en cas de décès, au conjoint survivant ou aux enfants mineurs ou invalides. On ne voit pas pourquoi ne sont pas visés, ici, les enfants majeurs effectuant des études, ainsi que les ex-conjoints divorcés, comme c'est le cas en matière de sécurité sociale.
L'article 6 prévoit que le plan d'épargne retraite peut être souscrit par l'employeur sur le fondement d'un accord collectif d'entreprise ou par décision unilatérale. Les conditions d'adhésion des salariés sont définies selon des catégories homogènes.
Pourquoi utiliser le terme « peut » ? Quelle serait alors l'alternative ? Il est prévu qu'un groupement d'employeurs puisse souscrire un plan, sans que soit précisé ce qui se passe si l'un d'entre eux arrête. Pourquoi ne pas avoir prévu le cas possible du référendum ? Le terme employé de « catégories homogènes » est très dangereux, car il ouvre la possibilité à l'employeur d'organiser des augmentations « sur mesure » en fonction de la catégorie des salariés ou selon des critères que l'on imagine. Songeons à ce qu'il pourrait verser aux cadres supérieurs par rapport aux ouvriers !
Le cas des petites et moyennes entreprises n'est pas traité, ce qui introduit une discrimination entre les salariés, selon qu'ils travaillent dans une grande entreprise susceptible de souscrire des plans ou dans une petite entreprise qui n'en a pas les moyens.
On peut également se demander si l'employeur n'utilisera pas ce nouveau produit comme un outil de gestion du personnel lui permettant d'influer négativement sur les négociations salariales.
M. Paul Loridant. Ça, c'est sûr !
M. Marc Massion. En effet, il sera sans conteste plus avantageux pour un chef d'entreprise, plutôt que d'augmenter les salaires, de proposer à ses salariés d'abonder les plans d'épargne, ce qui ne pourra que diminuer leur revenu disponible.
M. François Autain. Ah oui !
M. Paul Loridant. C'est vrai !
M. Marc Massion. L'article 7 prévoit que « les versements du salarié et l'abondement de l'employeur aux plans d'épargne retraite sont facultatifs. Ils peuvent être suspendus ou repris sans pénalité... L'abondement de l'employeur ne peut excéder chaque année le quadruple des versements du salarié ». Aucune définition de la périodicité et des modalités de versement n'est prévue.
Il est curieux que des dispositions relatives aux versements des salariés relèvent « à défaut » du décret. Rien n'est prévu pour que les salariés soient avertis de l'arrêt du versement par l'employeur, avant qu'il ne s'arrête effectivement. Cette liberté absolue pour l'employeur est incompatible avec la notion de durée nécessaire quand on parle de retraite. Les salariés peuvent ainsi rester seuls à verser leur épargne dans le fonds.
L'article 8 prévoit que, en cas de rupture du contrat de travail, le titulaire peut demander soit le maintien de ses droits, soit le transfert sans pénalités de ceux-ci sur un autre plan d'épargne.
La référence qui est faite, dans le cas de rupture du contrat de travail, à l'article L. 132-23 du code des assurances ne correspond à rien, car celui-ci est trop vague pour servir de référence ! Rien n'est prévu, en matière de transfert, si celui-ci doit s'effectuer l'année où sont enregistrées des moins-values ! Le terme d'« équité actuarielle » ne veut rien dire. Par ailleurs, rien n'est prévu pour les personnes qui sont frappées de licenciement et qui souhaitent continuer à alimenter le fonds.
L'article 9 prévoit que les employeurs souscrivent des plans auprès de fonds d'épargne retraite, personnes morales qui gèrent ces plans. Ces fonds peuvent être constitués par des sociétés d'assurance, des sociétés d'assurance mutuelle, des institutions de prévoyance, des mutuelles.
Si l'entreprise choisit plusieurs fonds, que se passera-t-il en cas de faillite de l'un d'entre eux ? Si l'un d'entre eux revalorise mal ses rentes, qu'adviendra-t-il ? On peut penser que l'entreprise sera attaquée en justice par le titulaire. En cas de transfert, il n'est pas prévu de transfert des provisions d'actifs. Le terme employé de « gestion » est impropre et n'existe d'ailleurs pas dans le code des assurances.
L'article 10 prévoit que ces fonds d'épargne retraite doivent recevoir un agrément délivré par le ministre chargé de l'économie ou par arrêté conjoint des ministres chargés respectivement de l'économie et de la sécurité sociale dans le cas des mutuelles ou des institutions de prévoyance.
On ne voit pas pourquoi, lorsqu'il s'agit des mutuelles ou des institutions de prévoyance, le ministère de l'économie et des finances aurait à intervenir.
L'article 14 prévoit que les titulaires de plans participent à la gestion de leur plan dans le cadre de comités de surveillance composés pour moitié de leurs représentants élus. Il n'est pas précisé qui élit les représentants au comité de surveillance.
Et qui compose l'autre moitié ? Il est illusoire de croire que ce comité, situé au niveau du plan et non pas du fonds, aura un quelconque pouvoir. Aucune définition n'est donnée des titulaires. S'agit-il des seuls salariés ou également des retraités et des salariés ayant quitté l'entreprise ? Encore une fois, l'idée d'un comité de surveillance paraît inapplicable aux petites et moyennes entreprises.
Les articles 15 et 16 prévoient quelques modalités de fonctionnement pour ce comité.
Mais émettre un avis ne représente pas grand-chose. Par ailleurs, comment donner un avis sur le fonds quand on est impliqué uniquement dans un plan de ce fonds ? Cela paraît impossible ! Le fait que le comité se saisisse de toutes les anomalies est inapplicable ; il faut viser celles qui sont importantes, sinon on risque d'encombrer les tribunaux pour des broutilles. Quel sera le tribunal de commerce compétent ? Ce n'est pas précisé.
L'article 17 bis prévoit qu'une commission mixte, composée de la réunion de la commission de contrôle des assurances et de la commission de contrôle des institutions de prévoyance et des mutuelles, veille au respect des dispositions législatives et réglementaires applicables aux fonds de pension.
Aucune disposition ne vient préciser le fonctionnement dans la pratique de cette nouvelle commission de contrôle. Qui la préside ?
L'article 19 prévoit que, en cas de modification du contenu ou des conditions de gestion du plan, le titulaire en est tenu informé par l'employeur. Le fonds lui communique, à sa demande, ses statuts, bilan, comptes de résultats.
Il n'est pas précisé que c'est en fait à l'employeur de diffuser l'information, qui, elle, doit être rédigée par l'assureur. Les informations transmises ne sont pas, qui plus est, suffisantes. Il est nécessaire d'informer par ailleurs le titulaire qu'il a la possibilité de les demander.
L'article 20 dispose que le fonds informe annuellement les affiliés de la performance de leur plan et de la mise en oeuvre des objectifs de gestion. La rédaction de cet article répond à une logique d'épargne et non de retraite.
L'article 21 prévoit que les fonds d'épargne sont soumis à des règles spécifiques d'évaluation de leurs actifs, de provisionnement et de participations aux excédents, fixées par décret en Conseil d'Etat. Rien n'est prévu en cas de difficulté de l'entreprise. Que se passerait-il, dans ce cas ? Réduirait-on les droits des titulaires ?
L'article 22 dispose que les engagements réglementés des fonds d'épargne retraite ne peuvent être représentés pour plus de 65 % par des obligations ; il y aura donc 35 % en actions. Cet affichage d'un quota d'actions est - permettez-moi de le dire - « bidon ». On ne peut obliger un gestionnaire à fonctionner selon des quotas. On peut parier qu'il y aura très peu d'abondement en fonds propres pour les entreprises.
L'article 25 prévoit que les versements des salariés et de l'employeur sont déductibles de l'impôt sur le revenu dans une limite égale à 5 % du montant brut de la rémunération ou de 20 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
Cette déductibilité nouvelle, qui ne pourra, par définition, jouer qu'en faveur des contribuables imposables et, parmi eux, principalement, des plus riches, ceux qui ont l'habitude de jouer avec les règles de « l'optimisation fiscale », est naturellement l'un des points les plus inacceptables de ce texte. Il est scandaleux que la limite de 5 % ne soit pas elle-même plafonnée, ce qui veut dire que plus la rémunération du salarié sera importante, plus il pourra déduire et moins, de ce fait, il paiera d'impôt.
L'article 26 dispose que l'abondement de l'employeur est exclu de l'assiette des cotisations sociales. Un plafond de déductibilité spécifique est prévu, fixé annuellement à 4 000 francs, auxquels s'ajoutent 2 % du salaire brut annuel. Aucun reversement n'est prévu par l'Etat pour renflouer les caisses de sécurité sociale.
Il s'agit là d'une disposition scandaleuse, qui exclut l'abondement de l'employeur de toute cotisaton sociale. Cela ne pourra que porter atteinte aux régimes complémentaires de sécurité sociale. On peut craindre, en effet, que les employeurs ne soient à l'avenir plus disposés à verser sur des plans qu'aux caisses complémentaires. Il est inadmissible que la limite d'exonération soit renvoyée à un décret, et ne soit pas fixée par la loi. Il est scandaleux d'avoir abrogé la disposition rendant obligatoire le rééquilibrage des comptes de la sécurité sociale par l'Etat, en parallèle à cette exonération nouvelle.
Enfin, aucune disposition n'est prévue pour revaloriser les rentes à la sortie. Nul ne peut savoir ce à quoi il pourra prétendre lors de la liquidation de son plan. Les résultats affichés dépendront de la capacité des gestionnaires à effectuer les meilleurs placements sur une période très longue sur laquelle, en conséquence, tout engagement de résultats ne peut qu'être aléatoire.
Toutes ces observations, ces questions, ces insuffisances justifient pleinement notre demande de renvoi à la commission. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Notre collègue M. Massion s'est livré à un commentaire du texte, montrant qu'il le connaît déjà fort bien et qu'il l'analyse en posant beaucoup de bonnes questions. Cela témoigne du fait qu'un travail approfondi peut être réalisé en peu de jours.
M. François Autain. Il est doué !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est ce travail que nous avons taché de mener au sein de la commission. Le rapport d'une centaine de pages que vous avez entre les mains, mes chers collègues, en est le témoignage. Il serait à mon avis difficile à la commission, même en plus de temps, de faire vraiment beaucoup mieux. Dès lors, le renvoi à la commission ne semble pas vraiment motivé, et la commission émet donc un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Paul Loridant. Oui, mais il y a aussi la commission des affaires sociales !
M. Jean Chérioux. C'est un leitmotiv !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Comme la commission, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 40, repoussée par la commission et par le Gouvernement.

(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

CHAPITRE Ier

Epargne retraite

M. le président. Par amendement n° 2, M. Marini, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet intitulé :