M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 1, présentée par MM. Allouche, Autain, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Delanoé, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, M. Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, MM. Richard, Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à l'immigration (n° 165, 1996-1997). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote pour une durée n'excédant pas cinq minutes à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Mélenchon, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Le ton que vous avez employé, monsieur le ministre, pour nous répondre, et singulièrement pour répondre à M. Badinter, nous ramène sur le terrain de la rudesse. Vous allez nous y trouver.
L'immigration, cette respiration naturelle de la communauté humaine universelle et aussi ancienne qu'elle, l'immigration, dans notre pays, a cessé d'être un fait pour devenir un enjeu. Et quel enjeu !
Que cela nous plaise ou non - et cela ne me plaît pas - l'immigration est devenue le miroir des doutes, des peurs et des cruautés que ces sentiments engendrent toujours dans la vie en société comme dans la vie privée. La pauvre figure de l'immigré devient celle du bouc émissaire de toutes les frustrations. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Et pourtant, monsieur le ministre, le fait migratoire, en ce qui concerne la France, n'a rien de nouveau, ni dans ses manifestations, ni dans ses proportions. Il est constant, à tous égards, depuis que la France est la France.
M. Alain Gournac. Les temps changent !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais voilà, la xénophobie monte, le racisme s'assume et s'affiche.
M. Jean Chérioux. La faute à qui ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Dans le champ politique, l'un et l'autre veulent faire norme. Enfin, mes chers collègues, vous ne reconnaissez pas les stigmates de l'histoire ? (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Hier, l'un de nos collègues, le président de la commission des lois, Jacques Larché, s'est indigné des rapprochements que les orateurs socialistes faisaient.
M. Serge Vinçon. Il avait raison !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il témoignait avec émotion de son engagement républicain et du prix qu'il a payé de bon coeur en son temps. Je veux témoigner du respect que ces sentiments m'inspirent.
De notre côté, il y a aussi assez d'hommes et de femmes qui ont partagé ces épreuves, dans le courage et dans l'honneur, pour que ma génération ait pu apprendre de vive voix ce que les récits des livres d'histoire lui enseignaient.
Mais, justement, c'est de ces témoignages et de ceux qui les portent que je veux me réclamer en cet instant.
Quoi ? Vous ne reconnaissez pas les stigmates de l'histoire ? Et vous, mes chers collègues, et vous, monsieur le président Jacques Larché, vous devriez être pour nous les premières sentinelles quand le ressac s'annonce ! (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Vous, mieux que d'autres, savez que, si la France est capable du meilleur, elle est aussi capable du pire. Elle est capable d'être tout à la fois la France de Londres et d'Alger, qui résiste ici et partout sur le territoire national,...
M. Alain Gournac. Ça c'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... et elle est aussi capable d'avoir le record d'Europe des dénonciations dans les kommandantur.
Il en est de la vie des peuples comme de celle des individus. Quand le sol des certitudes se dérobe, c'est au principe qu'il faut s'attacher ! La France vaincra sa part maudite, une fois de plus, par la République et la défense intraitable de son identité nationale, qui est contenue tout entière et exclusivement par la République. Ce n'est pas ce que vous faites ! (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Quoi que vous en ayez dit, ce texte n'est pas un texte technique. Il prend place, quoi que vous nous en disiez - mais le naturel revient vite au galop - dans une stratégie politicienne aussi dangereuse que vaine, qui vise à reprendre au parti xénophobe le monopole des fantasmes dont il se nourrit.
M. Roland Courteau. Parfaitement !
M. Jean-Luc Mélenchon. En agissant comme vous le faites, vous légitimez, jour après jour, des obsessions qui empêchent de traiter sérieusement les problèmes réels qui se posent à la France dans son rapport au monde et à elle-même.
M. Jean Chérioux. Vous les avez provoquées souvent !
M. Jean-Luc Mélenchon. Que vous le vouliez ou non - mais certains des vôtres, tels que je les ai entendus à l'Assemblée nationale, le veulent - vous êtes dans le rôle des petits fourriers des bataillons bruns de Marignane, Toulon, Orange.
M. Jean Chérioux. Restons au Sénat !
M. Jean-Luc Mélenchon. N'est-ce pas aussi pour vous le moment d'un examen de conscience après vos résultats électoraux à Vitrolles ? (Rires et exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Henri de Raincourt. Et vous ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le candidat sortant était un socialiste !
M. Jean-Luc Mélenchon. Comme elle tombe mal pour vous cette discussion ! Elle sanctionne la faillite d'une stratégie : qui sème du sécuritaire récolte exclusivement du fascisme. Car c'est vous qui donnez force de loi aux délires maladifs des purificateurs ethniques en herbe - et l'herbe est déjà bien haute - qui, pour notre honte collective devant le monde, menacent toujours plus directement l'identité républicaine de la France.
Le déroulement même de la discussion parlementaire en a apporté la démonstration. Vous prétendiez remédier aux impasses juridiques et humaines qui résultaient des lois dites « Pasqua » après le mouvement des sans-papiers. Vous avez été débordés et emportés par des éléments de votre majorité dont on ne peut plus discerner s'ils sont la copie ou l'original de ce qu'il y a de pire dans notre démocratie. Ah ! les beaux mouvements de menton, ah ! les bravoures de tribunes !...
M. Jean Chérioux. Vous êtes spécialiste, vous connaissez bien cela !
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais laissez-moi vous dire que ces comportements nous donnent surtout le sentiment de compenser en hargne contre l'étranger le plus malheureux tout ce qui a été cédé devant l'étranger autrement plus puissant lorsqu'il s'appelle Daewoo ou qu'il dirige l'OTAN.
Dans cette dérive, des principes constitutionnels essentiels sont mis à mal. On voit à présent défié un droit que l'on croyait inexpugnable : le droit à une vie privée, la vie de famille, protégée des inquisitions administratives - qui, d'habitude, vous font pousser de grands cris - et, à tout le moins, du pouvoir discrétionnaire d'un tiers non concerné.
A quel cerveau dérangé doit-on cette idée répugnante qui conduit à créer des fichiers d'hébergeants ? Le mot « hébergeant », peut-être, dans l'apparente neutralité du vocabulaire des nomenclatures, vous protège ici de la réalité humaine, terriblement humaine.
L'étranger, que vous traitez en suspect permanent, le voici, souvent entassé, précarisé, paupérisé, jusqu'à l'insupportable pour lui et pour les autres, entassés, précarisés, paupérisés, quelles que soient la couleur de leur peau ou leur nationalité, dans nos quartiers, en particulier dans celui dans lequel je vis.
Mais, la vie étant ce qu'elle est, en dépit des règlements et des idéologies, « l'étranger » l'est de moins en moins. En tout cas bien moins qu'on peut le croire dans les bureaux ! Son fils est déjà notre gendre, sa fille notre bru, ses petits-enfants les nôtres aussi. Je sais que, pour certains, c'est bien là le problème... Nous sommes le peuple qui détient le record du monde des mariages mixtes.
M. Alain Gournac. Hé bien ! tant mieux. On n'a jamais été contre !
M. Jean-Luc Mélenchon. Au demeurant, quand il n'en est pas ainsi, notre code de la nationalité - surtout depuis que vous l'avez retouché - mélange dans une même famille les cartes d'identité.
Ainsi, dans une fratrie issue de l'immigration, le cadet, par exemple, est Français. Et il a la même grand-mère, au bled, que l'aîné qui, lui, est étranger.
M. Alain Gournac. Le donneur de leçons !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ils préparent ensemble la fête pour la recevoir.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, la grand-mère d'Oran, l'oncle de Constantine n'ont pas fini d'être un problème pour vous. De Dunkerque à Tamanrasset, messieurs les gaullistes (Exclamations sur les travées du RPR), n'avons-nous pas fini par gagner le droit de vivre en paix et de nous aimer en famille, tranquillement, sans que s'en mêlent ici comme là-bas les visiteurs inopinés, contrôleurs d'identité et vérificateurs de liens familiaux ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
J'estime d'ailleurs que ces visites « inopinées », en France, contreviennent aux conclusions du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1983 concernant les perquisitions fiscales.
Reste que, pour ma part, j'estime que le respect dû aux personnes, quelle que soit leur nationalité, leur droit à une vie de famille, libre d'autorisation discrétionnaire, devrait conduire à proposer des lois protectrices. Ce n'est pas votre ligne d'action quoi que vous en disiez. Mais, en l'occurrence, vous avez franchi un pas de plus contre ce droit. Il faut rappeler ici avec force, comme je viens de le montrer, que c'est bien dans nos familles, parmi des Français, que vos délires vont opérer leurs ségrégations. (Mais non ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Alain Gournac. C'est lui qui délire !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et cela non pour quelques cas, mais pour des milliers de cas que vous allez abandonner à l'arbitraire des maires et de leurs administrations communales. D'ailleurs, ceux-ci vous ont déjà dit, toutes tendances confondues, qu'ils ne voulaient pas de ce pouvoir vénéneux. J'ai dit vénéneux. A Toulon, Orange et Marignane, comment doit-on dire quand il s'agit de faire des déclarations pour former des fichiers d'hébergeants auprès de maires Front national ?
M. Josselin de Rohan. C'est du mauvais cinéma !
M. Jean-Luc Mélenchon. En faisant de surcroît une obligation au maire de contrôler, à chaque nouvelle demande, que la précédente n'a pas donné lieu à « détournement de procédure » - notion floue - vous instituez de fait l'obligation de créer un fichier des hébergeants.
M. Bernard Barbier. C'est bien !
M. Alain Gournac. C'est normal !
M. Jean-Luc Mélenchon. J'oppose, ici, l'avis du Conseil constitutionnel rendu le 13 août 1993 à propos de tels fichiers.
Et comme, dans cette procédure, les visites de contrôle « inopinées », les poursuites possibles contre ceux qui auront oublié de déclarer un départ et les possibilités de refus pendant deux ans de nouvelle autorisation d'hébergement viennent compléter le dispositif par un flicage généralisé, une incitation à la délation et une surveillance permanente, que reste-t-il, après cela, aux cas considérés, du droit constitutionnel à une vie privée libre ?
Je me réclame donc, à cet instant, de l'avis défavorable déjà exprimé par le Conseil d'Etat en raison des risques d'atteinte à la liberté individuelle et à la vie privée des personnes concernées. Je fais miennes les réserves clairement exprimées sur ce point par le président de la commission des lois à l'Assemblée nationale, M. Mazeaud. J'oppose à cet article l'avis du comité consultatif des droits de l'homme. Je fais mien l'argument qu'il a produit : les notions de « détournement de procédure » et de « bonne foi » sont extrêmement floues. Convient-il de les laisser à la seule appréciation des maires, par exemple à Toulon, Marignane et Orange, alors qu'elle peut déboucher sur des opérations de police ?
Cette loi, après bien d'autres en définitive, repose pour l'essentiel sur l'idée qu'en toute hypothèse les droits de l'étranger doivent clairement être affichés comme inférieurs à ceux des Français. Non pas différents : inférieurs.
Cet état d'esprit conduit tout droit aux pires excès. Je veux, dans ce texte, en relever un que je juge particulièrement infâme, et je dis « infâme » parce qu'il concerne les enfants.
L'étranger en situation régulière qui viendrait à faire sa vie avec un conjoint dont on découvrirait ensuite que, lui, n'est pas en situation régulière relèverait déjà, du fait de ce comportement, de poursuites au titre de l'article 21 de l'ordonnance de 1945. Une sanction est donc d'ores et déjà « disponible ». Eh bien, cela n'a pas suffi. Les députés de la majorité ont inventé une sanction supplémentaire. Et qui frappe-t-elle ? Les enfants, car ce sont eux qui, si l'un de leurs parents se retrouvait dans cette situation, seraient privés de leur droit à bénéficier des allocations familiales !
Voilà donc les enfants, cette fois-ci, pris en otage, leurs droits, devenant les garants de la bonne conduite de leurs parents !
Je juge que ce système de prise d'otage ne vous est pas permis par la Constitution laquelle, reprenant sur ce point la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen- c'est bien le moins ! -, écarte toute notion de responsabilité collective : une peine va à une personne. La responsabilité collective ne fait pas partie du droit français.
M. René-Georges Laurin. Mais ce système n'est pas dans le texte qui nous est présenté !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il suffit de le lire !
M. Jean-Louis Carrère. Cela prouve que M. Laurin n'a pas lu le texte !
M. Jean-Luc Mélenchon. Les points de votre texte que je viens d'incriminer ont en commun, avec d'autres que nous examinerons dans la discussion des articles, de pousser au bout de ses conséquences une vision de la France comme forteresse assiégée et minée de l'intérieur par la présence des barbares.
M. Josselin de Rohan. Ah bon ?
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est un contresens. La France n'a pas à avoir peur de l'immigration. Les flux qui l'atteignent sont résiduels, comme ils le sont pour l'ensemble du monde développé : 84 % des migrations s'opèrent entre pays dits du Sud, ne l'oublions jamais.
La France doit se donner pour objectif de maîtriser un phénomène migratoire dont on peut dire avec tranquillité qu'il lui est indispensable sur les plans démographique et économique. C'est une évidence que nous devons proclamer, non chuchoter, une évidence qu'aucun esprit informé ne peut contester.
Les moyens de cette maîtrise sont à notre portée, pour peu qu'on ose affirmer, dans ce domaine-là aussi, le rôle de l'Etat régulateur.
Je veux ici relever l'intérêt de l'idée, avancée par SOS Racisme, d'une politique de quotas d'immigration, négociés avec les pays d'origine. Ce système recèle sans doute bien des inconvénients, comme le reconnaît l'association elle-même, mais il a l'avantage de donner corps à ce que pourrait être une authentique politique de codéveloppement avec les pays d'origine.
Songeons aux leviers dont disposerait une telle politique. Souvenons-nous, par exemple, que les transferts de fonds de l'immigration malienne équivalent à la valeur du produit intérieur brut du Mali. On voit aussitôt quelle mutualisation féconde des avantages ouvrirait la planification contractualisée des flux migratoires.
On voit également quelles possibilités ouvrirait un véritable aménagement négocié des entrées en France et des retours au pays. Il pourrait prendre le sens, pour les individus, d'un authentique projet de vie et, pour les pays, d'un développement mutuel concerté, maîtrisé et respectueux de chacune des parties.
Quoi qu'il en soit, aucun système ne nous dispensera jamais d'avoir d'abord à briser les ghettos, chez nous, ici, sur notre sol. Ces ghettos ethniques sont la plaie qui empêchera toujours quelque politique que ce soit d'aboutir à l'intégration républicaine des étrangers, seule issue gagnante sur le long terme.
J'ai parlé d'intégration républicaine, et je note qu'elle commence à faire consensus. On entend ce que cela signifie par opposition à la conception anglo-saxonne de la nation ethnique et différentialiste. C'est le moment de dire, et je crois qu'il est important que ce soit quelqu'un de ma sensibilité qui le fasse, que nous avons un idéal à proposer à nos concitoyens étrangers et à leurs enfants, que nous sommes désireux de leur proposer d'assumer, jusqu'au bout, la communauté de destin qui nous unit déjà dans les faits.
Je souhaite, pour ma part, qu'une grande loi de naturalisation rende possible l'amalgame de masse dont notre patrie a besoin pour retrouver confiance en elle-même. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Oui, je dis bien l'« amalgame de masse », parce que c'est le meilleur des moyens pour briser les défiances et les méfiances.
M. René-Georges Laurin. Avec le droit de vote aux municipales !
M. Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi pas, mon cher collègue ?
Que la République se dise conquérante et sûre d'elle, de ses valeurs et de leur force insurpassable d'attraction !
M. Josselin de Rohan. Quel cinéma !
M. Jean-Luc Mélenchon. De la poussière humaine humiliée que charrie jusqu'à nous l'âge des brassages dans lequel nous vivons, la République fera « France » de tout bois pour la part qui lui échoira. Elle amalgamera, elle assimilera, sans complexe et avec jubilation : c'est en effet par cette méthode, qu'elle seule peut porter à son paroxysme tranquille, que la France sera forte et puissante d'esprit et de coeur dans les troubles qui viennent, dans la saison pourrie des orages ethniques et fondamentalistes qui se lèvent autour d'elle.
A la nation, vouée par vous aux enfermements autistes, qui, de certificat de départ en fichier d'hébergeant, de responsabilité collective des enfants du comportement de leurs parents en inquisition domiciliaire, feraient de nous ce petit peuple frileux, hargneux et délateur, mordant les pauvres mains qui lui donnent si souvent de quoi se loger,... (Rires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste)
M. Josselin de Rohan. C'est une caricature ridicule !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... se vêtir, se transporter, nous proposons plutôt, une fois de plus, le message républicain de la patrie des droits de l'homme. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
MM. Patrice Gélard et Bernard Barbier. Aucun intérêt !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun. Ce n'est pas la peine !
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je ne peux imaginer que l'éloquence soit forcément l'expression de la vérité. (Sourires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Gérard Braun. Encore faudrait-il qu'il y ait éloquence !
M. Paul Masson, rapporteur. Je parlais de l'éloquence en général, pas nécessairement de celle de ce matin : il y a aussi celle d'hier.
M. Josselin de Rohan. Grandiloquence n'est pas éloquence ! (Rires sur les mêmes travées.)
M. Paul Masson, rapporteur. En tout cas, je suis persuadé que, parce qu'elle est éloquence, l'éloquence n'est pas la réalité.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Ne soyez pas jaloux !
M. Paul Masson, rapporteur. Il y a dans tout ce débat un parfum d'amalgame.
M. Bernard Barbier. Très fort !
Un sénateur socialiste. Amalgame, c'est le mot !
M. Paul Masson, rapporteur. Je suis toujours étonné de la facilité et de l'art avec lesquels, quand on veut ne pas voir, on déplace les choses et les faits.
MM. Gérard Braun et Alain Gournac. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et les hommes ?
M. Paul Masson, rapporteur. Pourquoi cette redondance dans l'enflure ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Pour parler des enflures, vous n'êtes pas les mieux placés !
M. Jacques Mahéas. Gardez cela pour le ministre !
M. Paul Masson, rapporteur. De quoi s'agit-il au juste ? Il s'agit très exactement de régler le cas des étrangers en situation irrégulière, point !
Mme Nelly Olin. Voilà !
Mme Joëlle Dusseau. Mais non, pas « point » !
M. Paul Masson, rapporteur. Tel est l'objet de ce texte, et nous ne nous en échapperons pas. Nous ne nous laisserons pas entraîner à ce penchant que nous avons tous, parce que nous ressentons, forcément, les choses avec, parfois, un peu de passion. Car, chers collègues de l'opposition, vous n'avez pas le monopole de la passion.
M. Alain Gournac. Ni celui du coeur !
M. Paul Masson, rapporteur. Mais nous voulons, en l'occurrence, nous en tenir à un texte qui, quoi que vous en disiez, est un texte technique.
Je rappelle qu'il n'est ici question que d'étrangers en situation irrégulière, c'est-à-dire d'étrangers qui ont violé la loi française, et qu'il s'agit d'empêcher, même si c'est difficile, que de telles situations se produisent. C'est un impératif de souveraineté.
M. Alain Gournac. Voilà !
M. Paul Masson, rapporteur. Un Etat souverain doit fixer les conditions dans lesquelles un étranger entre sur son territoire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr ! Nous ne disons pas autre chose !
M. Jacques Mahéas. C'est évident !
M. Paul Masson, rapporteur. ... de même qu'un chef de famille doit décider des conditions dans lesquelles on entre chez lui.
C'est à nous, le Parlement élu par le peuple souverain pour faire la loi, de fixer les conditions d'entrée en France.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Personne ne dit le contraire !
M. Paul Masson, rapporteur. Ce n'est pas l'étranger qui les fixe à sa manière et selon son usage. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
Je rappelle - et M. Badinter, alors garde des sceaux, en a fait une démonstration éblouissante à l'Assemblée nationale il y a quelques années - que les étrangers relèvent d'un état à part.
M. Robert Badinter. Qui vous dit le contraire ?
M. Paul Masson, rapporteur. Pas vous, certes !
Aucune règle de nature constitutionnelle, aucun principe, fût-il international, n'assure aux étrangers des droits...
M. Jacques Mahéas. Ce ne sont pas des hommes à part !
M. Paul Masson, rapporteur. ... à caractère général et absolu d'accès ou de séjour.
Cela doit être rappelé parce que, systématiquement, certains, recourant à la technique de l'amalgame, font valoir que les étrangers n'ont pas les mêmes droits que les Français et que, par conséquent, il y a là une forme d'injustice qu'il faudra un jour ou l'autre résorber.
Non, les étrangers n'ont pas le même statut que les Français précisément parce qu'ils ne sont pas français. Ils ont néanmoins la possibilité de vivre chez nous libres parce que nous sommes le pays des droits de l'homme, mais à condition qu'ils respectent nos lois, toutes nos lois, y compris celles qui définissent la façon dont ils entrent chez nous. S'ils y entrent clandestinement, ils sont refoulés, reconduits à la frontière ou condamnés. Voilà le texte, rien que le texte, tout le texte, et nous nous en tiendrons là. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Mes chers collègues, il va de soi que la motion qu'a défendue M. Mélenchon n'a pas de sens : nous ne sommes pas des liberticides, nous n'avons aucune volonté de violer la Constitution ni les droits de l'homme. Pourquoi serions-nous liberticides, alors que nous avons fait mille fois, les uns et les autres, la preuve de notre capacité de défendre les libertés et les droits de l'homme ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant hier dans la discussion générale, M. Jean-Michel Baylet a dit toutes les inquiétudes des radicaux socialistes face à ce projet de loi, et il a effectivement employé à son propos le mot « liberticide , qu'a relevé M. le rapporteur.
Je constate, à mon tour, que toute une série de dispositions vont, hélas ! dans ce sens. Je veux parler ici de l'incitation donnée au maire d'aller contrôler le bien-fondé des déclarations de tel ou tel de ses concitoyens par des visites « inopinées », de l'obligation faite à l'hébergeant d'aller déclarer le départ de la personne qu'il héberge, de la possibilité pour les services de police et de gendarmerie de retenir des passeports, de la possibilité de fouille des véhicules dans la zone dite de Schengen, du fait de relever des empreintes digitales avec l'établissement d'un fichier, de l'allongement à deux ans du délai de mariage nécessaire à l'obtention d'une carte de séjour temporaire, de la possibilité d'expulser, sans décision judiciaire, un étranger qui justifie résider en France depuis plus de quinze ans.
Toutes ces mesures renforcent à l'excès les pouvoirs donnés à l'administration, limitent l'action de la justice, mettent en place des mesures de nature policière, incitent à la dénonciation et risquent d'aggraver les conditions de vie et l'accueil des étrangers vivant tout à fait légalement sur le sol français.
M. Jean Chérioux. Non ! Pas s'ils y vivent légalement !
Mme Joëlle Dusseau. Dans le climat de racisme rampant ou affirmé qui se développe dans notre pays depuis quelques années, ce projet de loi me paraît donc extrêmement dangereux.
C'est pourquoi les sénateurs radicaux socialistes du groupe du RDSE voteront cette motion d'irrecevabilité, de même que, le cas échéant, la question préalable. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je ne pensais pas avoir à reprendre la parole après mon intervention d'hier soir, mais la passion singulière mise par M. le ministre dans ses propos m'amène à le faire.
Il faut toujours prendre en considération, lorsque l'on élabore une loi, la portée immédiate de celle-ci et la façon dont elle sera perçue dans l'opinion publique.
Il y a en effet, d'un côté, le texte, que j'ai défini hier comme un texte de police concernant la situation des étrangers en situation irrégulière - c'est sa portée, celle qui est légalement affichée - et, de l'autre, la manière dont il est ressenti.
Nous aurons tout le temps de débattre des dispositions que contient le projet de loi, et vous verrez comment, à bien des égards, elles méconnaissent la finalité du texte. Mais le point le plus important, le problème fondamental posé à la République et aux républicains, c'est, je ne cesserai de le répéter dans cet hémicycle, la poursuite de l'intégration des nombreux immigrés de la première et de la deuxième génération qui sont ou deviendront français et qui ne doivent à aucun prix se sentir exclus, rejetés ou mis à l'écart de la communauté nationale.
C'est beaucoup plus au regard de cet impératif essentiel qu'en fonction des exigences de tel ou tel chef du bureau, dont la fonction est certes respectable, mais non législative, ou de tel ou tel ministère qui veut sans cesse parfaire son arsenal, qu'il nous faut évaluer les textes.
Lorsque tout à l'heure nous débattrons de l'article 1er relatif au droit à l'hébergement qui est reconnu à chacun d'entre nous, songez bien aux conséquences que peuvent avoir ces dispositions sur les sensibilités, les esprits et les coeurs de ces immigrés qui sont ou qui deviendront français. Ne suscitez pas, à coups de lois de précaution, qui ne sont pas nécessaires, des réactions de rejet et d'exclusion, car, je le répète, il y a, d'un côté, la technique juridique et, de l'autre, le sentiment qu'elle fait naître dans les âmes et les coeurs de vingt ans. (Murmures sur les travées du RPR.)
Pensez-y ! Tel est l'avertissement que je lance avant que nous n'entamions l'examen des articles. Soyez certain, monsieur le ministre, que nous serons, au cours de ce débat, toujours très attentifs et très précis.
Comme M. le rapporteur l'a justement souligné, l'éloquence y aura sa place. Qu'il me permette toutefois de lui dire qu'elle n'est pas incompatible avec la vérité. L'éloquence d'ailleurs l'emporte aussi à son heure.
Mais l'impératif que vous devrez garder à l'esprit tout au long de ce débat est celui-ci : n'acceptez jamais que, bien au-delà de notre hémicycle, beaucoup, qui sont français, se sentent soupçonnés et marginalisés à tort. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Je suis sensible aux propos qui ont été tenus par M. Badinter. J'admire, comme tout un chacun ici, son éloquence, sa connaissance du droit et sa sincérité, mais je lui répondrai, avec une égale sincérité, que le débat d'aujourd'hui, ainsi que M. le rapporteur l'a dit excellemment, porte sur le respect de la loi.
Les étrangers, ceux qui ont immigré de manière parfaitement légale, n'ont rien à redouter de nous, bien au contraire.
M. Jean Chérioux. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Ce que nous souhaitons, je vous le dis très sincèrement, c'est qu'ils puissent s'intégrer dans la communauté française en jouissant de tous leurs droits, et vivre décemment dans notre pays, ce qui n'est pas toujours le cas actuellement, loin s'en faut.
En revanche, nous nous élevons, et il ne peut y avoir la moindre ambiguïté sur ce point, contre le fait que l'on puisse légitimer l'illégalité, l'encourager et tolérer que certains en vivent !
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Josselin de Rohan. En effet, vous savez très bien, monsieur Badinter, que de véritables négriers profitent de la misère humaine...
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. ... et gagnent de l'argent sur le dos de pauvres bougres qui viennent chez nous pour essayer de trouver du travail.
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Josselin de Rohan. Pour cela, les candidats à l'immigration franchissent, contre paiement, des détroits dans des conditions de sécurité telles qu'il en résulte des naufrages entraînant des pertes humaines.
Ensuite, toujours contre de l'argent, certains leur font passer les frontières, pour qu'ils soient finalement exploités dans des ateliers clandestins où ils sont séquestrés.
Vous ne pouvez pas légitimer ces choses, ni laisser bâtir une telle organisation ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.)
Mme Joëlle Dusseau. C'est un amalgame !
M. Josselin de Rohan. Ne venez donc pas dire aujourd'hui, mesdames, messieurs de l'opposition, que notre objectif est de refouler systématiquement ou de maltraiter ceux qui seraient rentrés sur notre territoire, même en violant nos lois. Nous voulons simplement que les clandestins se mettent en règle avec la loi, et, s'ils s'y refusent, qu'ils soient reconduits dans leur pays d'origine dans le respect de leurs droits. Nous ne laisserons pas faire de la France un pays aux frontières poreuses où tout le monde peut entrer n'importe quand et n'importe comment.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n'est pas le cas !
M. Josselin de Rohan. Je reprends à mon compte la formule de notre collègue Charles Pasqua, même si elle ne vous plaît pas : « La France est un pays qui veut accueillir les étrangers comme elle veut, quand elle veut, et de la manière qui lui paraît la plus propice. »
Voilà quelle est notre politique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 95:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 317
Majorité absolue des suffrages 159
Pour l'adoption 95
Contre 222

M. Bernard Barbier. Très bien !

Question préalable