M. le président. « Art. 3. - Dans le chapitre premier de la même ordonnance, sont insérés, après l'article 8, les articles 8-1 à 8-3 ainsi rédigés :
« Art. 8-1 . - Les services de police et les unités de gendarmerie sont habilités à retenir le passeport ou le document de voyage des personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière. Ils leur remettent en échange un récépissé valant justification de leur identité et sur lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution, lors de la sortie du territoire, du document retenu.
« Art. 8-2 . - Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà, les officiers de police judiciaire, assistés des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1 du code de procédure pénale, peuvent procéder, avec l'accord du conducteur ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République, à la visite sommaire des véhicules circulant sur la voie publique, à l'exclusion des voitures particulières, en vue de rechercher et constater les infractions relatives à l'entrée et au séjour des étrangers en France.
« Dans l'attente des instructions du procureur de la République, le véhicule peut être immobilisé pour une durée qui ne peut excéder quatre heures.
« La visite se déroule en présence du conducteur et donne lieu à l'établissement d'un procès-verbal mentionnant les dates et heures du début et de la fin des opérations ; un exemplaire de ce procès-verbal est remis au conducteur et un autre transmis sans délai au procureur de la République.
« Les dispositions du présent article sont applicables, dans le département de la Guyane, dans une zone comprise entre les frontières terrestres et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà.
« Art. 8-3 . - Les empreintes digitales des ressortissants étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne qui demandent à séjourner en France peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé. Il en est de même de ceux qui sont en situation irrégulière en France ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français.
« Les empreintes digitales des ressortissants étrangers détenues par les autorités publiques peuvent être consultées par les services du ministère de l'intérieur en vue de leur identification pour mener à bien l'éloignement du territoire français des étrangers en situation irrégulière. »
Sur l'article, la parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet article contient diverses dispositions - « diverses » est ici vraiment le mot qui convient ! - relatives à la rétention du passeport, à la visite sommaire des véhicules qui ne sont pas des voitures particulières, à la Guyane et aux empreintes digitales. Voilà bien un curieux inventaire !
Ces dispositions seraient insérées après l'article 8 de l'ordonnance de 1945, qui constituera bientôt un volume à elle toute seule, et feraient l'objet des articles 8-1, 8-2 et 8-3.
Comme l'article 8 était assez court, on a probablement pensé que c'était là qu'il fallait placer ces diverses dispositions !
Certaines de ces dispositions nous choquent beaucoup, d'autres moins, et il en est encore d'autres que nous ne comprenons pas.
En ce qui concerne la rétention du passeport ou du document de voyage, la mesure prévue nous paraît tout de même étrange.
En premier lieu, il est, nous semble-t-il, délicat de retenir le passeport ou les documents de voyage qui appartiennent, comme il l'a été dit, à l'Etat du ressortissant concerné.
En second lieu, si l'on veut qu'il puisse s'en aller le plus tôt possible, il vaut mieux lui laisser son passeport, plutôt que de le lui retirer, afin qu'il ne se perde pas.
On nous dira que, précisément, de nombreux irréguliers détruisent leurs papiers et que, par conséquent, ce que l'on souhaite, c'est avoir la preuve de leur identité tant qu'ils l'ont encore. Cela concernera donc en tout état de cause, peu de gens, puisque l'on nous dit et l'on nous répète que ceux qui ont leurs papiers sont, en particulier près de Perpignan, paraît-il, extrêmement rares. Cette disposition, si elle est adoptée, n'aura donc pas grand effet.
Nous nous demandons s'il ne vaudrait pas mieux que l'administration conserve une photocopie du document et laisse l'original à l'intéressé, étant entendu que, si l'original disparaissait, on aurait toujours la photocopie, ce qui permettrait d'établir l'identité de l'intéressé. C'est bien ce que vous voulez : connaître l'identité de l'intéressé lorsque c'est possible.
J'en viens à la visite sommaire des véhicules.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi de 1993 créant l'espace de Schengen, les douaniers, libérés de leurs anciennes tâches par l'ouverture des frontières, sont d'autant plus disponibles pour contrôler les cargaisons des camions.
Ils exercent ce droit, et repèrent très souvent des étrangers en situation irrégulière dans des véhicules qui ne sont pas des voitures particulières.
Dans ces conditions, pourquoi faudrait-il soudain adopter d'autres dispositions ? C'est l'honneur de l'ancien président du Sénat, M. Poher, d'avoir saisi en 1971 le Conseil constitutionnel, qui n'était pas alors ce qu'il est aujourd'hui, lequel avait estimé purement et simplement, à l'époque, que l'on ne peut pas fouiller un véhicule. Cette jurisprudence a été confirmée en 1995.
On objecte alors qu'il n'y a pas que les voitures particulières.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, il vous reste trente secondes pour conclure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mon Dieu, comme le temps passe vite, n'est-il pas vrai ? (Sourires.)
J'en termine, monsieur le président.
Mais un mobile home , par exemple, est-il une voiture particulière ? La cabine d'un camion ne constitue-t-elle pas autant, et peut-être même davantage, un domicile qu'une voiture particulière ? En effet, le camionneur couche dans son camion, alors que le conducteur d'une voiture particulière ne dort pas dans son véhicule.
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien, nous reprendrons ce débat tout à l'heure, car il reste encore beaucoup à dire, notamment en ce qui concerne la Guyane, pour laquelle l'argument de l'espace de Schengen ne vaut pas.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. J'ai déposé un amendement à l'article 3 concernant précisément la visite sommaire des véhicules. Ai-je besoin de dire qu'il ne va pas dans le sens des thèses défendues, voilà un instant, par M. Dreyfus-Schmidt ?
Lors de la discussion générale, j'avais indiqué que je souhaiterais évoquer, avant même de défendre mon amendement, une question de principe qui me paraît importante à propos de cet article 3.
Je dois avouer que j'ai hésité à le faire, car il faut une certaine audace pour aborder un point de droit dans cette assemblée quand on n'est pas membre de la commission des lois. Saisi d'une crainte révérencielle qui réfrène bien des ardeurs, je reconnais que j'ai été sujet à cet état d'âme.
Je me bornerai, parce que je ne veux donner de leçon à personne, cela va sans dire !...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne vous bornez pas, limitez-vous seulement !
M. Michel Caldaguès. ... à exposer le point de vue du paysan du Danube dans cette affaire de droit.
M. Jean-Luc Mélenchon. Un étranger ? Quelle horreur !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il a un visa !
Mme Joëlle Dusseau. Avait-il un certificat d'hébergement ?
M. Michel Caldaguès. Le paysan du Danube est évidemment sujet à la xénophobie, cela va de soi !
Mes chers collègues, lorsque je défendrai l'amendement auquel je faisais allusion, je ne doute pas que la commission des lois objectera immédiatement que ma proposition contrevient à la jurisprudence constitutionnelle que vient d'évoquer M. Dreyfus-Schmidt.
Fort bien ! J'éprouve un parfait respect pour la jurisprudence, de la même façon que l'on se doit de respecter la loi ; mais, de même que la loi peut changer, car elle n'est pas éternelle, la jurisprudence est également susceptible d'évoluer, et l'on peut toujours l'espérer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'espoir fait vivre !
M. Michel Caldaguès. Alors, en tant que législateurs, nous sommes placés dans la situation suivante eu égard à la hiérarchie des niveaux d'expression de la souveraineté : lorsque nous votons la loi, nous faisons en sorte qu'elle soit compatible avec la Constitution, et nous faisons le choix souverain - vous comprendrez dans un instant pourquoi - de considérer que la loi que nous votons n'a pas une importance telle...
M. Bernard Piras. C'est laborieux !
M. Michel Caldaguès. ... qu'elle puisse aboutir à remettre en cause la Constitution.
Dans certains cas, en revanche, la volonté du législateur est d'une telle force qu'elle peut le conduire à estimer qu'il y a lieu de modifier la Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah !
M. Michel Caldaguès. C'est également un choix souverain, que nous avons déjà effectué.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il faut réunir le Congrès !
M. Michel Caldaguès. Dois-je à cet égard évoquer le souvenir du traité de Maastricht ?
Mais, dans les deux hypothèses, il s'agit d'un choix de souveraineté, soit tacite, soit exprès.
Le problème est que, eu égard à l'élargissement de la notion de contrôle de la constitutionnalité, à la notion de bloc de constitutionnalité et aux références directes, indirectes, primaires, secondaires ou tertiaires au préambule de la Constitution de 1946...
M. le président. Il vous reste trente secondes pour conclure, monsieur Caldaguès ! (Sourires.)
M. Michel Caldaguès. ... et à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, nous n'avons plus le choix, car il est évident que l'on ne peut modifier ni le préambule de la Constitution de 1946, ni la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Par conséquent, nous nous trouvons en quelque sorte en présence d'un blocage de souveraineté, que je n'accepte pas, car je considère que nous avons le droit de déterminer, par nos votes, ce qui nous semble bon pour l'intérêt général. Voilà pourquoi je n'accepterai pas, lorsque je défendrai mon amendement, l'autocensure fondée sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. L'article 3 comporte des dispositions symptomatiques de la précarisation des droits des étrangers dans notre pays. Il est, de ce fait, marqué par la démarche autoritaire et sécuritaire du Gouvernement.
Dès l'origine, avant le débat à l'Assemblée nationale, le texte comportait deux dispositions particulièrement inquiétantes.
En premier lieu, le projet de loi prévoit d'insérer un nouvel article 8-1 dans le texte de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui organise la confiscation du passeport ou du document de voyage de l'étranger en situation irrégulière. Un simple récépissé sera alors remis par l'administration.
Il s'agit là d'une mesure de précarisation absolue de la situation de ces personnes. En effet, chacun sait que le récépissé n'aura aucune valeur juridique, ou presque, aux yeux des administrations qui seront en contact avec l'étranger.
Il a été souvent dit, et cela a été reconnu par un éventail très large de personnalités et d'hommes politiques d'horizons différents, que les lois « Pasqua » avaient contribué à fabriquer des clandestins. Vous vous étiez d'ailleurs engagé, monsieur le ministre, à corriger les effets pervers de cette législation.
Pourtant, ce nouvel article 8-1 de l'ordonnance de 1945 perpétuera, s'il est inséré, les situations de clandestinité, en privant les étrangers de cet outil essentiel, en vue de la régularisation éventuelle de leur situation, que représentent leurs papiers.
En second lieu, l'article 3 prévoit depuis l'origine d'ouvrir la possibilité, pour la police, de procéder à la fouille de véhicules, pudiquement dénommée « visite sommaire », dans une bande de vingt kilomètres à l'intérieur du territoire français. Tous les véhicules autres que les voitures particulières seront concernés, et il a été expliqué pourquoi.
Cette disposition ouvre la voie à l'arbitraire, et, de fait, après l'instauration des contrôles au faciès par la loi de 1993, c'est, je le crains fort, l'instauration de la fouille des véhicules au faciès du conducteur ou du passager qui est aujourd'hui proposée. Le fait que l'Assemblée nationale ait supprimé la disposition autorisant la fouille pour une autre raison que l'entrée irrégulière en France est d'ailleurs particulièrement hypocrite, car, dans les faits, la police aura tous les droits.
Enfin, l'Assemblée nationale a introduit une disposition dont le caractère policier et l'idéologie particulièrement xénophobe sont frappants.
En effet, comme si l'arsenal législatif et réglementaire n'était pas suffisant, la majorité de l'Assemblée nationale a autorisé la mise en mémoire et l'automatisation du traitement des empreintes digitales des ressortissants des pays étrangers et des Etats membres de l'Union européenne. Ce fichier, qui constitue l'aboutissement extrême de la logique de Schengen, sera bien entendu à la disposition du ministre de l'intérieur.
Je ne vous mets pas personnellement en cause, monsieur le ministre, mais une telle mesure ne peut, et je pèse mes mots, que nous renvoyer aux heures sombres de notre histoire. Il existe en tout cas un risque.
Pour conclure, je tiens à dire que je regrette que la majorité sénatoriale, du moins celle de la commission des lois, si soucieuse qu'elle soit d'apparaître modérée dans ce débat, ne soit revenue que très superficiellement sur cette disposition introduite par la majorité des députés.
M. Ivan Renar. Très bien !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Avant que nous ne passions à l'examen des amendements portant sur l'article 3, je souhaiterais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous apporter quelques précisions.
S'agissant de la visite des véhicules, je mesure bien, en écoutant ceux qui se trouvent en particulier sur les travées situées du côté gauche de l'hémicycle, ce qui nous sépare.
Je souhaite, pour ma part, lutter contre l'immigration irrégulière et contre ceux qui profitent de la détresse ou de la misère de certains.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous ai écouté calmement, alors laissez-moi m'exprimer !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, laissez parler M. le ministre, je vous prie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Qu'il ne nous insulte pas, alors !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous ai laissé parler tranquillement, alors laissez-moi développer tranquillement mes arguments.
M. Jacques Mahéas. Ce sont des contrevérités !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ne nous insultez pas !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je rends hommage à votre courtoisie habituelle, monsieur Dreyfus-Schmidt, laquelle, je n'en doute pas, va réapparaître rapidement.
Je ne peux pas laisser agir ceux qui transportent dans des conditions scandaleuses certaines personnes pour leur faire passer frauduleusement les frontières.
A ce propos, je vous lis un extrait d'un rapport de mes services, en date du 24 octobre dernier : « Les irréguliers sont transportés sans confort, assis à même le sol, dans la remorque d'un camion, subissant la température extérieure et jouissant de conditions d'hygiène déplorables. Récemment, les corps sans vie de dix-huit Sri Lankais ont été découverts dans un camion TIR qui venait de Bulgarie et qui était censé transporter des produits plastiques en France. »
Je ne veux pas qu'un tel drame se renouvelle,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous non plus !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... parce que cela porte atteinte à la dignité de l'homme.
M. Jacques Mahéas. Au moins, nous sommes d'accord sur ce point !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Voilà ce qui motive les dispositions qui ont été évoquées, et nous ne nous entendrons pas, car M. Mélanchon a indiqué ce matin qu'il veut procéder à un amalgame de masse, régulariser la situation des personnes en situation irrégulière, naturaliser les étrangers.
Or, pour ma part, je veux lutter contre les fraudeurs.
M. Jacques Mahéas. Vous avez mal entendu !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Par ailleurs, je souligne, en ce qui concerne la rétention des passeports des étrangers en situation irrégulière, que celle-ci me semble utile lorsque la personne concernée dispose encore de ses papiers. Ensuite, il existe un précédent constitué par la remise du passeport dans le cadre de l'article 35 bis , c'est-à-dire comme préalable à l'assignation à résidence mettant fin à une rétention administrative. J'ajoute qu'il existe aussi de nombreux précédents à l'étranger : en Allemagne - c'est l'article 42, alinéa 6, de la loi sur l'étranger - en Suisse et en Grande-Bretagne. Enfin, la jurisprudence valide cette pratique et je vous renvoie à l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 19 janvier 1994.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, une photocopie n'offrirait naturellement pas les mêmes garanties pour assurer le retour de l'étranger dans son pays d'origine, car les autorités de ce dernier sont très réticentes, parfois même opposées, à réadmettre un individu qui n'est pas en possession de l'original de son passeport. C'est la raison pour laquelle, fort de l'expérience que j'ai eue depuis vingt mois, j'ai fait introduire cette disposition. En effet, un certain nombre de pays m'ont dit qu'ils ne reprendraient pas tel de leurs ressortissants si celui-ci ne détenait l'original de son passeport.
M. Dominique Braye. Très bien ! C'est très clair !
M. le président. Sur l'article 3, je suis d'abord saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 62 est présenté par M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 111 est déposé par MM. Allouche, Autain, Authié et Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoé, Dreyfus-Schmidt et Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas et Mélenchon, Mmes Pourtaud et Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 196 est présenté par Mme Dusseau.
Tous trois tendent à supprimer l'article 13.
La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 62.
M. Guy Fischer. Au cours de l'intervention sur l'article 3, nous avons exposé l'essentiel de nos griefs à l'égard de cette disposition qui relève du matraquage législatif, que nous dénonçons depuis le début de cette discussion, à l'égard des étrangers.
Fouille de véhicules, confiscation du passeport et relevé systématique des empreintes digitales constituent les trois volets de mesures particulièrement répressives et limitatives de libertés individuelles qui doivent être garanties sans laxisme aucun, mais avec la rigueur nécessaire que requiert la démocratie.
Pour ce qui concerne la confiscation des papiers, nous ne pouvons accepter les seuls arguments des partisans d'une telle mesure, à savoir l'idée d'une amélioration de « l'exécution des mesures d'éloignement en facilitant l'identification de l'intéressé ».
La réalité, c'est la précarisation absolue de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui, directement ou indirectement, sont en situation irrégulière.
Il s'agit d'une mesure d'une grande agressivité à l'égard de ces individus souvent confrontés à de graves difficultés matérielles.
Ceux qui, dans cet hémicycle, au Gouvernement ou à l'Assemblée nationale, appellent à une surenchère permanente en matière de répression oublient les sources de l'immigration clandestine.
Récemment a d'ailleurs eu lieu, dans cette enceinte, un débat qui est étroitement lié à celui-ci et qui concernait la lutte contre le travail clandestin.
M. Alain Gournac. Pas d'amalgame !
M. Guy Fischer. N'oublions pas le fond, l'immense majorité des clandestins sont en France parce qu'il y a des employeurs de main-d'oeuvre clandestine, que vous connaissez fort bien et que vous laissez agir en toute impunité. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, laissez parler M. Fischer.
M. Guy Fischer. Les donneurs d'ordre sont bien souvent connus. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous les avez amnistiés en 1995 !
M. Guy Fischer. Les donneurs d'ordre, par exemple dans le quartier du Sentier, sont parfaitement connus. Les grands patrons de l'industrie textile...
M. Alain Gournac. Le grand capital !
M. Guy Fischer. ... exploitent notamment les ateliers de ce quartier.
M. Philippe François. Ben voyons !
M. Guy Fischer. Mais oui, c'est la vérité !
M. Emmanuel Hamel. Nous avons voté contre le travail clandestin !
M. Guy Fischer. Ce patronat tire profit de la misère de ces personnes.
Cette surenchère est donc, selon nous, indécente. C'est pour cela et pour l'ensemble des raisons évoquées précédemment que nous proposons de supprimer cet article 3.
M. Robert Pagès. Très bien !
Un sénateur du RPR. C'est ridicule !
M. le président. La parole est à M. Allouche, pour défendre l'amendement n° 111.
M. Guy Allouche. Je ne reprendrai pas l'argumentation que viennent de développer mes amis. Nous demandons la suppression de cet article car sa forme et sa rédaction ne nous conviennent pas. Nous ferons, dans un instant, des propositions sur chacune des dispositions qu'il comporte.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau, pour défendre l'amendement n° 196.
Mme Joëlle Dusseau. L'article 3 autorise la rétention des passeports et documents de voyage, la visite sommaire des véhicules, ainsi que la prise et l'établissement mémorisé d'empreintes digitales.
J'ai bien écouté M. le ministre, et nous sommes sensibles à l'exemple qu'il a donné. Qu'il comprenne cependant que, si chaque mesure peut trouver une explication, voire une justification, l'accumulation de telles mesures peut créer une situation de non-droit.
Je voudrais, pour ma part, insister plus particulièrement sur la question des empreintes digitales. Comme l'ont dit plusieurs de mes collègues, nous avons effectivement l'occasion de donner nos empreintes digitales. Certes, monsieur le ministre, a déjà été mis en place un système, dénommé EURODAC, qui permet de prendre les empreintes digitales des demandeurs d'asile. Pour autant, l'élargissement d'une opération de ce type pose, selon moi, une série de problèmes.
Il s'agit, tout d'abord, de problèmes humains. A cet égard, je citerai Mme Renouard, ministre plénipotentiaire, directeur des Français à l'étranger et des étrangers en France : « Prendre des empreintes digitales, sur le plan matériel et psychologique, n'est pas si simple que cela. » Cela est encore moins simple pour des personnes en grande difficulté ou en grande détresse.
Ensuite - et c'est le deuxième aspect - compte tenu de ce qu'est la construction européenne, l'espace de libre circulation et la valeur reconnue aux visas délivrés par nos partenaires, il est difficile - ne le croyez-vous pas, monsieur le ministre ? - que la France puisse envisager d'avoir recours à un dispositif de ce type en dehors du cadre d'un accord européen.
Enfin, très pragmatiquement, je voudrais évoquer le coût du dispositif. J'ai lu avec attention le compte rendu d'un certain nombre d'auditions auxquelles ont procédé nos collègues députés. J'ai lu notamment l'audition de M. Faugère, directeur des libertés publiques au ministère de l'intérieur. Il précisait qu'une étude, effectuée dans nos services, sur le coût d'une telle mesure « a débouché sur une conclusion technique extrêmement lourde et financièrement aberrante, soit plusieurs centaines de millions de francs, ce qui paraissait tout de même un peu démesuré ».
Monsieur le ministre, compte tenu du problème de principe - je n'y reviens pas, il est évident - du problème de l'harmonisation avec la législation des autres pays européens et du problème, plus prosaïque mais qui n'est pas sans importance, du coût, je demande la suppression de cet article 3.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 62, 111 et 196 ?
M. Paul Masson, rapporteur. Tout a été dit sur le sujet. La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
J'ajouterai simplement quelques mots à l'intention de M. Fischer. Mon cher collègue, vous êtes contre l'exploitation des travailleurs clandestins par les employeurs.
M. Guy Fischer. Tout à fait !
M. Paul Masson rapporteur. Aussi, je vous donne rendez-vous à l'article 10. J'espère que vous le voterez, parce qu'il répond très exactement au souci que vous avez exprimé. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement s'est déjà exprimé. Il émet un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 62, 111 et 196.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Comme vous l'avez remarqué, j'ai quitté l'hémicycle pendant quelques instants, et c'est d'ailleurs ce qui motive mon explication de vote, monsieur le président. En effet, alors que je n'étais pas présent, M. le ministre, fort soudainement, m'a reproché, si j'ai bien compris, de vouloir naturaliser les étrangers et, en particulier, de vouloir, ce que j'ai dit ce matin, l'amalgame de masse sur ce sujet.
Sur le premier point, à savoir la naturalisation des étrangers, je vous donne raison, monsieur le ministre : je renonce à naturaliser les Français ! (Sourires.) Je vous concède que cette tautologie me va droit au coeur, car il est bien question des étrangers.
S'agissant de la naturalisation de masse, j'ai dit - je n'en ai pas honte ! - que c'était une idée que je défendais de manière un peu personnelle, mais, à la vérité, elle fait, je crois, l'objet d'un assez large consensus parmi mes amis.
M. Jacques Legendre. Quel aveu !
M. Jean-Luc Mélenchon. De quoi s'agit-il ? Autant que vous le sachiez. Je voudrais donner quelques points de repère.
M. Dominique Braye. Soyez précis !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il s'agit, d'abord, du rétablissement intégral du droit du sol. Vous savez que nous soutenons cette idée, puisque, à plusieurs reprises, M. Jospin s'est exprimé sur ce sujet, notamment pendant la campagne pour l'élection présidentielle, et pas loin d'une majorité de Français a failli y souscrire.
Il s'agit, ensuite, d'un dispositif de manifestation de masse, de volonté d'adhérer à la nationalité française. Je vous concède que voilà quelques années cette idée d'une adhésion à déclarer ne me serait pas venue à l'esprit. Mais c'est vous qui avez inventé le dispositif pour notre jeunesse...
M. Jean-Jacques Hyest. Et ça fonctionne !
M. Jean-Luc Mélenchon. ... qui, jusqu'à un âge compris entre seize et dix-huit ans, est maintenant dans un état de non-droit et de non-nationalité.
Pendant des heures, vous nous avez exposé les mérites de cette procédure. Finalement, pourquoi ne pas l'appliquer à une échelle de masse, lorsque le pays en manifesterait la volonté, tout simplement parce qu'il serait assez lucide sur son avenir, sur les leçons de son passé - c'est un véritable processus d'assimilation qui s'est déroulé dans le passé - et sur son avenir compte tenu de la présence depuis tant d'années de ces personnes sur notre sol, étant entendu qu'il faudrait, bien sûr, remplir plusieurs critères ?
Le premier, c'est la maîtrise de notre langue. Le deuxième critère, c'est une durée minimale de séjour. Le troisième critère, c'est une conformité au statut conjugal, cela va de soi. Cela vise, en particulier, les situations de polygamie qui seraient inacceptables. Le quatrième critère, c'est l'absence de condamnation pénale grave. Voilà ce que l'expression « amalgame de masse » recouvre, finalement de manière assez banale.
M. Josselin de Rohan. C'est un réactionnaire ! (Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Mes chers collègues, vous pouvez toujours jouer à vous faire peur. Moi, j'ai l'enthousiasme de notre République. C'est une idée qui peut paraitre un peu désuète. J'ai l'enthousiasme ; je crois que la France est capable de le faire.
Bien avant que ces questions soient posées de cette façon dans ma propre sensibilité - vous le constatez, je balaie devant ma porte - j'étais déjà un ardent partisan des campagnes de naturalisation. Dans les années quatre-vingt, maire adjoint, à l'époque, de ma commune et chargé de la jeunesse, je menais des campagnes pour la naturalisation, afin d'obliger les petits imbéciles qui n'y avaient pensé à temps à demander notre belle nationalité parce que je savais qu'ils parlaient français, qu'ils vivaient français, qu'ils rêvaient en français, qu'ils aimaient français, qu'ils ne parlaient pas d'autre langue et que, après tout, il fallait aller jusqu'au bout du chemin.
Quant à l'étranger, vous savez, quand on n'est pas dans la logique républicaine qui est un peu tirée en avant par cette image bien sûr insaisissable de l'homme universel, du citoyen universel, on retombe dans une sorte d'ethnicisme qui finit vite par gagner tout le monde. On est le goy, le gadjo.
Et puis, s'il faut prendre des exemples plus banals, plus au ras du sol, au moins ceux que j'ai connus, après mon rapatriement d'Afrique du Nord, je dirai que, dans le pays de Caux, quiconque n'appartenait pas à la communauté humaine visible à l'oeil nu à environ cinquante mètres du clocher le plus proche était un horsain.
M. Dominique Braye. Vous en avez été marqué !
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui ! et très clairement ! Ou bien on est la France et on a cette audace et cette ambition, ou bien on reste le petit peuple qui voit toujours des horsains autour de lui.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je voudrais rassurer M. Mélenchon : je n'ai pas profité de son absence pour faire de l'ironie.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je n'ai pas dit cela !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous en remercie. Vous m'avez donné la confirmation de ce que j'avais entendu ce matin. Je disais tout simplement ce qui nous sépare.
Vous avez dit, ce matin, que votre idéal, c'était une grande loi de naturalisation de tous les étrangers.
M. Jean-Luc Mélenchon. De tous ? N'exagérons pas !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous avez dit : « C'est le moment de dire que nous avons un idéal à proposer aux étrangers ; je souhaite une grande loi de naturalisation dont notre patrie a besoin. »
M. Jean-Luc Mélenchon. Oui !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous avez ajouté : « La République amalgamera, assimilera avec jubilation. » (Sourires.)
Je dis simplement que c'est tout ce qui nous sépare : nous, nous voulons essayer d'intégrer les étrangers en situation régulière en luttant contre ceux qui sont en situation irrégulière.
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais oui !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Alors, il est vrai que vous réglez le problème, car, avec vous, il n'y aura plus d'étrangers en situation irrégulière ! Ils seront en effet tous régularisés ! Il n'y aura plus d'étrangers, car ils seront tous naturalisés !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne nous faites pas de procès d'intention, monsieur Debré !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Voilà ce qui nous sépare, monsieur Mélenchon, et je suis ravi que ce débat devant tous les Français ait pu enfin le démontrer clairement ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais réagir tout d'abord aux attaques racistes à l'égard du pays de Caux qui viennent d'être formulées ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Je suis élu du pays de Caux et je suis moi-même horsain ! C'est la fierté du pays de Caux que d'avoir admis en permanence des étrangers pour faire la grandeur de la Normandie !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous, ne me cherchez pas sur ce sujet !
M. Patrice Gélard. Je ne peux pas accepter ce que vous avez dit tout à l'heure !
Le fait d'être un horsain est considéré chez nous comme une qualité, et non comme un défaut. Jamais un Cauchois ne critique un horsain,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous voulez le faire croire à ceux qui ne sont jamais allés dans le pays de Caux !
M. Patrice Gélard. ... car les horsains ont amené au pays de Caux sa richesse, sa culture, sa promotion, sa science.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh bien ! Cela ne se voit pas trop, figurez-vous !
M. Patrice Gélard. Enfin, je voudrais tout de même revenir sur un certain nombre d'arguments.
Je ne vois pas pourquoi l'on veut doter les étrangers d'un régime plus favorable que celui des Français en ce qui concerne les véhicules, la rétention des papiers d'identité et la prise d'empreintes digitales ? Les Français que nous sommes sont soumis à ce genre de règles dans une multitude de cas. Vous voulez que les étrangers y échappent, et je ne parviens pas à le comprendre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Notre collègue Charles de Cuttoli attire gentiment mon attention - je tiens d'ailleurs à l'en remercier - sur l'erreur que j'ai commise tout à l'heure en disant que c'était à la demande du président Poher que le Conseil constitutionnel, en 1971, avait empêché dans tous les cas et sans restriction la fouille des véhicules particuliers.
Bien évidemment, il s'agissait de la liberté d'association. Il suffit d'ailleurs de lire avec l'attention que nous avons tous mis à le faire le rapport, excellent pour son caractère complet, de notre collègue Paul Masson, pour constater, en particulier à la page 50, ce qu'étaient la décision du 12 janvier 1977 et celles des 17 et 18 janvier 1984.
Je vous demande donc de bien vouloir excuser l'erreur que j'ai commise tout à l'heure, mes chers collègues.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 62, 111 et 196, repoussés par la commission et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

ARTICLE 8-1 DE L'ORDONNANCE
DU 2 NOVEMBRE 1945