M. le président. Sur le texte proposé pour l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 169, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le texte présenté par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Par amendement n° 7 rectifié, M. Hyest et les membres du groupe de l'Union centriste proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article 8-3 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 :
« Les empreintes digitales des ressortissants étrangers en situation irrégulière en France ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé. »
Par amendement n° 118, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 :
« Les empreintes digitales des étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions prévues à l'article 6 de la même ordonnance peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans le respect des règles fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Par amendement n° 13, M. Masson, au nom de la commission des lois, proposent de rédiger ainsi la première phrase du premier alinéa du texte présenté par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France :
« Les empreintes digitales des ressortissants étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions prévues à l'article 6 peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 59, présenté par M. Diligent et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 13, après les mots : « ressortissants étrangers », à insérer les mots : « , non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, ».
Par amendement n° 14, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit le second alinéa du texte présenté par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France :
« En vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution de l'une des mesures prévues au premier alinéa de l'article 27 ou qui, à défaut de ceux-ci, n'a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution, les données du fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur et du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié peuvent être consultées. Cet accès est réservé aux officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, aux agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21, 1°, du code de procédure pénale des services compétents du ministère de l'intérieur. Cette consultation est effectuée dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Par amendement n° 50, le Gouvernement propose, dans le second alinéa du texte présenté par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, après les mots : « par les services », d'insérer les mots : « expressément habilités ».
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 169.
M. Robert Pagès. Nous avons demandé tout à l'heure la suppression des articles 8-1 et 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Fidèles à cette logique, nous demandons, par cet amendement de repli, la suppression de l'article 8-3 de ladite ordonnance, inséré par nos collègues députés.
Ce nouvel article instaure en effet un relevé systématique des empreintes digitales des étrangers qui pénètrent sur le sol de France. Or nous avons déjà eu l'occasion de dénoncer les enjeux d'une telle mesure, dont la conséquence sera nécessairement la constitution d'un gigantesque fichier informatique, ce qui pourrait, je le répète, nous rappeler les heures sombres de notre histoire.
On nous a certes rétorqué que, dans d'autres circonstances on relevait les empreintes digitales de citoyens français, mais vous conviendrez, mes chers collègues, qu'il s'agit de cas tout à fait différents.
Nous maintenons donc notre proposition de suppression de l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
M. le président. La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Ces dispositions concernant le relevé des empreintes digitales ne figuraient pas dans la rédaction initiale du projet de loi. Certes, on s'interroge depuis longtemps à ce sujet, car il se peut que des gens utilisent plusieurs documents d'identité, et, dans ce cas, le relevé d'empreintes digitales paraît bien entendu constituer une sécurité en matière de contrôle.
Pour ma part, je trouve que cette pratique, qui concerne déjà actuellement les demandeurs d'asile ou de titre de séjour, ainsi que les étrangers en situation irrégulière, lesquels font cependant déjà l'objet d'une identification dans d'autres fichiers, est tout à fait normale.
Toutefois, l'application généralisée de cette disposition poserait à l'évidence des problèmes insolubles, parce qu'il est indiqué qu'elle visera « tous ceux qui veulent séjourner en France », par exemple les touristes, soit 80 millions de personnes chaque année.
Je me rallierai bien entendu à la position de la commission ; il est impossible, techniquement et politiquement, vis-à-vis notamment d'un certain nombre de pays étrangers, de mettre en place ce dispositif. Si l'on se bornait à relever les empreintes digitales des étrangers en situation irrégulière et de ceux qui demandent un titre de séjour, je n'élèverais bien sûr pas d'objection.
Par conséquent, il convient de limiter la portée du texte, et c'est pour cette raison que nous avons déposé cet amendement visant à restreindre strictement le champ d'application de ces dispositions aux étrangers qui se trouvent en situation irrégulière.

M. le président. La parole est à M. Allouche, pour présenter l'amendement n° 118.
M. Guy Allouche. Par cet amendement, nous entendons montrer que nous ne sommes pas opposés au relevé dactyloscopique. Dois-je rappeler à la Haute Assemblée que c'est le Gouvernement de Michel Rocard qui a proposé un relevé dactyloscopique pour les demandeurs d'asile ?
Cependant - et je rejoins ainsi quelque peu les propos tenus à l'instant par M. Hyest - il n'est pas possible d'imposer dès leur arrivée sur notre sol aux millions d'étrangers qui viennent chaque année en France un relevé de leurs empreintes digitales. Ce n'est pas raisonnable.
En revanche, nous proposons, comme l'indique le texte de notre amendement, que les empreintes digitales des étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions prévues à l'article 6 de l'ordonnance puissent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans le respect des règles fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Tel est le sens de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 13.
M. Paul Masson, rapporteur. Je souhaiterais rectifier l'amendement n° 13 pour intégrer la précision apportée par le sous-amendement n° 59 de M. Diligent, relative aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne.
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Masson, au nom de la commission des lois, et tendant à rédiger ainsi la première phrase du premier alinéa du texte proposé par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France :
« Les empreintes digitales des ressortissants étrangers, non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions prévues à l'article 6 peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Il s'agit d'une matière éminemment difficile qui concerne, d'une part, le relevé d'empreintes digitales et, d'autre part, l'accès à des fichiers, et nous ferons tout à l'heure référence, implicitement ou explicitement, à celui de l'OFPRA.
Je ne prétends pas que, dans leur rédaction actuelle, les amendements n°s 13 et 14 de la commission soient définitifs et parfaits. Je demande donc l'indulgence de la Haute Assemblée pour que nous puissions, s'il y a lieu, les perfectionner grâce à la navette.
En l'état actuel des choses, l'amendement n° 13 rectifié de la commission a pour objet, et je rejoins en partie ici les préoccupations exprimées par M. Hyest, ainsi que par M. Allouche, de réserver le relevé des empreintes digitales aux étrangers qui demandent la délivrance d'un titre de séjour, à ceux qui se trouvent en situation irrégulière - nous sommes là en cohérence avec l'amendement n° 7 rectifié de M. Hyest - et aux étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement.
Tel est l'objet de l'amendement n° 13 rectifié de la commission. Son champ d'application est donc moins large que celui du texte de l'Assemblée nationale, et il présente, me semble-t-il, un certain nombre d'avantages par rapport à celui-ci.
La rédaction qu'il propose est ainsi plus réaliste, car le relevé éventuel d'empreintes digitales ne concernera que des étrangers installés en France depuis trois mois et qui souhaitent y demeurer plus longtemps, par le biais de la demande d'un titre de séjour. Il sera donc effectué non pas dans les consulats, mais en France, dans les préfectures, qui sont déjà équipées pour enregistrer les empreintes destinées au fichier de l'OFPRA. Cela permettra de réaliser une économie de moyens.
Cette rédaction exclut également l'application de la mesure aux simples touristes, ce qui répond à une objection que j'ai entendue sur toutes les travées, et elle évite la mise en place d'un système de relevés d'empreintes dans les consulats.
Le dispositif sera donc techniquement plus facile à mettre en oeuvre, et moins onéreux.
La rédaction évite enfin la référence à la notion de visa.
En effet, vous savez, mes chers collègues, que la liste des pays dont les ressortissants sont tenus d'obtenir un visa pour entrer en France est fluctuante : le jeu des circonstances et de l'actualité peut la faire évoluer.
Par ailleurs, deux listes de visas différentes existent, d'une part celle des Etat membres de l'Union européenne, d'autre part celle des pays signataires de l'accord de Schengen. Tout cela est un peu flou, et c'est pourquoi cet amendement me semble apporter une amélioration par rapport au texte de l'Assemblée nationale, parce qu'il est plus ciblé, plus économe de moyens, et qu'il resserre le champ d'application, ce qui me paraît essentiel sur un tel sujet.
M. le président. Le sous-amendement n° 59 est-il soutenu ?...
Je vous redonne la parole, monsieur le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 14.
M. Paul Masson, rapporteur. Cet amendement très important tend à rédiger le second alinéa du texte proposé par l'article 3. Il diffère très sensiblement du texte de l'Assemblée nationale, et ce sur un point essentiel, dans une perspective différente de celle de l'amendement n° 50 du Gouvernement. Mais c'est le devoir du rapporteur et le rôle de la commission que de faire des suggestions, et le Parlement est, à cet égard, libre.
Cet amendement a également pour objet de resserrer le dispositif, c'est-à-dire d'encadrer la consultation des fichiers, pour le présent et pour l'avenir.
En premier lieu, il tend à définir la finalité de la consultation des fichiers, par référence à l'article 27 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui concerne le refus de l'étranger de contribuer à son identification en vue de son éloignement. L'étranger refuse alors de décliner son identité, ce qui est le cas, nous l'avons vu, de 90 % de ceux qui sont visés par nos mesures : ils ont détruit ou ils cachent leur passeport, et refusent de dire leur nom et de dévoiler leur nationalité.
Dans ce cas, les fichiers sont interrogés : des éléments concernant cet étranger y figurent-ils ?
Tel est l'objet, très précis, comme vous le voyez, de cette rédaction. On consulte le fichier non pas pour faire n'importe quoi, mais parce que l'étranger refuse de décliner son identité. On cherche donc ailleurs des renseignements. Cela me paraît légitime, nullement exorbitant du droit des gens et tout à fait compatible avec l'objectif normal de faire en sorte que la loi concernant l'entrée sur le territoire soit respectée.
En deuxième lieu, l'amendement désigne les deux fichiers dont la consultation est autorisée.
En troisième lieu, l'amendement précise que seuls les officiers de police judiciaire, les agents de police judiciaire et les agents de police judiciaire adjoints des services compétents ont accès aux fichiers pour mettre en oeuvre les mesures d'éloignement.
Enfin, l'amendement confirme l'intervention de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL.
Pourquoi, me direz-vous, faut-il voter une loi pour chercher à atteindre ces objectifs ? Parce qu'il existe déjà une loi qui précise que le fichier de l'OFPRA est protégé. Par conséquent, ce qu'une loi a fait, seule une autre loi peut le modifier, un décret ou un texte réglementaire ne suffit pas.
Or cette intervention du législateur, lorsqu'elle est nécessaire, doit se faire en connaissance de cause. A cet égard, il n'existe pas de blanc-seing pour l'avenir. Toutefois, je précise, et cela est important pour le Gouvernement, que cette intervention n'est pas systématiquement nécessaire. Tout dépend de la nature des choses, sous réserve, bien entendu, de l'avis de la CNIL. En effet, des fichiers peuvent, nous le savons, être créés soit par arrêté, soit par décret, et l'accès aux uns et aux autres peut être prévu, s'il est conforme à la finalité des fichiers. Aussi n'est-il pas généralement nécessaire, lors de la création d'un fichier, de recourir à la loi : le décret suffit avec l'avis de la CNIL ; il existe des précédents.
En l'occurrence, nous recourons à la loi uniquement à cause de l'OFPRA. Je ne sais si j'ai été clair, mais l'amendement, tel que la commission le propose, me paraît de nature à satisfaire le légitime souci du Gouvernement qui a une obligation de résultat tout en respectant les principes de la Constitution et les finalités particulières de chacun des fichiers actuellement protégés.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour défendre l'amendement n° 50 et pour donner l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 169, 7 rectifié, 118, 13 rectifié et 14.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, je souhaite formuler au préalable quatre remarques sur l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Première remarque, le relevé d'empreintes des étrangers qui demandent un titre de séjour n'est guère différent de l'obligation faite aux Français de donner leurs empreintes lorsqu'ils demandent une carte nationale d'identité.
Deuxième remarque, le relevé d'empreintes est un gage de réussite des éloignements décidés par l'administration en application de la loi.
Troisième remarque, s'agissant des références étrangères, les travaux de l'Union européenne sont engagés sur un fichier des empreintes des demandeurs d'asile pour éviter les fraudes et les demandes multiples. J'ajouterai que les relevés d'empreintes sont déjà prévus par des législations étrangères - en Allemagne, en Suède, en Finlande, en Suisse et au Portugal, pour ne citer que ces exemples - notamment dans les circonstances qui sont consécutives à l'interpellation d'un étranger en situation irrégulière. En effet, nous avons tous - Français, Allemands, Suédois, Finlandais, Suisses, Portugais - le même problème, à savoir l'identification des étrangers en situation irrégulière, qui font tout pour mettre en échec leur éloignement, à commencer par organiser systématiquement leur clandestinité.
Enfin, quatrième remarque, le relevé d'empreintes sera, comme pour la carte d'identité, un moyen efficace pour lutter contre la fraude et contre les trafics de cartes de séjour.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements n°s 169, 7 rectifié et 118.
S'agissant de l'amendement n° 13 rectifié et du sous-amendement n° 59, la proposition présentée par M. Hyest rejoint celle de la commission. Je conviens qu'il est prématuré de prévoir un relevé d'empreintes au stade de la délivrance des visas. En conséquence, j'émets un avis favorable sur l'amendement n° 13 rectifié, ainsi que sur le sous-amendement n° 59.
J'en viens à l'amendement n° 14. L'objet du deuxième alinéa de l'article 8-3 est de permettre l'accès des services de police et du service des étrangers dans les préfectures au fichier de dactyloscopie de l'OFPRA et au fichier de l'identité judiciaire.
Monsieur Masson, nous sommes d'accord sur l'objectif, qui s'impose en effet dans la pratique. La rédaction de M. le rapporteur, comme le texte voté par l'Assemblée nationale, permet d'accéder aux deux fichiers. Toutefois, il existe des différences.
M. le rapporteur se réfère à la consultation par les officiers de police judiciaire et, sous leur responsabilité, par les agents de police judiciaire et par les agents de police judiciaire adjoints. Or, il semble bien que cette qualification judiciaire n'ait pas de justification dans la police administrative qu'est la police des étrangers. Elle n'offre, en fait, pas plus de garantie que la rédaction de l'Assemblée nationale.
Les personnes qui accéderont au fichier seront nécessairement habilitées dans les conditions fixées par l'acte réglementaire qui sera soumis à la CNIL. On y trouvera naturellement des fonctionnaires de la DICCILEC, du bureau des étrangers dans les préfectures, qui, au demeurant, ne sont pas des agents de police judiciaire. On y trouvera aussi des fonctionnaires de sécurité publique dans les commissariats, le cas échéant, mais avec des garanties de procédure et d'habilitation. La mention de ces habilitations fait l'objet d'un amendement du Gouvernement pour lever toute ambiguïté.
Toutefois, la différence fondamentale de rédaction tient à un troisième fait qui consiste, pour M. le rapporteur, à énumérer les deux fichiers visés par l'autorisation législative, tandis que la rédaction votée par l'Assemblée nationale est plus générale puisqu'elle couvre tout fichier existant ou à créer comportant des empreintes digitales d'étrangers.
Il me paraît préférable de fixer un principe général, selon lequel les empreintes d'étrangers recueillies par les autorités publiques peuvent servir à l'identification d'étrangers en situation irrégulière dans quelque fichier qu'elles se trouvent.
M. le rapporteur reproche à la rédaction de l'Assemblée nationale d'établir une sorte de blanc-seing du législateur pour que les fichiers d'empreintes servent à l'éloignement d'étrangers en situation irrégulière. Je crois que le rôle d'une loi est pourtant d'établir des principes généraux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la question est en fait de savoir si, oui ou non, le problème de l'identification des étrangers en situation irrégulière est important, voire décisif. A l'évidence, tout le monde répond oui, du moins sur certaines travées de cette assemblée.
Rappelons que l'identification est l'élément déterminant, je dis bien « déterminant », pour la réussite d'une éloignement. Au surplus, il faut aller très vite compte tenu des délais de rétention exceptionnellement courts.
Autrement dit, le législateur doit fixer le principe, comme l'a proposé l'Assemblée nationale, et les actes réglementaires devront, pour l'application de ce principe, se conformer aux principes généraux du droit et respecter les libertés individuelles, ce que la consultation de la CNIL, dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978, garantira en tout état de cause, pour les fichiers existants comme pour les fichiers à venir.
Je conviens cependant que l'essentiel est bien de traiter les cas actuels et de ménager un accès aux fichiers existants. Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, monsieur le rapporteur.
Par conséquent, nous sommes, naturellement, dans la même philosophie et je partage, ô combien ! votre souci de lutter contre l'immigration irrégulière. Toutefois, vous le constatez, la rédaction n'est pas tout à fait la même. C'est la raison pour laquelle je m'en remets à la sagesse du Sénat, mais vous voyez bien quel est mon souci et mon problème. Je voudrais que vous ayez présent à l'esprit ce que je viens de vous dire lorsqu'il s'agira de voter.
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. Pourriez-vous profiter de l'occasion, monsieur le rapporteur, pour donner l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements, à l'exception, bien sûr, de l'amendement qu'elle a elle-même déposé.
M. Paul Masson, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 169.
J'en viens à l'amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Hyest, avec l'autorisation de M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest. Les disposittions proposées par la commission des lois me conviennent parfaitement puisqu'elles ne visent pas à généraliser la prise d'empreintes digitales. Je considère que l'amendement que les membres de mon groupe et moi-même avions déposé est satisfait. Aussi, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l'amendement n° 118.
Reste l'amendement n° 50. Tout d'abord, monsieur le ministre, je vous remercie de laisser l'assemblée délibérer dans sa sagesse. Il est toujours désagréable pour une majorité d'avoir à choisir entre le rapporteur et le ministre, et j'ai été suffisamment souvent dans cette situation pour apprécier la façon dont vous mettez ainsi le rapporteur à l'aise.
Cet amendement n° 50 est tout à fait pertinent et la rédaction proposée par le Gouvernement est meilleure que celle qui est présentée par la commission. Aussi, je rectifie l'amendement n° 14 en remplaçant les mots : « aux officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, aux agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21, 1°, du code de procédure pénale » par les mots : « aux agents expressément habilités ».
M. le président. Je suis donc saisi, par M. Masson, au nom de la commission, d'un amendement n° 14 rectifié, et tendant à rédiger comme suit le second alinéa du texte proposé par l'article 3 pour insérer un article 8-3 dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France :
« En vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution de l'une des mesures prévues au premier alinéa de l'article 27 ou qui, à défaut de ceux-ci, n'a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution, les données du fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur et du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié peuvent être consultées. Cet accès est réservé aux agents expressément habilités des services compétents du ministère de l'intérieur. Cette consultation est effectuée dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Il reste un point sur lequel nous divergeons, monsieur le ministre.
J'ai compris que vous vous en remettiez à la sagesse du Sénat et je suis attentif à vos objections concernant cette description détaillée des fichiers que l'administration peut consulter.
En l'état actuel du débat, je ne peux pas en dire plus, puisque la navette interviendra.
Je demande donc à la Haute Assemblée de bien vouloir adopter l'amendement n° 14 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 14 rectifié ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le rapporteur, je suis favorable à la nouvelle rédaction proposée pour l'avant-dernière phrase de cet amendement : « Cet accès est réservé aux agents expressément habilités des services compétents du ministère de l'intérieur. »
Il n'en reste pas moins vrai, monsieur le rapporteur, que la rédaction de l'amendement n° 14 rectifié, visant les deux fichiers, et celle de l'amendement n° 50 ne sont pas identiques. Je m'en remets donc à la sagesse de la Haute Assemblée sur l'amendement n° 14 rectifié, tout en préférant naturellement ma rédaction, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas la vôtre !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 169.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais surtout poser les questions qui nous préoccupent. Nous avions demandé, c'est vrai, la suppression de l'ensemble de l'article 3. Puis, comme M. Allouche l'a dit, nous avons déposé un amendement acceptant le principe du relevé des empreintes digitales.
En vérité, voilà un texte proposé pour l'article 8-3 qui est nouveau puisqu'il a été introduit par l'Assemblée nationale sur l'initiative de certains des parlementaires les moins modérés.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ce sont les parlementaires de la nation !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je me demande surtout pourquoi cette proposition est formulée maintenant. C'est l'oeuf de Colomb ! Nous sommes tous d'accord pour lutter contre l'immigration irrégulière et le terrorisme, étant entendu que celui-ci est évidemment bien pis. Or, alors que de nombreuses lois contre le terrorisme ont été adoptées en 1988, en 1993 et voilà encore quelques mois, jamais cette disposition n'a été proposée ! Nous nous demandons bien pourquoi !
En outre, si cette disposition est véritablement si judicieuse, pourquoi les pays de l'Union européenne ne se mettraient-ils pas d'accord pour que les empreintes digitales de tout le monde, y compris de leurs ressortissants, soient relevées ? On me dira que, en France, ces empreintes sont prises lors de l'établissement d'une carte d'identité. Mais le port d'une telle carte d'identité n'est pas obligatoire !
Par conséquent, il y a nombre de Français - et Dieu sait qu'il y a malheureusement des terroristes parmi eux ! - dont les empreintes digitales n'ont pas été relevées.
Et je sais bien que des malheureux, qui risquent leur vie pour venir en France, non pas pour commettre des attentats, mais simplement parce qu'ils veulent vivre - vous nous l'avez expliqué de manière imagée tout à l'heure - n'hésitent pas à détruire leurs papiers. On risque bien d'en voir qui n'hésiteront pas à se couper le doigt ! (Sourires sur certaines travées du RPR.) Ce n'est pas drôle !
M. Alain Gournac. Il ne faut quand même pas exagérer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela arrive !
Pourquoi, après tout, ne pas aller plus loin et prendre les empreintes génétiques de tout le monde ? Le système proposé pose de nombreuses et graves questions, qui devront faire l'objet d'examens attentifs au cours de la navette.
Il faudra, si vous le voulez bien, répondre à ces questions que je pose. Si ce système est aussi simple, pourquoi ne l'avons-nous pas adopté depuis longtemps ? N'allons-nous pas laisser de côté nombre de gens qui sont beaucoup plus dangereux que de pauvres hères qui aspirent seulement à venir vivre et travailler dans notre pays ?
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Bêtement, j'avais, en arrivant ici, un espoir fondé sur le fait que le projet de loi initial n'évoquait pas la prise systématique des empreintes digitales. J'espérais donc que le Sénat allait gommer l'ajout de l'Assemblée nationale.
Or, tel n'est pas le cas ! Nous apportons simplement quelques modifications. Il apparaît en effet impossible de prendre quatre-vingts millions d'empreintes digitales !
M. le ministre ainsi que l'un de nos collègues ont déclaré que l'on fait pour les étrangers demandant un titre de séjour ce que l'on fait pour les Français, et qu'il ne faudrait tout de même pas traiter les étrangers mieux que les Français !
Non, monsieur le ministre, c'est inexact ! En effet, comme vous le savez très bien, il n'y a pas, pour lesFrançais, de fichier centralisé, mémorisé des empreintes digitales !
M. Michel Rufin. Si, dans l'armée, madame !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a plus d'armée !
Mme Joëlle Dusseau. Or, c'est précisément un fichier centralisé, mémorisé qui nous est proposé. Hormis le cas des demandeurs d'asile, point sur lequel je suis d'ailleurs en désaccord, ce genre de fichier n'existe que pour les personnes relevant de l'identité judiciaire. Tout à l'heure, notre collègue auquel je viens de faire allusion disait que les étrangers sont traités comme des Français. Non ! Ils sont traités non pas comme des Français, mais comme des criminels, ce qui n'est pas la même chose ! (Vives protestations sur les travées du RPR.)
M. le président. Mes chers collègues, un peu de courtoisie ! Laissez parler Mme Dusseau !
Mme Joëlle Dusseau. Je trouve tout à fait scandaleux d'assimiler sans distinction, comme vous le préconisez actuellement, les étrangers qui demandent la délivrance d'un titre de séjour et ceux qui sont dans une situation irrégulière : quels qu'ils soient, ils seront tous dans le fichier centralisé.
De plus, cela pose des problèmes. Vous dites que de telles procédures ont cours dans le reste de l'Union européenne. Mais c'est faux ! Actuellement, monsieur le ministre, un étranger entrant dans un pays européen et ayant le droit, du fait des accords de Schengen, de circuler en Europe se trouvera dans une situation différente en France, en Belgique, en Espagne ou en Allemagne. Que se passera-t-il et à quoi tout cela ressemble-t-il ?
M. Emmanuel Hamel. C'est Schengen qu'il faut révoquer : c'est un accord néfaste !
Mme Joëlle Dusseau. Vous êtes en train de mettre en place - vous ne serez arrêté en cela que par le coût, ce qui est quand même une maigre consolation ! - un fichier centralisé regroupant, au niveau européen, des centaines de milliers de personnes étrangères, qu'elles soient ou non en situation régulière.
Monsieur le ministre, dans 1984, George Orwell mettait en scène Big Brother, qui, partout, regardait les gens. C'est ce que vous êtes en train de commencer à mettre en place avec ce projet de loi. C'est en effet la première fois que le Parlement français prend une telle décision ! C'est quelque chose qui est plus que déplaisant, qui est déshonorant pour nous. C'est en tout cas ainsi que je le vis.
M. Michel Rufin. Il est demandé des empreintes digitales pour toutes les cartes d'identité !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 169, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 118.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je tiens tout d'abord à dire à notre collègue Michel Rufin que la carte d'identité, en France, n'est pas obligatoire.
M. Michel Rufin. Tous les militaires donnent leurs empreintes digitales !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a plus de militaires !
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas centralisé ! Il n'y a pas de fichier central !
M. Guy Allouche. Monsieur Rufin, la carte d'identité n'est pas obligatoire ! Vous avez raison, on relève les empreintes de celui qui la demande, mais comme elle n'est pas obligatoire,...
M. Emmanuel Hamel. Il faut qu'elle le devienne !
M. Guy Allouche. ... on peut très bien ne pas avoir de carte d'identité. De ce fait, il n'y a pas de relevé automatique d'empreintes.
J'en viens à l'amendement n° 118. Monsieur le rapporteur, ce matin, en commission, lorsque nous avons examiné les amendements extérieurs à la commission des lois, vous avez indiqué qu'il était satisfait par l'amendement n° 13, qui a été rectifié depuis lors. Or, voilà un instant, vous avez émis un avis défavorable. Expliquez-moi ! Voilà deux amendements dont la rédaction est semblable. Comment êtes-vous favorable à l'amendement n° 13 rectifié et défavorable à l'amendement n° 118 ? Dites que ce dernier est satisfait par l'amendement n° 13 rectifié, ce qui se comprendrait, mais ne dites pas que vous y êtes défavorable !
Cela étant, je retire l'amendement n° 118.
M. le président. L'amendement n° 118 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14 rectifié, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 50 n'a donc plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.

(Ce texte est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
M. Robert Pagès. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste également.
Mme Joëlle Dusseau. Je vote également contre.

(L'article 3 est adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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