CORPS DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS
ET DES COURS ADMINISTRATIVES D'APPEL

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 143, 1996-1997) portant dispositions statutaires relatives au corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. [Rapport n° 217 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis une dizaine d'années, la justice administrative s'est profondément transformée.
C'est ainsi qu'ont été modifiées l'organisation des juridictions administratives, leurs compétences, la procédure qu'elles appliquent et les attributions de leurs membres.
Un double mouvement caractérise cette évolution : la consécration du caractère pleinement juridictionnel de la mission remplie par la justice administrative et l'adaptation de celle-ci à la croissance continue du contentieux administratif.
C'est par une loi du 6 janvier 1986 qu'a été inaugurée cette période de transformation. Cette loi a en effet reconnu la qualité de magistrat aux membres des juridictions administratives et a consacré leur indépendance, en leur accordant la garantie de l'inamovibilité dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles et en instituant un conseil supérieur, présidé par le vice-président du Conseil d'Etat, compétent pour connaître de toutes les questions relatives à la carrière et à la discipline des membres de ces juridictions.
Cette transformation s'est poursuivie avec la loi du 31 décembre 1987, qui a créé des cours administratives d'appel et confié aux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives les fonctions de juge d'appel, précédemment exercées par les membres du Conseil d'Etat. Cette évolution s'est terminée le 1er octobre 1996, c'est-à-dire il y a quelque six mois.
Elle a permis à l'ordre juridictionnel administratif de faire face à l'augmentation du nombre d'appels tout en lui donnant une structure comparable à celle de l'ordre judiciaire, où les fonctions de juge de première instance, de juge d'appel et de juge de cassation sont réparties entre trois niveaux de juridiction.
C'est aussi en application de cette loi de 1987 que, depuis 1990, la gestion du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est assurée par le secrétariat général du Conseil d'Etat et non plus par le ministère de l'intérieur, qui continuait de l'exercer depuis le temps des anciens « conseils de préfecture ».
La loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice, ensuite, a prévu de consolider l'architecture de la juridiction administrative, en la dotant de deux nouveaux tribunaux administratifs et de deux nouvelles cours administratives d'appel. Le tribunal administratif de Melun, que j'ai inauguré le 23 septembre dernier, est la première de ces juridictions. L'ouverture d'une cour administrative d'appel à Marseille est par ailleurs prévue pour le mois de septembre prochain.
La loi du 8 février 1995, enfin, a modifié en profondeur la procédure applicable devant les juridictions administratives. L'institution d'une procédure de jugement par un juge statuant seul en est l'exemple le plus remarquable. Cette loi a également confié aux magistrats administratifs de nouveaux pouvoirs, tel celui d'adresser des injonctions à l'administration, et de nouvelles responsabilités en matière d'exécution de leurs jugements.
On mesure, avec ce rappel des différentes réformes qui ont marqué la justice administrative, tout le chemin parcouru par celle-ci depuis une dizaine d'années. Ce très important mouvement de transformation, à certains égards sans précédent, s'est accompli sans heurts, parce qu'il a été soutenu et accompagné par les magistrats administratifs eux-mêmes. L'accroissement des responsabilités de ces magistrats est d'ailleurs allé de pair avec un effort de productivité qui a permis de porter de 155 à 208, entre 1987 et 1996, le nombre de dossiers traités annuellement par magistrat, ce qui représente une augmentation de 34 %.
La justice administrative, depuis 1986, a donc changé de visage.
Mais cette transformation restait incomplète, faute d'une réforme du statut de ses membres.
La loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat a prévu que les règles garantissant l'indépendance des membres des tribunaux administratifs seraient fixées par le législateur. La loi du 6 janvier 1986 - que j'évoquais au début de mon propos - a rempli cette mission, ce dont témoigne le fait que l'indépendance de la justice administrative n'est pas l'objet de débats aujourd'hui, alors même que les affaires qu'elle tranche sont parfois considérables et très sensibles.
Mais cette loi, novatrice sur bien des points, s'est contentée de reprendre, pour ce qui concerne le déroulement de carrière des magistrats administratifs, la liste des grades que comportait le décret du 12 mars 1975 portant statut particulier des membres des tribunaux administratifs, qui prévoyait, pour les conseillers de tribunal administratif, des grades identiques à ceux qui étaient prévus pour les administrateurs civils par le décret du 30 juin 1972 portant statut particulier de ce corps.
L'évolution qu'a connue la justice administrative a mis en lumière l'inadaptation de cette structure de carrière. Le corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel comporte actuellement sept grades, ce que ne justifie aucune logique fonctionnelle et ce qui a des effets négatifs sur le déroulement de carrière de ses membres, en multipliant inutilement le nombre de tableaux d'avancement.
Ces effets négatifs ont été encore accrus par le fait que les effectifs du corps ont dû être augmentés très rapidement - ce qui est heureux - et sont passés de 369 magistrats en 1987 à 641 aujourd'hui, ce qui a créé des goulots d'étranglement lors du passage des premiers grades du corps.
Cette situation a eu pour effet de rendre la carrière des magistrats administratifs moins avantageuse que celle des autres corps recrutés par la voie de l'Ecole nationale d'administration, ce dont, à terme, aurait pu souffrir - et c'est ce qui a probablement déjà été le cas - l'attractivité de ce corps et par conséquent la qualité de la justice administrative.
L'accroissement des responsabilités des magistrats administratifs, la nécessité de conforter leur autorité face à une administration à l'égard de laquelle ils disposent de pouvoirs accrus, plaidaient au contraire pour une revalorisation de leur statut. C'est ce à quoi je me suis employé depuis mon arrivée à la Chancellerie, voilà vingt mois.
Le projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, tend à remédier à ces inconvénients, en simplifiant le déroulement de carrière des conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d'appel et en l'adaptant à la nature des fonctions qu'ils occupent.
A cet effet, le projet de loi - telle en est la disposition essentielle - réduit de sept à trois le nombre de grades que comporte le corps. Cette structure en trois grades, qui s'inspire de celle des corps d'inspection et de contrôle, repose sur l'identification de trois types de fonctions : les conseillers, qui exercent les fonctions de commissaire du Gouvernement ou de rapporteur dans une formation collégiale, les premiers conseillers, plus expérimentés, qui peuvent, en outre, exercer les fonctions de juge statuant seul, et les présidents, qui exercent des fonctions d'encadrement à la tête d'une chambre ou d'une juridiction.
Plusieurs dispositions du projet de loi tirent les conséquences de cette nouvelle organisation des grades, en modifiant leur dénomination dans les différents textes législatifs qui les mentionnent, et, en premier lieu, dans la loi statutaire du 6 janvier 1986.
Par ailleurs, au sein du grade de président, le projet de loi distingue plusieurs niveaux de responsabilité, selon le degré de juridiction ou la taille de la juridiction concernée. L'accès aux fonctions les plus importantes est subordonné à l'inscription sur des listes d'aptitude, établies sur proposition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, et à des conditions d'ancienneté minimale dans le grade.
Parallèlement, les conditions d'accès au second grade du corps par la voie du tour extérieur et celles de l'intégration après détachement sont légèrement modifiées, dans le sens d'une élévation du niveau requis des candidats, afin de tenir compte de la fusion au sein du grade de premier conseiller des anciens grades de conseiller de première classe et de conseiller hors classe.
Cette réorganisation de la carrière des conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d'appel sera complétée, dans les textes réglementaires d'application, par un nouvel échelonnement indiciaire plus favorable à ces magistrats.
Le projet de loi qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, modifie également sur deux autres points les règles applicables aux magistrats administratifs.
Il répare, tout d'abord, un oubli, en introduisant dans la loi statutaire, comme c'est le cas pour les magistrats de l'ordre judiciaire, une disposition interdisant la nomination dans une juridiction de tout magistrat qui aurait exercé dans le ressort de celle-ci, depuis moins de cinq ans, la profession d'avocat.
Il tire, ensuite, les conséquences de la maturité à laquelle sont parvenues les cours administratives d'appel depuis leur création. L'expérience acquise par ces juridictions permet désormais d'assouplir les conditions d'accès à celles-ci, en ramenant de six à quatre ans l'ancienneté requise.
Cette mesure permettra d'élargir le vivier des candidats à une affectation dans ces juridictions et, ainsi, je l'espère, de résorber les trop nombreuses vacances d'emploi que connaissent certaines d'entre elles.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes du projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre et qui a fait l'objet d'un excellent travail de la part de la commission des lois et de son rapporteur, M Hoeffel.
L'ambition de ce texte est de rendre le statut des magistrats administratifs plus rationnel, plus attractif et mieux adapté à la spécificité de leurs fonctions.
Ce projet de loi répond à une réelle attente des magistrats administratifs, qui l'appellent de leurs voeux depuis plusieurs années. Son adoption témoignera, à travers ceux qui seront chargés de son application, de l'importance que l'Etat attache à la fonction juridictionnelle consistant à veiller au respect du droit par l'administration. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Avant de vous donner la parole, monsieur le rapporteur, je tiens à saluer la présence dans les tribunes de M. Joxe, Premier président de la Cour des comptes. L'attention qu'il porte à nos travaux nous honore beaucoup.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis vingt-cinq ans, le nombre des requêtes introduites devant les tribunaux administratifs a progressé de 8 % environ par an. En 1995, la progression s'est même établie à 12 %. Pour faire face à cet afflux de contentieux, la juridiction administrative a dû et a su s'adapter.
Dans une première étape, comme M. le garde des sceaux vient de le rappeler, elle a modifié ses structures pour introduire un nouveau degré de juridiction - les cours administratives d'appel - afin de décharger le Conseil d'Etat de l'essentiel du contentieux en appel des tribunaux administratifs.
Grâce à un transfert progressif de ce contentieux, les cinq cours créées en application de la loi de 1987 ont pu faire face à leurs charges. Toutefois, l'achèvement du transfert, complété une dernière fois par la loi du 8 février 1995, se traduit incontestablement aujourd'hui par un engorgement et un allongement des délais de jugement.
La loi pluriannuelle pour la justice a posé, en conséquence, le principe de la création de deux nouvelles cours administratives d'appel, à Marseille cette année et à Douai en 1999.
Parallèlement à cette modification structurelle, un certain nombre de dispositions de procédure ont permis d'accélérer le traitement des affaires les plus faciles ou les plus récurrentes. C'est ainsi que la loi du 8 février 1995 a accru très sensiblement le nombre des cas dans lesquels le juge administratif statue seul.
Selon les estimations de notre excellent collègue M. Authié, dans l'avis qu'il a présenté au nom de la commission des lois sur les crédits consacrés aux services généraux du ministère de la justice dans le projet de loi de finances pour 1997, 20 % des litiges pourraient être traités chaque année par application de ce dispositif. Un certain nombre de magistrats se trouveraient ainsi disponibles pour traiter d'autres dossiers.
Outre les modifications structurelles et les réformes de procédure, de très importants recrutements ont été effectués au cours des dix dernières années. En 1968, le corps des magistrats des tribunaux administratifs comptait 168 membres. En 1995, il atteignait 605 membres. Aujourd'hui, il comprend 641 membres, dont 502 ont été recrutés entre 1985 et 1996, ce qui montre l'effort considérable qui a été consenti en matière de recrutement.
Ce renforcement des effectifs est toutefois loin d'avoir suivi la montée en puissance du contentieux, et ce n'est que grâce à un effort de productivité - ce terme n'est probablement pas le plus heureux mais je n'en trouve pas d'autres - particulièrement intense que les magistrats administratifs ont réussi à contenir les délais de traitement des affaires dans une proportion presque raisonnable.
Entre 1987 et 1993, le nombre moyen d'affaires jugées par chaque magistrat a progressé de 43 %.
Aujourd'hui, les marges de productivité encore disponibles paraissent très faibles et, sauf à envisager de nouvelles réformes de procédure, seules la création de postes supplémentaires, tant de magistrats que d'agents des greffes - nous ne devons pas les oublier - ainsi que l'ouverture des quatre nouvelles juridictions programmées dans le cadre de la loi pluriannuelle pour la justice devraient permettre de réduire les délais moyens de jugement, qui sont actuellement à peine en deçà de deux ans, ce qui reste encore important.
Les modifications considérables des missions exercées par les magistrats administratifs et le renouvellement en profondeur de la composition du corps exigent aujourd'hui incontestablement une réflexion sur le statut des membres de ce corps.
Les principes essentiels du statut actuel ont été posés par la loi du 6 janvier 1986, qui a fixé les règles garantissant l'indépendance des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Organisé autour de sept grades, comme l'a rappelé M. le garde des sceaux, ce statut particulier est inspiré, pour les trois premiers grades, de celui des administrateurs civils. En revanche, pour les quatre grades suivants, il multiplie les points de passage obligés, alors même que les fonctions exercées par les magistrats des quatre derniers grades ne justifient pas la multiplication de seuils ne correspondant pas à des changements effectifs dans les responsabilités exercées.
Autrement dit, la structure actuelle du corps des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne répond pas véritablement aux exigences fonctionnelles correspondant aux missions des intéressés.
Cette situation se traduit par des difficultés de fonctionnement, aggravées par le recrutement récent de la grande majorité du corps et ne permet pas de pourvoir les fonctions à juge unique ainsi qu'un certain nombre de fonctions de conseillers de cours d'appel.
Le projet de loi soumis à notre approbation permet de résoudre ces difficultés et d'ouvrir des perspectives de carrière à des magistrats dont l'avancement a pris un retard important par rapport à celui des corps comparables issus de l'Ecole nationale d'administration.
Il prévoit en effet, comme l'a rappelé M. le garde des sceaux, que le corps serait organisé en trois grades - conseiller, conseiller de première classe et président - selon un modèle inspiré des statuts de l'inspection générale de l'administration et de l'inspection générale des affaires sociales.
Le grade de président regrouperait ainsi l'ensemble des fonctions d'encadrement, des listes d'aptitude spécifiques permettant l'accès aux postes de responsabilité les plus importants.
Par ailleurs, les conditions d'accès aux fonctions à juge unique seraient liées à l'ancienneté et non plus au grade, ce qui permettrait incontestablement de les pourvoir plus aisément.
Enfin, ce projet de loi prévoit de renforcer certaines incompatibilités géographiques qui sont nécessaires. La commission des lois vous proposera toutefois d'exclure le mandat de parlementaire européen, car le caractère national du ressort d'élection interdirait en pratique toute affectation dans une quelconque juridiction administrative au cours des trois années suivant la cessation du mandat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La commission n'a pas voté une telle disposition !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Je le sais, monsieur Dreyfus-Schmidt, mais elle en a débattu. En cet instant, aucun amendement n'a encore été déposé. Mais nous aurons l'occasion d'y revenir tout à l'heure. La liberté de jugement de tous les membres de la commission des lois sera ainsi préservée et nous pourrons aborder, dûment mandaté, je l'espère, l'examen des articles. Votre intervention m'a permis de préciser ce point, et je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Quant au tour extérieur et au détachement, ils sont adaptés à la nouvelle structure des grades et ouverts aux administrateurs territoriaux - ce qui, soit dit en passant, est une reconnaissance du niveau de leurs compétences - aux professeurs et aux maîtres de conférence titulaires des universités, ce qui est un hommage à ces professions grâce auxquelles le droit évolue...
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... ainsi qu'à certains corps de catégorie A dont les membres ne sont pas issus de l'ENA. Ce sont d'ailleurs des commissions d'aptitude qui étudieront en l'occurrence les candidatures présentées.
Par ailleurs, les conditions d'accès aux fonctions à juge unique seraient liées à l'ancienneté et non plus au grade, ce qui permettrait de les pourvoir plus aisément.
La commission des lois a approuvé l'économie générale de la réforme proposée, sous réserve de préciser que l'inscription sur les listes d'aptitude n'est requise que pour la première nomination.
Elle a en outre souhaité abroger deux dispositions transitoires devenues inutiles.
La commission a par ailleurs relevé que la Chancellerie avait mis à l'étude une réforme du statut de la magistrature judiciaire qui devrait permettre d'améliorer les conditions d'avancement dans ce corps.
En effet, celui-ci est notamment caractérisé par une pyramide démographique très renflée en son milieu et ses membres connaissent, de ce fait, des retards d'avancement auxquels il a été remédié pour le deuxième grade, voilà quelques années, et qu'il conviendrait maintenant de traiter pour le premier grade.
Quant aux magistrats des chambres régionales des comptes, on observe que leur statut est proche de l'actuel statut des magistrats administratifs et que la réforme qui nous est aujourd'hui proposée conduit à des évolutions différenciées des deux corps.
Certes, le statut des magistrats des chambres régionales des comptes n'est pas à notre ordre du jour d'aujourd'hui ; il relève d'ailleurs de textes différents, insérés dans le code des juridictions financières ; certes, l'évolution des missions des magistrats administratifs présente depuis dix ans des spécificités qui justifient la réforme proposé ; il n'en demeure pas moins qu'il paraît difficile de ne pas envisager de réfléchir, sans trop tarder, à l'opportunité d'une adaptation du statut des magistrats des chambres régionales des comptes à la lumière des modifications apportées à celui des magistrats administratifs.
M. Pierre Fauchon. Encore faudrait-il aussi adapter les procédures !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. En espérant que l'adoption de la réforme du statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, qui a recueilli l'adhésion de l'ensemble des magistrats concernés, confortera les intéressés et attirera vers les juridictions administratives des juristes compétents,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Des juristes ? Seulement des juristes ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. ... motivés par des perspectives de carrière satisfaisantes - ce qui est déjà le cas - je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des lois, d'adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Depuis plusieurs années, nous assistons à une progression continue du contentieux administratif au niveau de la première instance.
Pour tenter d'y répondre, le législateur a dû intervenir à plusieurs reprises.
La juridiction administrative a donc connu des transformations qui se sont traduites par un accroissement des responsabilités dévolues aux membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Or, malgré les modifications apportées au statut du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, celui-ci ne permet plus d'accompagner ces évolutions de manière satisfaisante au regard du déroulement de carrière des magistrats concernés.
C'est la raison du dépôt de ce projet de loi, dont le double objet est, d'une part, d'assurer un meilleur fonctionnement des juridictions administratives et, d'autre part, d'ouvrir des perspectives de carrière et d'avancement aux magistrats administratifs.
Ainsi, le texte qui nous est présenté devrait permettre de réduire les retards anormaux que subissent les membres du corps dans leur avancement.
En effet, la complexité de la structure en grades a constitué un obstacle au pyramidage régulier des emplois successivement créés.
En outre, le découpage en sept grades a multiplié artificiellement les seuils d'avancement au choix et ne répond plus de nos jours de façon satisfaisante à des besoins fonctionnels nouveaux.
La réforme proposée substitue à ce modèle celui du statut de l'inspection générale de l'administration ou de l'inspection générale des affaires sociales, réduisant le nombre de grades de sept à trois afin d'assurer des déroulements de carrière plus linéaires et de permettre une meilleure adéquation entre grade détenu et fonctions exercées.
Pour rendre la structure du corps comparable à celle des corps d'inspection et de contrôle, il faudrait aussi prévoir l'alignement des régimes des primes, faute de quoi les retards dans les déroulements de carrière risquent d'alimenter un sentiment d'inquiétude parmi les magistrats des cours et tribunaux et à l'extérieur du corps d'entraîner une sorte de désaffection.
Il faudrait donc insister sur la nécessaire attractivité du corps, qui reste insuffisante aujourd'hui, afin d'attirer les meilleurs éléments de la fonction publique.
Peut-être conviendrait-il, par exemple, d'aligner le régime indemnitaire des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sur celui des autres corps issus de l'Ecole nationale d'administration, ce qui n'est pas le cas pour le moment.
Cela dit, de nombreux sujets d'inquiétude demeurent quant à l'insuffisance des moyens dont souffrent la justice et, par là même, les justiciables.
Face à une augmentation considérable du nombre d'affaires, les effectifs du corps, contrairement à ce qui est écrit dans le rapport de M. Hoeffel, n'ont été augmentés qu'insuffisamment, et ce par le biais, notamment, d'un concours complémentaire.
L'exposé des motifs du projet de loi indique que ce recrutement complémentaire conserve ses caractères exceptionnel et temporaire.
Or, il est évident que le recrutement par la voie de l'Ecole nationale d'administration ne permettra pas, pas plus dans l'avenir qu'aujourd'hui, de pourvoir le nombre de postes nécessaires, ce qui plaide en faveur du maintien de ce concours complémentaire.
Par ailleurs, la loi quinquennale pour la justice de 1995 a créé soixante-quinze postes en surnombre, qui devront être supprimés progressivement.
Au moment où il est plus que nécessaire d'augmenter les effectifs, une telle mesure paraît absurde.
Au contraire, ces postes doivent être intégrés dans les effectifs classiques du corps et devenir des postes permanents s'ajoutant, bien évidemment, aux postes permanents qui doivent être créés.
Cette mesure s'impose d'autant plus qu'un nouveau tribunal administratif a été créé en 1996 à Melun, qu'un autre doit être créé en région parisienne avant l'an 2000, et que deux nouvelles cours administratives d'appel doivent le jour : l'une à Marseille en 1997, l'autre à Douai en 1999.
Une question s'impose : où allez-vous prendre les magistrats pour faire fonctionner ces nouvelles juridictions ?
Il ne faudrait en aucun cas avoir recours au seul renfort d'auxiliaires de justice, comme le suggère habilement l'exposé des motifs du projet de loi. En effet, quelles que soient leurs qualités, ceux-ci ont vocation non pas à remplacer mais à assister les magistrats.
A cette inquiétude s'ajoute celle de l'augmentation considérable des affaires susceptibles d'être examinées par une juge unique en lieu et place de la formation collégiale, comme l'a permis la loi du 8 février 1995.
Si le traitement des affaires par un juge unique permet de réduire les délais de jugement et de ne monopoliser qu'une seule personne, cette procédure risque de nuire au détriment de la qualité de la justice rendue.
Nous nous prononçons pour le recrutement de conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sur des postes définitifs et nous nous opposons à leur remplacement par des assistants de justice ou à la suppression de la collégialité.
L'augmentation des moyens et des effectifs est plus que jamais nécessaire. Actuellement, en effet, dans certains tribunaux administratifs, les délais de jugement en première instance dépassent trois ans, ce qui est inacceptable pour les parties et incompatible avec une justice équitable.
Au moment où l'on parle beaucoup de la commission de réflexion sur la justice pour rapprocher le justiciable de la justice, au moment où l'on parle de réformer l'Etat pour rapprocher l'usager de l'administration, il est grand temps de prendre les mesures réelles et efficaces qui s'imposent.
La justice administrative devrait être l'un des éléments de la réforme de l'Etat pour que l'individu, qui a des devoirs, ait la certitude que, lorsqu'il a des droits à faire valoir, il est équitablement entendu et défendu.
Avec les lois de décentralisation se sont développés les conflits entre le citoyen et les collectivités territoriales, les mairies ou les conseils généraux, qui se règlent devant le tribunal administratif.
La compétence de la juridiction administrative s'exerce le plus souvent dans les domaines de l'urbanisme, de l'environnement, de la santé, de la fiscalité, de l'immobilier, des droits de succession, de l'Etat civil, des permis de construire, du lycée, de l'université, qui engendrent un contentieux quotidien de plus en plus important.
Le tribunal administratif dispose d'un statut particulier puisqu'il est composé généralement de hauts fonctionnaires issus de l'ENA, qui doivent juger la fonction publique ou l'administration au sens large du terme.
Dès lors, le justiciable est en droit de se poser la question suivante : comment des membres de l'administration, même compétents et indépendants, peuvent-ils juger avec neutralité l'administration ou les services publics ?
Les membres de la commission de réflexion sur la justice devraient s'intéresser de près à cette juridiction spécifique, qui joue - et qui jouera plus encore à l'avenir, un rôle étendu dans la vie du citoyen.
Mes chers collègues, vous le savez, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen mettent au coeur du débat l'augmentation des moyens accordés à la justice, sans laquelle le succès de toute réforme semble, il faut bien le dire, très aléatoire.
Néanmoins, compte tenu de l'amélioration du statut des corps et des personnels qu'il constitue, nous voterons le présent projet de loi.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe socialiste n'a pas d'opposition de principe à ce texte ponctuel - peut-être par trop ponctuel, c'est le reproche que nous pourrions lui adresser.
Les magistrats des tribunaux administratifs voient leur situation améliorée et le déroulement de leur carrière rendu plus normal : ils s'en réjouissent, et nous aussi. Simplement, nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas profité de l'occasion pour améliorer dans le même temps la situation et le déroulement de carrière de l'ensemble des magistrats, non seulement des magistrats de l'ordre administratif mais aussi des magistrats de l'ordre judiciaire, sans oublier les magistrats des chambres régionales des comptes.
C'est pourquoi nous nous permettons de vous demander, monsieur le garde des sceaux, quels sont vos projets en la matière. Le Parlement sera-t-il prochainement saisi de textes comparables à celui-ci mais intéressant, cette fois, les magistrats de l'ordre judiciaire et ceux des chambres régionales des comptes ?
A ce propos, puisque la presse nous annonce aujourd'hui même que de nombreux membres du groupe le plus important du Sénat vont déposer un texte tendant à réduire de manière drastique les pouvoirs des chambres régionales des comptes, je souhaiterais savoir quelle est la position du Gouvernement sur ce point.
J'entends bien que beaucoup d'élus locaux s'irritent quelque peu de voir des chambres régionales des comptes s'occuper non seulement de la légalité de leurs décisions mais aussi, parfois, de leur opportunité.
Cela étant, l'opinion comprendrait mal, me semble-t-il, que les observations des chambres régionales des comptes fassent l'objet d'un « black-out » dès lors qu'il y aurait un appel devant la Cour des comptes.
Nous avons, nous, la gauche, supprimé le contrôle a priori, mais il est évident que le contôle a posteriori doit subsister et qu'il ne doit pas être rendu public des années après !
M. Pierre Fauchon. Ni porter sur l'opportunité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je le répète, monsieur le garde des sceaux, nous serions heureux de connaître votre opinion sur cette question.
Nous regrettons également qu'on n'ait pas profité de l'occasion pour revenir sur la composition du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, alors que des efforts ont été accomplis pour réformer le conseil supérieur de la magistrature judiciaire.
Certes, ces efforts ont été bien insuffisants, notamment en ce qui concerne la nomination des magistrats du parquet, leur carrière et les sanctions qui peuvent leur être appliquées.
En revanche, il convient de noter l'effort d'équilibre qui a été réalisé quant à la composition du conseil au bénéfice des magistrats du siège.
Nous pourrions donc aller dans le même sens en ce qui concerne les magistrats des juridictions administratives. Monsieur le garde des sceaux, avez-vous l'intention de nous faire des propositions à cet égard ?
Enfin, s'agissant des incompatibilités, M. le rappporteur avait, semble-t-il, songé à proposer qu'un ancien député européen puisse être nommé, à l'expiration de son mandat, dans n'importe quelle juridiction, alors que, actuellement, il ne peut être nommé dans aucune juridiction pendant trois ans.
En effet, les titulaires d'un mandat, quel qu'il soit, ne peuvent être nommés pendant trois ans dans leur circonscription. Or la circonscription d'un député européen, c'est la France entière. Autrement dit, dans les trois ans qui suivent l'expiration de leur mandat, les anciens élus peuvent être nommés dans n'importe quelle juridiction administrative à l'exclusion de celle qui correspond à leur ancienne circonscription, sauf les anciens députés européens, qui, eux, ne peuvent être nommés nulle part.
Monsieur le rapporteur était donc enclin, nous a-t-il confié, à proposer qu'ils puissent, au contraire, être nommés immédiatement dans n'importe quelle juridiction administrative, et cela peut se justifier dans la mesure où il en est ainsi pour les magistrats de l'ordre judiciaire qui sont élus au Parlement européen.
Sur cette question, le juste milieu serait, me semble-t-il, susceptible de nous réunir : les anciens députés européens ne devraient pas pouvoir être nommés pendant les trois ans suivant la fin de leur mandat au moins dans les ressorts où ils avaient leur domicile pendant l'année précédant leur élection ou pendant la durée de leur mandat. Nous avons déposé un amendement en ce sens, étant entendu que, à la première occasion, il faudra appliquer la même solution aux magistrats de l'ordre judiciaire, ce que nous ne pouvons proposer aujourd'hui par amendement puisque le statut de la magistrature relève d'une loi organique.
En conclusion, j'indique que, même si ce texte par trop ponctuel appelle les quelques observations que je viens de formuler, le groupe socialiste le votera. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. François Lesein applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. René-Georges Laurin, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. René-Georges Laurin, vice-président de la commission des lois. Monsieur le président, je me permets de demander une suspension de séance d'environ quinze minutes avant que le Sénat n'aborde l'examen des articles.
M. le président. Nous allons donc interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures vingt, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)