M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Elu d'une région frontalière, je peux témoigner de l'indignation et de la colère des salariés de Renault, de ceux de Vilvorde, évidemment, comme de ceux de l'ensemble du groupe.
Cette colère est légitime et nous en sommes totalement solidaires, car la direction de Renault, avec l'accord et le soutien du Gouvernement français, tenu informé depuis le mois de janvier, a décidé de jeter à la rue 3 100 salariés de cette usine belge et programmé, dans l'immédiat, la suppression de trois mille emplois en France.
Leur colère est aussi salutaire, car c'est l'avenir même de Renault qui est en jeu.
On est bien loin de l'Europe sociale promise !
Les salariés de Renault rejettent cette Europe de Maastricht de l'ultralibéralisme qui apparaît au grand jour à Vilvorde. Ils ne veulent plus de cette politique qui considère le travail comme un coût et non comme la richesse d'un pays. Ils rejettent la stratégie de M. Schweitzer, qui privilégie la recherche du profit sur toute autre considération. Car, pendant que l'on casse en Belgique, on impose des heures supplémentaires à Douai et à Cléon. (Vives exclamations sur les travées du RPR.)
Je sais que vous ne vous sentez pas à l'aise, chers collègues du RPR !
M. Jean Chérioux. Parlez donc de tout cela à Fabius !
M. Ivan Renar. Le groupe Renault, c'est l'image de la France. Il a le devoir de montrer l'exemple en matière de réduction du temps de travail sans perte de salaire, en matière de départs en retraite compensés par l'embauche de jeunes. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Ce sont des femmes, des hommes, des enfants, des familles entières qui pâtissent de ces choix inhumains. La force de la réaction des salariés, le symbole de l'irruption de ceux de Vilvorde à Douai, hier, la grève sans frontières de demain montrent que les travailleurs n'acceptent plus d'être considérés comme des pions sur l'échiquier du capitalisme.
Je n'aurai qu'une question, monsieur le Premier ministre : quand allez-vous demander, au nom du Gouvernement, le retrait pur et simple du plan de la direction de Renault, en cessant de dissimuler la responsabilité du Gouvernement français, sur laquelle personne n'est dupe, derrière de faibles remarques sur la méthode ?
M. Schweitzer doit s'en aller !
M. Jean Chérioux. Dites-le rue de Solférino !
M. Ivan Renar. Ce n'est pas la méthode détestable des licenciements qui est en cause, mais ce sont bien les licenciements eux-mêmes et les choix du capitalisme français et européen. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. René-Pierre Signé. Laissez-le parler !
M. Ivan Renar. Les salariés de Renault, je pense à ceux de Douai, de Maubeuge, de Douvrin, mais aussi à ceux de Choisy-le-Roi, de Sandouville, de Flins, de Cergy, sans oublier ceux de la filiale poids lourds, RVI à Vénissieux, dont mon ami Guy Fischer pourrait parler mieux que moi, je pense à tous ceux qui travaillent aux quatre coins de la France, ceux-là et leur famille, et, au-delà, l'ensemble du pays, attendent une réponse claire de votre part, car c'est leur avenir, celui de villes et de régions entières qui est en jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'industrie, décidément très sollicité aujourd'hui ! (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Et le Premier ministre ?
M. Ivan Renar. Monsieur le Premier ministre, vous avez reçu vous-même M. Schweitzer ; il serait intéressant que nous soyons mis au courant !
M. Alain Juppé, Premier ministre. Vous avez, pour cela, un très bon ministre de l'industrie ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça, c'est sûr !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Monsieur Renar, j'ai écouté vos propos. Sachez que vous n'êtes pas le seul à penser à la situation de ces salariés. (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Cela, il faut nous le démontrer, monsieur le ministre !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Je rappelle à ceux que je vois ricaner ici qu'entre 1980 et 1986 ils ont supprimé vingt mille emplois chez Renault ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Et, entre 1980 et 1994 - mais nous n'entendions pas, alors, les mêmes accents qu'aujourd'hui -...
Mme Hélène Luc. Si, si ! Nous, toujours !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... ils en ont supprimé, au total, trente-trois mille,...
Mme Hélène Luc. Et vous, vous faites pire !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... sans permettre cependant à cette entreprise de s'adapter aux conditions de la concurrence. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Non ! Je ne vous reconnais pas le monopole du coeur face à la situation de ces salariés.
M. René-Pierre Signé. Il faut abandonner le plan !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est vous qui les licenciez !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. S'il vous plaît, sur un tel sujet, nous pourrions tout de même tenter de nous écouter les uns les autres. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Si le Premier ministre est intervenu pour rappeler au président-directeur général de Renault les devoirs qui sont les siens vis-à-vis des salariés,...
M. Serge Vinçon. Très bien !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... avec, d'un côté, sa responsabilité en ce qui concerne les restructurations industrielles et, de l'autre, l'exigence qui lui est faite de traiter les problèmes des personnes comme les problèmes des territoires, de restaurer le dialogue social de manière que des solutions puissent être apportées, c'est simplement parce qu'il a, lui, comme vous, ou peut-être plus que vous, le souci de placer l'humain au coeur des préoccupations. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Guy Fischer. C'est toujours la politique du fait accompli !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est honteux !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Ce n'est pas honteux, vous ne savez pas écouter. Vous passez votre temps à crier. Cela ne suffit pas pour résoudre les problèmes !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et vous, vous passez votre temps à licencier !
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas la forme qui est en cause, ce sont les licenciements !
M. le président. Madame Luc, vous n'avez pas la parole.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Par ailleurs, en 1996, il s'est vendu 12,7 millions de véhicules sur l'ensemble de l'espace européen. La capacité de production européenne est de 18 millions de véhicules. C'est dire qu'il y a une très forte surcapacité de production,...
M. Serge Vinçon. Voilà !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... à un moment où les frontières vont s'ouvrir à un grand nombre d'autres constructeurs qui sont bien décidés à venir s'installer et, par conséquent, à développer leurs ventes dès le 1er janvier 2000. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Ivan Renar. Augmentez le pouvoir d'achat !
Mme Hélène Luc. Ce sont les familles modestes qui achètent Renault !
M. Jacques Mahéas. Le Gouvernement est inconséquent.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Il est donc nécessaire d'adapter l'outil de production de l'entreprise pour qu'elle puisse accroître ses gains de productivité et ainsi faire face aux nouveaux comportements du consommateur, et vous savez que celui-ci a comme première préoccupation le prix.
M. Marcel Debarge. Vous n'avez qu'à baisser la TVA !
M. Ivan Renar. Non, ils préfèrent licencier !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Les seuls constructeurs qui se maintiendront sont ceux qui seront capables d'abaisser leur prix pour faire face à la demande effective du consommateur.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Quelle politique ! Bravo !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Il est vrai qu'il y a eu des heures supplémentaires à Douai.
M. Jacques Mahéas. Eh oui !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. La raison en est simple : nous sommes dans la phase de montée en charge d'un nouveau véhicule dont la production sera stabilisée aux alentours de l'été et il est nécessaire, dans cette première phase de demande très forte, de pouvoir adapter les moyens, notamment en sollicitant la participation des salariés à un effort...
Mme Hélène Luc. Alors, créez des emplois à Douai !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... de six mois, de telle manière que l'on stabilise à la fois la production et les effectifs au moment où la production du véhicule aura atteint sa maturité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'Europe n'est en rien responsable de tout cela. Je dirai même plus : le marché unique a eu notamment pour effet d'ouvrir des perspectives de marché à la plupart des entreprises françaises, d'assurer les conditions du développement et de la croissance de bon nombre d'entre elles et, par conséquent, de créer des emplois dans notre pays.
Aujourd'hui, il s'agit simplement, dans un secteur concurrentiel, de trouver, à l'intérieur de l'entreprise, les moyens qui lui permettent de s'adapter à la demande et, du même coup, de rester compétitive. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Claude Billard. Allez donc le dire aux salariés de Renault !
Mme Hélène Luc. Et vous dites cela sérieusement ? C'est inimaginable !

QUESTIONS ÉTHIQUES ET JURIDIQUES
POSÉES PAR LE CLONAGE