DIVERSES DISPOSITIONS RELATIVES
À L'IMMIGRATION

Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 236, 1996-1997), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses dispositions relatives à l'immigration. [Rapport n° 243 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici donc réunis pour réexaminer un texte qui, depuis notre première rencontre, a suscité des controverses et fait se lever des passions.
Il ne me semble pas inutile, dans la sérénité de cette enceinte, de rappeler brièvement les buts et le sens de la politique du Gouvernement.
Nous entendons poursuivre, quoi qu'il arrive, l'objectif de maîtrise des flux migratoires.
Y renoncer, mesdames, messieurs les sénateurs, serait coupable. Qui ne voit qu'en choisissant l'impuissance, le fatalisme ou l'irrésolution, le Gouvernement compromettrait l'intégration des étrangers en situation régulière, le succès d'une politique de la ville ambitieuse et se priverait de l'apport d'une immigration légale justifiée ?
Chacun a pu voir, ces derniers temps, se multiplier les analyses sur la place de l'immigration dans le creuset national. Tant mieux !
Mais, comme l'a rappelé le chef de l'Etat : « Rien ne nuirait davantage à notre modèle d'intégration qu'une attitude laxiste et ambiguë qui viendrait nourrir aussitôt les forces de la haine. »
Ce spectre, nous n'en voulons pas. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement entend tout à la fois que s'appliquent pleinement les lois combattant l'immigration irrégulière, que soient donnés les moyens aux autorités policières, administratives et judiciaires de réprimer le travail clandestin et de démanteler les filières d'immigration illégale, que soient renforcées les procédures visant à la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière.
Tel est le sens de ce projet de loi, qui répond à la situation d'aujourd'hui. Que se passe-t-il en effet aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs ?
On reconduit à la frontière moins d'un étranger sur trois en situation illégale. L'Etat ne fait pas respecter la loi dans sa plénitude. Cela n'est pas acceptable pour la République.
Les filières d'immigration illégale se développent pour le plus grand profit des professionnels du passage clandestin des frontières, qui monnayent le travail des hommes. Cela n'est pas admissible humainement.
Le travail clandestin - le travail « au noir » comme on dit - est un fléau qui progresse. Les étrangers en situation irrégulière sont une manne pour des employeurs peu scrupuleux, qui les font travailler au mépris de leur dignité, dans des conditions qui rappellent celles du temps de Zola. Pouvons-nous rester les bras ballants devant le spectacle d'ateliers où s'entassent des étrangers honteusement exploités ? Cela ne serait pas faire honneur aux droits de l'homme que de tolérer une telle situation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'aimerais que ceux qui prétendent, en toutes circonstances, défendre et incarner ces droits, y réfléchissent et nous permettent de prendre les mesures nécessaires.
Enfin, une fraude considérable se développe par le détournement de visas de court séjour. Ce n'est pas acceptable.
Notre message est donc clair, mesdames, messieurs les sénateurs, et dépourvu d'ambigüité. Il doit être compris de tous ceux qui sont en situation irrégulière sur notre sol et de tous les candidats potentiels à l'immigration illégale.
La France - notre pays - entend fixer elle-même les règles qui président à l'entrée et à la sortie du territoire ; et la France entend elle-même faire respecter ces règles.
La France entend continuer d'assimiler à la communauté nationale les étrangers en situation régulière par le biais d'une politique d'intégration cohérente, dont vous avez pu débattre en d'autres occasions.
La République - celle que nous portons en nous - veut combattre le racisme et la xénophobie et faire reculer les tensions qu'ils engendrent, mais ni par des incantations ni par des slogans.
Oui ! Elle veut faire reculer le racisme, elle veut combattre la xénophobie, mais grâce à la politique et à la prise de décisions ! Le temps des slogans et des incantations est fini.
Le Gouvernement - vous l'avez compris - ne laissera pas se développer une immigration irrégulière qui débouche sur le rejet de l'étranger en général.
Mesdames, messieurs les sénateurs, qu'adviendrait-il de la République si l'on donnait raison à ceux qui défendent par principe l'accueil des étrangers en dehors de tout cadre légal ?
Qu'adviendrait-il si l'on acceptait que l'opinion prévale sur la loi, la manifestation sur le suffrage, ou la désobéissance sur le respect du droit ? (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
MM. Jean-Louis Carrère et Michel Rocard. Personne ne le souhaite !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Bref, que se passerait-il si la République renonçait à ses propres règles, l'Etat à ses propres missions, le Gouvernement à ses propres ambitions ? Rien de bon, assurément, pour la République, pour la République que nous devons défendre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Mahéas. C'est guignol !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Nous voyons bien que, s'il en était ainsi, la cohésion sociale n'y résisterait pas, que le racisme et la xénophobie proliféreraient, que le travail au noir et le libéralisme le plus débridé l'emporteraient.
Oui ! il est temps de dépasser les faux-semblants et de réfuter les faux procès !
L'immigration irrégulière est, pour notre pays comme pour l'ensemble des pays développés,...
Mme Hélène Luc. Qui a laissé faire ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... une menace trop lourde de conséquences pour ne pas la regarder en face, sans illusions, ce qui ne veut pas dire sans humanité.
Assumons-donc la nécessité d'une vraie maîtrise des flux migratoires !
Débattons des réalités nouvelles de l'immigration qui s'est transformée, passant, notamment, d'une immigration de travailleurs à une immigration d'ayants droit.
Récusons la résignation de ceux qui s'accommodent de textes mal appliqués, détournés ou inefficaces. Ignorons les calomnies et les comparaisons de mauvais goût.
Aux caricaturistes, rappelons simplement et fermement que la France d'aujourd'hui n'est ni l'Etat de Vichy ni la tyrannie grecque de Créon ; elle est une démocratie fondée sur le respect du droit. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Gardez votre calme, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, en République, la loi ne résulte pas d'une procédure, elle procède d'une légitimité.
J'ai entendu que l'on invoquait sa force injuste. Mais que veut-on lui substituer ? Est-ce le règne injuste de la force, la domination des groupes de pression ou le verdict des médias ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées travées du RPR et des républicains et indépendants.)
Mme Hélène Luc. La pression de la rue vous a fait reculer, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. J'en appelle à la sérénité ordinaire de la Chambre Haute pour privilégier, comme à son habitude, la qualité de la loi sur toute autre considération.
Le travail remarquable accompli par M. Paul Masson, rapporteur, et par la commission des lois, sous la présidence de M. Jacques Larché, laisse espérer que ce projet de loi sera encore amélioré par le Sénat.
Depuis la première lecture par la Haute Assemblée, ce texte a subi quelques évolutions ; tel est notamment le cas de l'article 1er.
Comme vous le savez, le dispositif concernant les certificats d'hébergement a été aménagé par l'Assemblée nationale.
Mme Joëlle Dusseau. Quelle surprise !
Mme Hélène Luc. Les manifestations servent à quelque chose !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le Gouvernement a ratifié ce choix dès lors qu'était prévu un système alternatif aussi efficace que le projet initial. (Mme Dusseau proteste.)
Tel est bien le cas puisque la formalité désormais prescrite consiste à contrôler la sortie du territoire de l'étranger hébergé, grâce à la remise du certificat d'hébergement au service de police.
La deuxième modification introduite par l'Assemblée nationale consiste à transférer du maire au préfet le pouvoir de viser les certificats d'hébergement. C'est la garantie d'une application homogène de la loi sur tout le territoire. Cela ne saurait signifier, pour autant, la totale mise à l'écart du maire dans cette procédure. Il doit être naturellement informé des certificats d'hébergement intéressant sa commune et pouvoir, le cas échéant, être sollicité pour avis par le préfet.
Le renvoi au décret en Conseil d'Etat prévu à la fin de l'article 1er en fixera les modalités. Il sera aussi l'occasion d'engager une réflexion plus détaillée, en concertation avec l'Association des maires de France.
Ce complément d'analyse permettra, enfin, d'adapter les procédures de remise des certificats aux services de police en fonction des modalités de contrôle aux sorties du territoire.
Le cas le plus simple est celui des frontières aériennes, lorsque l'étranger retourne vers une destination extérieure à l'espace Schengen : les contrôles par les services de police sont généralement systématiques dans un tel cas.
Il en va différemment si le mode de transport est moins étroitement surveillé, par exemple en cas de voyage par la route et en particulier aux frontières de Schengen.
L'article 1er ne saurait évidemment remettre en cause nos engagements au titre de la convention d'application des accords de Schengen. Il n'est donc pas question de faire de cette formalité de remise du certificat d'hébergement à la sortie du territoire un substitut à des contrôles frontaliers.
Il faudra, en conséquence, prévoir, par voie réglementaire, un mode de transmission permettant à l'étranger hébergé de satisfaire à ses obligations.
Enfin je souhaite redire au Sénat ce que j'ai affirmé avec force, à plusieurs reprises, à l'Assemblée nationale : il n'y aura pas de fichier d'hébergeants. (Exclamations ironiques sur les travées socialistes.) Le Gouvernement ne le souhaite en aucune façon et ne le croit nullement nécessaire à la poursuite de son objectif de lutte contre les filières.
Les autres articles du texte n'ont été que marginalement amendés par l'Assemblée nationale ; je n'y reviens donc pas.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi est nécessaire. Mais la fermeté qui l'anime n'est pas aveugle.
Nous avons voulu régler des situations individuelles qui n'étaient pas tolérables.
La République doit savoir se montrer reconnaissante envers ceux qui ont fait la preuve de leur volonté de partager avec nous un destin commun.
C'est la raison pour laquelle l'article 4 de ce projet de loi permet de mettre un terme à certaines situations aussi douloureuses qu'inhumaines.
L'équilibre de ce texte est réel. Ceux qui voudraient y voir un instrument dirigé contre les étrangers dans leur ensemble se trompent ou veulent tromper les Français. (Protestations sur les travées socialistes.)
A tous les étrangers en situation légale, je dis que ce projet de loi ne les concerne pas.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ben voyons !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. A tous ceux qui ne veulent pas le comprendre ou l'entendre, je redis que notre seul but est de combattre sans merci - j'y insiste ! - des filières d'immigration clandestine, dont la constitution et la propagation constituent des dangers pour l'équilibre de la société et notre modèle républicain.
Affirmer le contraire, ce n'est ni rendre service à la cause de l'intégration ni agir efficacement en faveur des droits de l'homme.
Bien entendu, la politique du Gouvernement ne se résume pas en la matière à la lutte contre l'immigration irrégulière, ni même à la lutte contre le travail dissimulé qu'illustrent des dispositions de l'article 10 ainsi que le projet de loi présenté par M. Barrot et adopté par le Parlement.
La politique du Gouvernement prend forme également dans les efforts d'intégration des étrangers en situation régulière dont l'aboutissement est l'attribution de la nationalité française, qui reste chez nous plus facile qu'ailleurs.
Mais peut-on reprocher au ministre de l'intérieur de faire sa part du travail ?
Peut-on se contenter de parler d'intégration sans lutter contre ce qui la menace ?
Peut-on combattre l'extrémisme sans se donner les moyens de réduire ce qui l'alimente ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, en votant ce texte, le Sénat répondra clairement à ces questions, autant qu'il apportera, j'en suis sûr, les bonnes réponses à l'un des vrais problèmes de la société française : la lutte contre les filières d'immigration irrégulière, qui mettent en cause la République et ses fondements. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le mois de décembre dernier, le projet de loi qui nous réunit encore une fois aujourd'hui a fait couler beaucoup d'encre et beaucoup de salive. Je croyais au départ que sa technicité même le mettrait à l'abri des grandes polémiques.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On sait lire !
Mme Hélène Luc. Ah !
M. Paul Masson, rapporteur. Je me suis trompé. Tout débat sur l'immigration porte en lui les passions extrêmes, comme la nuée porte l'orage.
M. Paul Masson, rapporteur. Il s'agit, en effet, de l'idée que nous nous faisons de la France et de la place de notre pays dans le monde. Notre longue histoire, notre traditionnelle politique d'accueil, nos exceptionnelles facultés d'intégration ont porté le rayonnement de notre culture largement au-delà de nos frontières. Saurons-nous, aux portes du troisième millénaire, maintenir demain cette place au coeur de la nouvelle morale du monde ? Saurons-nous, en même temps, préserver notre identité nationale, assurer la sécurité de nos cités, celle de nos concitoyens, et affirmer aussi la crédibilité de nos institutions, confrontées aux fractures sociales nouvelles comme à la montée des intégrismes ?
Non, mes chers collègues, ce débat ne saurait être médiocre. Il est difficile, parce que nous devons enfermer nos passions dans un laborieux cheminement que nous impose l'analyse de textes compliqués, mais qui recouvrent toujours des situations profondément humaines, parfois douloureuses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Paul Masson, rapporteur. Sur ce terrain, l'éloquence est facile.
M. Jean-Luc Mélenchon. L'éloquence est toujours difficile !
M. Paul Masson, rapporteur. L'opinion est toujours sensible à l'injustice. De même, l'opinion s'inquiète des poussées de l'intolérance : elle se rallie facilement aux thèmes simplificateurs. Les discours et l'image prennent alors la vérité en otage. De même que les tumultes n'ont jamais effacé la réalité, de même les bruits de la rue ne feront jamais disparaître les exigences de nos concitoyens.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sont souvent les mêmes !
M. Paul Masson, rapporteur. Ceux qui ont gouverné savent très bien tout cela. Ils seraient avisés, aujourd'hui, de ne pas l'oublier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
En cette matière, je n'ai jamais voulu tenir pour insignifiant ce qui est excessif. Je veux, en effet, croire que l'indignation, sur un tel sujet, n'est pas forcément médiocre, qu'elle n'est pas obligatoirement le fruit du calcul ou de la démagogie. J'ai pensé que certains de ceux qui nourrissent la polémique ont encore le souvenir du temps où ils gouvernaient. Ceux-là même qui étaient alors au charbon savent très bien, surtout en cette matière, que les grands sentiments ne suffisent pas à habiller la réalité. C'est cette réalité qui, tous les jours, conduit les Français et les étrangers à cohabiter dans l'esprit qui nous anime, comme dans les contraintes qui nous obligent. (MM. Machet et Chérioux applaudissent.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si vous rapportiez !
M. Paul Masson, rapporteur. Dans cette affaire, le Sénat a joué un rôle majeur et pondérateur.
Mme Hélène Luc. Il faut qu'il aille plus loin !
M. Paul Masson, rapporteur. Le texte gouvernemental, calibré au plus près pour compléter ou amender les lois de 1993, avait été profondément remanié par l'Assemblée nationale : il nous est arrivé avec douze articles supplémentaires, qui s'ajoutaient aux dix articles du projet de loi initial, et certaines propositions du texte, notamment à l'article 4, avaient été supprimées.
L'imbroglio juridique demeurait donc, dans lequel sont encore enfermés certains étrangers, toujours ni éloignables ni régularisables.
Par ailleurs, des adjonctions substantielles avaient été apportées par l'Assemblée nationale, notamment l'accès au fichier dactyloscopique détenu par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA.
Suivant en cela les propositions de la commission des lois, la majorité sénatoriale avait fortement amendé le projet de loi. Trois mobiles nous avaient alors guidés dans cette voie : premièrement, porter une attention minutieuse aux interprétations constitutionnelles ; deuxièmement, veiller au meilleur respect des libertés individuelles ; troisièmement, s'assurer de la plus grande efficacité dans cette lutte difficile et indispensable contre l'immigration clandestine.
A l'exception de l'article 1er, profondément transformé et sur lequel je vais revenir, l'Assemblée nationale, dans sa deuxième lecture, a globalement accepté la plupart des positions adoptées par le Sénat. Aujourd'hui, sept articles restent à examiner sur les vingt-deux qui avaient été transmis, en première lecture, à notre assemblée.
Ce constat pouvait tout naturellement conduire certains à considérer qu'un vote conforme nous permettrait d'en finir au plus vite avec un débat qui s'est transformé en psychodrame national, par la grâce des médias - il faut bien le dire ! - toujours prompts à s'emparer du spectacle, surtout lorsqu'il est produit par ceux-là mêmes qui en font profession. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. C'est incroyable ! Quand les citoyens manifestent, il faut bien en rendre compte !
M. Paul Masson, rapporteur. On peut, en effet, avoir aujourd'hui la tentation de tirer le rideau sur une pièce qui commence à lasser, après que les protagonistes ont épuisé le meilleur de leur art, au bénéfice d'un répertoire insuffisamment renouvelé. « L'éloquence continue ennuie », disait déjà Pascal. Et nous sommes bien placés, ici, pour savoir qu'il avait raison.
Mme Hélène Luc. Ce que vous dites est méprisant !
M. Paul Masson, rapporteur. Cependant, je n'ai pas répondu à la tentation de suivre cette pente facile, qui nous aurait conduits, sans douleur, au vote conforme. Sans douleur peut-être, mais aussi avec une certaine complicité dans l'indulgence. Comment justifier, en deuxième lecture, l'abandon de propositions qui nous paraissaient capitales en première lecture ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Paul Masson, rapporteur. Je vais donc défendre, au nom de la commission des lois, quelques amendements dont l'aspect technique ne doit pas cacher la grande importance juridique pour la validation d'un texte qui touche - faut-il encore une fois le rappeler ? - aux libertés fondamentales.
Je n'entre pas ici dans le détail du texte, vous renvoyant à mon rapport écrit pour l'analyse exhaustive de ses articles et au débat qui nous attend pour les amendements.
Il reste, mes chers collègues, l'article 1er. Celui-ci fut, pendant deux mois, dans l'épicentre du cyclone. Pourquoi le certificat d'hébergement fut-il la cause de tant d'ardeur, dont nous eûmes quelques exemples ici-même ?
C'est pour moi un mystère. Seuls les politologues pourront, peut-être, nous donner plus tard quelques motifs plausibles à ces emballements qui ne manquent pas de surprendre pour peu qu'on veuille bien lire ou relire le Journal officiel à froid, comme je me suis imposé de le faire. Il suffisait de se souvenir que cet article 1er a un long passé pour en comprendre toute la signification. C'est un texte qui date de quinze ans.
M. Guy Allouche. Sans la délation !
M. Paul Masson, rapporteur. Proposé par un ministre de l'intérieur qui, déjà en 1982, se préoccupait des effets des 130 000 régularisations décidées alors, il avait pour objet de freiner une des sources indéniables de l'immigration clandestine.
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes vraiment nostalgique !
M. Paul Masson, rapporteur. Dans une circulaire du 31 août 1982, adressée aux préfets, le ministre de l'intérieur donne alors des précisions qui n'ont aujourd'hui rien perdu de leur actualité. Je les commenterai demain.
Il en est de même d'une autre circulaire d'un autre ministre de l'intérieur encore adressée aux préfets. Elle est, celle-là, du 16 octobre 1991. Elle concerne un décret du 30 août 1991 et constitue encore aujourd'hui la base des instructions sur lesquelles s'appuient les maires pour viser ces certificats.
M. Dominique Leclerc. Très bien !
M. Charles Descours. Eh oui ?
M. Jean-Louis Carrère. Sans la délation !
M. Jean Chérioux. Quelle mauvaise foi !
M. Paul Masson, rapporteur. Ses objectifs sont clairs : « Rendre plus fiable le certificat d'hébergement grâce à des conditions de délivrance plus rigoureuses.
« En conséquence, renforcer l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière. » (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Charles Descours. C'est signé !
M. Paul Masson, rapporteur. C'est signé, bien sûr !
Là encore, je développerai l'analyse demain.
Revenons sur les instructions que les maires ont reçues sur ce que l'on n'appelait pas encore « le fichier » : 1991, on leur enjoint, « en tant qu'agents de l'Etat, d'enregistrer et de numéroter, de façon séquentielle, par année, les demandes de certificat en distinguant les certificats visés et les certificats refusés ». C'est clair, non ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Larcher. Cela s'appelle comment ?
MM. Christian Poncelet et Charles Descours. C'est un fichier, cela ! (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. Quand vous faites quelque chose de bien, reconnaissez-le. Cela ne vous arrive pas si souvent !
M. Paul Masson, rapporteur. La circulaire commente encore les conditions dans lesquelles les préfets devront chaque mois renseigner le ministère de l'intérieur sur l'évolution des certificats et sur la nationalité de ceux qui les demandent.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'y a pas de délation des particuliers !
M. Paul Masson, rapporteur. Dans le projet gouvernemental actuel, il était prévu d'ajouter à ce dispositif l'obligation pour celui qui avait demandé à héberger de déclarer le départ de celui qu'il hébergeait.
M. Claude Estier. Voilà la délation ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Paul Masson, rapporteur. Devant le hourvari soulevé par cette fameuse déclaration de sortie, l'Assemblée nationale a changé le dispositif.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait commencer par là !
M. Paul Masson, rapporteur. Dans le nouveau texte, le préfet remplace le maire.
M. Jean-Louis Carrère. Votez contre !
M. Paul Masson, rapporteur. C'est donc lui qui visera le certificat d'hébergement.
M. Jean-Louis Carrère. Votez contre !
M. Paul Masson, rapporteur. Des questions se posent à partir de là et nous y répondrons lors de l'examen des nombreux amendements qui ont été déposés sur l'article 1er. Mais je voudrais vider ici, dès maintenant, un nouveau faux débat qui point à ce sujet.
Le Sénat, si attentif au respect des privilèges et des prérogatives des maires, ne devrait-il pas s'émouvoir de ce que certains ont déjà qualifié de « recul de l'esprit de décentralisation » ? (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Christian Poncelet. Eh oui !
M. Paul Masson, rapporteur. A ce stade, il doit être, une fois encore, rappelé que la décentralisation n'a rien à voir avec notre affaire.
Le maire agit comme agent de l'Etat quand il vise un certificat d'hébergement ; cela a été affirmé, dès 1985, par un arrêt du Conseil d'Etat, et confirmé, en 1993, par une décision du Conseil constitutionnel. Mais, en complément, je tiens aussitôt à ajouter que, demain, le préfet ne pourra pas se passer du maire en matière d'information préalable à la délivrance du visa des certificats.
Il serait irréaliste et dangereux d'imaginer qu'un service préfectoral puisse seul remplacer l'appréciation que peuvent porter sur la demande le maire et ses services. C'est le maire qui est sur le terrain. (Absolument ! sur les travées du RPR.)
De même, il serait irresponsable de priver le maire de toute information sur la décision prise par le préfet. C'est le maire qui est comptable de l'administration de sa ville, c'est lui qui assume toutes les responsabilités de proximité vis-à-vis de ses concitoyens.
Maires et préfets sont, à cet égard, les deux maillons indissociables d'une procédure de souveraineté qu'ils tiennent de la loi. Il serait déraisonnable de briser cette chaîne au simple motif de l'humeur du temps, à partir d'un débat dont certains commencent à percevoir la vacuité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je ne proposerai pas d'amendement sur l'article 1er, dès lors, monsieur le ministre, que vous nous direz, comme vous l'avez déjà fait à l'Assemblée nationale, mais dans une formulation plus complète, que le décret d'application à venir sera, à cet égard, sans la moindre ambiguïté : le maire devra être associé à la préparation de la décision préfectorale, de même qu'il sera informé de cette décision.
MM. Jean-Pierre Fourcade et Gérard Larcher. Très bien !
M. Paul Masson, rapporteur. Sous réserve de cette précision, attendue, vous n'en doutez pas, avec le plus grand intérêt, je ne présenterai pas d'amendement sur ce point, d'abord parce que la mesure est de nature réglementaire, mais surtout parce que nous nous situons d'une manière inattendue mais, ô combien impressionnante, sur un terrain subjectif, passionnel, psychologiquement instable. Je ne pense pas utile de rouvrir en ce moment, sur l'article 1er, un débat particulièrement factive où le spectacle est plus dans le décor que dans le texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées socialistes.)
En revanche, je présenterai trois amendements, approuvés par la commission des lois, aux articles 3, 6 bis et 8 du projet de loi. Je les commenterai dans le cours de la discussion des articles.
Pour le reste, et cela sera ma conclusion, je souhaiterais qu'il ne reste pas uniquement de cet ample, mais un peu stérile débat ce goût d'amertume et cette impression d'inachevé qui nous viennent à chaque fois que nous débattons de l'immigration.
Il faudra bien en convenir un jour : il n'y a pas, en ce domaine si difficile, d'un côté, ceux qui sont dans le camp de la morale, qui pratiquent la générosité,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais si !
M. Paul Masson, rapporteur. ... ceux qui protègent les droits de l'homme et de l'autre côté, les maniaques de l'ordre, les obstinés, les frileux ou les égoïstes.
M. Jean-Luc Mélenchon. Bien sûr que si !
M. Paul Masson, rapporteur. Il y a, j'en suis persuadé, ici et là, des hommes et des femmes de bonne foi qui ont, en cette matière où le droit des gens est toujours en première ligne, le permanent souci de faire respecter notre droit souverain et inaliénable de contrôler les accès de notre pays tout en restant intransigeants sur notre aptitude traditionnelle à l'accueil.
Même s'il est vrai que toute la misère du monde ne peut trouver abri chez nous, la France est depuis si longtemps aux avant-postes qu'il serait insupportable que l'on puisse nous faire à ce sujet, de l'intérieur comme de l'extérieur, le moindre procès d'intention. Et j'invite notamment certains, confortablement installés dans des enceintes étrangères, à bien vouloir balayer leur propre pas de porte avant de commenter l'ordonnancement de notre jardin ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. C'est pour le Parlement européen !
M. Paul Masson, rapporteur. Pour ma part, je me suis employé à faire, sur ce texte, et dans ce contexte, un travail objectif. Je tiens à associer dans un même remerciement M. le ministre de l'intérieur, qui a pris, en toutes occasions, un soin particulièrement attentif à l'examen de nos observations, et notre assemblée, qui, dans sa forte majorité, a fait confiance à la commission des lois, sans faiblesse et sans hésitation.
Sur les amendements que je défendrai, au nom de la commission des lois, je sollicite cette confiance, et je suis convaincu qu'elle sera accordée avec la même...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le même aveuglement !
M. Paul Masson, rapporteur. ... avec la même force tranquille...
M. Jean-Louis Carrère. Cela fait beaucoup d'emprunts !
M. Paul Masson, rapporteur. ... et dans le même esprit d'objectivité. (Applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pourrons pas faire que ce qui s'est passé ne se soit pas produit.
Ayant suscité une émotion légitime chez certains, une agitation factice pour d'autres, le projet de loi que vous nous avez présenté, monsieur le ministre, et que nous avons soutenu parce que nous sommes une majorité qui a la volonté d'appuyer l'action du Gouvernement, nous revient modifié.
Cette modification porte sur un point que certains considèrent comme essentiel.
Qu'en est-il en réalité ?
Nous gardons le souvenir de certains propos qui - je voudrais le croire - ont dépassé, sous le coup d'une émotion feinte ou réelle, la pensée de ceux qui les ont tenus.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. En termes également émouvants et également sincères, après que j'ai cru devoir, en séance publique, rappeler un ancien Premier ministre aux convenances nécessaires, Paul Masson et Robert Badinter, qui savent, eux, pour les avoir durement vécues, ce que furent certaines réalités, ont, l'un et l'autre, au sein de notre commission, exprimé notre sentiment commun.
M. Michel Rocard. Est-ce moi que vous mettez en cause, monsieur le président de la commission ?
M. Jacques Larché, président de la commission. J'ai parlé d'un ancien Premier minsitre : je n'en vois pas beaucoup d'autres que vous, aujourd'hui, sur ces travées. (Sourires et applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Michel Rocard. C'est inadmissible !
M. Josselin de Rohan. Et pourquoi ?
M. Michel Rocard. Au moins, que ce soit clair !
M. Jean-Louis Carrère. Il y a un autre Premier ministre, ici, vous le savez !
M. Josselin de Rohan. M. Badinter vous a condamné !
M. Jacques Larché, président de la commission. J'aurais souhaité, pour ma part, monsieur le ministre, que l'on dise à certains juges que l'honneur d'un magistrat, en toute circonstance, consiste à respecter le devoir de réserve que la loi lui impose. Si une loi ne lui plaît pas, qu'il ait le courage de démissionner ! D'autres, en leur temps, ont su le faire.
MM. Paul Masson, rapporteur, et Pierre Fauchon. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous avons accepté, monsieur le ministre, le texte qui nous revient modifié de l'Assemblée nationale pour une raison essentielle : une agitation médiatique s'est développée autour de l'article 1er.
Nous ne devons pas pour autant oublier que, pour l'essentiel, ce dont nous déplorons la disparition est issu des propositions de M. le rapporteur, soutenues par la majorité de la commission et adoptées, mes chers collègues, par vous-mêmes.
La nouvelle rédaction de l'article 1er est-elle meilleure ? Son auteur, bien évidemment, le pense. Peut-être ne connaît-il pas suffisamment tous les impératifs qui pèsent sur notre vie quotidienne.
Nous, nous sommes au fait de la réalité locale. (Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants.)

Nous estimons que le nouvel article 1er risque d'être totalement inopérant et qu'il aurait peut-être des résultats très inférieurs à ceux qui découlent de la réglementation actuelle si des précisions nécessaires n'intervenaient pas.
M. Josselin de Rohan. C'est certain !
M. Jacques Larché, président de la commission. Un décret, je vous en donne acte, monsieur le ministre, doit être pris par le Gouvernement. Ce décret devra impérativement préciser, entre autres choses, le rôle des maires. Il faudra que ceux-ci soient consultés avant la délivrance des certificats d'hébergement. Ils devront être également informés des certificats délivrés dans leur commune.
De débat en débat, de modification en modification des règles établies, où en sommes-nous ?
Mes chers collègues, je ne me sens, et vous ne vous sentez, j'en suis sûr, nullement « lepénisés ». Nous entendons, au contraire, retirer à ce mouvement extrémiste les raisons de son action.
Pour nous, l'immigration légale est une réalité. Nous voulons faire en sorte que ceux qui vivent régulièrement sur notre sol aient un statut protégé et paisible. Et, pour ma part, je souhaiterais qu'un jour ils aient tous la faculté de devenir des Français à part entière.
Nous le savons bien, mes chers collègues, nous devrons un jour, en dehors de tout climat passionnel, comme c'est notre devoir, réfléchir sur l'ensemble du problème de l'immigration.
Notre défaut d'analyse globale en la matière pourrait en effet paraître préoccupant. Sans aller au fond des choses, parce que ce n'est pas l'objet de notre débat, on peut néanmoins, en cet instant, indiquer quelques-uns des éléments de cette nécessaire réflexion.
Quelle est, tout d'abord, notre conception de l'immigration, sachant que l'immigration zéro n'est qu'un leurre ?
A quel critère doit répondre la venue d'un immigré sur notre sol ? L'utilité nationale ou le droit qu'il aurait de bénéficier de notre accueil ?
L'immigration, je l'ai déjà dit et je le répète, est-elle de nature à favoriser cet aspect essentiel de notre génie qu'est la défense de la francophonie ?
A ce propos, monsieur le ministre, est-il exact que le nombre d'étudiants japonais admis en France tend à dépasser celui des étudiants algériens et, dans l'affirmative, n'est-ce pas inquiétant ?
M. Claude Estier. Bonne question !
M. Jacques Larché, président de la commission. Est-il exact que des maires qui voulaient se rendre à un congrès de communes francophones n'aient pas reçu l'autorisation de passer par la France et aient dû faire le détour par des Etats étrangers ?
M. Claude Estier. C'est exact !
M. Jacques Larché, président de la commission. Enfin, de ces immigrés, que voulons-nous faire ?
Samedi après-midi, grâce à l'initiative qu'avait prise notre président, 321 filles et garçons étaient rassemblés dans notre hémicycle. Je me permets de souligner au passage que, sans qu'un quota ait été imposé, il y avait 52 % de filles pour 48 % de garçons. (Sourires.)
Ils ont établi une charte dont le contenu nous a frappés par sa maturité et par le sens des valeurs qu'ils y exprimaient.
Ils ont désigné l'un d'entre eux, et il s'est trouvé que c'était une jeune fille, pour en être le rapporteur général. Manifestement, les parents de cette jeune fille étaient venus d'un ailleurs lointain. En l'écoutant, nous pouvions être fiers d'elle et nous pouvons être fiers de nous, car nous avions sous les yeux la preuve de ce dont la France est capable lorsqu'elle dispense ce qu'il y a de meilleur en elle. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
MM. Claude Estier et Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas la loi Debré !

(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes.
Groupe socialiste, 37 minutes.
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes.
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes.
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes.
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
La parole est à M. Bonnet. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, six semaines se sont écoulées depuis l'examen, en première lecture, du texte dont nous sommes appelés à débattre.
Que s'est-il passé depuis le 4 février dernier ?
Sur un plan en quelque sorte institutionnel, une ouverture est intervenue, sur l'article 1er, à l'Assemblée nationale, et le Gouvernement y a donné son accord. Notre excellent rapporteur ainsi que l'éminent président de la commission des lois en ont développé l'économie avec la conscience que chacun se plaît à leur reconnaître ; cela me dispense d'y revenir.
Paradoxalement, cette concession a conduit le parti socialiste, qui avait axé l'essentiel de son hostilité au projet de loi sur l'article 1er,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
M. Christian Bonnet. ... à durcir sa position, jusqu'à demander le retrait pur et simple du texte. (Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est faux !
M. Claude Estier. Nous l'avons demandé depuis le début !
M. Christian Bonnet. Qu'il l'ait demandé depuis le début ou qu'il l'ait demandé par la suite, il demeure fidèle à un stigmate dont on pouvait le croire guéri après douze années d'exercice du pouvoir : celui qui consiste à tourner le dos à la réalité pour lui préférer l'idéologie. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jacques Mahéas. C'est surtout une question d'idéal !
M. Christian Bonnet. Ainsi s'attache-t-il à culpabiliser toute initiative visant, sinon à tarir, du moins à canaliser un flot dont la crue nourrit le racisme.
M. Emmanuel Hamel. Il ne se sent pas coupable !
M. Christian Bonnet. Ainsi cultive-t-il l'amalgame entre l'indispensable vigilance dont témoigne le projet de loi et les anathèmes outranciers d'une formation que, après l'avoir tirée du néant des suffrages, il contribue à valoriser par inconscience, à moins que cela ne soit par calcul. (Applaudissements sur les mêmes travées. - Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Quelle honte !
M. Alain Vasselle. C'est une stratégie politicienne !
M. Christian Bonnet. Ainsi, certains de ses membres - certains seulement, car plusieurs de nos collègues du groupe socialiste, comme vient de le dire M. le président de la commission des lois, ont marqué leur réprobation de cette infamie - se sont aventurés jusqu'à opérer des rapprochements où le grotesque le dispute à l'odieux. Et ce n'est pas sans une certaine tristesse que l'on a pu entendre deux anciens Premiers ministres, l'un ici même - et il sait que j'ai toujours nourri pour lui une très grande estime - l'autre au Palais-Bourbon, prendre leur part de cet égarement.
Notre estimé collègue Guy Allouche avait, voilà un mois, plaidé pour une refonte de l'ensemble de la législation sur l'immigration.
Aussi bien ma curiosité a-t-elle été avivée par l'information relative à un document de travail soumis, mercredi dernier, à la commission sur l'immigration du bureau national du parti socialiste. (Ah ! sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une obsession !
M. Christian Bonnet. Il ne s'agit, certes, que d'une contribution sujette à débat sur une question à propos de laquelle la position du parti est apparue confuse à plus d'un, mais sa lecture m'a laissé comme interdit.
M. Jacques Mahéas. Heureusement pour nous !
M. Christian Bonnet. Qu'on en juge plutôt !
Les sanctions pour séjour irrégulier seraient limitées aux opérations à but lucratif.
Un référé serait instauré pour les étrangers en instance d'éloignement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quelle horreur ! (Sourires.)
M. Christian Bonnet. Les immigrés se verraient proposer un contrat précisant « leur projet de vie », ce qui permettrait leur « suivi social ». (Oh là là ! sur les travées socialistes.)
Les différends avec l'administration seraient arbitrés - je dis bien : « arbitrés » - par une commission de suivi et de médiation, alors que la maîtrise des mouvements de population est une prérogative qui n'est contestée à l'Etat dans aucun système juridique.
M. Claude Estier. Mais avez-vous au moins lu le document ?
M. Christian Bonnet. Et, pour couronner le tout, la direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, la DICCILEC, anciennement dénommée « police de l'air et des frontières », serait retirée au ministère de l'intérieur pour être rattachée à celui des affaires sociales ! (Rires sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Affreux ! (Rires sur les travées socialistes et du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Christian Bonnet. Face à un tel monument d'irréalisme, comment ne pas demeurer pantois ?
Un tel désordre dans les esprits surprend, et le mot est faible, venant d'une formation qui, après avoir exercé la responsabilité du pouvoir, ambitionne de l'assumer à nouveau. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Un désordre de cette nature ne saurait, en revanche, surprendre de la part de personnages en mal de vedettariat, d'associations zélatrices d'une éthique de la complaisance, de récidivistes de la pétition, voire d'intellectuels dont Mme Arlette Laguillier a fort bien dit, dans un éditorial de Lutte ouvrière du 23 février dernier... (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. C'est la meilleure ! Bonnet et Arlette : le nouveau couple infernal ! Rome n'est plus dans Rome ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne citez tout de même pas Arlette ! Moralement, ce serait discutable !
M. le président. Mes chers collègues, écoutez au moins l'orateur !
M. Christian Bonnet. Attendez ! vous allez voir !
Mme Arlette Laguiller écrit donc fort justement, à propos des intellectuels, qu'ils sont, « pour la grande majorité, loin des préoccupations des travailleurs, y compris des travailleurs immigrés ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Ivan Renar. Pauvre Arlette !
M. Dominique Braye. Ils n'ont d'intellectuels que le nom !
M. Christian Bonnet. Tant d'intellectuels - je parle ici des vrais, pas de la cohorte des « pseudos » - se sont trompés avec tant de constance tout au long de ce siècle - Drieu la Rochelle, Céline avant-hier,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce sont eux, pour vous, les vrais intellectuels ? Vous oubliez Brasillach ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Ils n'étaient pas des intellectuels, ils étaient des « collabos » !
M. Christian Bonnet. ... Jean-Paul Sartre, Aragon hier - que l'on ne saurait s'étonner de la présence sur le pavé parisien de tel ou tel, à peine sorti de l'abattement où l'avait plongé le désastre culturel dont il s'était fait le complice.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vous qui faites le tri des intellectuels ?
M. Christian Bonnet. « J'aime les paysans, disait Montesquieu, ils ne sont pas assez instruits pour raisonner de travers. » (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mais il est temps de quitter un espace de dérèglements et de mettre l'accent sur quelques vérités premières.
Nous vivons dans un monde de signes, où toute loi comme celle-ci a une utilité d'annonce en direction des pays de forte émigration et où, à l'inverse, toute déclaration inconséquente y résonne comme un appel au départ.
Nous vivons dans un monde où les postes de travail, aujourd'hui limités par les avancées techniques et les progrès de la productivité, iront de plus en plus à des hommes et à des femmes détenteurs d'une qualification que jeunes et moins jeunes issus du tiers ou du quart monde ne possèdent pas, malheureusement pour eux. Si bien que prêcher la faiblesse vis-à-vis de l'immigration irrégulière et entretenir autour d'elle un climat émotionnel relève de l'inconséquence. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Nous vivons dans un monde de violence, et, si nous faisons nôtre l'émotion face à des situations de détresse, nous n'oublions pas, nous, pour autant, celle qu'appellent d'autres situations que les images télévisées ne véhiculent guère... ou pas du tout !
Nous ne passons pas sous silence le drame vécu par les conducteurs de bus, les machinistes du RER, les cheminots du réseau Nord agressés sur leur lieu de travail, le traumatisme éprouvé par les fonctionnaires de police traités avec sauvagerie sitôt identifiés, l'appréhension de ceux de nos compatriotes, le plus souvent de condition modeste...
M. René-Pierre Signé. Démagogie !
M. Christian Bonnet. ... qui se sentent en danger dans des quartiers où le désoeuvrement de trop d'irréguliers les accule à la délinquance.
M. Jean-Luc Mélenchon. Irréguliers ?
M. Christian Bonnet. Nous visons dans un monde ainsi fait...
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous n'y vivez pas !
M. Christian Bonnet. ... que le rayonnement de notre culture ne doit pas être recherché dans le déversement, à l'intérieur de l'Hexagone ou encore outre-mer - je pense à notre collègue M. Othily - de populations frustrées dont le comportement tend à frapper de vanité toute ambition d'intégration, mais doit bien plutôt être recherché dans la mise à disposition de pays encore éloignés de tout développement, des moyens et des hommes à même de les faire progresser.
Nous vivons dans un monde ainsi fait que s'y développent partout des réflexes de défense contre des flux incontrôlés de nature à menacer les équilibres sociaux et les identités nationales.
En janvier, le chancelier Kohl, son ministre des finances, M. Theo Waigel, et le président du plus puissant des syndicats allemands, l'IG Metall, tiraient la sonnette d'alarme.
En février, c'est l'Autriche, dont le président et le chancelier sont socialistes, qui met au point des mesures drastiques allant de la restriction du regroupement familial au retrait des permis de séjour aux étrangers sans travail y vivant depuis moins de huit ans.
Un sénateur socialiste. Ils le regrettent déjà !
M. Christian Bonnet. Nous vivons dans un monde où, nulle part, la législation relative à l'immigration irrégulière n'est plus tolérante que la nôtre...
M. René-Pierre Signé. Pas grâce à vous !
M. Christian Bonnet. ... ce dont la limitation à dix jours, hélas ! du délai de rétention fournit le témoignage le plus incontestable.
Dans un tel contexte, s'élever contre les mesures - modestes au demeurant - dont est porteur le projet du Gouvernement relève d'une inconscience...
M. René-Pierre Signé. C'est honteux !
M. Christian Bonnet. ... que les Français ont d'ailleurs condamnée sans appel, en dépit - ou à cause ? - d'une assourdissante orchestration médiatique. (Exlamations sur les travées socialistes.)
M. Michel Moreigne. Ce n'est pas vrai !
M. Jacques Mahéas. Vous parlez pour vous !
M. Christian Bonnet. Ce débat, mes chers collègues, et ses prolongements en dehors des enceintes du Parlement, auront eu, en définitive, un immense mérite : celui de clarifier, aux yeux de l'opinion, les positions des uns et des autres.
M. Alain Vasselle. C'est exact !
M. Christian Bonnet. D'un côté - celui de la majorité qui soutient le Gouvernement - on estime que l'insertion des populations installées en France, plus difficile, paradoxalement, pour les générations nées sur notre sol, pose assez de problèmes pour nous interdire d'y ajouter ceux qui naissent d'une immigration désordonnée.
De l'autre - celui d'une opposition qui, reconnaissons-lui au moins ce mérite, n'avance pas en ce domaine masquée - on se livre pour la énième fois à des critiques récurrentes sans articuler la moindre proposition raisonnablement constructive.
Traduites en langage clair, ces critiques reviennent, par référence à un slogan né voilà bientôt trente ans, à proclamer qu'il est « interdit d'interdire » à un irrégulier de s'installer, au mépris des lois de la République, sur notre territoire.
M. Claude Estier. Qui a dit cela ?
M. Christian Bonnet. J'ai dit : « Traduites en langage clair, ces critiques reviennent... »
M. Jean Chérioux. C'est l'évidence !
M. Claude Estier. Traduites par vous !
M. Jacques Mahéas. Vous interprétez tout !
M. Christian Bonnet. D'un côté, on combat ce qu'il faut bien appeler un danger. De l'autre, on s'en accommode.
Entre l'une et l'autre de ces attitudes, les Français, dans un an, trancheront. (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et comment !
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi dont nous délibérons en deuxième lecture ne méritait sans doute pas de faire l'objet des excès oratoires qu'il suscite depuis quelques semaines.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas gentil pour M. Bonnet !
M. Emmanuel Hamel. Ce n'était pas un excès, c'était un sommet !
M. Jean-Jacques Hyest. C'était un excellent discours. Quant aux excès oratoires que j'évoquais, ils ne provenaient pas, sauf exception, de cet hémicycle.
M. Jacques Mahéas. De l'extrême droite !
M. Jean-Jacques Hyest. Bien entendu, et c'est la rançon de notre société médiatisée, un seul point du texte a focalisé lors de son examen en première lecture l'attention de l'opinion publique. Si maintenant certains réclament le rejet pur et simple de l'ensemble du texte, c'est qu'ils ont sans doute pensé que, puisqu'il n'y avait plus rien à dire sur l'article 1er, il fallait trouver autre chose pour relancer un débat sur l'immigration.
M. Claude Estier. Nous l'avons demandé depuis le début, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous ferai observer que demander la suppression de l'article 4 paraît paradoxal pour des défenseurs des droits de l'homme.
M. Claude Estier. D'accord, on garde l'article 4 !
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne comprends pas davantage qu'en vrai défenseur des droits de l'homme on puisse refuser les dispositions en faveur de la protection des étrangers. Inévitablement aussi, chaque fois que l'on discute d'un texte concernant le contrôle de l'immigration - et, comme on l'a dit à satiété, nous changeons sans cesse notre législation -, c'est toute la politique menée dans ce domaine qui fait à nouveau l'objet de prises de position tranchées.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Les uns ont tendance à reprocher à la politique d'être trop laxiste - on l'a vu sur certains bancs à l'Assemblée nationale - ...
M. René-Pierre Signé. Oh !
M. Jean-Jacques Hyest. ... d'autres la trouvent répressive à l'excès et trop peu respectueuse des droits de l'homme.
Il me semble que nous avons déjà beaucoup légiféré sur ce sujet...
M. Claude Estier. Beaucoup trop !
M. Jean-Jacques Hyest. ... et que, si le projet de loi qui nous est proposé mérite un accueil favorable - je dirai pour quels motifs dans un instant - il serait opportun de ne pas modifier indéfiniment l'ordonnance de 1945, au risque de blocages et d'inefficacité. Sinon, mieux vaudrait refaire toute notre législation, ce dont nous ne sommes pas capables.
M. Jacques Mahéas. Il faut refaire les lois Pasqua !
M. Jean-Jacques Hyest. La multiplication - à laquelle chacun a mis sa patte - des procédures, des délais et, partant, des risques de contentieux, loin de protéger ceux qui sont de bonne foi, ouvre au contraire bien souvent un véritable boulevard aux filières organisées, qui, elles, savent parfaitement utiliser toutes les lacunes et les ambiguïtés de la législation. C'est ainsi dans tous les domaines !
En premier lieu et quoique en réalité sinon en théorie beaucoup de bons esprits le nient, la France a le droit et même le devoir de maîtriser les flux migratoires et de prendre des mesures pour enrayer l'immigration irrégulière.
Lorsqu'on compare notre législation aux autres, y compris à celles de nos plus proches voisins, on doit convenir qu'elle demeure l'une des plus libérales.
M. René-Pierre Signé. Qu'est-ce que ce serait !
M. Jean-Jacques Hyest. Il est donc vraiment scandaleux que les quelques mesures prévues par ce texte aient pu être comparées à celles qui ont été prises pendant les périodes les plus noires de notre histoire.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela y prépare !
M. Maurice Lombard. Soyons sérieux !
M. Jean-Jacques Hyest. Comme l'ont fait remarquer justement des personnalités telles que Me Klarsfeld, cela ne pourrait avoir pour effet que d'atténuer l'horreur de l'holocauste et d'encourager les promoteurs du révisionnisme.
M. René-Pierre Signé. N'exagérons rien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ne s'agit pas de cela, vous le savez bien !
M. Michel Moreigne. On n'a pas de leçon à recevoir !
M. Charles Descours. Qui a commencé ?
M. Jean-Jacques Hyest. Notre pays a toujours été un pays d'immigration et la seule question qui se pose est celle de notre capacité d'intégration dans un contexte de difficultés économiques, de mutation industrielle et, il faut le dire aussi, d'affaiblissement des corps intermédiaires.
La nature de l'immigration a changé. Il faut adapter notre législation à cette évolution, comme sont amenés à le faire tous les pays développés.
Mais aussi, l'immigration est fille du sous-développement et nos pays européens, mêmes frappés par la crise, constituent un espoir pour beaucoup de peuples avec qui, de surcroît, nous avons des liens historiques et culturels forts. Il devient d'autant plus urgent, en dehors des proclamations de principe, de mener une politique de coopération plus concrète et servant réellement le développement durable.
Puisque l'occasion nous en est donnée une nouvelle fois, il faut ajouter qu'une politique d'immigration ne se juge pas par les textes, mais par la mise en oeuvre effective des mesures votées.
A ce sujet, et dans le respect des droits des personnes, il faut avant tout lutter contre les filières d'immigration irrégulière, sources de profits pour quelques-uns, sources de misère et de désenchantement pour les victimes des fraudes. Le projet de loi tend ainsi à mieux réprimer ces filières, agissant tant sur le travail illégal que sur les contrôles aux frontières des véhicules de marchandises.
Comment peut-on décrier les moyens de contrôle accordés à l'Etat, et d'ailleurs encadrés par des procédures précises, lorsqu'on sait que dans des ateliers clandestins des immigrés, parfois des enfants, vivent un véritable esclavage ?
Est-il admissible que l'on puisse mourir de froid et de faim au fond d'un camion parce qu'on a cru pouvoir passer ainsi les frontières ? Je ne le crois pas et le texte vise à trouver les moyens de contrôler ces situations.
M. Michel Moreigne. Chez eux, ce n'est pas mieux !
M. Jean-Jacques Hyest. Venons-en, maintenant, aux autres dispositions du texte voté par l'Assemblée nationale, et, pour commencer, à l'article 1er.
S'il est vrai qu'il paraissait peu efficace d'imposer au maire de très lourdes responsabilités en matière d'hébergement des étrangers, la proposition votée par l'Assemblée, qui donne les pouvoirs en la matière au préfet, soulève tout de même quelques interrogations.
En effet, l'article 1er ne précise pas - mais le décret le fera - quelles seront les responsabilités des communes et du maire. Seront-ils des intermédiaires ou seront-ils en dehors de toute la procédure ?
De plus, déléguer au préfet de nouvelles fonctions n'est pas une mesure sans conséquence. Avant de soumettre au Parlement une mesure législative, le Gouvernement procède maintenant souvent à une étude d'impact. En l'occurence, je voudrais bien entendu savoir si les préfets seront en mesure d'exercer ces missions sans problème particulier et sans que s'aggravent les difficultés que rencontrent déjà les bureaux des étrangers de plusieurs préfectures.
Enfin, la modification de l'article 1er suscite des réflexions de nature générale : signifie-t-elle comme le voudraient certains - mais pas le Gouvernement - que, dans certains domaines, la capacité d'agir au nom de l'Etat ne sera plus reconnue aux maires ? C'est l'un des fondements de notre démocratie locale qui est ainsi remis en cause. Souhaitons donc que les préfets soient en mesure d'assurer le suivi des certificats d'hébergement.
Sur l'article 8-3, l'Assemblée nationale s'est ralliée à l'avis du Sénat au sujet des empreintes digitales. Cependant, les fichiers clairement identifiés dans le texte du Sénat sont devenus, dans le texte de l'Assemblée nationale, « les fichiers détenus par les autorités publiques ». Comme M. le rapporteur, il me semble nécessaire que les fichiers visés le soient précisément et que le législateur contrôle la création éventuelle de nouveaux fichiers.
L'article 4 a lui aussi été complété par l'Assemblée nationale. Nous ne pouvons que nous en réjouir, car elle s'était montrée très restrictive lors de la première lecture. Cette fois, elle a ouvert la possibilité d'attribuer, dans certains cas, à des étrangers non expulsables une carte de séjour temporaire, répondant ainsi en partie au voeu de notre collègue André Diligent, qui souhaitait que ce dispositif s'applique à tous les étrangers dans cette situation. Nous parvenons quasiment au même résultat grâce à une énumération beaucoup plus large des cas.
L'Assemblée nationale a en outre reconnu à ceux qui séjournent depuis plus de quinze ans en France la possibilité d'avoir une carte de séjour temporaire. Je m'en réjouis aussi.
Quant à l'article 25 de l'ordonnance de 1945, il a été complété par un alinéa visant les étrangers atteints d'une pathologie grave nécessitant la poursuite d'un traitement médical. Telle était la pratique habituelle, même si certaines erreurs et incompréhensions dues à un dossier mal examiné ont soulevé une émotion sincère. L'administration et les préfets le faisaient. Incrivons donc cette disposition dans la loi, ce sera beaucoup plus clair. Je me félicite de toutes ces mesures de sagesse qui viennent corriger des situations dans lesquelles les étrangers se trouvaient ni expulsables ni régularisables.
Enfin, l'article 8, relatif à l'appel du procureur, pose un véritable problème. Franchement, dans quelle situation se trouvera l'étranger si l'appel du procureur n'est pas immédiat ? Un délai de quatre heures dans ce domaine est incompréhensible ! En fait, l'appel doit être immédiat, sinon l'étranger ne pourra plus être maintenu sous l'autorité de la justice et on devra le relâcher.
Que veut-on ? Permettre l'appel et vérifier la situation de l'étranger. Le procureur a besoin d'un délai supplémentaire, dit-on. Non, l'appel est immédiat, le procureur rédige ses réquisitions...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Immédiat », cela ne veut rien dire !
M. Jean-Jacques Hyest. Mais si !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est l'appel dans le délai de quatre heures qui ne veut strictement rien dire, et qui, de toute façon, ne résout pas le problème !
Telles sont les observations que je voulais formuler sur ce projet de loi. Monsieur le ministre, il s'agissait et il s'agit toujours d'un texte raisonnable. On en a fait une montagne alors qu'il ne visait qu'à résoudre des problèmes comme ceux que j'ai exposés. Il va dans le sens d'une maîtrise des filières,...
Un sénateur socialiste. C'est votre avis, ce n'est pas le nôtre !
M. Roland Courteau. C'est votre interprétation !
M. Jean-Jacques Hyest. Je suis aussi respectueux des droits de l'homme que d'aucuns, et j'espère qu'on veut bien le reconnaître ! Je n'ai nullement l'intention d'attenter aux libertés, et je crois l'avoir toujours prouvé, comme d'autres.
Y aurait-il d'un côté les théoriciens de la liberté et, de l'autre, les praticiens de la liberté ? Nous, nous sommes des praticiens de la liberté. Votre texte, monsieur le ministre, vise à améliorer la situation, à mieux protéger certains étrangers. Pour le peuple français, qui est toujours généreux, mais parfois inquiet parce qu'il voit qu'on ne contrôle pas un certain nombre de choses, c'est un texte d'équilibre. Souhaitons que ce projet de loi soit voté, qu'il soit bien appliqué et que nous n'ayons pas à y revenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
MM. René-Pierre Signé et Michel Dreyfus-Schmidt. On y reviendra !
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il m'appartient, au moment où le débat semble se focaliser sur le rôle de l'Etat et du maire, de formuler quelques observations. Je voudrais saluer le travail du président de la commission, M. Jacques Larché, et du rapporteur, M. Paul Masson. Je voudrais aussi vous faire part, au-delà des remarques à caractère technique, des quelques réflexions personnelles que m'inspire ce débat.
Aujourd'hui, nous sommes dans un moment politique curieux : nos concitoyens ont besoin de retrouver le débat de conviction et nous, hommes politiques, nous nous laissons dériver vers le débat d'émotion.
Je suis d'autant plus frappé par cette dérive que, comme je le répète souvent, lorsque l'émotion l'emporte sur l'intelligence, c'est la porte ouverte au fascisme. On voit bien que si les vertus ont leurs contraintes, les vices ont leurs charmes. Nous sommes tentés en permanence d'osciller entre, d'une part, les plus bas instincts d'un peuple, contre lesquels nous devons résister - les événements récents nous ramènent aux débats suscités par la peine de mort ou par l'immigration - et qui trahissent en réalité la peur de l'avenir, et, d'autre part, les utopies des uns et des autres, qui trahissent la méconnaissance de notre présent. Or, l'angélisme est la tyrannie du supérieur et la barbarie la tyrannie de l'inférieur.
A chaque fois, nous devons nous efforcer de ramener les débats sur les causes plutôt que sur les effets. Le principe est-il l'immigration ou est-il la lutte contre la clandestinité, au moment où, à l'échelon du territoire communal, nous luttons en permanence contre les circuits parallèles, qu'il s'agisse de la prostitution, de la drogue, du travail clandestin ou de l'immigration ? On voit même aujourd'hui d'autres dérives, où les circuits maffieux pèsent sur le plan économique. On sent bien que le pouvoir politique est interpellé par ces dérives.
Le problème de l'immigration pose une responsabilité internationale à des Etats comme la France pour peser sur le développement des pays en difficulté au moment où, au nom du commerce international, ces derniers refusent les clauses sociales au motif que les pays développés souhaiteraient entraver leur développement.
Sommes-nous certains, les uns et les autres, que la loi a plutôt tendance à protéger le plus faible et que, aujourd'hui, en l'absence de loi, c'est toujours le plus faible qui est, malheureusement, victime ? Il convient de rendre un vibrant hommage aux élus locaux pour la politique d'intégration qu'ils mènent et pour faire partager par tous l'émotion communale.
L'intégration est-elle mise en cause, ou non, par la clandestinité, par le fait que, aujourd'hui, un certain nombre de nos concitoyens se demandent si le vice n'est pas plus récompensé que la vertu et s'interrogent sur l'utilité du politique dont il mesure, selon eux, chaque jour, l'impuissance ?
Nous devons être attentifs aux propos que nous tenons. Pour ma part, je me réjouis du débat politique qui a eu lieu sur la question de la clandestinité. Pour autant, je ne peux être interpellé, en tant que républicain, par les appels à la désobéissance civique.
J'ai été très marqué par les propos qu'ont tenus quatre de nos collègues immédiatement après leur élection : « Dorénavant, puisque nous sommes élus démocratiquement, nous allons entrer dans l'illégalité pour appliquer un certain nombre de règles sur le territoire de nos communes. »
Je suis surpris que des personnes dont notre pays a aujourd'hui besoin pour ressusciter le débat de la pensée et de l'intelligence négligent le rôle du Parlement au point de dire que, si la loi ne convient pas, il convient d'y désobéir.
Je vois là une dérive dont nous devons, en tant que républicains, mesurer le coût au regard de la stabilité de notre société. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je lisais la presse internationale voilà peu de temps. Un journaliste étranger écrivait : « J'ai du mal à comprendre pourquoi les Français qui ont pesé de tout leur poids sur les instances européennes pour mettre en place des barrières de façon à éviter l'invasion culturelle et à préserver leur identité peuvent, dans le même temps, demander qu'il n'y ait plus aucune règle qui puisse mettre en cause leur propre identité. »
M. Dominique Braye. Des intellectuels !
M. Jean-Paul Delevoye. Notre pays doit peser, par les valeurs qu'il représente, sur le débat international, et il convient de mesurer aujourd'hui tout ce qui l'affaiblit ou le renforce.
Dans l'article 1er, existait en effet un couple Etat-maire. Il appartenait à l'Etat de vérifier si les citoyens étaient égaux devant la loi telle que le maire l'appliquait sur le territoire de sa commune, de veiller à ce que cette loi soit équilibrée, à savoir respect de la nécessaire humanité et application des règles tout aussi nécessaire.
Nous sentions bien que ce couple Etat-maire était le pilier de notre République. Le fait d'y ajouter l'hébergeant nous a fait réagir, car nous sortions du principe selon lequel l'Etat doit être assis dans son autorité et on ne doit pas demander au citoyen d'exercer des responsabilités qui doivent relever du seul Etat.
A partir du moment où l'on a supprimé cette obligation de déclaration de l'hébergeant, nous étions convaincus qu'allait être réaffirmé ce couple Etat-maire. Notre première réaction, lorsque l'Assemblée nationale a voté ce texte, fut de croire que nous étions passés d'un excès à un autre.
En répondant au rapporteur, M. Masson, vous avez affirmé, monsieur le ministre, que vous alliez mettre en place, par décret, les règles d'une nécessaire collaboration entre les services de l'Etat et les services des mairies. Une telle mesure peut apparaître comme une garantie, pour le citoyen, de l'égalité de tous devant la loi et, pour l'application du principe, d'une excellente efficacité de ce texte,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais...
M. Jean-Paul Delevoye. ... et c'est la raison pour laquelle je soutiens la position de la commission des lois sur l'articulation de ce texte. Je n'oublie pas que, aujourd'hui, un équilibre doit être recherché, et le calendrier nous en fournit l'occasion. Si nous pesons de tout notre poids pour renforcer l'autorité de l'Etat contre la clandestinité quelle qu'elle soit, nous aurons dans un délai très proche à réfléchir sur la loi de cohésion sociale. A l'Etat, son autorité pour respecter les lois ; aux élus locaux, leur volonté de jouer l'intégration. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Badinter. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus à la seconde lecture de ce projet de loi, intitulé, modestement, « portant diverses dispositions relatives à l'immigration », une sorte de DDOF ou de DDOS dans le domaine de l'immigration.
Communément, nous le savons, à ce stade de la procédure parlementaire, les questions techniques l'emportent sur l'analyse et la critique des dispositions encore en discussion.
Et pourtant, à entendre vos accents passionnés, monsieur le ministre, j'avais le sentiment que nous en étions toujours à la première lecture du projet de loi.
Pour ce qui me concerne, je voudrais d'abord marquer que, s'agissant d'une deuxième lecture, nous serons présents, actifs et résolus tout au long de la discussion. Nous ne nourrissons aucune illusion, nous savons lire et nous avons entendu annoncer de divers côtés de la majorité, et par les voix les plus autorisées, que le texte était « bouclé » et que le Sénat le voterait conforme ou, je n'ose pas dire au mieux, avec quelques corrections mineures.
M. Paul Masson, rapporteur. Non, pas mineures !
M. Robert Badinter. Nous verrons !
Pourtant, si un projet de loi a singulièrement changé, au moins sur des dispositions que l'on nous présentait comme essentielles, et qui sont les plus contestables, c'est-à-dire l'article 1er, c'est bien le présent projet de loi. En effet, le texte que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre, est bien différent de celui que vous avez défendu devant nous avec tant de constance, certains diraient d'obstination. Le coeur de son dispositif, c'était bien, dans l'article 1er, l'obligation faite à l'hébergeant de dénoncer à la mairie le départ de son hôte.
M. Alain Vasselle. Pourquoi « dénoncer » ?
M. Josselin de Rohan. Signaler !
M. Dominique Braye. Déclarer !
M. Robert Badinter. Je vous renvoie, messieurs, à notre commun Littré.
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui utilisez ce terme ! Pourquoi avez-vous parlé de « lepénisation des esprits » ? Il vous faudra en rendre compte et vous expliquer sur ce point.
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, seul M. Badinter a la parole.
M. Alain Vasselle. Vous êtes un provocateur, monsieur Badinter !
M. Jean Peyrafitte. Cela vous fait mal ! Vous l'avez cherché !
M. Robert Badinter. L'orateur est toujours maître de ses termes, et je poursuis.
Sur cette obligation - les formalités, mais aussi les sanctions qu'elles faisaient peser sur celui qui, après tout, n'avait eu que le tort de pratiquer la grande vertu de l'hospitalité - les avis les plus autorisés et les moins favorables ne vous avaient pas fait défaut. Le Conseil d'Etat, la commission consultative des droits de l'homme, l'Association des maires de France, pour des motifs divers, mais tous fondés, vous avaient recommandé ou suggéré de renoncer à cette disposition. J'avais même cru percevoir au sein de la commission des lois, derrière la discipline majoritaire, certains états d'âme.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'était qu'une croyance !
M. Robert Badinter. Mais vous étiez impavide devant tant de recommandations et d'objurgations. Je vous contemplais navigant à pleines voiles vers les eaux tumultueuses des zones d'inconstitutionnalité, que certains pourtant avaient déjà décelées.
Fallait-il y voir obstination, calcul ? Je l'ignore, mais le fait est là : au soir du vote du Sénat, vous aviez fait adopter l'article 1er de votre projet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Robert Badinter. Or, aujourd'hui, vous nous présentez une nouvelle version de cet article 1er radicalement transformée...
M. Josselin de Rohan. Et alors ?
M. Charles Descours. Il faut que le Parlement serve à quelque chose !
M. Josselin de Rohan. C'est cela, le Parlement !
M. Robert Badinter. ... grâce à la capacité d'invention juridique de M. Mazeaud.
Mais cette version est la sienne, et non pas la vôtre. Elle témoigne, avant que nous ne l'analysions, de votre recul (Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) - car vous avez reculé, monsieur le ministre - ...
M. Dominique Braye. Non : avancé !
M. Robert Badinter. ... mais d'un recul non devant la raison juridique, non devant les arguments du Conseil d'Etat - je ne parle pas de ceux de l'opposition : ils ne font jamais que vous impatienter - mais devant la réaction et l'émotion de l'opinion. (Rires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Marques d'approbation sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan. Ne l'invoquez pas : 63 % des personnes interrogées approuvent le Gouvernement !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Robert Badinter. Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Badinter, je vous ai écouté avec attention, et je suis désolé de vous interrompre. Je vous remercie en tout cas de me permettre de le faire.
M. Robert Badinter. C'est bien normal : j'affectionne le dialogue.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous avez dit, monsieur Badinter, que la première version de ce projet avait soulevé l'émotion.
M. Paul Raoult. Oui !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est vrai, mais je voudrais savoir pourquoi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il n'a encore pas compris !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. En effet, le parti socialiste, auquel vous appartenez, n'a rien dit lorsque le maire de Strasbourg, ...
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. ... qui est membre du parti socialiste, a publié le document que j'ai là (M. le ministre montre un feuillet) et qui est ainsi libellé : « Madame, monsieur, veuillez trouver ci-joint le certificat d'hébergement établi conformément au texte du décret... »
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est spontané !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. « Nous vous rappelons que, passé le délai d'expiration du visa accordé à votre visiteur, celui-ci est en situation irrégulière en France et s'expose à une mesure de reconduite à la frontière... » (Protestations sur les travées socialistes.)
Attendez !
« Je vous prie... », ajoute ce document de la mairie de Strasbourg (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)...
M. Dominique Braye. Ne soyez pas impatients !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. « Je vous prie, au départ de votre visiteur, de me renvoyer le talon ci-dessous rempli (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), même si votre invité n'est pas venu. En cas de non-renvoi de ce talon, la délivrance du certificat ultérieur serait laissée à notre appréciation et nous obligerait par ailleurs à mettre en oeuvre une procédure de contrôle. » (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Protestations sur les travées socialistes.)
Or voilà qui n'a pas soulevé d'émotion chez vous, et je pourrais également citer l'exemple de la municipalité de Marmande, qui est dirigée par un socialiste et qui a pris des dispositions analogues. (Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)
M. Paul Raoult. C'est votre loi ! C'est la loi Pasqua !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pourquoi reculez-vous, alors ?
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Badinter.
M. Robert Badinter. Je poursuis en effet, monsieur le président,...
M. Josselin de Rohan. Qui a inventé le certificat, monsieur Badinter ? (Vives exclamations sur les travées socialistes.)
M. Robert Badinter. Je continue donc, si vous me le permettez, en dépit d'une nervosité dont je ne devine que trop la cause. (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Mais, je le dis très clairement, monsieur le président, ces interruptions ne sont pas le fait de mes amis : c'est du haut de l'hémicycle, quelque part sur ce qui n'est guère politiquement la Montagne, que proviennent ces frémissements.
M. Alain Vasselle. Ces clameurs !
M. Robert Badinter. Monsieur le ministre, s'agissant de l'invitation faite par le maire de Strasbourg - je ne sais d'ailleurs pas de quand date ce texte - ...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le maire vient de l'arrêter !
M. Robert Badinter. A quelle date ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je parle de l'actuel maire de Strasbourg, Mme Trautmann !
M. Robert Badinter. Oui, j'entends bien : que je sache, il n'y a pas eu de nouvelles élections municipales !
Je dis simplement que, s'agissant de cette invite, si vous nous avez lu ce qui est indiqué par le maire, la loi, elle, transforme cette indication en obligation à peine de sanction. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
J'en reviens à mon propos : ce qui vous a fait reculer, monsieur le ministre, ce n'est pas la raison juridique, ce sont la réaction et l'émotion de l'opinion.
Nous sommes - ai-je besoin de le rappeler ? - dans un temps où - on peut le regretter - le débat politique ne fait pas recette dans le public, et le texte que vous avez présenté ne touchait à aucun intérêt collectif ni ne menaçait aucune situation acquise. Il n'y avait là aucune démarche corporatiste. Or nous avons vu, tous, une foule, qu'il faut bien qualifier d'immense, de femmes et d'hommes (Rires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)...
M. Alain Vasselle. Et les sondages ?
M. Robert Badinter. ... se rassembler pour défiler dans les rues de Paris, et aussi en province.
Cette manifestation-là était d'autant plus remarquable, je viens de le dire, qu'elle ne répondait à aucun mot d'ordre émanant de partis politiques ou de syndicats.
M. Josselin de Rohan. Mais si !
M. Jean-Pierre Schosteck. Cherchez bien !
M. Robert Badinter. C'était donc tout ce que ce projet charriait en lui qui a suscité l'émotion, et en premier lieu - et c'est bien naturel - chez les metteurs en scène, les artistes, les intellectuels...
M. Josselin de Rohan. C'était du bien mauvais cinéma !
M. Robert Badinter. Je ne suis pas sûr que, dans ce domaine du moins, vous soyez le meilleur orfèvre ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
Un sénateur du RPR. C'étaient des pseudo-intellectuels !
M. Robert Badinter. Pseudo-intellectuels ? Vous employez là un qualificatif très familier à une droite que je ne voudrais jamais voir réapparaître en France ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Je dis simplement qu'il était normal que ce soient eux qui aient ressenti les premiers, par l'effet de leur sensibilité propre, tout ce que le projet charriait de contraintes et de soupçons à l'encontre des étrangers ou des immigrés.
Je veux croire que les débats menés avec fermeté par l'opposition sénatoriale ont pu contribuer à la prise de conscience de ce qui ne pouvait que susciter cette indignation et ce refus, même si, je dois le dire, comme je l'ai souligné devant la commission des lois, j'ai regretté, pour ma part, certaines confusions que je trouve déplorables - j'ai même dit qu'elles étaient pour vous personnellement, monsieur le ministre, injustes, pour des raisons que nous savons - et qui étaient de nature à blesser les victimes de Vichy.
Je tiens aussi à marquer, monsieur le président de la commission des lois, que, lié d'amitié depuis toujours à Michel Rocard et sachant tout ce que les membres de sa famille ont fait pendant la guerre, l'interprétation que vous avez donnée n'était pas conforme à sa pensée. Quoi qu'il en soit, ma solidarité avec lui est totale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan. Il s'en expliquera !
M. Robert Badinter. Mais je poursuis : cette manifestation a été suivie par d'autres, moins importantes, certes, mais qui n'en sont pas moins significatives puisque l'article 1er avait disparu.
J'entends bien, et je le répéterai toujours, qu'il appartient au Parlement, et à lui seul, de faire la loi dans le respect de la Constitution. Et le respect de la loi, est, à mes yeux, le premier fondement de la République. (Ah ! sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Dites-le à vos amis !
M. Robert Badinter. Mais il est évident aussi que, si le Parlement veut demeurer le forum vivant de la démocratie, il se doit d'être attentif à tout ce qui constitue de puissants mouvements d'émotion, d'indignation ou de rejet que suscite un texte, et c'est bien de tels mouvements qu'a fait naître votre projet de loi et devant lesquels votre gouvernement et votre majorité ont reculé.
Dans le domaine militaire, on appellerait cela « un repli stratégique ». En politique, cela s'appelle plus simplement une défaite. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mais, à nos yeux, la question essentielle n'est pas là. Il s'agit, à cet instant du débat, de mesurer les conséquences de votre texte - puisque aussi bien il va être adopté - et ces conséquences, je vous le redis avec regret, ne seront qu'échec et amertume.
Echec, tout d'abord, quant aux finalités de votre texte : la première, il ne faut pas l'oublier, était dictée non par la nécessité de durcir encore les dispositions de la loi de 1993 - son auteur y avait suffisamment pourvu ! - mais par la nécessité de remédier à leurs défauts structurels. Tous les juristes avisés avaient, dès l'origine, décelé que cette loi, si vantée par son auteur, ferait naître ces situations humaines aberrantes et douloureuses que tous nous avons pu constater l'été dernier.
Par un défi au bon sens juridique, le législateur avait créé une catégorie nouvelle du droit - ou du non-droit - celle des étrangers en situation irrégulière établis en France ou y ayant leurs proches et qui n'étaient ni régularisables ni expulsables.
Face à de telles situations, où l'illégalité naît, en quelque sorte, de la loi même, il fallait au moins adopter la solution que M. le président Mazeaud avait suggérée à l'Assemblée nationale en préconisant l'attribution de plein droit d'une carte de séjour à toutes les personnes non expulsables. Et c'est une telle solution que notre collègue M. Diligent et les représentants dans cet hémicycle du parti socialiste et du parti communiste...
M. Josselin de Rohan. Des orfèvres !
M. Robert Badinter. ... avaient proposée par voie d'amendement au Sénat. A quelques voix près, elle aurait pu être votée. A cet instant-là, l'humanité et la sagesse l'auraient emporté de concert, mais vous-même et votre majorité ne l'avez pas voulu.
Je le regrette, monsieur le ministre, et permettez-moi de vous rappeler qu'il en est des peuples comme des êtres humains : la générosité les grandit ; or l'hospitalité est l'une des formes les plus précieuses de la générosité.
Le moins que l'on puisse dire est qu'à cet égard votre article 1er nouveau traduit plutôt la frilosité.
Pis encore, certaines dispositions de votre projet de loi engendreront - comme nous le montrerons - des situations d'irrégularité ; elles fabriqueront ce que l'on appelle des « clandestins » et qui se dénomment des « sans-papiers », et des échecs aussi, inévitables.
Quant à l'autre objet de votre texte, vous avez proclamé haut et fort qu'il n'était pas, bien entendu, l'immigration zéro - une telle notion est inconcevable et serait contraire à l'intérêt national - mais l'immigration clandestine zéro.
Je ne pense pas que vous ayez entendu à ce sujet contracter devant nous une obligation de résultat. Ce serait bien imprudent, dans un monde où la circulation des personnes ne cesse de croître et où la France - pour son profit, d'ailleurs - connaît environ 90 millions d'entrées et de sorties d'étrangers par an.
Cependant, au regard de cette ambition affichée, que constatons-nous à la lecture du nouvel article ? Je suis forcé de le dire, mes chers collègues : quelle que soit la considération particulière que je porte au président Mazeaud, l'article 1er nouvelle version que vous nous présentez aujourd'hui est ce que l'on appelle communément une de ces « usines à gaz » qu'il arrive parfois aux meilleurs juristes de produire.
Nous aurons l'occasion, croyez-moi, d'y revenir dans le détail. Mais permettez-moi d'évoquer brièvement la pratique.
Aux termes de l'article 1er, l'hébergé devra donc faire viser le certificat d'hébergement à la préfecture ou à la sous-préfecture. Quand on sait les obligations de toute nature qui pèsent sur le service des étrangers dans les préfectures ou les sous-préfectures, il est douteux que les fonctionnaires puissent faire face à ce surcroît de travail sans renforcer leur effectif ou sans susciter un vif mécontentement de la part des demandeurs, voire les deux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est le but de l'opération !
M. Robert Badinter. Nous pensons - et je crois qu'il en sera ainsi - qu'il faudra en outre recueillir l'avis des maires, qui sont les mieux placés pour connaître précisément la situation des hébergeants dans leur commune. Le dossier devra ensuite remonter à la sous-préfecture ou à la préfecture afin que la décision soit prise. Que de temps gaspillé, de récriminations, de tensions et d'échecs en perspective !
Quant à l'obligation pour l'étranger hébergé de remettre le certificat d'hébergement lors de sa sortie du territoire aux services de police, nous aurons l'occasion de démontrer pourquoi elle est incompatible avec les dispositions des accords de Schengen. L'étranger qui quitte le territoire français pour gagner l'Italie, l'Allemagne ou l'Espagne n'est soumis à aucun contrôle ! Où remettra-t-il son certificat d'hébergement ? A Francfort, à Amsterdam, à Bonn ? Le remettra-t-il aux autorités locales pour qu'elles l'adressent ensuite aux autorités françaises compétentes ?
Des accords ont-ils été passés pour cette pratique au regard du traité de Schengen, qui prime la loi nationale ?
Et qui ne mesure son inefficacité quand il s'agit de jeunes étrangers insouciants ou de personnes âgées rétives aux formalités complexes ? On les croira présents, alors qu'ils seront déjà partis.
Quant à l'étranger qui entendra demeurer irrégulièrement en France - celui-là même que vous déclarez vouloir poursuivre - il lui suffira d'adresser par la poste son certificat au service préfectoral pour qu'on considère qu'il a quitté le territoire national, alors qu'il n'en sera rien. Dans ce cas, on le croira parti, alors qu'il sera toujours en France.
Pour le reste, en ce qui concerne la nouvelle procédure, nous aurons l'occasion de reparler de la généralisation des fichiers et de leur interconnexion.
Fichier départemental des hébergés, avez-vous reconnu non sans quelque difficulté devant l'Assemblée, mais aussi, j'en suis convaincu, fichier des hébergeants. Pourquoi ? Parce que déjà certaines municipalités, nous le savons, ont créé ou voulu créer...
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Strasbourg !
M. Robert Badinter. ... de tels fichiers, à en croire le rapport de la CNIL.
Mais de municipal le fichier, nécessairement, deviendra départemental et, inévitablement, car il s'agit de contrôler les entrées, les séjours et les sorties à l'échelle du pays tout entier, il deviendra national.
Ce à quoi nous assisterons, c'est à la mise en place d'une sorte de vaste réseau, d'une trame de plus en plus serrée de contrôles informatisés des conditions de vie, de séjour et de déplacements des étrangers, y compris dans la sphère privée.
S'agissant des autres articles du projet, nous aurons l'occasion d'intervenir successivement sur chacun d'eux.
C'est maintenant aux conséquences de ce projet que je veux m'attacher pour conclure.
Vous avez invoqué, pour justifier ce texte, monsieur le ministre, la nécessité de lutter contre l'immigration clandestine, afin de combattre le chômage, avez-vous dit, et de mieux assurer l'intégration des immigrés.
Combattre le chômage est assurément la priorié nationale, aucun de nous n'en doute. Mais lier, comme on le fait, la question de la lutte contre le chômage à celle de la lutte contre l'immigration clandestine est une erreur qui nourrit toujours la confusion suscitée par le Front national entre chômage et immigration,...
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est le contraire !
M. Robert Badinter. ... alors que, on ne le répétera jamais assez, les deux questions ne sont pas liées.
M. Jean-Pierre Schosteck. Mais si, elles le sont, et vous le savez bien !
M. Robert Badinter. Pour ce qui est des étrangers en situation irrégulière, ce sont les entreprises qui les exploitent qu'il faut atteindre et réprimer sans faiblesse. S'il n'y avait pas ces profiteurs de la misère des étrangers, il n'y aurait pas d'organisation pour assurer leur transport, véritablement clandestin celui-là.
M. Jean-Pierre Schosteck. Enfin, vous le reconnaissez !
M. Robert Badinter. Croyez-vous sincèrement que ces filières s'organisent à partir de certificats d'hébergement visés par les maires des communes ? Allons donc !
S'agissant de ces exploitants odieux de main-d'oeuvre étrangère, je doit dire que, là où la fermeté devrait être exemplaire, je ne suis pas sûr de l'avoir vu régner, notamment dans la loi récemment votée sur ce qu'on appelle le « travail dissimulé ».
Quant à l'intégration des immigrés, elle ne passera jamais par les dispositions que vous nous proposez.
Comment ne ressentiraient-ils pas comme autant de signes de défiance les dispositions empreintes de soupçon à l'encontre des hébergeants, c'est-à-dire d'eux-mêmes, et des hébergés, c'est-à-dire leurs proches et leurs amis, dispositions que vous n'avez abandonnées que partiellement.
Je vais être plus précis encore. Qui ces exigences accrues concernent-elles en pratique, sinon, au premier chef, les Français et les immigrés d'origine maghrébine ou issus des pays francophones d'Afrique noire ?
Ceux-là, nous ne pouvons pas oublier non seulement qu'ils parlent notre langue, non seulement qu'ils ont été touchés par les rayons de notre culture, mais encore que, dans notre commune histoire, aux pires heures d'épreuves nationales, leurs pères et leurs grands-pères ont combattu sous le drapeau tricolore (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE) et sont tombés, comme tant d'étrangers volontaires, en grand nombre pour la France et pour notre liberté. Cette dette-là, comment ne pas en mesurer toute la portée ?
Nous ne pouvons pas non plus oublier que, au sein des immigrés qui sont présents en France, nombreux sont ceux, parmi leurs aînés, que les entreprises françaises ont fait venir parce qu'elles en avaient besoin et parce qu'ils représentaient, à l'époque, une force de travail nécessaire et bon marché. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Ne faites pas d'amalgame !
M. Robert Badinter. Aujourd'hui, leurs enfants sont nés ou ont grandi en France. Ils sont français ou voués à l'être, ne l'oubliez jamais.
Eh bien, je le dis à cette tribune avec toute ma force de conviction, le pire - je dis bien le pire - serait qu'à l'exploitation des pères succède l'exclusion des enfants. (Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. C'est de l'immigration clandestine et du travail illégal que l'on parle !
M. Robert Badinter. Or, les voies de l'intégration ne passeront jamais par ces textes qui, sous prétexte de lutter contre l'immigration irrégulière, font des immigrés autant de suspects potentiels.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est facile !
M. Robert Badinter. L'exclusion, voyez-vous, monsieur le ministre, ce ne sont pas seulement les préjugés, ce ne sont pas seulement les barrières économiques ou sociales qui la font naître ; l'exclusion, elle est d'abord, pour quiconque la vit ou l'a vécue, le sentiment d'être mis à part, d'être traité différemment des autres. Et cela, c'est bien ce dont rêve le Front national, et ce n'est certainement pas votre loi qui contribuera à réduire son emprise sur les esprits. (Applaudissements prolongés sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est vous qui avez fait son succès !
M. Josselin de Rohan. C'est vous qui l'avez aidé !
Un sénateur socialiste. Occupez-vous de Papon !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Monsieur Badinter, je vous ai écouté avec attention. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Vous savez l'admiration que j'ai pour vous en tant que magistrat. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Messieurs, j'ai toujours eu pour M. Badinter le respect qu'a tout magistrat pour un très grand avocat et un avocat sincère.
Moi aussi, je vais être très sincère, monsieur Badinter : j'ai été scandalisé par ce que vous venez de dire. (Protestations sur les mêmes travées.)
En effet, avec votre force de conviction, avec votre talent, vous faites quelque chose d'inadmissible, de scandaleux, à savoir l'amalgame entre immigration irrégulière et étrangers. Là, vous êtes coupable, et je vous le reproche. (Vives protestations sur les mêmes travées.)
M. Paul Raoult. C'est vous qui créez des clandestins !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous jetez la suspicion !
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici donc le Sénat appelé une deuxième fois à examiner le projet de loi désignant les étrangers comme responsables de tous les maux sociaux que connaissent nombre de nos concitoyens !
Sans doute le texte a-t-il bougé dans la rédaction de son article 1er. Il n'a pas, en effet, été possible au Gouvernement de garder son dispositif obligeant les hébergeants à être des informateurs du ministère de l'intérieur dans le contrôle des départs des étrangers hébergés.
La future loi demeure toutefois une loi des suspects, donc inadmissible et irrecevable. Elle continue, après les lois Pasqua et Méhaignerie, à commencer à mettre la France dans une sorte de marécage législatif et judiciaire d'où peut naître ce que j'appellerai une « régression en avant ».
Celle-ci est d'ailleurs commencée dans le texte de loi lui-même. Le collège des médiateurs pour les Africains sans papiers en rappelle l'engrenage : « Contrôle de la sortie des étrangers avec menace d'un fichier des hébergeants ; rétention administrative prolongée avant saisine du juge, afin de faciliter les expulsions expéditives : caractère suspensif de l'appel du parquet ; fouille des véhicules ; prise d'empreintes digitales ; confiscation des passeports ».
Je sais, monsieur le ministre, que vous dites être toujours accueillant à ceux qui veulent s'intégrer et que votre texte ne vise que les clandestins.
Or, vous vous apportez dans la loi elle-même un démenti sur l'intégration puisqu'il y est prévu une réserve au renouvellement jusqu'ici automatique de la carte de résident de dix ans : dix ans cela ne suffit pas, cela ne suffit pas !
Autrement dit, l'étranger est toujours en situation de fragilité provoquée. Ceux qui viennent de cette Afrique où les blessures de notre colonialisme perdurent (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants), cette loi les traite comme des colonisés sur le territoire national. L'hospitalité s'évanouit.
Votre loi invente, pour reprendre une expression que fustige le philosophe Jacques Derrida, le « délit d'hospitalité », dont Jacqueline Deltombe a été victime, avant même la loi, jusqu'à être licenciée par son employeur.
Une irrésistible négativité s'impose à chaque étranger. C'est la porte ouverte vers le malheur permanent que sont le racisme et la xénophobie.
Quant aux clandestins - votre souci unique, dites-vous ! - la loi gouvernementale sur le travail illégal que vient de voter votre majorité est un aveu de sa seule fonction idéologique.
Les inspecteurs du travail qui s'occupent de ce problème, et qui sont regroupés dans l'association Villermé, à la question de savoir si l'on s'est donné les moyens de remonter les filières de travail illégal, répondent : « Le projet de loi ne facilite pas les conditions d'incrimination de l'employeur qui a recours au travail dissimulé. On va uniquement poursuivre le dernier maillon de la chaîne. »
Ainsi, de quelque côté que l'on examine vos textes de loi, rien de ce que vous prétendez ne s'y trouve.
L'étranger commence à servir à tout. Aux chômeurs, on désigne le migrant comme bouc-émissaire ; aux salariés, on conseille de renoncer à leurs droits au nom de la concurrence d'un certain patronat impuni, et impunissable, utilisant sans droit des clandestins. L'étranger, dans cette démarche, devient un : « Sésame, ferme-toi ! ».
Vous devriez réfléchir à ce qui se passe à propos de l'usine Renault de Vilvorde, en Belgique.
Soyons transparents ! A qui fera-t-on croire que personne, à la direction de la Régie et au Gouvernement, prévenu, n'a songé que, après tout, c'étaient des Belges, des étrangers, que la préférence nationale allait être favorisée, qu'on allait être tranquille !
Et puis, rien ne s'est passé comme prévu. Très exactement comme dans le cas des « sans-papiers ».
Le monde qui bouge, qui deviendra, c'est celui qui « tape à temps de ses six doigts sur le clavier des pianos du monde ». Ce n'est qu'un début, mais le chemin est pris.
A la télévision, j'ai regardé, ce midi, la manifestation européenne des « Renault » ; elle était - parce que c'est comme ça - plurielle.
Revenons-en aux sans-papiers.
Il y a eu la réaction européenne, que je qualifie d'heureuse. En effet, prenons garde : après les « sans-papiers », les étrangers immigrés, les intellectuels - j'y viendrai - les Belges avec Renault, et maintenant l'Assemblée européenne ! La grandeur de la France, c'est d'être l'amie de tous ces gens-là, et non de se dresser contre eux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jack Ralite. Il y a donc eu cette heureuse réaction européenne.
Mais surtout, ici, en France, depuis août, on ne cesse de manifester. Les 100 000 du 22 février ont procédé à une sorte d'insurrection de liberté.
Ces 100 000 venaient de partout en région parisienne, d'Aubervilliers, par exemple, où je suis maire, mais aussi de Saint-Denis et de tant d'autres villes dont l'histoire est riche de dimensions plurielles depuis longtemps.
A Aubervilliers, en 1914, il y avait déjà 30 % de migrants, comme aujourd'hui. Ces questions, leur vécu, je connais, comme on dit. Et, précisément, le Gouvernement serait bien avisé de nous écouter plus quand nous posons les problèmes de l'exclusion, qui concernent Français et immigrés. L'intervention gouvernementale sur ce point est courte, très courte. Elle n'endigue pas l'exclusion. Elle est minimum et propose une allocation, un travail au rabais. Or le droit comme le respect ne se divisent pas et vous savez bien que le monde du peu se contente de la démocratie du petit : un petit peu plus de sous, un petit peu plus de bonheur, un petit peu plus d'égalité, unpetit peu plus de liberté et un petit peu plus d'urbain, un RMI urbain, le tout balkanisé dans tel ou tel quartier.
Les villes de banlieue ont une autre ambition. Que veulent-elles ? Membres de la communauté nationale, elles répondent : « Tout ». Il faut prendre toute la mesure de cette affirmation. Ce qui se passe en banlieue, c'est l'avenir de la société française.
Croyez-moi, s'il y a des échos à votre pensée dans notre banlieue, il y a surtout l'écho d'une revendication de dignité dont le sondage fait à Saint-Denis, au début du mois de mars, égrène le contenu. Ecoutez-en quelques éléments.
A la première question : le projet de loi du ministre de l'intérieur permettra-t-il d'aider à résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se posent en France actuellement ? 73 % ont répondu : non.
A la deuxième question : le projet de loi permettra-t-il d'aider à résoudre des problèmes dans votre quartier ? 71 % ont répondu : non.
A la troisième question : le projet de loi permettra-t-il de lutter efficacement contre l'immigration clandestine ? 60 % ont répondu : non.
M. Emmanuel Hamel. Vous êtes mal informé !
M. Jack Ralite. A la quatrième question : le projet de loi est-il orienté contre les étrangers et peut-il favoriser le racisme ? 53 % ont répondu : oui.
Il faudrait, bien sûr, aller plus loin dans l'analyse. C'est en cours. On note ainsi, par exemple, que les personnes de nationalité française donnent des réponses négatives aux trois premières questions dans une proportion plus élevée. En revanche, pour les risques de développement du racisme, la réponse affirmative est plus faible tout en restant forte, avec 49 % de « oui ».
Une situation sociale forte peut donc s'accompagner d'un champ des valeurs retravaillé. Cette modulation prise en compte, et elle exige vigilance, il demeure que ce projet de loi est considéré à Saint-Denis comme étant tout à la fois « à côté de la plaque » pour ce qui est des problèmes sociaux et dangereux pour son orientation contre les étrangers.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. Jack Ralite. Je lisais hier matin dans un quotidien qu'en Suisse on compte 17 % de migrants et 5 % de chômeurs. En Espagne, on enregistre 1 % de migrants et 22 % de chômeurs.
M. Paul Raoult. Très bien !
M. Jack Ralite. Il faut en finir avec cette équation mécanique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
On le voit, ce que pense la banlieue est mieux perçu par les intellectuels que, par exemple, par le ministre M. Eric Raoult. Les intellectuels et les habitants sont, finalement, beaucoup plus en correspondance alors que le ministre et ces mêmes habitants sont souvent en dissonance.
Je veux relever ici cette propension qu'ont eue les laudateurs du projet de loi à s'en prendre aux intellectuels, aux artistes, solidaires des libertés, des étrangers et, ajouterai-je, des populations de banlieue, où d'ailleurs beaucoup habitent. Ces laudateurs continuent d'ailleurs dans le même sens ; il suffit pour s'en convaincre d'écouter les propos de M. Bonnet, qui s'exprime vraiment avec un vocabulaire d'un autre temps. (Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Monsieur Ralite, me permettez-vous de vous interrompre ? (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. Non ! Cela suffit !
M. Jack Ralite. Je vous en prie, monsieur de Rohan.
M. le président. La parole est à M. de Rohan, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Josselin de Rohan. Je vous remercie, monsieur Ralite, de m'avoir autorisé à vous interrompre.
Vous mettez fortement en avant les intellectuels. J'ai beaucoup de respect pour eux,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. N'ayez pas de complexes !
M. Jacques Mahéas. Vous n'en connaissez pas un seul !
M. Josselin de Rohan. ... mais vous n'en êtes pas le meilleur interprète. En tout état de cause, je voudrais vous poser une question qui me brûle les lèvres depuis le début de ce débat.
J'entends vos collègues communistes se faire les grands défenseurs de la liberté. Je vous dirai une chose, monsieur Ralite : ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh bien ! vous êtes prévenu, monsieur Ralite !
M. Josselin de Rohan. ... le communisme a fourni à l'immigration des contingents considérables. Les boat people du Viêtnam, qu'est-ce que c'est ? (Exclamations indignées sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Les émigrés de Cuba, qu'est-ce que c'est ? Les populations déplacées de force en Union soviétique, qu'est-ce que c'est ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais M. Ralite n'a jamais déplacé qui que ce soit !
M. Josselin de Rohan. Qu'avez-vous dit à ce moment-là ?
M. Claude Billard. Beaucoup, mais vous êtes sourd !
M. Josselin de Rohan. Quand a t-on entendu des intellectuels communistes dénoncer ces drames ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais si !
M. Josselin de Rohan. Où était, par exemple, M. Jean Ferrat quand on déportait ces gens ? (Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. N'importe quoi !
M. Josselin de Rohan. Qu'avez-vous dit, monsieur Ralite, quand cela s'est produit ?
M. Ivan Renar. Tout cela est d'un autre temps ! M. Josselin de Rohan. Vous n'êtes pas des professeurs de liberté. Cela suffit ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Ralite.
M. Jack Ralite. Moi, je suis maire d'une ville de banlieue, Aubervilliers, et je vais vous citer les noms que portent nos écoles : ...
M. François Trucy. Cela ne coûte rien ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Paul Raoult. Un peu de respect, tout de même !
M. Josselin de Rohan. Faites-en autant !
M. Jack Ralite. ... Jean Moulin, Pierre Brossolette, les Manouchian, Gabriel Péri, et d'autres encore ! C'est-à-dire que toute la Résistance, dont une partie fut intellectuelle et communiste, est honorée. Et la seule école en France qui porte le nom d'un israélite assassiné, le professeur Marc Bloch, est à Aubervilliers.
M. Josselin de Rohan. Et la rue Lénine, vous l'avez débaptisée ?
M. Jack Ralite. Il n'y a pas de rue Lénine à Aubervilliers !
M. Josselin de Rohan. Et la rue Staline, vous l'avez débaptisée ? (Vives exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur de Rohan, vous n'avez pas de leçons à donner !
M. Jack Ralite. Vous tombez mal avec moi, monsieur de Rohan, parce que cette ville prolétarienne n'a jamais débaptisé une rue. Elle a pensé que l'histoire était une succession d'actes et elle les a magnifiés au gré des années, sans que jamais elle n'ait eu a rougir d'aucune de ces dénominations. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar. Voilà ! A côté de la plaque, monsieur de Rohan !
M. Josselin de Rohan. Vous avez à rougir d'avoir été stalinien, voilà ! Cela, vous ne le dites jamais !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Quelles banalités !
M. Emmanuel Hamel. A décrire ainsi toute la misère, il vous faut écrire des poèmes !
M. Jack Ralite. Je reviens sur les intellectuels, dont beaucoup, comme je le disais, habitent en banlieue et y gagnent moyennement leur vie, pour ne pas dire quelquefois peu, je pense ici aux intermittents du spectacle et à leur mouvement actuel. Ils créent précisément sur les problèmes de société que posent la banlieue et non sur les problèmes que la banlieue poserait à la société, comme le prétend le Gouvernement.
Ces jeunes réalisatrices et réalisateurs de cinéma, pour me limiter à eux, sont des auteurs de vie et travaillent, à travers leur création, la totalité cachée des hommes d'aujourd'hui.
Je ne les « instrumentalise » pas, mais je note que Gérard Mordillat a fait Vive la Sociale sur le XXe arrondissement de Paris ; que Pascale Ferran, avec L'Age des possibles, nous fait rencontrer la jeunesse de province face au monde du travail ; que Claire Denis, dans Nénette et Bonie, nous entraîne dans la solidarité d'une famille populaire de Marseille ; que Sandrine Veysset, avec son étonnant Y aura-t-il de la neige à Noël ? nous fait compagnons d'une femme du monde rural ; que Claire Simon nous épluche par l'image le dépôt de bilan d'une PME ; que Jean-François Richet traite des jeunes des banlieues dans Etat des lieux .
Dans tous les concours internationnaux, la France est fière de les présenter, et ils y remportent des médailles. C'est un peu comme aux jeux Olympiques : les Noirs nous assurent des victoires, on les applaudit ; mais dès qu'ils sont chez nous, citoyens, on leur dispute la réalité citoyenne ! De la même façon, ces cinéastes nous représentent dans des festivals ; on est content de leur succès. Et quand ils disent ce qu'ils pensent, et c'est leur droit, alors on les traite comme l'a fait tout à l'heure M. Bonnet, dont je n'oublierai jamais qu'au Parlement il tenta d'interdire Les Paravents de Genêt et qu'il fut remis en place par André Malraux, car la liberté de Genêt, c'est aussi la liberté de la France ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
J'arrête là la liste de ces artistes qui, en la circonstance, sont l'honneur de ce pays et les révélateurs du mouvement profond qui habite le sous-sol de notre société. Leurs oeuvres, dirait Octavio Paz, sont « des esquifs à bord desquels les traditions et la culture traversent les mers du temps ».
Le ministre Raoult a donc tenté de leur répondre, en attribuant à l'un ou à l'autre - geste élégant - tel ou tel quartier de banlieue désigné comme étant « à problème », avec sans doute le secret désir de les disqualifier aux yeux des habitants, l'inverse étant d'ailleurs également vrai.
Eh bien ! certains sont venus, invités par les villes, les quartiers, les habitants : Bertrand Tavernier à Montreuil, au quartier des Grands Pécheurs ; Patrice Chéreau à Pierrefitte, au quartier des Poètes.
Ce furent de très fructueuses rencontres de « fertilisation croisée », comme j'aime à le dire, et qui auront des suites. On y a évoqué, bien sûr, les questions de l'immigration mais, surtout, le chômage, avec son cortège de mal-vie. Or Bertrand Tavernier, avec L. 627, et Patrice Chéreau, avec les pièces de Bernard-Marie Koltès, étaient en complicité naturelle de réflexion, de recherche et d'action avec leurs partenaires de débat.
Des liens nouveaux se nouent qui sont porteurs de devenir dans de tels rendez-vous. Des connaissances en actes du terrain se croisent avec ces chercheurs d'un type particulier que sont les artistes.
Le temps me manque pour déplisser plus avant ce que, finalement, a révélé et fait se lever le mouvement de civilisation des sans-papiers.
Il y a dans ce pays que nous aimons une aspiration à vivre, parler, respirer autrement, chez les sans-papiers et chez les « non sans-papiers » qui sont souvent des « sans autre chose » et à qui le langage de l'intelligence a su donner audience.
Permettez-moi une petite anecdote en cet instant. Le dimanche suivant notre premier débat, je me suis rendu rue des Rosiers, à Paris, pour y faire quelques emplettes. Et le commerçant de me dire : « Ce n'est pas très bien ce qui s'est passé au Sénat, sur l'immigration ». Et de me raconter la vie de sa famille juive polonaise venue ici en 1931 et son rejet du projet de loi rediscuté aujourd'hui. Il n'assimile pas mais, me dit-il, « je sens comme une résurrection de quelque chose qui n'est pas beau dans l'histoire de France, à côté de tant et tant de choses qui sont belles ».
Quand je suis sorti de sa boutique, j'ai pensé à l'affaire Dreyfus, qui coupa la France dans ses profondeurs au moment de l'enjambement du XIXe siècle et du XXe siècle. Il y avait une grande dépression et, en 1898, on pouvait lire dans un ouvrage signé André Barrier : « Nous sommes envahis et peu à peu submergés par le flot étranger. S'il n'existait pas d'étrangers en France, il y aurait du travail pour tous nos nationaux. » Des parlementaires déclaraient, eux, que les étrangers formaient « un contingent considérable de l'armée du crime », qu'il n'était pas besoin d'insister, que le danger était évident, qu'il était immédiat.
C'est dans ce contexte que s'est développée l'accusation mensongère d'espionnage portée contre le capitaine Dreyfus, de confession israélite. Au milieu d'un antisémitisme véhément, il fut condamné et déporté à l'île du Diable, dans un camp pour une personne. M. André Maman. Cela n'a rien à voir !
M. Jack Ralite. La réplique était très faible, au début, très, très faible, mais elle s'est amplifiée, notamment avec le J'accuse de Zola. C'est à ce propos que fut inventée la notion d'intellectuel.
Au passage, j'entends M. Bonnet se féliciter de ce que dit Arlette Laguiller : je suis, bien sûr, beaucoup plus près d'Arlette Laguiller que de M. Bonnet, mais je rappelle qu'une des tragédies françaises et du mouvement socialiste naissant a été que Guesde ne comprenne pas que, quand il y a des libertés à défendre, qu'elles soient bourgeoises ou pas bourgeoises, il y a des libertés, et on les défend.
Si Arlette Laguiller veut en rester à la fin du XIXe siècle, c'est son droit, mais nous, nous sommes partie prenante dans le combat des libertés, et c'est bien ce qui fait mal à M. Bonnet ! (Applaudissement sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jack Ralite. Cette bataille a vu s'affronter les dreyfusards, « hommes blessés par le mensonge », et les antidreyfusards, « hommes blessés par la vérité », selon les expressions de Péguy. Dreyfus fut réhabilité et, dans un même mouvement, la République française du XXe siècle fut fondée.
Je ne veux pas faire de rapprochement, toujours hasardeux, mais tout de même : il y a crise aussi aujourd'hui. Certaines déclarations actuelles sur les étrangers sonnent comme un bégaiement de l'histoire. Une réaction d'abord minoritaire, puis amplifiée s'est manifestée. Des milliers et des milliers d'émules de Zola ont pris part au combat. Il y a les sans-papiers, que d'aucuns veulent faire survivre dans l'infra-droit et dans des lieux qui, n'était la solidarité d'une Ariane Mnouchkine, à la Cartoucherie de Vincennes, ou d'un père Condé, à l'église Saint-Bernard, ne seraient guère habitables.
Le d'abord minoritaire a bougé, et c'est aujourd'hui « l'immense minorité » qui rejette la loi. A votre majorité dénombrable - vous êtes obnubilé par les chiffres - s'oppose notre minorité incommensurable. Elle est indéfectiblement attachée à l'humain.
Pour avoir été et être encore intraitablement de ce mouvement aux milliers de visages, à la Cartoucherie, à l'église Saint-Bernard, à Aubervilliers, dans la rue, au théâtre ou au cinéma et ailleurs encore, je pense qu'après ceux de 1995 ces jours de 1996 et 1997 travaillent, au moment du passage du XXe au XXIe siècle, à l'invention de la République française du XXIe siècle. Tâche inouïe que votre loi contrariera, mais n'arrêtera pas !
Votre loi veut afficher une sorte d'athlétisme d'Etat mais elle sera finalement écartée, quand la France se dessinera comme une couleur du monde, une France où l'on pourra dire, comme Saint-Exupéry : « Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente ».
J'ajouterai un petit post scriptum.
M. le président. Je vous en prie, monsieur Ralite, un très bref post scriptum !
M. Jack Ralite. Avez-vous vu le résultat des élections de dimanche ? La démarche de la majorité avec cette loi, qu'elle le veuille ou non, ressemble, sur un aspect, à celle du Front national.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est scandaleux !
M. Josselin de Rohan. C'est honteux !
M. Jack Ralite. Que disent les chiffres ? Loin de léser le Front national, vous le renforcez à vos dépens ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - Mme Joëlle Dusseau applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de respecter vos temps de parole. Le groupe communiste républicain et citoyen a dépassé le sien de 30 % !
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Nous voici en deuxième lecture de ce projet de loi sur l'immigration, quelques semaines après la première lecture. Vous déclariez ici même qu'il n'y avait pas d'urgence, et qu'il fallait prendre tout le temps nécessaire pour l'examiner. Apparemment, votre sentiment a changé et, entre sondages d'opinion, que vous croyez favorables à votre texte, et manifestations, que vous savez hostiles, il vous est apparu qu'il fallait presser le mouvement.
Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit tout au long de notre récente discussion, notamment en ce qui concerne les certificats d'hébergement et l'obligation pour les particuliers de notifier le départ de leur hôte. Tous nos arguments, pourtant forts, n'ont pu vous convaincre, pas plus que mes collègues d'ailleurs. En revanche, l'indignation d'un certain nombre d'intellectuels et d'étudiants y est parvenue, ce dont je ne peux que me réjouir.
Cependant l'amendement de l'Assemblée nationale, dit « amendement Mazeaud », n'est pas satisfaisant.
Tout d'abord, qu'est-ce que ce certificat d'hébergement que l'on va chercher à la préfecture ? En quoi les préfets sont-ils plus habilités que les maires pour le délivrer ?
Ensuite, qu'est-ce que cette déclaration faite par l'hébergé à sa sortie du territoire ? Va-t-il dire : « Oui, j'étais bien chez M. Untel il y a quinze jours et j'en suis parti il y a huit jours. Donc, je n'y suis plus ! » ?
S'il est à la frontière, il n'est plus chez l'hébergeant, parce que s'il est ici, il ne peut être ailleurs ! Si vous aviez pu interroger M. de La Palice, il vous l'aurait dit, monsieur le ministre ou Raymond Devos qui est un expert en description de situations ubuesques. Et c'est une situation ubuesque que vous proposez, monsieur le ministre !
Si c'est là le seul aménagement qui ait été imaginé, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'est pas probant. La vérité, il faut la rappeler avec un chiffre et une évidence.
Voici le chiffre : sur l'ensemble des clandestins aujourd'hui en instance de reconduite à la frontière, 90 % sont entrés en fraude, sans visa et sans certificat d'hébergement. Ils sont entrés, comme vous le disiez, dans des conditions souvent dramatiques, dans des soutes de navires, sous des bâches de camions.
Voici maintenant l'évidence : il faut supprimer cette déclaration de départ qui ne sert à rien, qui est ridicule, et qui ne fait que donner de la France une image tatillonne, administrative et répressive.
Une image administrative, puisque la philosophie qui sous-tend ce projet de loi est précisément de donner le pas à l'administratif sur le judiciaire. Or, en matière de respect des droits de l'homme, cela ne me paraît pas être un bon choix.
Confiscation de passeports ? Administratif ! Décision de non-renouvellement de la carte de dix ans en cas de menace à l'encontre de l'ordre public ? Administratif, cette menace étant laissée à l'appréciation de l'administration, sans aucune possibilité de recours judiciaire.
Il en va de même pour les régularisations de clandestins vivant en France depuis plus de quinze ans ! Eux aussi sont soumis à l'appréciation vague, mais définitive, de la menace à l'ordre public.
Même chose pour la décision administrative de retirer, la carte de séjour à toute personne qui emploierait un étranger en situation irrégulière, quel que soit le cas de figure. Il y a là une confusion totale entre le négrier et l'employeur occasionnel. Pas de moyen de se défendre, même si l'intéressé emploie pour garder des enfants une étudiante étrangère, qui ne peut travailler et fait du baby-sitting pour arrondir la bourse, de son pays que souvent elle a du mal à percevoir.
M. Emmanuel Hamel. Parlez français !
Mme Joëlle Dusseau. Baby-sitting est dans le dictionnaire, mon cher collègue.
M. Emmanuel Hamel. C'est très regrettable !
Mme Joëlle Dusseau. Baby-sitting y figure, mais pas le terme de sénatrice, hélas ! et à mon grand regret !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Ce n'est pas l'objet du débat !
Mme Joëlle Dusseau. La semaine dernière, en deuxième lecture, nous avons discuté du projet de loi sur le travail clandestin. Le rapprochement est impressionnant, les apparentements, si je puis dire, sont terribles.
D'un côté, on multiplie les signes en direction du patronat pour l'apaiser, ce fut tout le débat sur le mot « sciemment ». S'ils ne déclarent pas leurs salariés, peut-être les employeurs ne sont-ils pas vraiment au courant de cette obligation. Il faut donc ajouter le terme « sciemment ».
Même chose avec les restrictions portant sur les documents comptables, qui sont exclus du texte.
Même chose pour les ruptures de contrat par les collectivités locales.
Et aujourd'hui, en deuxième lecture, nous délibérons d'un projet de loi sur l'immigration, d'un projet de loi qui prévoit le retrait des cartes de séjour par décision administrative et non pas judiciaire.
Monsieur le ministre, par ailleurs, vous maintenez aussi le fichier centralisé, mémorisé des empreintes digitales de tous ceux qui demandent un titre de séjour. Contrairement à ce qui a été dit en première lecture, vous le savez très bien, il n'existe de fichier centralisé de ce type qu'en matière de police judiciaire, puisque les autres empreintes digitales ne sont ni mémorisées ni centralisées.
Tout le monde sent bien à quel point la seule lecture d'une telle décision tend à l'assimilation entre tout demandeur d'un séjour sur notre territoire - quel que soit le motif de ce séjour - et un délinquant ou un criminel.
Comment voulez-vous que cela ne pèse pas sur les mentalités de ceux qui font ce fichier, de ceux qui savent qu'il existe et de ceux qui le subissent ?
Est-ce bien le moment de faire peser un soupçon sur celui qui demande à faire un séjour en France ? Soupçon de mensonge, puisqu'il dit qu'il vient en court séjour en France et qu'on le soupçonne de vouloir, en réalité, rester sans le dire. Soupçon de délit ou de crime, puisque le seul autre fichier de ce type est celui de la police judiciaire.
Monsieur le ministre, la France est le pays des droits de l'homme, mais elle est aussi celui d'une tradition moins noble, qui va du père Joseph à M. Pasqua en passant par Fouché.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ils ont servi la France !
Mme Joëlle Dusseau. Dans les propos initiaux qui annonçaient votre projet de loi, on avait l'impression que vous vous référiez à la première de ces traditions.
Passons sur l'épisode attristant de la première lecture de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, où nous avons assisté, de la part de votre majorité, à une sorte de frénésie lepéniste !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Et à l'absence du parti socialiste !
Mme Joëlle Dusseau. Le texte a été corrigé « à gauche » - si je puis dire - par le Sénat, en première lecture. On aura tout vu ! Quoi qu'il en soit, j'en félicite mes collègues. Et ce texte est loin des objectifs que vous affichiez. (M. Jean-Jacques Hyest s'exclame.)
C'est de la deuxième tradition, monsieur le ministre, celle de la droite dure, que, visiblement, vous vous inspirez.
Votre cible, disiez-vous, était de parvenir à une immigration irrégulière « zéro ». C'était, aussi, de réussir l'intégration pour les autres.
Un examen approfondi du texte montre que nous sommes loin du compte. La cible est sans doute claire, mais les armes juridiques sont d'une efficacité douteuse, quand elles ne mettent pas directement en cause les libertés publiques ou l'intégration que vous prétendez rechercher, et ce au nom de la répression que vous mettez en place.
Ce qui a été réduit, depuis un certain nombre d'années, c'est l'immigration régulière. Le nombre des rapprochements familiaux a été réduit, il a été divisé par deux en cinq ans. Le nombre de réfugiés politiques a été réduit. Par ailleurs, 85 % des demandes d'asile politique ont été refusées en 1995. Le pourcentage des étudiants a été diminué d'un tiers depuis 1991, ce qui est une erreur fondamentale pour le rayonnement politique et économique de la France. Quant aux travailleurs non européens qui sont entrés en immigration régulière, ils sont au nombre de 5 000 seulement en 1995, et il s'agit pour 40 % d'entre eux de techniciens et de cadres.
Cette baisse de l'immigration régulière, qui est en grande partie liée aux lois de 1993, s'est faite au prix de la multiplication des pratiques expéditives et de la transformation de milliers d'étrangers en sans-papiers.
Ces pratiques expéditives ou administratives, votre projet de loi les développe. Ces milliers de sans-papiers, ni expulsables, ni régularisables, vous ne réglez qu'imparfaitement leur sort, donnant aux uns un permis d'un an, laissant dans une impasse juridique les parents d'enfants nés en France et les enfants mineurs entrés en France après l'âge de dix ans.
Monsieur le ministre, « l'image de la vraie France est celle que s'en font les étrangers qui l'aiment ». Cette belle phrase n'est pas de moi, hélas ! elle est de Malraux.
Au moment où vous allez vous prononcer, où nous allons discuter et voter sur une série d'amendements qui sont la dernière chance pour que cette loi soit à la fois efficace, humaine et respectueuse des droits de chacun, nous devons tous l'avoir en mémoire.
L'image de la vraie France est celle que s'en font les étrangers qui l'aiment. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré un titre censé traduire un caractère purement technique, ce projet de loi est devenu un enjeu de politique intérieure : pétitions, manifestations, références indécentes aux pires heures de notre histoire, appel à la désobéissance civile, tout a été tenté pour nous empêcher de débattre sur le fond de ce sujet capital pour notre pays.
D'ailleurs, c'est devenu une habitude, tout est bon pour esquiver le débat. La méthode est toujours la même, elle utilise deux leviers : d'abord, la disqualification de l'opposant par l'anathème.
Vous refusez une régularisation de sans-papiers entrés illégalement, vous êtes un sans-coeur.
Vous voulez lutter contre l'immigration illégale, vous êtes xénophobe.
Vous demandez que l'on prenne les empreintes digitales des demandeurs de visas, vous êtes bien évidemment contre la dignité de l'homme alors que personne ne s'étonne que l'on relève les empreintes d'un Français pour lui délivrer une carte d'identité.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Bernard Plasait. On lance des anathèmes, on diabolise, on excommunie, c'est facile et - avantage considérable - cela dispense de connaître son sujet.
Le deuxième levier, c'est l'émotion créée par l'image. Une caméra bien placée, une photo choc pour attirer la compassion, et le tour est joué, le débat sur le fond est esquivé.
L'efficacité est d'autant plus grande que les détresses qui nous sont présentées sont, bien sûr, souvent réelles et ne peuvent pas ne pas émouvoir. Il faut régler les situations individuelles douloureuses ; il faut surtout éviter qu'elles ne se reproduisent.
Focaliser sur les droits individuels en oubliant les intérêts collectifs est en réalité humain, compréhensible, mais c'est irresponsable.
C'est ainsi que certains s'abritent derrière les droits de l'homme pour défendre l'ouverture des frontières en toute irresponsabilité, sans aucune considération pour les conséquences, pourtant prévisibles.
L'avalanche de bons sentiments tient lieu d'argument définitif. Mais émotion n'est pas raison.
Les Français ne s'y sont pas trompés, et tous les sondages concordent : près des deux tiers de nos compatriotes approuvent, en effet, la détermination du Gouvernement à lutter efficacement contre l'immigration clandestine.
Si nous sommes nombreux dans cette enceinte à soutenir votre texte, monsieur le ministre, c'est parce que nous refusons ce terrorisme moraliste...
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Bernard Plasait. ... et parce que nous ressentons profondément que parler de l'immigration, c'est parler de la France.
Je sais - mais cela peut paraître désuet à certains - que les Français restent très attachés à la patrie, à l'appartenance nationale, à l'identité française. S'agit-il pour autant d'une hostilité à l'étranger, d'un refus de l'idée d'immigration ? Bien sûr que non !
La France est un pays d'accueil qui doit beaucoup à l'immigration. Mais elle constitue une nation tout à fait originale, dans laquelle se fondent, en y adhérant volontairement, tous ceux qui la rejoignent.
« Une nation est une âme, un principe spirituel » disait Renan et Malraux ajoutait : « C'est une communauté de rêves. »
Or, aujourd'hui, ce qui nous inquiète, mes chers collègues, c'est que cette conception de la nation française est contestée et menacée.
Elle est contestée par les défenseurs du droit à la différence qui ont de cette question une vision dévoyée par rapport à notre tradition.
Si le droit à la différence est l'épanouissement de coutumes, de folklore, de traditions culturelles, il est non seulement acceptable, mais également souhaitable parce qu'il enrichit la nation en permettant la coexistence harmonieuse de Français d'origines diverses.
En revanche, le droit à la différence ne peut autoriser la polygamie, l'excision ou le refus d'apprendre le français. Comme le dit Lionel Stoleru : « Oui à l'épanouissement de racines culturelles. Non à tout particularisme qui prétendrait prévaloir sur le droit républicain. »
Plus encore, notre conception de la nation française est menacée par le communautarisme.
C'est un jeune français issu de l'immigration, Rachid Kaci, qui écrivait récemment : « La France s'enfonce vers un modèle anglo-saxon de cloisonnement communautaire des populations. » Et il ajoutait : « Auparavant, l'immigré adoptait les valeurs de la France, son pays d'accueil. Aujourd'hui, cultiver sa différence en l'érigeant en véritable identité est devenu le précepte dominant. »
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Bernard Plasait. Ainsi s'efface peu à peu le modèle français de la nation au profit d'un modèle de type libanais qui juxtapose et, hélas ! finit par opposer des communautés différentes.
Tout cela montre bien que le maintien de la cohésion nationale passe par une politique de l'immigration qui doit bénéficier d'un large consensus des Français. Cette politique doit se fonder sur l'intégration.
Je souhaite dire à M. Badinter que les propos qu'il a tenus tout à l'heure m'ont choqué, parce qu'ils sont procès d'intention et amalgame.
Quand j'ai lu le dernier livre de Jean-Claude Barreau, j'y ai trouvé l'histoire si émouvante du petit juif de Vilna qui recevait des pierres et à qui sa mère disait : « Ne pleure pas mon fils, un jour tu seras ambassadeur de France. » Il ne devint pas ambassadeur mais consul, et deux fois prix Goncourt, sous deux noms différents dont une fois sous celui de Romain Gary.
Eh bien ! Monsieur Badinter, je ne peux pas raconter cette histoire sans émotion ! C'est parce que je voudrais que la France soit toujours capable d'accueillir dignement ses fils futurs que je crois nécessaire une politique d'immigration responsable, une politique qui permette, qui facilite, et non qui empêche l'intégration.
Permettez-moi de lire un texte, qui me paraît intéressant pour tout le monde.
« On a oublié surtout par quoi se définit l'identité nationale française.
« Or, il faut comprendre une chose essentielle : la France peut continuer à tirer fierté de son exceptionnalité laïque et républicaine, et de son droit du sol, mais à la condition seulement d'imposer l'intégration. Dix livres et cent éditoriaux paraissent chaque mois sur la question. Aucun, jusqu'à maintenant, ne m'a paru cerner cette évidence, à savoir que si le droit du sang peut s'accommoder de l'existence des communautés non nationales, le droit du sol, lui, ne peut s'accommoder que de l'intégration des individus dans la nation. Si tous les enfants d'étrangers que le hasard fait naître sur notre sol deviennent français sans que l'école fasse d'eux des citoyens, alors la nation ne deviendra plus qu'une juxtaposition de communautés, c'est-à-dire qu'elle sera condamnée à disparaître. »
M. Louis Boyer. Très bien !
M. Bernard Plasait. De qui est ce texte ? D'un esprit faible séduit par des thèses extrémistes ? Pas du tout ! C'est Jean Daniel qui écrivait récemment ces choses fortes. C'est donc un intellectuel de gauche qui nous dit que la politique d'immigration dont la France a besoin n'est ni celle des frontières ouvertes ni celle du retour des immigrés régulièrement installés, mais celle d'une maîtrise des flux migratoires.
Notre politique d'immigration doit être proportionnelle à notre capacité d'absorption. La priorité est à l'intégration des immigrés déjà régulièrement installés chez nous. C'est la condition première de la perpétuation de la nation française et, au bout du compte, la seule véritable garantie, me semble-t-il, du respect des droits de l'homme, non seulement aujourd'hui, mais également dans l'avenir.
Quand le « seuil de tolérance » est atteint, quand la capacité d'absorption est dépassée, toute immigration supplémentaire, surtout clandestine, exerce ses effets au détriment des Français les plus modestes, mais aussi des étrangers déjà régulièrement présents sur notre sol.
La dignité de l'homme ne peut s'accommoder de la clandestinité, qui ne profite, la nuit, qu'aux marchands de sommeil, et, le jour, à des exploiteurs sans vergogne, dans des ateliers sans droit ni loi.
Aux jeunes, si heureusement attachés à la tolérance et à l'ouverture et qui expriment si fortement l'exigence morale, il faut montrer que l'angélisme conduit tout droit à l'enfer.
Confondre humanisme et laxisme, c'est accepter un engrenage pervers qui fabrique des clandestins et du racisme.
Confondre générosité et faiblesse, c'est commettre, au nom du coeur, un péché contre nous-mêmes, contre les immigrés, contre les plus vulnérables.
En vérité, pour nous, les droits de l'homme sont non pas un slogan que l'on scande à tout propos, mais une exigence absolue pour aujourd'hui et pour demain. Notre différence avec les porteurs de pancartes, c'est que nous ne refusons pas de voir la réalité en face. Le choix est entre la guerre des communautés et la paix civile dans la nation, entre la dignité de ceux qui vivent sur notre sol et une nouvelle forme d'esclavage acceptée, voire favorisée - ô paradoxe ! - au nom des droits de l'homme.
En niant les problèmes, de bonne ou de mauvaise foi, on fait le jeu des extrêmes.
Si nous voulons voir se perpétuer la nation française, encore une fois indissolublement liée au respect réel des droits de l'homme, il nous faut réclamer à l'Etat qu'il accomplisse son devoir.
Il n'y a pas de cité sans loi. Il n'y a pas de gouvernement sans capacité à faire respecter les lois. « Proclamer, dans un Etat de droit, que l'on ne respectera pas la loi, c'est semer la violence contre la République », dit Me Francis Spizner.
L'appel à la désobéissance civique ne peut être accepté, surtout quand il est lancé par des juges, ou alors l'Etat n'existe plus.
Dans l'actualité pleine de bruit et de fureur que nous vivons, le Gouvernement a tenu bon. En dépit de quelques modifications techniques nécessaires, le processus parlementaire a suivi son cours normal, trouvant aujourd'hui son aboutissement au Sénat.
Je tiens ici à rendre hommage au remarquable travail accompli par la commission des lois, sous l'autorité de son président, M. Jacques Larché, et de son rapporteur, M. Paul Masson, dont la compétence et la sagesse ont imprégné les propositions et dont j'ai beaucoup apprécié tout à l'heure les remarquables interventions.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, est équilibré s'agissant des droits de l'individu et du devoir de l'Etat, qui doit préserver les intérêts collectifs. Je le voterai sans réserve.
Après l'émotion, le tumulte de la rue, après le travail du Gouvernement, après les travaux du Parlement, l'essentiel est que soient satisfaites les attentes légitimes des Français sur un sujet aussi important.
En démocratie, le premier mot est au peuple ; c'est lui qui désigne ses représentants pour faire la loi et gouverner. Le peuple doit aussi avoir le dernier mot.
Monsieur le ministre, vous allez disposer des moyens juridiques nécessaires à la politique d'immigration ferme et courageuse dont notre pays a besoin. Ce sera votre victoire, n'en déplaise à M. Badinter ! (Exclamations sur les travées socialistes. - Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Triste conclusion !
M. Louis Boyer. Elle en vaut bien une autre !
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Alors que nous débattons en deuxième lecture de votre projet de loi, monsieur le ministre, 70 % de nos concitoyens restent favorables, à ses dispositions. Ce pourcentage n'est pas uniquement le résultat de sondages ou d'enquêtes d'opinion auxquelles je ne crois guère et qu'il faut manier avec précaution ; il provient des pétitions et des consultations que les élus de la majorité présidentielle ont menées sur le terrain, notamment auprès des habitants de la Seine-Saint-Denis, département où je suis élu. Je puis vous assurer que nous ne cessons d'être contactés par les Séquano-Dyonisiens, qui manifestent leur volonté de voir ce texte adopté.
L'appel à la désobéissance et à l'abandon du projet de loi lancé par quelques milliers de pétitionnaires - dans la plupart des cas, ils n'en connaissent même pas le contenu - soutenus par la gauche, révèle l'ampleur du décalage avec l'opinion.
Malgré des campagnes de presse répétées, relayées par des associations et par certains parlementaires socialistes et communistes, la manifestation de dimanche dernier n'a pas obtenu, une fois de plus, le succès escompté. La situation est claire : les Français reconnaissent la nécessité de voter et d'appliquer des mesures pour lutter contre l'immigration clandestine. Ils savent que cette immigration porte un préjudice énorme aux étrangers réguliers. Ils ont bien compris également qu'elle représente un danger pour la cohésion sociale, pour l'emploi et pour l'identité nationale.
M. René-Pierre Signé ! Ce n'est pas vrai !
M. Louis Boyer. Si c'est vrai !
M. Christian Demuynck. Je souhaite aujourd'hui condamner tous les excès de langage qui ont gravité autour de ce projet de loi.
Au travers de leurs interviews, dans la presse, dans les débats au Sénat et à l'Assemblée nationale, certains parlementaires de gauche ont tenté de pratiquer l'amalgame - nous en avons eu la démonstration voilà quelques instants - entre immigrés clandestins et étrangers en situation régulière.
De ce fait, ils ont voulu mener une campagne de désinformation pour susciter l'incompréhension et la crainte de certains de nos concitoyens. Pire encore, certains élus de gauche se sont permis de comparer l'esprit de la loi Debré à celui des lois de Vichy. Leur attitude dépasse gravement les limites de la correction politique. Les Français s'en souviendront. Ils ont été choqués par de tels propos, qui sont une insulte pour notre pays, pour notre histoire et pour les victimes du nazisme. (M. Signé proteste.)
M. Philippe François. Parfaitement !
M. Christian Demuynck. Face à ces provocations, le Gouvernement a su faire preuve d'une grande sagesse et expliquer aux Français ses intentions dans un souci d'équité et d'équilibre social.
Comme nous l'avons maintes fois rappelé lors des débats en première lecture, sur de nombreux points, la législation de notre pays reste beaucoup plus souple et généreuse que celle de nos partenaires européens : c'est le cas pour l'accès aux prestations familiales ou encore pour les regroupements familiaux.
La majorité comprend bien la stratégie des socialistes qui, à la veille de chaque grande échéance électorale, multiplient les manipulations pour tenter de faire remonter le Front national. (Protestations sur les travées socialistes.) C'est leur objectif pour 1998 en agitant les esprits pour essayer de déplacer une partie de l'électorat français vers l'extrême-droite puis pour s'en servir comme épouvantail et ramener à eux l'autre partie des électeurs. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Philippe François. Exactement !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est la vérité !
M. Christian Demuynck. La gauche qui s'est réveillée tardivement dans les débats parlementaires n'a pas, c'est le moins que l'on puisse dire, fait preuve d'une grande cohérence dans ses prises de position.
M. Philippe François. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Christian Demuynck. Elle a révélé ses contradictions et ses divisions. Entre ceux qui envisagent des régularisations massives, ceux qui veulent adopter le système des quotas, ceux qui souhaitent l'abandon de tout le projet de loi, ceux qui n'ont parlé que des certificats d'hébergement en se gardant bien d'évoquer les autres articles, il y a de quoi s'y perdre.
On comprend bien l'embarras et le silence de certains de ces élus qui, dans leur for intérieur, savent que les dispositions de la loi Debré sont une nécessité, même s'ils n'osent l'avouer et préfèrent se retrancher derrière la facilité des discours démagogiques. En effet, c'est sous la gauche, en 1982, que les conditions des certificats d'hébergement ont été décidées.
M. Guy Allouche. Il n'y avait pas de délation !
M. Christian Demuynck. Dans ces débats, il faut savoir rester réaliste et ne pas occulter le fond des problèmes.
Les immigrés en situation clandestine vivent souvent un véritable calvaire. Ils sont généralement exploités par des réseaux de travailleurs clandestins, quand ils ne s'engagent pas dans les trafics de stupéfiants ou dans la délinquance pour assumer leurs propres moyens de subsistance. Les clandestins sont les premières victimes de leur situation. C'est également notre société dans son entier qui doit en supporter la charge économique et sociale. Enfin, ce sont les étrangers régulièrement installés sur notre sol qui pâtissent de leur présence.
Quoi de plus louable qu'un texte de lutte contre l'immigration clandestine à la fois équilibré et juste qui apporte des solutions pour les étrangers qui ne peuvent être expulsés pour des raisons d'ordre personnel ou familial, un texte qui contribuera à une meilleure intégration des étrangers en situation régulière ?
La question des certificats d'hébergement a concentré une grande part des discussions. Dans les départements sensibles des banlieues comme la Seine-Saint-Denis, les maires savent, et ce serait fermer les yeux que de ne pas l'admettre, que ces certificats donnent lieu à un véritable trafic. Il existe des hébergeants factices qui fournissent des documents de complaisance pour que les candidats clandestins obtiennent un visa.
Il est quelque peu regrettable que l'on ait pu mettre en doute la capacité des maires à délivrer les certificats. Souvent, ils sont les mieux placés pour connaître les cas de fraude et pour apprécier les conditions d'hébergement. Gageons que les préfets auront les moyens de traiter les demandes de certificats et que les maires pourront être autant que possible sollicités pour donner leur avis.
La publication, voilà une quinzaine de jours, du rapport annuel de la direction de la population et des migrations met en évidence une nouvelle baisse de l'immigration régulière et permanente en 1995. En 1993, on dénombrait plus de 116 000 arrivées régulières contre 68 000 en 1995. Cette tendance est également un facteur de meilleure intégration de la population étrangère sur notre sol.
Si les Français souhaitent, dans leur majorité, que l'on tende vers une immigration irrégulière zéro, ils restent également sensibles à ce que l'ensemble des flux migratoires vers notre pays respecte une limite raisonnable.
Ce raisonnement n'est pas propre à la France. Toutes les démocraties occidentales sont préoccupées par l'immigration, qu'elle soit régulière ou clandestine. Le phénomène de sous-dévelopement doit nous amener à soutenir nos efforts en direction des pays d'émigration et à multiplier les expériences locales par une coopération de proximité. Car il n'y aura pas de lutte efficace contre l'immigration clandestine sans un accroissement de l'aide au développement.
Le projet de loi que nous allons voter tombe à point nommé. Il correspond à une nécessité sociale dans un contexte international en pleine évolution. Enfin, il complète utilement les carences de la loi de 1993, que les événements de l'église Saint-Bernard de cet été avaient révélées.
Cette avancée dans la lutte contre l'immigration clandestine rendra service à notre pays. Elle rendra service aux candidats à la clandestinité eux-mêmes en les dissuadant de se lancer dans une aventure hasardeuse. Enfin, elle rendra service aux étrangers réguliers dont l'intégration est placée au rang des priorités du Gouvernement.
Oui, monsieur le ministre, les parlementaires de la majorité ne peuvent que saluer la clairvoyance et la détermination avec lesquelles vous avez présenté et défendu ce projet de loi.
Je suis persuadé que nous le voterons tous. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Rocard. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Rocard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de notre débat en première lecture voilà cinq semaines, débat où la vigueur de notre opposition, voire de notre indignation, avait laissé le Gouvernement de marbre, qui aurait pu prévoir le formidable mouvement d'émotion qui allait s'emparer de l'opinion de notre pays devant ce texte ?
Bien sûr, cinquante-neuf cinéastes, suivis de 120 000 pétitionnaires - et non pas quelques milliers, mon cher collègue Demuynck - accompagnés de plus de 100 000 manifestants à Paris le 22 février et plus de 30 000 le 25, auront contraint le Gouvernement à reculer sur l'article 1er, qui avait focalisé sur lui la révolte morale qui s'est si largement exprimée. C'est l'honneur de notre pays qu'il se soit trouvé autant de citoyens pour opposer un non absolu à ce qui était ressenti comme une obligation de délation.
Par l'appel à refuser de « se soumettre à des lois inhumaines » qu'ils ont lancé, les signataires qui sont aujourd'hui plusieurs centaines de milliers ont réaffirmé, avec une force de conviction que vous n'avez osé défier davantage, le fondement le plus précieux et le plus spécifique de l'identité de la France : l'attachement aux droits de l'homme.
J'avais espéré que les mêmes raisons qui ont conduit le Gouvernement à modifier l'article 1er, le conduiraient, dans la présentation finale de ses intentions, à plus de lucidité et de discrétion.
Tel n'est malheureusement pas le cas, monsieur le ministre. Le règlement de compte politique, emphatique et excessif jusqu'à en être, ici ou là, erroné par lequel vous venez d'ouvrir ce débat n'a pas honoré votre cause et ne va sûrement pas contribuer à l'apaisement des esprits ; ce n'était sans doute pas votre intention.
Quant à l'étrange réaction qui vous fait, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, rechercher si, dans la très douloureuse histoire de notre pays, il existe, sur le plan de la pure technique juridique de comparaison des lois et indépendamment du contexte historique, des précédents à une législation fondée sur le soupçon, je ne peux que l'attribuer au fait que, justement, vous sentez bien que le bât blesse.
Vous avez évoqué les convenances à ce sujet. C'était au moins ouvrir le débat sur le point de savoir où elles se situent. J'en serais presque à vous en remercier.
Monsieur le ministre, depuis août 1789, l'éthique sociale de la démocratie repose sur un principe auquel le philosophe Emmanuel Kant a donné une expression définitive dans cet impératif catégorique : « Agis de telle sorte que tu traites l'humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est valable pour tout le monde !
M. Michel Rocard. Si le pays a été saisi d'une émotion que le Premier ministre a lui-même saluée, c'est parce que des citoyens ont su faire entendre aux hommes politiques que nous sommes que, sur cet impératif catégorique, on ne pouvait transiger. C'est le grand acquis du débat soulevé par votre projet de loi.
C'est un acquis considérable, et s'il s'est fait contre vous, c'est parce que vous vous êtes obstiné à proposer un texte dont le Conseil d'Etat vous avait averti, dès octobre, qu'il portait atteinte aux libertés individuelles et à la vie privée. Ce faisant, vous avez choisi délibérément de désobéir à la loi fondamentale de la République, sachant parfaitement que le Conseil constitutionnel ne pourrait que vous censurer. Il est heureux pour la démocratie que ce soit d'abord la révolte morale d'une partie significative du peuple souverain qui vous ait obligé à vous soumettre, sur ce point, à la Constitution de la République. Mais cela juge éthiquement votre loi.
L'amendement Mazeaud, en effet, ne saurait suffire à rendre acceptable une loi qui demeure aussi inutile - tous les outils répressifs existaient déjà - aussi absurde et aussi inadaptée à la situation.
L'article 1er ne représentait qu'un aspect de ses dangers. Votre projet de loi est tout entier inacceptable parce qu'il repose sur la suspicion à l'égard de l'étranger. Dans l'esprit de l'impératif catégorique que je rappelais à l'instant, Kant affirmait « le droit qu'a un étranger, à son arrivée dans le territoire d'autrui, à ne pas y être traité en ennemi et le droit qu'a tout homme de se proposer comme membre de la société ». Ce droit essentiel de tout étranger, fût-il présumé « clandestin », le texte de loi que vous nous avez soumis le méconnaît, en vérité, en chacun de ses articles.
Le nouvel article 1er imposera, vous l'avez reconnu, un fichier national sur les dangers duquel je n'ai pas besoin d'insister car M. Badinter l'a fait excellemment voilà un instant.
Considérons l'article 4, celui-là même qui est censé régler quelques-unes de ces situations sans issues créées par les contradictions des lois précédentes.
Un millier peut-être des « sans-papiers » recevraient une carte de séjour temporaire d'un an. Pourquoi une carte d'un an seulement, monsieur le ministre, au terme duquel le problème se reposera, et non pas une carte de résident de dix ans alors même que toutes les personnes concernées sont inexpulsables selon l'article 25 de l'ordonnance de 1945 ?
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous m'apportiez réponse à une question précise : quelle sera la nature du titre de séjour qui sera accordé aux intéressés ? Sera-ce obligatoirement une carte temporaire « mention salarié » ? J'insiste sur ce point car, si les rares bénéficiaires de l'article 4 n'obtiennent pas de plein droit cette carte de séjour « salarié », on peut prédire, dès aujourd'hui, des conséquences pratiques désastreuses ! A quoi bon des papiers s'ils n'autorisent pas à travailler ? La carte « membre de famille » serait une solution trompeuse car elle nécessite un contrat de travail, et comment obtenir celui-ci quand on n'a pas l'autorisation de travailler ? J'aimerais être clairement rassuré sur ce point.
Autre exemple : le paragraphe 5° de ce même article prévoit que la carte de séjour temporaire sera délivrée à un père ou une mère d'un enfant français de moins de seize ans « à condition qu'il subvienne effectivement à ses besoins ».
Monsieur le ministre, reprenons nos esprits, soyons objectifs et regardons sans arrière-pensée : par définition, les personnes concernées qui demandent ce titre n'ont pas de titre de séjour et n'ont donc pas d'autorisation de travail ! Comment peuvent-elles être en possibilité de prouver qu'elles subviennent aux besoins de l'enfant ? Ne sommes-nous pas ici en pleine absurdité ?
L'article 25 de l'ordonnance de 1945 énonçait comme condition « qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ». Pourquoi rendre la situation totalement kafkaïenne ? Comment, en face d'un tel texte, l'étranger ne se sentirait-il pas traité en ennemi ? La seule solution politiquement efficace et éthiquement juste serait de faire ce que toutes les personnes raisonnables vous ont demandé, du collège des médiateurs au président Pierre Mazeaud : donner une carte de résident à toutes ces personnes qui ne sont pas expulsables et que les lois de 1993 ont privées de papiers.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Michel Rocard. Le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre, n'avez cessé de prétendre que ce projet de loi combattait l'immigration clandestine mais qu'il ne portait aucun tort à l'immigration régulière. Vous nous l'avez encore répété aujourd'hui au moins trois fois !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous ai donc convaincu ?
M. Michel Rocard. Pas du tout ! J'allais vous dire que je tiens cette argumentation pour un sophisme, et je vais entreprendre de vous le démontrer.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Vous ne me convaincrez pas !
M. Michel Rocard. Vous savez, aussi bien que nous tous, que si beaucoup de Français, hélas, désignent sans honte un homme comme « immigré » simplement d'après son apparence physique ou vestimentaire, aucun Français évidemment ne peut distinguer si l'étranger en question est régulier ou clandestin. De la sorte, à désigner le malheureux « clandestin » comme une grave menace, c'est en réalité de toute personne d'apparence étrangère - même dotée d'une carte d'identité française - que vous contribuez à faire le bouc émissaire de tous les problèmes de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Comment pouvez-vous l'oublier : ceux qui font commerce de la xénophobie sont toujours gagnants ! M. Pasqua, en 1993, prétendait déjà qu'il fallait aggraver le caractère répressif des lois sur l'immigration pour lutter contre le Front national. Je vous le demande : avez-vous observé, depuis 1993, un recul du Front national, alors qu'il s'est emparé de quatre municipalités importantes ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Vous avez tout fait pour qu'il n'en soit pas ainsi !
M. Michel Rocard. Nous avons tout lieu de croire que votre loi aura le même effet. M. Mazeaud vous l'avait dit dès le début et Mme Simone Veil le répétait ce dimanche même : cette loi est totalement inutile ; il suffisait pour régulariser les quelques cas qu'elle veut bien prendre en compte - mais aussi ceux qu'elle oublie et qui doivent l'être - de recourir aux décrets et aux circulaires.
M. Claude Estier. Absolument !
M. Michel Rocard. Vous en avez le pouvoir, monsieur le ministre.
A centrer encore une fois le débat sur l'immigration, il y a fort à craindre que la loi Debré n'obtienne les mêmes résultats désastreux que les lois Pasqua : un renforcement des sentiments xénophobes et racistes que l'on veut combattre.
Notre collègue M. Demuynck évoquait à l'instant même à cette tribune le fait que nous nous servirions de ce débat pour faire monter le Front national.
M. Christian Demuynck. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est ce que vous avez fait !
M. Michel Rocard. Si c'est ce que vous craignez, il ne fallait pas faire de loi puisque vous disposez déjà des instruments répressifs nécessaires dans l'arsenal juridique français ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Le pire est que vous avez conservé l'article 4 bis introduit par la fraction extrémiste de votre majorité à l'Assemblée nationale en première lecture. Il est consacré à la seule immigration régulière et son but unique est de faire peser sur le renouvellement de la carte de résident de dix ans, jusque là automatique, la réserve d'une « menace à l'ordre public » dont l'appréciation est laissée discrétionnairement à l'administration. Cet article livre de facto toute l'immigration non européenne au soupçon et la déstabilise tout entière.
J'aimerais que vous m'expliquiez, monsieur le ministre, en quoi cet article 4 bis ne va pas au devant des voeux du Front national, dont les leaders n'hésitent pas à affirmer que leur but est de chasser tous les étrangers non occidentaux en refusant le renouvellement de leur carte de séjour !
M. Josselin de Rohan. Hier, c'était Vichy, aujourd'hui c'est le Front national !
M. Michel Rocard. Si le Front national - Dieu nous en garde ! - parvenait au pouvoir, l'article 4 bis de la loi qui portera votre nom lui permettrait de mettre son projet à exécution sans modification du droit : il suffirait d'instructions restrictives aux services de police. Cela ne peut pas, monsieur le ministre, vous laisser indifférent.
Le Président de la République, l'autre dimanche, mettait en garde contre l'« angélisme ».
M. Philippe François. Il avait raison !
M. Michel Rocard. En vérité, c'est vous qui vivez dans le rêve si vous vous aveuglez au point de ne pas voir la portée réelle de votre loi. En vérité, c'est nous qui sommes réalistes...
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est nouveau !
M. Michel Rocard. ... en vous rappelant qu'il n'y a qu'un seul chemin pour les démocrates : il s'agit de se tenir fermement accroché à un seul credo, celui du respect de l'autre, fût-il étranger, celui des droits de l'homme, fût-il « clandestin », selon ce mot terrible dont André Frossard - eh oui, André Frossard ! - écrivait en 1993, dans Le Figaro, qu'il ne supportait pas de le voir employé pour désigner un être humain.
Si nous voulons lutter sans angélisme mais avec réalisme et efficacité contre la xénophobie, nous devrions tous renoncer à utiliser l'expression « immigration clandestine ». Notre vie politique tout entière se rapprocherait d'un coup de l'impératif éthique de la démocratie.
Avez-vous conscience, mes chers collègues, de ce qu'est devenue l'image de la France à l'étranger depuis que nous avons fait semblant de penser que l'immigration était un danger pour la France, imposant toujours plus de lois répressives ?
M. Philippe François. Elle commence à être respectée !
M. Michel Rocard. Je voudrais revenir ici sur la résolution du Parlement européen, qui a été si mal reçue par les plus hautes autorités de l'Etat.
M. Josselin de Rohan. Elles ont eu raison ! C'est nous qui décidons, et non le Parlement européen !
M. Emmanuel Hamel. Nous n'avons pas de leçons à recevoir du Parlement européen !
M. Michel Rocard. Voilà un texte de résolution, qui ne fait pas deux pages, qui rappelle diverses atteintes aux droits et à la dignité de la personne humaine commises dans divers pays de l'Union - quatre ou cinq en tout, mais principalement l'Allemagne et la France - et qui, dans son alinéa 4, « invite les gouvernements de l'Union à renoncer à toute politique susceptible de renforcer la haine raciale et la xénophobie, le gouvernement français à retirer le projet de loi Debré et le gouvernement allemand à annuler le décret sur le visa des mineurs ». Un point c'est tout, pour le dispositif.
M. Josselin de Rohan. C'est déjà beaucoup !
M. Michel Rocard. Le considérant F, qui vise la France, est une analyse - hélas ! objective - de votre projet de loi, monsieur le ministre, avant la modification de l'article 1er, et cette analyse ne comporte ni dénonciation ni qualification. Il s'agit simplement de l'énonciation de faits.
Mais les plus hautes autorités de l'Etat, vous compris, se sont permis de s'en prendre à cette résolution et au Parlement européen, qui l'a votée,...
M. Josselin de Rohan. Eh oui, elles se le sont permis !
M. Michel Rocard. ... dans des termes parfaitement inacceptables et que je ne souhaite pas rappeler ici pour notre dignité collective à tous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Ignore-t-on ici que notre pays, la France, est, au Conseil de l'Europe, signataire des conventions qui donnent compétence à la Cour européenne des droits de l'homme pour juger de ces matières ? Nous avons nous-mêmes décidé d'ouvrir cette compétence. Ignorez-vous surtout, monsieur le ministre, que la Cour de justice des Communautés, qui siège à Luxembourg, est compétente pour juger de la compatibilité de ce texte avec le droit européen ?
Avec cette résolution, le Parlement européen agit pleinement dans l'exercice de ses responsabilités. Il vous annonce ce qui risque fort d'arriver à votre loi dans l'avenir proche. En l'insultant, vous avez lourdement aggravé votre cas dans l'hypothèse de contentieux futurs. Car cette Cour n'est compétente que par la décision de la République française, qui a signé le traité lui accordant cette compétence. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Paul Masson, rapporteur. Pas du tout !
M. Michel Rocard. Vous n'avez pas aimé, monsieur le ministre, l'image que l'assemblée européenne vous renvoie de ce que vous faites.
Mais attention, ce qui est ici atteint dans sa dignité, ce n'est pas seulement un gouvernement de la République,...
M. Josselin de Rohan. Vous avez voté contre la France, voilà ce que vous avez fait !
M. Michel Rocard. J'ai voté contre une mauvaise loi et pour la dignité de mon pays !
... ce qui est ici atteint, c'est aussi la réputation même du pays, la France, qui a le plus fortement contribué à proclamer justement l'universalité des droits de l'homme, au nom desquels, principe français, le Parlement européen délibère et vote comme vous venez de l'entendre.
Mes chers collègues, cette loi est inutile, mais elle est aussi nuisible parce qu'elle égare les Français sur la réalité.
C'est notre devoir d'hommes politiques de redire sans relâche à nos concitoyens que l'immigration clandestine n'est pas un danger pour la France.
M. Josselin de Rohan. Vous, vous la légitimez !
M. Michel Rocard. Les chiffres sont, sur ce point, parfaitement convaincants, et nous devons les faire connaître.
L'immigration n'est aucunement une menace qui pèserait sur nous, et seuls les démagogues prétendent le contraire. Il n'y a pas plus de 100 000 étrangers se fixant régulièrement en France chaque année, alors que 60 000 à 80 000 en repartent dans le même temps. Et l'immigration irrégulière - vous le savez tous, nos services de police en ont fait état - ne dépasse guère 30 000 personnes par an. Il faut répéter que, pour un pays de près de 60 millions d'habitants, et qui reçoit environ 100 millions de visiteurs par an, il est pratiquement impossible de descendre plus bas !
M. Jean-Pierre Schosteck. Excusez du peu !
M. Josselin de Rohan. Vous légitimez l'immigration clandestine !
M. Jean-Louis Carrère. Vous n'avez pas la parole, monsieur de Rohan.
M. Michel Rocard. Si problème il y a, pourtant, aux yeux de beaucoup de nos concitoyens, c'est parce qu'une partie importante des étrangers non européens vivant en France a été conduite à se concentrer dans les banlieues des grandes villes. A ce problème, votre loi n'apportera pas la moindre réponse. Il y faut une grande politique de la ville, une grande politique d'urbanisation et, surtout, une grande politique de l'emploi.
Monsieur le ministre, vous ne renoncerez pas à votre loi, je le sais bien.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Non !
M. Michel Rocard. Souvenez-vous, pourtant, que sa seule chance de passer à l'histoire, c'est d'avoir cristallisé contre elle un formidable réveil civique. (M. Christian Bonnet s'esclaffe.) Si vous aviez su l'entendre véritablement, vous auriez retiré votre texte. Alors, vous seriez vous-même passé à l'histoire de la République, du côté non de ce qui l'affaiblit mais de ce qui la renforce et la refonde. Je regrette qu'il n'en aille pas ainsi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd'hui, enfin, le Sénat va mettre un terme à plusieurs semaines de polémique stérile en adoptant un texte qui est en parfaite adéquation avec la situation existante.
Franchement, était-il nécessaire d'en arriver jusqu'à invoquer des ressemblances avec les lois vichystes pour véhiculer un message antidémocratique et contraire aux valeurs de la République, en appelant à la désobéissance civile ?
M. Pierre Fauchon. Très bien !
M. Jacques Bimbenet. Depuis un siècle, la France a accueilli plusieurs millions d'étrangers - Polonais, Grecs, Italiens, etc. - qui ont appris notre langue et, souvent, enrichi notre culture.
Pour ma part, j'ai été particulièrement choqué qu'une minorité de Français - en particulier quelques intellectuels - puisse s'arroger le droit de parler au nom de l'ensemble des citoyens et de juger ce projet de loi négativement, alors que, justement, la majorité des citoyens approuve ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Faut-il rappeler, en effet, que, selon le dernier sondage d'opinion effectué à cette occasion,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah ! les sondages !
M. Jacques Bimbenet. ... 69 % des Français soutiennent le Gouvernement dans sa politique de lutte contre l'immigration clandestine ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais pas 69 % d'électeurs !
M. Jacques Bimbenet. Il serait d'ailleurs intéressant de réaliser un même sondage auprès des étrangers en situation régulière. Je suis convaincu que la majorité d'entre eux penserait comme les Français de souche !
M. Jean-Luc Mélenchon. De quelle souche parlez-vous ?
M. Jacques Bimbenet. La démocratie offre, certes, à chacun la possibilité de faire part de ses convictions sur un projet de loi. Encore faut-il les exprimer sans dénaturer la pensée de ses auteurs !
M. Pierre Fauchon. Voilà !
M. Jacques Bimbenet. Monsieur le ministre, vous déclariez devant nos collègues députés : « C'est au Parlement et nulle part ailleurs que doit se décider et que se décidera la politique d'immigration. » Je souscris à cette affirmation et j'ajoute que, si notre rôle est d'écrire la loi, qui est l'expression de la volonté populaire, alors notre rôle est d'adopter un texte auquel les deux tiers de nos concitoyens ont manifesté leur soutien !
Il est donc aujourd'hui grand temps de réaffirmer que la lutte contre l'immigration clandestine impose de procéder à des choix qu'il serait dangereux de remettre à demain, que ces choix s'effectuent dans le respect des valeurs républicaines et de la démocratie, et qu'en conséquence assimiler ces choix aux mesures prises lors des périodes les plus tristes de notre histoire relève de la malhonnêteté, du mensonge et de la diffamation !
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Pierre Fauchon. Excellent !
M. Jacques Bimbenet. Je suis convaincu que le Sénat, dans sa traditionnelle sagesse, saura travailler dignement et permettre ainsi d'apaiser les tensions constatées jusqu'à présent.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Jacques Bimbenet. Le débat porte essentiellement sur les certificats d'hébergement. C'est ce point qui se trouve à l'origine de la plupart des critiques.
Monsieur le ministre, certains affirment que vous auriez reculé, en acceptant de souscrire aux propositions du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Mes chers collègues, fait-on grief au Gouvernement d'avoir laissé au Parlement le soin de jouer son rôle ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il était temps !
M. Jacques Bimbenet. Pour ma part, je ne considère pas que le ministre de l'intérieur ait cédé face au mouvement contestataire en donnant un avis favorable sur l'amendement présenté par M. Pierre Mazaud.
Il convient bien, au contraire, de souligner la bonne volonté dont le Gouvernement a fait preuve dans le traitement de ce dossier en acceptant le dialogue avec le Parlement et les élus locaux.
M. René Régnault. C'est un peu gros !
M. Jacques Bimbenet. Ainsi, ce sont plus particulièrement les maires qui, grâce aux travaux de l'Association des maires de France, ont provoqué la modification que j'approuve.
Je crois qu'il était en effet nécessaire de modifier l'article 1er relatif aux certificats d'hébergement,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il fallait le dire la dernière fois !
M. Jacques Bimbenet. ... non pas en ce qu'il appelait à la délation, car tel n'était pas le cas, mais plutôt parce qu'il se révélait techniquement difficile à mettre en oeuvre.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ah !
M. Jacques Bimbenet. La tâche que le Gouvernement souhaitait voir dévolue aux maires paraissait en effet exorbitante compte tenu des moyens nécessaires à son accomplissement.
Il me semble toutefois hautement souhaitable que les maires participent à la réalisation du fichier départemental d'hébergement en émettant un avis, et seulement un avis, sur les dossiers concernant leur commune, avant l'établissement des certificats.
En effet, remédier aux difficultés que risquait de rencontrer l'application de l'article 1er dans son ancienne version ne peut avoir pour conséquence d'empêcher tout contrôle des flux migratoires, et c'est la raison pour laquelle je me réjouis qu'un dispositif différent dans sa forme mais identique quant aux objectifs visés ait été voté par l'Assemblée nationale.
Pour ma part - et je sais que plusieurs de mes collègues partagent mon opinion -, je souhaiterais que l'adoption de l'article 1er permette ou précède la mise en place d'un système analogue à celui qui est utilisé aux Etats-Unis, où chaque étranger pénétrant sur le territoire se voit remettre, dans l'avion, un coupon à remplir sur deux parties.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Surtout ceux qui viennent du Mexique ! (Sourires.)
M. Jacques Bimbenet. La première partie, remise à l'entrée, dès le passage de la frontière, est destinée aux services de police, qui la conservent jusqu'à ce que l'étranger, en quittant le territoire, remette la deuxième partie du coupon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Tu parles !
M. Jacques Bimbenet. Ainsi, les services de l'immigration américains connaissent avec précision les étrangers présents sur leur territoire, toute entrée et toute sortie leur étant déclarées.
M. Jean-Luc Mélenchon. Tu parles !
M. Jacques Bimbenet. En ce moment même, ma belle-fille est dans ce cas.
J'entends aujourd'hui les adversaires de ce projet de loi revenir à l'attaque avec les fichiers. Mes chers collègues, des fichiers sont utilisés tous les jours et dans tous les domaines sans que cela choque quiconque ! Propriétaire d'un véhicule, je suis fiché à la préfecture ; électeur, je suis fiché à la mairie ; porteur d'une carte d'identité et d'un passeport, je suis fiché. Et je dois avouer que je n'arrive pas à trouver tout cela anormal !
En quoi l'existence de fichiers départementaux d'hébergés, gardés trois mois au plus, est-elle susceptible de constituer une atteinte aux libertés fondamentales, quand de surcroît ils seront soumis au contrôle de la CNIL ?
Si j'ai tenu à intervenir au cours de cette discussion, c'est aussi pour apporter mon soutien aux dispositions de l'article 10.
Cette mesure permettra en effet de prolonger les effets bénéfiques du projet de loi relatif à la lutte contre le travail illégal que nous avons adopté récemment.
M. Jean-Luc Mélenchon. Plaisanterie !
M. Jacques Bimbenet. Rappelons que l'emploi d'étrangers sans titre, outre les conséquences néfastes qu'il suscite en matière d'immigration clandestine stricto sensu , a également des effets graves sur le plan économique. Pour l'Etat, la perte financière liée au travail illégal a été estimée à 156 milliards de francs ! Or 25 % des cas de travail illégal sont le fait d'immigrés clandestins !
M. Michel Charasse. C'est plutôt le fait des patrons !
M. Jacques Bimbenet. En mars 1996, il y a maintenant un an, j'avais attiré l'attention de Mme le ministre délégué à l'emploi sur l'impérieuse nécessité de lutter contre l'emploi d'étrangers dépourvus de titre de séjour. J'avais alors reçu du Gouvernement l'assurance qu'il serait remédié à ces situations par la présentation d'un texte approprié.
Je suis donc particulièrement satisfait de constater que la réflexion du Gouvernement a été menée à son terme et qu'elle permettra la mise en oeuvre de moyens nouveaux et efficaces.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, disposant désormais de nouveaux outils juridiques de lutte contre ce phénomène, vous puissiez, de concert avec M. le ministre du travail, coordonner les travaux de vos services respectifs afin de renforcer l'efficacité des actions menées à cet égard.
Pour ma part, je vois dans ce texte un moyen efficace de mettre un terme à l'immigration clandestine et c'est la raison pour laquelle j'y apporte mon soutien. Je précise que M. Henri Collard, qui devait intervenir mais qui a dû s'absenter, ainsi que la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen le soutiendront également. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
M. Paul Raoult. Oh ! Il monte à la tribune sans papiers.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. On m'a dit de faire court !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il ne faut pas faire court !
M. Paul Raoult. Dommage ! On vous écoute toujours avec beaucoup d'intérêt !
M. Ivan Renar. Un peu de détente ne nous ferait pas de mal !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien ! (Sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... l'immigration suscite deux tentations.
A gauche, ou dans une partie de la gauche...
M. Paul Raoult. Qu'en savez-vous ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... on espère que l'épouvantail du laxisme fera perdre à la majorité parlementaire une partie de son électorat, qui ira renforcer le Front national.
Cette politique a été pratiquée. Je n'ai ni vu ni entendu, mais M. Max Gallo, que vous ne pouvez contester...
M. Michel Charasse. Oh si !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous le contestez ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oh oui !
Mme Joëlle Dusseau. Précisément !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est pourtant quelqu'un de bien, et un historien...
M. Michel Charasse. Ça dépend des jours !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui, cela dépend des jours ! (Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Il dit : « J'ai vu et entendu ».
Mme Joëlle Dusseau. Ça, c'est fort !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. A droite, ou dans une partie de la droite,...
M. Paul Raoult. Ah oui ?
Mme Joëlle Dusseau. Quelle partie de la droite ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... dans une partie de la droite - vous l'identifierez (Sourires) - l'idée s'est répandue que des textes répressifs...
M. Daniel Hoeffel. « Répressifs », toujours !
M. Pierre Fauchon. Oui, toujours !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... permettraient à la droite parlementaire de retrouver l'électorat égaré.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui ! Les voix perdues...
M. Paul Raoult. Perdues au Front national !
M. Michel Charasse. Quel aveu !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce sont des petits futés ces gens de droite !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cette tentation, monsieur Mélenchon, s'est infiltrée dans la gauche (Ah ! sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants) , ce qui explique la politique de rigueur pratiquée par M. Marchand.
M. Paul Masson, rapporteur. C'est une usine à gaz !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Non, ce n'est pas une usine à gaz, et le texte du Gouvernement se tient justement à l'écart de ces deux tentations.
M. Guy Allouche. Il est centriste quoi !
M. Emmanuel Hamel. Il faut résister à la tentation ! (Sourires.)
M. Paul Blanc. C'est toute notre fierté !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il résiste en effet à la tentation : il est équilibré, et le Sénat...
M. Paul Raoult. ... résistera à la tentation !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... a d'ailleurs favorisé cette résistance.
Mme Joëlle Dusseau. Ça, c'est vrai !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Dans ce travail de retour à l'harmonie, il convient, bien entendu, de saluer le talent du rapporteur et du président de la commission des lois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
Mme Joëlle Dusseau. Et le ministre ? N'oubliez pas le ministre !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ah ! mais je le réserve pour la fin, madame ! (Rires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Chaque brosse à reluire à son soulier ! (Rires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il reluira par lui-même : il n'a pas besoin de mon aide, mais il est bien normal que ses amis au moins lui rendent justice.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Cependant, monsieur Dreyfus-Schmidt, à peine l'équilibre était-il rétabli par le Sénat qu'aussitôt le vent s'est levé et a soufflé en tempête par rafales successives...
M. Jean-Luc Mélenchon. Et concomitantes !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... et concomitantes, suivant les cas. (Sourires.)
Et qu'avons-nous vu et entendu ?...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le vent !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Le vent d'une grande manifestation !
Etait-elle réussie ? (Oui ! sur les travées socialistes.)
Mme Joëlle Dusseau. Elle l'était !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui, mes chers collègues, consolez-vous, elle l'était.
M. Guy Allouche. Merci !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais ce qui aurait dû vous inquiéter, c'est l'absence de mobilisation en province !
M. René Régnault. Et que faites-vous des deux tiers de l'opinion ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous avez prononcé de grands discours, bien ordonnancés et motivés,...
M. Michel Charasse. Brillants !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... mais hérissés d'aspérités...
M. Michel Charasse. Par le vent !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... par le vent sortant de vos bouches.
M. Badinter, M. Rocard, qui sont déjà partis, ...
M. Jean-Luc Mélenchon. Entraînés par le vent !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils se sont excusés !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien : je comprends qu'ils aient de l'appétit !
M. Michel Charasse. On leur racontera ! Ils regretteront de ne pas avoir été là !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Quoi qu'il en soit, ils ont mis leur talent, que je reconnais, au service de propos violents, d'excès verbaux... (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Paul Raoult. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Si, et je vais vous le démontrer pour tenter de vous convaincre ou, en tout cas, pour faire pénétrer un peu de doute dans vos esprits.
M. Rocard a déclaré : j'ai honte de mon pays en ce moment. N'est-ce pas un peu excessif ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah ! ça dépend des fois !
M. Claude Estier. Pendant le régime de Vichy...
Mme Joëlle Dusseau. Et les Allemands, ne croyez-vous pas qu'ils avaient honte ?...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est une idée fixe !
M. René Régnault. C'est vous qui nous la rappelez !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En ce moment, oui !
M. Paul Raoult. On n'a pas envie que cela recommence !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. A quelque moment que ce soit, un patriote n'a pas honte de son pays ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Même pendant Vichy ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ne confondons pas ! Vous ne pensez qu'à Vichy...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Hélas ! J'y pense beaucoup.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... et il y a en effet à cela quelque raison, mais, comme M. Badinter et vous-même, monsieur Dreyfus-Schmidt, l'avez dit, il faut comparer ce qui est comparable : avec la loi de M. Debré, personne n'est menacé de la « question » ou de condamnation à mort...
M. Daniel Hoeffel. Très bien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... comme dans le film sur Lucie Aubrac, et il n'y a pas, que je sache, de génocide !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Comparons donc ce qui est comparable !
M. Badinter a prophétisé une « lepénisation » des esprits...
Mme Joëlle Dusseau. Il n'y a pas que lui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... mais sans en préciser les contours. Il est peut-être parfois visionnaire, mais, en réalité, si vous observez bien, vous verrez qu'il y a d'abord une « lepénisation » de l'électorat de gauche !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non ! Pas de la gauche ! Regardez les résultats de dimanche !
M. Paul Raoult. Vraiment n'importe quoi !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Eh oui ! Nous ne sommes plus seuls à souffrir de la progression du Front national : vous en souffrez également, et ce n'est que justice.
Mme Joëlle Dusseau. Vous avez un sens étonnant de la justice !
M. Henri de Raincourt. Eh ! C'est l'arroseur arrosé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas violent ce que vous dites ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Qui y a-t-il de violent ?
M. le président. Monsieur Ceccaldi-Raynaud, ne vous laissez pas distraire par les interruptions de vos collègues !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais si, je préfère me laisser distraire si M. Dreyfus-Schmidt dit quelque chose qui mérite réponse, ne serait-ce que par considération pour sa valeur et par confraternité.
M. Félix Leyzour. Ne détournons pas le débat !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui, cela serait mauvais !
Après cette poussée de fièvre, après ces événements importants, après cette émotion collective que vous avez su créer, beaucoup s'interrogent sur le résultat...
M. Jean-Luc Mélenchon. Des élections !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. L'opinion remarque que la majorité a su écouter et résister.
Elle a su écouter : on lui a demandé de modifier l'article 1er, elle l'a fait.
Elle a su résister : on lui a demandé de retirer l'intégralité du texte, elle a dit « non », et, vous pouvez le constater, non c'est non ! (Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau. Nous le constatons avec tristesse !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Quand on fait ce que l'on a dit, il n'y a pas repli stratégique, il n'y a pas défaite.
La défaite serait plutôt, excusez-moi, dans votre camp. Les socialistes, principalement, ont donné l'impression que l'appel à la désobéissance civique les plaçait dans l'embarras, car M. Jospin, qui a défilé à Toulouse a, chaque fois qu'il s'est exprimé, fait état par honnêteté intellectuelle de ses réserves et de ses doutes. Aussi les socialistes n'ont-ils pas pu danser avec la rue : d'abord la valse hésitation, ensuite le paso doble frénétique, enfin le tango corse immobile. (Sourires.)
Je crains, mes chers amis, que, pour vous, l'échelle de Jacob ne se soit renversée !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous étiez en train de gravir péniblement - et allègrement - quelques échelons...
M. Michel Charasse. C'est contradictoire !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... dans le retour à la popularité. L'échelle s'est renversée, de sorte que plus on était haut, plus maintenant on est bas.
M. Paul Raoult. On verra en 1998 !
M. Claude Estier. Vous prenez vos désirs pour des réalités !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je parle de la minute actuelle : tout est provisoire et tout peut changer.
M. Claude Estier. Il n'y a que M. Ceccaldi-Raynaud qui ne change pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Nous tirons seulement les leçons de l'événement présent. Or, du haut des échelons que vous avez gravis, que voyez-vous maintenant ?
M. Jean-Jacques Hyest. Rien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Vous ne voyez plus les cimes, mais le vide béant des profondeurs de l'abîme !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Très bien !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mesdames, messieurs, les événements ont eu des effets négatifs pour l'ensemble des républicains...
Mme Joëlle Dusseau. A qui la faute ? A ce projet de loi !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. A ceux qui ont manifesté !
Mme Joëlle Dusseau. A ceux qui ont voté ce projet de loi. Pis, à ceux qui en ont aggravé les dispositions en première lecture !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Tout cela repose sur une idée fausse, vous l'avez démontré ; vous êtes les meilleurs avocats dans ce domaine - ...
M. le président. Monsieur Ceccaldi-Raynaud, vous n'étiez inscrit que pour dix minutes dans la discussion générale, or vous parlez depuis quinze minutes déjà.
M. Pierre Fauchon. Mais c'est bien ! On ne s'ennuie pas !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne lui enlevez pas l'échelle, monsieur le président !
M. Claude Estier. Il tomberait dans le « vide béant des profondeurs » !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je m'étais inscrit pour quinze minutes, monsieur le président. Me laissez-vous le temps de conclure ?
M. le président. Veuillez poursuivre.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je vous remercie, monsieur le président. Je disais...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Que nous étions d'éminents avocats !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... que les professionnels de la communication avaient placé le problème de l'immigration au centre de la préoccupation des Français. Alors que votre projet était baptisé à l'onction de la modestie, ils en ont fait un événement à la dimension de leur propre renommée.
M. Michel Charasse. Cela, c'est fort !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Enfin, avec ces événements, vous avez également répandu dans les esprits la fausse idée que l'immigration est bien le phénomène responsable de toutes les difficultés du pays. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Plus grave encore de votre part, vous avez répandu dans la classe ouvrière, dans les masses populaires, un peu dans le « bloc central », pour parler comme Roger Garaudy,...
M. Michel Charasse. Belle référence !
M. Claude Estier. Au début c'était drôle, mais maintenant cela ne l'est plus !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est vous qui citez Garaudy ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... l'idée que les souffrances de la classe populaire n'intéressaient pas au même degré les intellectuels, du moins dans l'actualité du moment, ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela s'adresse au ministre !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... ce qui constitue une défaite pour vous et pour nous.
En revanche, je crois à un grand succès pour les deux camps républicains. Chacun a affiné sa doctrine : la nôtre est dans le texte. La majorité ne combat pas les immigrés, elle ne combat que la clandestinité.
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est faux : elle s'en prend à tous !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Elle obéit au Lévitique, elle obéit à l'Evangile de saint Matthieu, elle obéit aux droits de l'homme.
M. le président. Cette fois, veuillez conclure, monsieur Ceccaldi-Raynaud : vous empiétez sur le temps de parole de votre collègue M. Vasselle.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Je vais donc être obligé de conclure, puisque M. le président m'y oblige...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Vous avez le droit de parler !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... bien que j'aie été interrompu à de nombreuses reprises et qu'il n'en tienne pas compte.
M. Jean-Pierre Schosteck. Il faut jouer les arrêts de jeu !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. De votre côté, vous venez de définir, avec le rapport de Mme Adeline Hazan...
M. Claude Estier. Que vous n'avez pas lu !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... que je n'ai pas pu lire (Rires sur les travées socialistes) mais dont j'ai lu des extraits dans la presse, ce qui n'est même plus de l'angélisme lyrique : il ne manque rien à la panoplie de l'épouvante.
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Le vote des immigrés, que vous proposez à nouveau ? Encore un épouvantail pour le Front national ! J'espère en tout cas - et je conclurai sur ce point, que chacun se trouve maintenant sur sa colline...
M. Michel Charasse. Inspirée ! (Sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... inspiré par son idéal et que le choix offert aux Français entre deux idéaux fera reculer ceux qui n'ont ni idéal ni valeurs. J'espère que les Français reconnaîtront...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les leurs !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... et désigneront, à travers ce débat, l'ennemi national.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oh !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Mais je termine quand même, monsieur le président. Accordez-moi un quart de seconde !
M. Paul Raoult. C'est trop court !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Monsieur le ministre, vous avez tenu la barre d'une main ferme, vous l'avez tenue sur la nappe d'écume blanche, vous l'avez tenue dans le creux noir des vagues profondes.
M. Paul Raoult. C'est la danse du ventre !
M. Michel Charasse. Le vent, la tempête, ...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Nous vous estimions déjà comme ministre, mais, après tous ces événements, nous vous reconnaissons comme homme d'Etat ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur quelques travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez au paysan que je suis d'intervenir, fort de la citation de Montesquieu que nous a remise en mémoire M. Bonnet : c'est donc un paysan qui vous parle, c'est-à-dire quelqu'un qui n'a pas beaucoup d'instruction, mais qui va vous exposer les sentiments que lui inspire ce texte.
Que n'a-t-on pas entendu sur ce projet de loi depuis la première lecture ! Que d'amalgames avons-nous pu lire dans la presse !
La confusion acharnée entretenue par une certaine catégorie de personnes qui se croit largement plus intellectuelle que nos concitoyens en appelant à la désobéissance civique, la tentative de récupération entreprise par plusieurs partis de l'opposition n'ont pourtant pas trompé les Français. Preuve que les plus réfléchis ne sont pas ceux qui le croient !
Les pétitions, les manifestations et les protestations, toute cette cacophonie paraît aujourd'hui dérisoire. Sans remettre en cause leur légitimité, ces démarches à grand renfort de publicité ne sauraient se substituer à la démocratie parlementaire. Notre nation a besoin de règles, au premier rang desquelles doivent figurer les conditions d'accès à la nationalité, les conditions de séjour sur notre territoire et les droits et les devoirs qui y sont attachés.
Le Président de la République et le Premier ministre n'ont-ils pas affirmé, dès 1995, que les priorités françaises devaient être de garantir la sécurité, de maîtriser l'immigration et de favoriser l'emploi ?
Mais inutile d'aller plus avant sur ce point : les sondages - M. Bimbenet l'a dit tout à l'heure - ont démontré, si besoin en était, qu'une très grande majorité des Français soutiennent la réforme que vous avez engagée, monsieur le ministre ; je tiens à vous en féciliter et je vous demande de tenir bon !
L'objectif premier de ce projet de loi est bien de mieux lutter contre l'immigration irrégulière, et notamment contre les nouvelles filières mafieuses de plus en plus développées. Ainsi, l'aménagement de la procédure de délivrance du certificat d'hébergement doit contribuer à cette politique.
Initialement, ce certificat, exigible dans certains cas, au demeurant fort rares, d'un étranger en visite privée sur notre territoire prévoyait en particulier que l'hébergeant devait déclarer, sauf circonstances personnelles ou familiales, le départ de l'étranger de son domicile. Cette disposition a fait l'objet des plus aberrantes interprétations, alors même que sa portée réelle était détournée de sa propre finalité.
En effet, la capacité d'accueil des étrangers en France n'est en rien menacée. Ce que nous devons à tout prix rechercher est la meilleure intégration pour les étrangers entrés régulièrement sur notre territoire. Mais, pour y parvenir, nous devons combattre avec fermeté tout détournement de nos lois.
Notre pays connaît aujourd'hui une fracture sociale qui ne nous permet plus d'accueillir, comme diraient certains, « toute la misère du monde ». Or immigration clandestine rime malheureusement avec clandestinité, insécurité, troubles de l'ordre public et développement de la xénophobie. Ce n'est pas ce que les Français souhaitent, et ce n'est pas ce pour quoi nous avons été élus. Il nous faut donc agir efficacement et éviter toute dérive incontrôlable.
Est-il nécessaire de rappeler que la procédure du certificat d'hébergement remonte à un décret de 1982 pris par l'opposition actuelle, par ceux-là même qui feignent aujourd'hui l'indignation ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Il s'agissait de certificats de départ !
M. Alain Vasselle. Nombre d'entre nous connaissent bien le mécanisme, puisqu'ils visent eux-mêmes, conformément à la loi, en leur qualité de maire représentant de l'Etat, les demandes d'hébergement présentées par certains ressortissants de leur commune.
Certaines communes, très logiquement, allaient même au-delà et appliquaient le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, dans sa rédaction initiale, de leur propre chef, jusqu'à ces derniers jours.
M. Jean-Pierre Schosteck. A Strasbourg !
M. Alain Vasselle. Elles exigeaient ainsi une déclaration de fin d'hébergement.
Ainsi, j'ai sous les yeux un document qui porte la mention : « Attestation sur l'honneur de fin d'hébergement ». Ce courrier, adressé par le service dit « population » de la mairie à toutes les personnes qui ont sollicité un certificat d'hébergement, leur demande de bien vouloir retourner l'attestation jointe « dûment remplie et signée » en leur rappelant que toute situation irrégulière engagerait leur responsabilité.
L'attestation en elle-même devait comporter les mentions suivantes : le nom et l'adresse de l'hébergeant, le nom et la provenance de l'étranger hébergé, la durée du séjour chez l'hébergeant, la date de départ de l'étranger et, s'il y a lieu, le motif de non-venue de l'étranger.
Certains de nos collègues, maires, membres de l'opposition, souffrent-ils d'amnésie à ce point ?
Je voudrais rafraîchir quelque peu la mémoire de nos collègues communistes qui se disent totalement solidaires du groupe socialiste et qui veulent être exemplaires en matière de solidarité. Mais ils ne sont pas exemplaires dans leurs comportements et dans leurs discours et ils ne mettent pas en rapport leurs discours et leurs actes ! En effet, leur collègue Nicole Jambu, député-maire de Bagneux, déclarait le 26 février dernier, à l'Assemblée nationale : « Avec cet article 1er, on essaie de transformer les Français en délateurs... ». Elle se faisait ainsi l'écho des intellectuels, des artistes et des quelques élus de l'opposition qui manifestaient dans la rue en dénonçant ce soi-disant acte de délation, alors que circulait, dans le même temps, dans sa ville de Bagneux, un document - dont j'ai ici un exemplaire - envoyé à tous les habitants accueillant chez eux des étrangers et exigeant déjà la communication de la date de départ.
M. Claude Estier. C'est faux !
M. Alain Vasselle. Elle appliquait donc déjà, comme Mme Trautmann à Strasbourg, monsieur le ministre, votre projet de loi, avant même son examen en première lecture par le Parlement. Cela ne provoquait pas, à l'époque, lorsqu'elle est intervenue à l'Assemblée nationale, autant d'états d'âme que lorsqu'elle appliquait ce qu'elle exigeait de la part de nos concitoyens, tout du moins des habitants de la commune de Bagneux. Et cette attitude est la même à Strasbourg.
Mais venons-en au projet de loi lui-même.
L'article 1er tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale prévoit désormais le transfert au préfet du pouvoir de viser le certificat d'hébergement. La déclaration effectuée par l'hébergeant est, quant à elle, remplacée par la remise du certificat par la personne hébergée elle-même, au moment de sa sortie du territoire.
Cette solution répond à la nécessité absolue de contrôler les entrées, le séjour et le départ des étrangers, tout en évitant certaines dérives révélées à l'occasion des débats. L'Etat est ainsi confirmé dans sa fonction régalienne, c'est à lui en premier lieu qu'incombe le devoir de faire respecter les lois ; et le rôle dévolu à son représentant garantit l'égalité des citoyens en tout point du territoire, cela a été dit et rappelé.
Toutefois, vous me permettrez, monsieur le ministre, à titre tout à fait personnel, de douter quelque peu de l'efficacité de ce système si le maire est exclu du dispositif.
En effet, le préfet est trop éloigné des réalités locales ; il lui sera difficile d'avoir, seul, une connaissance précise des conditions d'hébergement des étrangers et des mouvements de population. Exclure le maire du dispositif, c'est se priver d'informations précieuses ; ne refaisons pas les erreurs que nous avons faites s'agissant du RMI !
A-t-on oublié que le maire est le représentant de l'Etat sur le territoire communal, et qu'en cette qualité il a les mêmes responsabilités que le préfet au plan local, et donc des devoirs ? Le maire doit être considéré comme un des maillons essentiels du dispositif. M. le rapporteur l'a souligné lui-même à juste raison.
Dans leur immense majorité, les maires accomplissaient cette mission dans le plus strict respect de la loi, bien que ne disposant pas des moyens juridiques suffisants et nécessaires au traitement efficace de ces questions. Ce n'est pas parce qu'une minorité d'entre eux n'applique pas ou applique mal la loi qu'il faut jeter le discrédit sur les 36 000 maires de France.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaite vivement que le maire, qui est au coeur des réalités de la vie quotidienne de ses administrés, soit associé à l'ensemble du dispositif. Vous l'avez d'ailleurs évoqué dans votre déclaration initiale, et je ne doute pas qu'il trouvera sa place dans le dispositif réglementaire : on aurait peut-être pu penser, initialement, qu'il était possible de se passer de l'article 1er et de prévoir des dispositions réglementaires seulement. Vous avez cependant souhaité légiférer et je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous saurez nous entendre.
L'autre point de ce texte sur lequel je souhaiterais revenir rapidement, en conclusion, concerne la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire à tous les étrangers entrés clandestinement et présents sur notre territoire depuis plus de quinze ans.
Après les vagues de régularisation du début des années quatre-vingt, on aurait pu croire que de tels cas n'existeraient plus et que l'immigration clandestine était véritablement contrôlée sur l'ensemble du territoire par les gouvernements successifs. Mais il n'en fut rien, il a fallu attendre les lois Pasqua pour engager une véritable politique de maîtrise de l'immigration.
J'ai déjà souligné, à l'occasion de la première lecture de ce texte, les inquiétudes que j'avais quant à cette disposition. J'ai été attentif à vos arguments, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur ; je ne vais donc pas m'attarder à nouveau sur ce point, mais je tiens à insister sur la nécessité d'une plus grande vigilance dans l'application de cette attribution de plein droit d'une carte de séjour temporaire. En effet, cette disposition ne doit pas se traduire par une forme d'incitation à tenir la durée nécessaire sur notre territoire en situation de clandestinité, afin de bénéficier ensuite de la régularisation quasi automatique. Ni nos concitoyens ni les étrangers établis régulièrement sur notre territoire ne comprendaient une telle faiblesse à l'égard des clandestins.
Je fais confiance à votre détermination et à votre célérité, monsieur le ministre, pour que toutes les mesures soient prises afin d'éviter de telles dérives.
Pour conclure brièvement, monsieur le président, permettez-moi de réaffirmer qu'une politique laxiste serait à tout point de vue totalement irresponsable.
D'abord et avant tout, les personnes séjournant régulièrement sur notre territoire seraient les premières victimes des amalgames provoqués par leurs prétendus amis, car elles se verraient confrontées de plus en plus à des difficultés d'intégration. Ensuite, il faut être obstiné pour ne pas comprendre qu'une telle politique n'aurait pour effet que de favoriser la progression des valeurs prônées par les partis extrémistes. L'opposition actuelle prétend combattre ce danger, mais elle a déjà largement contribué à favoriser la création de tels courants, et fait maintenant tout pour encourager leur développement.
Nous ne sommes pas dupes, et il faut que l'opinion publique sache quelle est la stratégie de l'opposition, sous couvert d'une grande générosité : cette dernière est purement politicienne. Elle vise à favoriser la montée du Front national, à affaiblir coûte que coûte la majorité actuelle, afin de s'assurer d'une majorité relative en 1998. Non pas par adhésion à leur politique, mais bien par défaut.
M. le président. Merci, monsieur Vasselle, de bien vouloir conclure !
M. Alain Vasselle. Nos concitoyens n'ont-ils pas déjà fait connaître leur rejet de telles préoccupations politiciennes et de toutes ces manoeuvres aux arrière-pensées électoralistes ? Je reste convaincu que les Français ne s'y tromperont pas.
Mes chers collègues, je ne doute pas que, majoritairement, tous derrière M. le ministre, nous approuverons l'ensemble des dispositions de ce texte.
Je veux souligner le travail remarquable accompli à la fois par M. le rapporteur et par l'ensemble des membres de la commission. Votre rôle en aura été facilité, monsieur le ministre.
Je vous le dis pour terminer, monsieur le ministre : restez ferme ; les Français, dans leur très grande majorité, vous en seront reconnaissants. Cette politique sera à l'honneur de notre pays et chacun ne pourra, à mon sens, que s'en féliciter à terme.
Sachez, en tout cas, que mon soutien vous est acquis, même si j'aurais souhaité que l'on aille un peu plus loin. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je souhaite d'abord répondre à MM. Masson, Larché et Vasselle, qui m'ont interrogé, à juste titre, sur la place et le rôle des maires dans la procédure des certificats d'hébergement.
Oui, le maire sera informé du visa des certificats d'hébergement. Le maire doit être associé à la procédure. Il doit donner son avis aux préfets. Cela ne fait aucun doute pour le Gouvernement : associer les maires est une nécessité.
Je consulterai d'ailleurs - je l'ai dit - l'Association des maires de France, lors de la rédaction du décret, pour mettre en place une articulation permettant aux maires de faire valoir au mieux leur connaissance du terrain. Je réponds ainsi aux préoccupations d'un grand nombre de sénateurs, notamment M. Delevoye.
Je veux remercier M. Ceccaldi-Raynaud, dont l'analyse politique est très pertinente, ainsi que MM. Demuynck, Vasselle et Bimbenet, dont les compétences - je l'ai constaté - vont bien au-delà du seul domaine des sapeurs-pompiers, sur lequel il intervient fréquemment.
Je veux remercier également M. Plasait, dont l'analyse rejoint la mienne.
En matière d'intégration, la meilleure garantie est, en premier lieu, l'affirmation forte de l'identité nationale, comme le soulignait récemment le président du haut conseil à l'intégration.
Monsieur Hyest, les moyens nécessaires seront affectés aux préfectures. D'ores et déjà, j'ai créé cinquante nouveaux postes dans les préfectures pour traiter les dossiers des étrangers. Je saisis l'occasion pour rendre hommage aux agents du cadre des préfectures, qui sont compétents, consciencieux, et qui appliquent la loi avec diligence.
M. Robert Badinter. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je ne dirai pas que de vous, j'accepte tout - ce serait une erreur - mais vous avez vous-même accepté que je vous interrompe, monsieur Badinter. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Badinter, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Robert Badinter. Monsieur le ministre, vous avez eu l'obligeance de me communiquer la pièce émanant de la mairie de Strasbourg que vous avez lue tout à l'heure.
Comme il convenait, nous avons interrogé les services de Mme Trautmann - C'est la règle du débat contradictoire. Voici la réponse que nous donne M. Philippe Biès, conseiller technique au cabinet de Mme le maire.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. C'est lui qui avait signé le document, je crois !
M. Robert Badinter. Non, pas du tout. C'est M. Jean Winter, chef du service concernant l'accueil, la population, les mairies de quartier. M. Biès, lui, est membre du cabinet de Mme Trautmann.
Je rappelle que le document que vous m'avez communiqué, monsieur le ministre, s'il est signé, n'est pas daté.
Voici le texte de la lettre de M. Biès : « Suite aux déclarations du ministre de l'intérieur au Sénat concernant les modalités de délivrance des certificats d'hébergement par la mairie de Strasbourg, il convient d'apporter les éléments suivants.
« En 1987, la municipalité de Strasbourg, dirigée alors par le sénateur Marcel Rudloff » - je profite de l'occasion pour témoigner de l'amitié et de la considération que j'avais pour lui - « a mis en place, sur l'initiative du député Marc Reymann, UDF, qui était adjoint au maire et qui avait consulté le ministre de l'intérieur, Charles Pasqua, un certificat d'hébergement muni d'un talon à renvoyer après le départ de l'hébergé.
« Suite au changement de municipalité, en 1989, Catherine Trautmann a, dès qu'elle en a eu connaissance, mis fin à cette pratique.
« Pour mémoire, la municipalité de Strasbourg n'a pas de leçon à recevoir en matière d'immigration. Pour preuve, Catherine Trautmann a signé, le 1er mars dernier, avec le conseil consultatif des étrangers, une charte des résidents étrangers, qui constitue une véritable marque de reconnaissance de citoyenneté pour l'étranger résidant à Strasbourg. » (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Je vous remercie de ces précisions, monsieur Badinter.
Je constate simplement que, sur l'exemplaire qui est en ma possession et que j'ai barré, figure la date « 1993 ». Mme Trautmann a été élue maire en 1989. Par conséquent, pendant plusieurs années, elle a appliqué le même système. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
S'agissant des statistiques sur les étudiants étrangers, monsieur Jacques Larché, je relève que le nombre des étudiants japonais qui viennent faire leurs études chez nous a augmenté de plus de 25 % de 1994 à aujourd'hui, ce qui est considérable. De manière générale, le nombre des étudiants originaires d'Asie qui ont choisi la France pour étudier est en augmentation de plus de 15 %. Ce désir des étudiants asiatiques est révélateur ; il montre l'influence de notre pays hors et loin de nos frontières.
Chaque année, nous accueillons 1 700 étudiants japonais, contre 1 000 étudiants algériens.
Le nombre des étudiants accueillis en France n'a cessé de croître depuis trois ans. Je me réjouis de voir qu'en 1995 nous avons accueilli sur le territoire français 35 000 étudiants, soit 1 % de plus que l'année précédente. Voilà, qui montre l'influence de notre pays !
En ce qui concerne le Parlement européen, je veux redire à M. Rocard - il doit le savoir - que sa compétence est définie par l'article K 6 du traité de l'Union européenne. Cet article ne lui donne pas vocation à s'occuper des affaires intérieures, hors le domaine de compétence de l'Union. Nous sommes donc légitimement fondés à légiférer en toute souveraineté et nous n'avons pas de leçon à recevoir du Parlement européen en ce domaine.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est la Cour européenne qui jugera !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. M. Rocard - je suis désolé qu'il ne soit pas là - se trompe de direction.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il croyait que vous interviendriez à la reprise de la séance de ce soir !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. M. Rocard a été très présent lors de la première lecture du texte au Sénat. Son apport a été intéressant, même si nous ne l'avons pas toujours très bien compris ! (Sourires sur les travées du RPR.) Mais peu importe !
M. Rocard, disais-je, fait une erreur de diagnostic, en prétendant que l'immigration clandestine est minime en France. C'est faux, complètement faux.
L'actualité de tous les jours montre, malheureusement, la gravité de son erreur. J'en veux pour preuve ce qui s'est passé dans la seule journée du 4 mars dernier.
Premier exemple : note d'information de la DICCILEC du 4 mars.
Filière d'immigration du Ghana vers l'Europe sur la base de la falsification de passeports ghanéens : des vignettes de séjour sur des passeports sont décollées, envoyées à des Ghanéens au Ghana, utilisées pour immigrer en Europe et récupérées par leur titulaire. Temps du circuit : huit semaines environ.
Deuxième exemple : note d'information de la DICCILEC du 4 mars.
Filière d'immigration du Zaïre, sous le couvert de fausses déclarations de paternité et de faux jugements, dans le nord de la France.
Troisième exemple : note d'information de la DICCILEC du 4 mars, sur la pression migratoire marocaine à la frontière espagnole : « Les deux enclaves espagnoles, en territoire marocain, demeurent toujours le principal point d'entrée en Espagne et, par voie de conséquence, en Europe... En juin 1996, une manifestation de clandestins exigeant la régularisation de leur situation a connu des débordements. Le processus de régularisation, mis en oeuvre du 23 avril au 23 août 1996 par les autorités espagnoles, a entraîné, au contraire de l'effet escompté, une augmentation des flux vers ce pays. »
Quatrième exemple : le même jour, cinquante-trois personnes sont interpellées à Paris, à Lille et en Seine-Saint-Denis, lors du démantèlement d'une organisation mafieuse chinoise, qui assurait la venue en Europe de main d'oeuvre chinoise de la province du Zhejiang, au tarif de 100 000 francs par personne.
Voilà la réalité quotidienne, photographiée à travers un simple échantillon de notes de mes services ! Cela, ce n'est pas contestable.
M. Rocard a été aux affaires ; il ne peut pas avoir oublié la réalité ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Monsieur Bonnet, lorsque je lis les informations développées ici ou là sur le programme du parti socialiste, je ne peux, comme vous, manquer de m'inquiéter.
Bien sûr, me direz-vous, c'est un document de travail, et vous avez pris soin de ne pas l'arrêter avant ce débat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous l'avez lu ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Mais tout de même, que relève-t-on ? Politique de régularisation ; abrogation des lois de 1993 et de la loi en cours de discussion ; abrogation des lois de 1993 sur la nationalité ; régularisation de tous les malades ; suppression de toute référence à l'ordre public dans la procédure d'instruction des demandes de titres de séjour ; suppression de la condition de régularité de l'entrée et du séjour pour l'attribution de la carte de dix ans ; référé avant tout éloignement ; médiation systématique en cas de refus de séjour ; gestion par les affaires sociales ; allocations familiales majorées pour les familles demeurant à l'étranger.
Voilà ce que j'ai lu ! Chacun prend ses responsabilités.
Moi, je n'adhère pas à cette politique. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est un scoop !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Non, mais au moins, ainsi, les choses sont claires !
Il y a deux politiques : celle que nous voulons, que nous mettons en place, qui est destinée à lutter contre les filières d'immigration illégale et contre le travail clandestin, par-delà les slogans et les incantations ; puis il y a la politique de ceux qui, en réalité, considèrent qu'il faut ouvrir la France à tout vent et ne plus rien contrôler. (Protestations sur les travées socialistes.) Eh bien, les Français jugeront, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Paul Raoult. C'est une caricature !
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Voilà ce que je voulais dire.
Vous m'aviez demandé de ne pas aller au-delà de vingt heures, monsieur le président ; vous le voyez, je me suis conformé à votre souhait. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)