M. le président. Par amendement n° 18, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose :
I. - Au début du premier alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-58 du code de procédure pénale, d'ajouter une phrase ainsi rédigée :
« Le tribunal s'assure que les jurés présents remplissent effectivement les conditions d'aptitudes légales exigées par les articles 231-21, 231-22 et 231-23. »
II. - En conséquence :
A. - Dans cet alinéa, de remplacer les mots : « les conditions d'aptitudes légales exigées par les articles 231-21, 231-22 et 231-23 » par les mots ; « ces conditions ».
B. - De supprimer le dernier alinéa dudit texte.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Il s'agit de déplacer une disposition dans le projet de loi. Il paraît logique de demander au tribunal de vérifier l'aptitude des jurés avant de lui demander d'exclure ceux qui sont inaptes. L'Assemblée nationale a inversé l'ordre des choses.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 180, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-58 du code de procédure pénale, de supprimer le mot : « notoirement ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous allons rencontrer à plusieurs reprises les mots « vivant notoirement en situation maritale ». En l'occurrence, de quoi s'agit-il ?
L'avant-dernier alinéa du texte proposé pour l'article 231-58 se lit ainsi : « Sont également rayés de la liste de session les noms des jurés qui se révéleraient être conjoints, parents ou alliés jusqu'au degré d'oncle ou de neveu inclusivement... » - il faut lutter contre le népotisme ! - « ... d'un membre du tribunal ou de l'un des jurés présents inscrits avant lui sur ladite liste. »
Ce sont là exactement les termes, sinon qu'il est question de la cour et non pas du tribunal, de l'actuel article 289 du code de procédure pénale.
Il est proposé dans le projet de loi - l'Assemblée nationale n'y a pas vu malice - d'ajouter les mots : « Il en est de même en ce qui concerne les personnes vivant notoirement en situation maritale avec un membre du tribunal ou l'un des jurés. »
Ce terme « notoire » reviendra souvent. C'est une réminiscence de la vieille formule de l'article 340 du code civil sur le concubinage notoire, et qui concernait la recherche de paternité naturelle, dans ce cas, il était parfaitement concevable que le concubinage soit notoire.
Il n'en va pas de même ici : il n'y a aucune raison que la situation maritale soit notoire, c'est-à-dire connue de tous. Ce qui est important, c'est que la situation existe. De surcroît, il s'agit non plus de « concubinage », mais de « situation maritale ».
La notion de « situation maritale » suppose qu'elle soit évidemment connue, qu'elle soit vécue au vu et au su de tout le monde. Autrement, ce n'est plus une situation maritale. Par voie de conséquence, à quoi bon préciser qu'elle doit être « notoire » ?
Nous vous demandons donc de supprimer l'adverbe « notoirement ». Il faut d'ailleurs, autant que possible, supprimer les adverbes des textes de loi pour en alléger la rédaction.
Encore une fois, il n'y a franchement aucune raison de maintenir ici ce terme. D'ailleurs, dès lors que les personnes concernées vivent en situation maritale, non seulement la situation est notoire, mais, de surcroît, cela constitue une raison suffisante pour rayer l'intéressé de la liste des sessions, même si tout le monde ne le sait pas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Moi, je comprends très bien ce que veut dire cet amendement, mais je me permets de dire qu'il est proprement absurde.
Comment pouvoir tirer une conséquence juridique telle que la récusation d'une situation qui n'est pas connue ? Or, si elle n'est pas notoire, elle n'est pas connue ! Si ces personnes ont tel ou tel comportement et que nul ne le sait, comment pourra-t-on en tirer une conséquence, notamment les récuser ?
Il faut donc inscrire « notoirement », tout simplement parce que l'on ne peut tirer de conséquences juridiques que d'une situation notoire, ce qui veut dire connue...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. De tous !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je reprends là d'ailleurs, monsieur Dreyfus-Schmidt, la notion qui figure dans le code civil, comme vous l'avez très bien dit tout à l'heure.
Voilà donc la raison pour laquelle, si je comprends très bien les raisonnements qui sont faits, il est clair que si l'on ne sait pas qu'une situation existe on ne pourra pas en tirer les conséquences. Il est donc évident que l'on ne peut tirer de conséquences que d'une situation qui est notoirement celle que l'on veut récuser. Voilà pourquoi je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 180.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le garde des sceaux, on vous aime bien, parce qu'on vous connaît depuis longtemps. Mais, tout de même, vous maniez les adjectifs d'une manière quelque peu choquante ! « Absurde » me paraît un adjectif un peu fort pour les membres de la commission des lois qui, nombreux, ont adopté cet amendement ! C'est vous qui raisonnez par l'absurde !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Non ! C'est bien absurde au sens de Ionesco !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais, pour pouvoir le faire, permettez-moi de vous dire que vous tronquez les choses !
Il est vrai que si personne ne connaît la situation des intéressés on ne pourra pas les récuser. Si je pouvais modifier l'objet de l'amendement - mais on ne peut pas le faire -, j'écrirais : « même s'ils vivent en concubinage sans que tous le sachent ». C'est suffisant pour qu'ils soient récusés. En effet, contrairement à ce que vous dites et qui est « absurde » (Oh ! sur les travées du RPR) - j'ai mis le qualificatif entre guillemets, vous l'avez bien compris -,...
M. Emmanuel Hamel. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... « notoire » ne veut pas dire « connu », mais signifie « connu de tous ».
Or, s'il n'y a que peu de personnes qui connaissent la situation, ou même si les intéressés le reconnaissent, cela suffit pour que le juré soit récusé. Encore une fois, la commission a été unanime sur ce point.
Vous, vous estimez que c'est absurde pour donner plus de force à votre proposition, qui elle-même ne tient pas. Il n'y a aucune raison - et nous retrouverons l'expression en plusieurs endroits - de demander que la situation véritable soit notoire. Pour que ce soit établi, il faut bien que quelqu'un le sache ou que quelqu'un le reconnaisse. Dès lors que la situation maritale existe, il y a lieu de ne pas faire figurer les intéressés sur la liste de jurés.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je voudrais apporter une précision de texte.
L'article 434-1 du nouveau code pénal, qui, comme l'ont rappelé M. Dreyfus-Schmidt ainsi que M. le président de la commission des lois, a fait l'objet d'un large accord,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Que vous remettiez en cause tout à l'heure !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... y compris de la part de M. Dreyfus-Schmidt, l'article 434-1 relatif aux entraves à la justice précise : « le conjoint de l'auteur ou du complice du crime ou la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui... ». C'est, si j'ose dire, monsieur Dreyfus-Schmidt, une notion bien connue de tous !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour répondre à M. le ministre.
M. le président. Non, monsieur Dreyfus-Schmidt, je suis désolé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'en appelle à votre pouvoir discrétionnaire, monsieur le président !
M. le président. Et si je n'ai pas envie d'en user ? (Sourires.) D'autres collègues de votre groupe peuvent s'exprimer à votre place. Les précédents sont toujours fâcheux, vous le savez bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un mot seulement, monsieur le président ! Il faut modifier le code pénal !
M. le président. A titre exceptionnel, je vous accorde la parole pour quinze secondes, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Merci, monsieur le président.
M. le garde des sceaux nous a dit tout à l'heure que pour ce qui figurait dans le code pénal, il fallait faire une exception. Si des erreurs ont été commises, ce n'est pas une oeuvre sacrée et donc intouchable, il faut évidemment y porter remède !
Ce n'est pas un argument de dire qu'il faut s'en tenir à ce qui figure dans le code pénal !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 180, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 231-58 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur le président, je demande une courte suspension de séance.
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande, monsieur le garde des sceaux.
La séance est suspendue.