M. le président. Par amendement n° 205 rectifié, MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-105 du code de procédure pénale, de remplacer les mots : « demeure dans la salle d'audience, si le président n'en ordonne pas autrement » par les mots : « quitte la salle d'audience ; le président peut décider qu'il demeurera à la disposition du tribunal dans la chambre qui lui est destinée. »
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit là d'une disposition très importante dans la pratique, sur laquelle j'attire l'attention de nos collègues.
Aujourd'hui, dans la procédure de la cour d'assises, les témoins, avant de déposer, ne peuvent entrer dans la salle d'audience de façon qu'ils ne soient pas influencés par ce qui se dit à l'audience.
Lorsque les témoins ont déposé, très généralement, ou ils quittent la salle d'audience ou ils y demeurent après avoir déposé, devenant, si je puis dire, des spectateurs de ce qui va se dérouler.
Dès lors qu'est institué un double degré de juridiction, le même témoin qui vient de déposer pourra être amené à être entendu une seconde fois, cette fois-ci devant une autre juridiction, à savoir une cour d'appel, ici la cour d'assises. Par conséquent, afin de préserver la sincérité du témoignage et de mettre le témoin à l'abri de toute influence qu'il aura pu ressentir au cours de l'audience, il importe qu'à ce moment-là le témoin ne puisse assister au déroulement de l'audience après son témoignage pour éviter, s'il est entendu ultérieurement par la cour d'appel, que ce qu'il aura entendu au cours de l'audience puisse modifier son témoignage, avec toutes les conséquences que cela peut avoir.
Assigner ce témoin pendant des jours et des jours dans la salle des témoins après qu'il a déposé me paraît impossible. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé l'amendement n° 205 rectifié, qui tend à prévoir d'une part, que le témoin, après avoir déposé, « quitte la salle d'audience » et, d'autre part, parce que l'on peut avoir besoin de lui dans les quelques heures qui suivent, que « le président peut décider qu'il demeurera à la disposition du tribunal dans la chambre qui lui est destinée ». Chacun comprend qu'il s'agit de prendre en considération l'importance du témoignage et ce qui va intervenir dans le courant des débats.
Mais il ne faut pas que le témoin en tant que tel assiste au déroulement d'une audience alors qu'il peut être amené à redonner son témoignage ultérieurement, certes devant une autre juridiction, mais sur les mêmes faits.
J'indique d'ailleurs que, dans les travaux de la commission Léauté, ce point avait fait l'objet d'une mention particulière.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La pratique des assises montre, en effet, que la présence maintenue dans la salle d'audience du témoin entraîne des conséquences sur le déroulement du débat, au moins dans certains cas.
La commission, se référant également au rapport Léauté, a donné un avis favorable sur l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, exactement pour les mêmes raisons. Il ne voit pas pourquoi on introduirait des dispositions qui, à partir du moment où elles ne portent aucun préjudice aux droits, notamment de l'accusé, permettraient de laisser au président du tribunal ou de la cour la latitude de décider que le témoin quittera l'audience, ce qui est la règle, ou restera à la disposition du tribunal.
Renverser le principe, c'est-à-dire imposer une règle au président du tribunal, ne me paraît pas bon ; c'est pourquoi je ne suis pas favorable à cet amendement.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. Jean Faure au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président

M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 205 rectifié.
M. Robert Badinter Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Il est nécessaire de bien prendre en compte ce qui était la finalité de la disposition antérieure et la nécessité de la transposer aujourd'hui avec l'amendement évoqué.
Lorsqu'on décide - on a toujours fait ainsi - que le témoin, qui peut être entendu à dix-neuf heures, n'assistera pas au déroulement de l'audience de treize heures à dix-neuf heures, c'est pour éviter qu'il ne soit impressionné dans son témoignage par ce qu'il aurait constaté au cours de l'audience.
Nous avons maintenant - ce qui n'existait pas - un double degré de juridiction : il faut prendre les mêmes précautions. Il ne s'agit de rien d'autre que d'une conséquence de l'institution de ce double degré de juridiction.
S'agisant de l'obligation de quitter la salle, le président peut intimer au témoin l'ordre de ne pas quitter le tribunal, de demeurer dans la salle des témoins parce qu'il est susceptible d'être entendu à nouveau.
L'objet de cet amendement est de ne pas lui permettre d'assister au déroulement des débats, pour la même raison qu'aujourd'hui on ne lui permet pas de le faire avant qu'il ait témoigné. Cela, ne l'oubliez pas ! Il sera amené à redéposer devant la cour. C'est donc une précaution nécessaire. C'est la conséquence du changement procédural intervenu.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Personne ne sait s'il sera amené à déposer devant la cour !
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Nous devons bien réfléchir à cette question, parce que nous ne pouvons pas connaître aujourd'hui les conséquences, pour les témoins, de ce double degré de juridiction.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Certes !
Mme Nicole Borvo. Effectivement, il serait sage de prendre la précaution d'imposer que les témoins ne restent pas à l'audience. En effet, le procès lui-même aura sans aucun doute des effets sur les témoins qui sont appelés à témoigner une seconde fois. Il serait donc vraiment sage de voter cet amendement.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. A mon tour, je voudrais dire à M. le garde des sceaux que nous sommes en train d'élaborer une procédure tout à fait nouvelle. Nous ne pourrons donc pas, avec des éléments nouveaux, prévoir une pratique quasi identique à la pratique actuelle !
Mon ami Robert Badinter vient d'expliquer dans quelle situation nous allons nous trouver. Un procès n'est pas un spectacle ! Actuellement, un témoin ne témoigne qu'une seule fois et peut donc, effectivement, rester ensuite à l'audience. Mais comme il a été dit que ce même témoin pourrait être appelé à revenir à la barre si une partie a fait appel, nous pensons qu'il ne peut pas participer au reste de l'audience et écouter les autres témoignages. Cela fausserait l'ensemble des jugements des jurés.
Nous avons donc déposé cet amendement de précaution, afin de conserver à l'audience et au débat la sérénité qui sied à ce type de procédure pénale.
(M. Jean Delaneau remplace M. Michel Dreyfus-Schmidt au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président

M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je suis, heureux que vous ayez occupé tout à l'heure le fauteuil de la présidence, non pas parce que cela nous a privés de vos argumentations, mais parce que cela a permis à M. Allouche de faire une intervention qui m'est apparue comme extrêmement décisive. En effet, il vient de dire ce que je ne cesse de répéter depuis quarante-huit heures et ce que nient naturellement ses amis depuis quarante-huit heures.
Il y a dans ce débat deux attitudes. M. Allouche m'a reproché, au début de son intervention, d'adopter l'attitude du conservatisme par rapport aux règles actuelles, alors que chacun s'est bien aperçu depuis quarante-huit heures que c'est exactement l'inverse. Tandis que j'essaie d'anticiper sur une nouvelle procédure criminelle, avec toutes les conséquences qu'elle implique - on est là pour cela - amendement par amendement, les sénateurs socialistes,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et le Sénat !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... suivis par le Sénat, essaient de revenir à la procédure actuelle ! C'est ce que, avant-hier, au cours de la discussion générale, j'ai indiqué en opposant une attitude assise et une attitude imaginative.
M. Allouche tient les propos d'un homme frais dans ce débat (Sourires), sincère et franc, dénonce de manière admirable l'attitude de ses propres amis et les invite, comme je le fais depuis quarante-huit heures, à prendre en compte les conséquences du double degré de juridiction et pas seulement à établir la nouvelle procédure par rapport aux arcanes et aux pratiques de l'ancienne.
Monsieur Allouche, je veux vous remercier parce que, enfin ! une parole de sincérité et de franchise est venue de vos travées montrant bien quelle est la nature du débat.
Ce que vous venez de dire, monsieur Allouche, économisera beaucoup d'arguments que j'aurai à présenter par la suite. Il me suffira, à chaque fois que je m'adresserai à M. Dreyfus-Schmidt, à M. Badinter ou à vous-même, de vous dire de vous référer aux propos tenus par M. Allouche à onze heures du matin, le 27 mars 1997 ! (Sourires.)
Telle est la première observation que je tenais à présenter sur un point qui me paraît tout à fait important.
Mme Borvo s'est exprimée exactement dans le même sens lorsqu'elle s'est posée la question de savoir comment il convenait d'anticiper les conséquences de la nouvelle procédure criminelle. Elle en a tiré d'ailleurs la même conclusion que vous, estimant qu'il importait d'adopter une position conservatoire ; je crois que la question a bien été posée par M. Allouche et par Mme Borvo.
Je ferai observer que, sur le fond, deux phrases de l'amendement n° 205 du groupe socialiste me paraissent quelque peu contradictoires.
Pourquoi accorder au président la liberté de décider s'il requiert la présence du témoin dans la salle des témoins ou si, au contraire, il lui demande de quitter l'audience et la salle des témoins, la présence de ce témoin n'étant plus nécessaire, et lui refuser la liberté, comme je le propose moi-même dans le projet de loi, de décider si le témoin peut rester à l'audience ou, au contraire, s'il doit quitter la salle d'audience ?
Il serait plus cohérent de prévoir que le témoin doit quitter l'audience - c'est ce que vous voulez - tout en restant à la disposition du tribunal dans la salle des témoins sans que le président puisse le dispenser de cette obligation. Je vous propose cette rectification, non pas parce que c'est ma thèse, mais parce que c'est la vôtre !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je n'insisterai pas, comme l'a fait à tort M. le garde des sceaux, car il n'y a aucune contradiction entre nous. M. Badinter avait en effet commencé par expliquer que notre amendement était motivé par la nécessité de tenir compte du double degré de juridiction qui existe dorénavant, qu'il en tirait les conséquences et qu'il n'était pas conservateur. M. Allouche a dit très exactement la même chose. Chacun appréciera ici l'importance de ce long propos...
En revanche, vous proposez maintenant que le président puisse décider. Je crois que la vraie solution consisterait plutôt à ouvrir la possibilité de créer à ce sujet un incident contentieux sur lequel le tribunal statuerait éventuellement.
Vous conviendrez avec nous qu'il doit subsister un pouvoir discrétionnaire car il peut y avoir, en effet, une grande importance au fait que le témoin ne reste pas.
Nous y reviendrons éventuellement au cours de la navette. Je ferai toutefois remarquer que le principe même veut que le témoin, alors qu'un appel risque d'intervenir, n'assiste pas aux débats. Nous maintenons donc notre amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 205 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, le texte proposé pour l'article 231-105 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 231-106 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE