M. le président. Sur le texte proposé pour l'article 231-112 du code de procédure pénale, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 210, MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-112 du code de procédure pénale :
« Art. 231-112. - Si d'après les débats, la déposition d'un témoin paraît fausse, le président, soit d'office, soit à la requête du ministère public ou d'une des parties, peut ordonner spécialement à ce témoin d'être présent aux débats jusqu'à leur clôture et en outre de demeurer dans la salle d'audience jusqu'au prononcé du jugement du tribunal. En cas d'infraction à cet ordre, le président fait mettre le témoin en état d'arrestation provisoire.
« Après lecture du jugement du tribunal ou, dans le cas de renvoi à une autre session, le président ordonne que le témoin soit, par la force publique, conduit sans délai devant le procureur de la République qui requiert l'ouverture d'une information.
« Le greffier transmet à ce magistrat une expédition du procès-verbal qui a pu être dressé par application de l'article 231-115. »
Par amendement n° 27, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose, dans la première phrase du troisième alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-112 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « à une autre session ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 210.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je sens que nous allons encore nous faire traiter de conservateurs ! (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A ceux qui seraient tentés de le faire, je rappellerai ce mot célèbre de Jaurès, qui opposait ceux qui, du foyer des ancêtres, conservaient les braises et ceux qui en conservaient les cendres.
Nous, nous conservons les braises. Or les braises, ce sont très souvent les textes antérieurs. Pourquoi les modifier lorsque cela n'est pas nécessaire ?
Permettez-moi de rappeler les termes du premier alinéa de l'article 342, qui est actuellement en vigueur :
« Si, d'après les débats, la déposition d'un témoin paraît fausse, le président, soit d'office, soit à la requête du ministère public ou d'une des parties, peut ordonner spécialement à ce témoin d'être présent aux débats jusqu'à leur clôture et, en outre, de demeurer dans la salle d'audience jusqu'au prononcé de l'arrêté de la cour d'assisses. En cas d'infraction à cet ordre, le président fait mettre le témoin en état d'arrestation provisoire. »
C'est clair, net et précis, et cela n'a, à notre connaissance, jamais soulevé de problèmes.
Que nous propose-t-on de substituer à cette disposition ?
« Si, d'après les débats, la déposition d'un témoin paraît fausse, le président, soit d'office, soit à la requête du ministère public ou d'une des parties, peut ordonner spécialement à ce témoin de demeurer à la disposition du tribunal, qui l'entendra à nouveau s'il y a lieu. »
Faut-il vraiment changer la loi pour préciser que le tribunal entendra le témoin « à nouveau s'il y a lieu » ? C'était tellement sous-entendu dans l'ancien texte qu'il est totalement inutile de l'ajouter !

Au surplus, le deuxième alinéa du texte proposé pour l'article 231-112 énonce ceci :
« Si le jugement doit être rendu le jour même, le président peut également faire garder ce témoin par la force publique dans ou hors la salle d'audience. »

Mais si le jugement ne doit pas être rendu le jour même, que se passe-t-il ? Le texte est muet à cet égard et nous ne comprenons pas. Si l'on veut bien nous donner des explications, nous ne demandons qu'à être convaincus. Nous serions donc navrés que M. le garde des sceaux se contente d'un « défavorable ».
S'il a pris la peine de se pencher personnellement, comme il nous l'a confié hier, sur certains articles de ce texte particulièrement long, nous comprendrions parfaitement qu'il ne se soit pas penché sur tous les articles. Mais un simple « défavorable » ne nous éclairerait pas sur cette modification qui jette la confusion alors que l'article 342, lui, englobait tous les cas de figure. C'est la raison pour laquelle nous l'avons repris dans notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La commission, avant de se prononcer, souhaite entendre M. le garde des sceaux pour qu'il nous indique dans quel esprit il a substitué le dispositif proposé aujourd'hui au précédent, qui semblait donner satisfaction.
M. le président. Quel est, donc, l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 210 ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Premièrement, je précise que le texte de l'article 231-112 ne résulte pas d'une initiative personnelle mais qu'il fait suite à la demande réitérée de très nombreux praticiens, notamment de présidents de cour d'assises. C'est la raison pour laquelle nous l'avons proposé.
Deuxièmement, la notion d'arrestation provisoire n'existe pas. Il ne nous paraît donc pas souhaitable de faire figurer dans la loi une notion inconnue.
M. Jean-Jacques Hyest. Elle figurait dans l'article 342 !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Sans doute, mais elle ne correspond à rien.
Troisièmement, il nous paraît également inutile d'obliger, ce que prévoit l'amendement n° 210, le ministère public à ouvrir une information. Notre texte prévoit qu'il peut le faire : c'est une simple faculté.
Quatrièmement, et je réponds là à la question qui m'a été posée par le rapporteur, le texte que nous proposons ne présente, si j'ose dire, aucun trou. Il offre donc les mêmes garanties que le texte actuel en supprimant, à la demande de praticiens, je le répète, les défauts ou les incertitudes que celui-ci comportait.
Voilà pourquoi je crois qu'on peut sans aucune crainte, en toute sécurité, adopter le texte du projet de loi et rejeter l'amendement n° 210.
M. le président. Monsieur le rapporteur, je vous prie de nous faire maintenant connaître l'avis de la commission sur l'amendement n° 210 et de présenter l'amendement n° 27.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Compte tenu des explications qui viennent d'être données, à titre personnel, je ne voterai pas l'amendement n° 210, et j'émets, au nom de la commission, un avis défavorable.
Quant à l'amendement n° 27, il vise à supprimer une précision qui nous semble trop restrictive. En effet, il peut y avoir renvoi, non seulement à une autre session, mais aussi à une autre audience.
Il est évident que, si l'amendement n° 210 était adopté, l'amendement n° 27 deviendrait sans objet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 27 ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 210.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai bien entendu les explications de M. le garde des sceaux mais je suis au regret de dire qu'elles ne m'ont pas convaincu.
Il a d'abord invoqué les demandes réitérées des praticiens. Je me permets de faire observer qu'on ne suit pas toujours leur avis : quand ils demandent la sténotypie, on la leur refuse !
Je relève que le rapporteur s'est, à titre personnel, déclaré défavorable à notre amendement mais que, après consultation du président de la commission, c'est la commission tout entière qui a émis un avis devenu soudain défavorable.
Par ailleurs, M. le garde des sceaux ne m'a pas répondu sur les mots : « à la disposition du tribunal, qui l'entendra à nouveau s'il y a lieu ». Or, en tout état de cause, il est évident - on l'a vu tout à l'heure - que le président peut toujours entendre à nouveau le témoin ; il est donc totalement inutile de le préciser. Et il est non moins évident que le président est fondé à l'entendre à nouveau si la première déposition lui a paru fausse !
Vous écrivez ensuite que, « si le jugement doit être rendu le jour même, le président peut faire garder ce témoin par la force publique ». De quoi s'agit-il sinon d'un état d'arrestation provisoire ? Appelez-le comme vous voulez, mais c'est ainsi qu'on l'appelle depuis longtemps.
Que se passe-t-il si le jugement ne doit pas être rendu le jour même ? Ce n'est pas dit dans le texte que vous nous proposez.
Selon l'ancien texte, dans ce cas, lorsque la déposition d'un témoin paraît fausse au président, celui-ci le fait conduire sans délai devant le procureur de la République, qui requiert l'ouverture d'une information. C'est effectivement une situation suffisamment grave pour qu'une information soit ouverte.
Votre texte prévoit, lui, qu'« il est conduit devant le procureur de la République qui peut requérir l'ouverture d'une information ».
Autrement dit, s'il ne requiert pas l'ouverture d'une information, il peut classer sans suite, alors même que le président a estimé la déposition mensongère. C'est très exactement, que vous le vouliez ou non, ce que permet votre texte, et c'est inadmissible.
Il faut maintenir la rédaction antérieure qui prévoit que, dans ce cas, une information doit obligatoirement être ouverte par le procureur de la République.
Revenant au problème de l'arrestation provisoire, je me permets de vous rappeler que, dans un autre texte, le Gouvernement propose que, sur la seule demande du procureur, son appel soit suspensif et que quelqu'un puisse ainsi être retenu contre sa volonté.
J'espère que M. le rapporteur, m'ayant entendu, reviendra sur l'avis finalement défavorable qu'il a émis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 210, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 27, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, le texte proposé pour l'article 231-112 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 231-113 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE