M. le président. Sur le texte proposé pour l'article 231-124 du code de procédure pénale, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 30, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-124 du code de procédure pénale :
« Art. 231-124. - Avant que le tribunal d'assises se retire, le président donne connaissance de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations :
« La loi ne prescrit pas aux juges de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes, dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense, en se rappelant que celui-ci est présumé innocent et que le doute doit lui profiter. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?" »
Par amendement n° 214 rectifié, MM. Badinter et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de compléter le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-124 du code de procédure pénale par deux alinéas ainsi rédigés :
« La loi prescrit aux juges de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, en se rappelant que l'accusé est présumé innocent et que le moindre doute doit lui profiter, et de répondre à cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "La preuve de la culpabilité est-elle ou non rapportée ?" »
« Cette instruction est affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations. »
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 30.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Nous proposons de conserver la solennelle adresse aux jurés, qui a deux cents ans d'existence, qui a été écrite par Merlin de Douai et qui mérite de demeurer, sous réserve de deux légères modifications.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il en faudra d'autres !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Eh bien, vous déposerez des amendements !
D'une part, nous ne pouvons maintenir le membre de phrase selon lequel « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus », car elle est contraire à la motivation de la décision.
D'autre part, nous ajoutons une mention relative à la présomption d'innocence.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 214 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le rapporteur nous propose un très beau texte.
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Ce n'est pas moi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On y lit notamment que « la loi ne prescrit pas aux juges de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ». Après quoi on va les faire voter à bulletin secret sur chaque élément à charge ! C'est tout de même assez amusant ! Mais nous n'en sommes pas à cette contradiction près !
En tout cas, nous pensons qu'on ne doit pas insister sur ce point, sans toutefois remettre en cause le système légal de l'intime conviction, qui permet de ne pas conférer un poids particulier à telle ou telle preuve. Certes, le texte le prévoit - et nous nous en félicitons, car nous l'avions proposé voilà déjà longtemps - en rappelant que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter.
Toutefois, à nos yeux, l'important est que la loi prescrive aux juges de s'interroger.
Nous avons laissé de côté la plénitude ou la suffisance d'une preuve parce que nous considérons que, précisément, il s'agit de savoir si la preuve est rapportée ou si elle ne l'est pas.
Si vous voulez que votre projet de loi ait pour résultat d'éviter des condamnations au bénéfice du doute, comme on ne cesse d'en constater, vous devez accepter que soit soulignée la nécessité pour les jurés de s'interroger en se demandant non pas s'ils ont une intime conviction, mais s'ils estiment que la preuve de la culpabilité a été rapportée.
Cela dit, nous rectifions notre amendement en supprimant l'adjectif « moindre », qui peut effectivement paraître superfétatoire.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 214 rectifié bis , qui vise à compléter le texte proposé par l'article 2 pour l'article 231-124 du code de procédure pénale, par deux alinéas ainsi rédigés :
« La loi prescrit aux juges de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, en se rappelant que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter, et de répondre à cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "La preuve de la culpabilité est-elle ou non rapportée".
« Cette instruction est affichée en gros caractères, dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations. »
Quel est l'avis de la commission sur cet amendement ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Mes chers collègues, il s'agit là d'un vieux débat entre M. Michel Dreyfus-Schmidt et certains autres membres de la commission des lois.
Notre collègue place sa préférence dans la notion de preuve rapportée, car il est fondamentalement hostile à l'intime conviction.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Telle qu'on la comprend généralement !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. C'est pourquoi cet amendement ne peut recueillir l'avis favorable de la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 30 et 214 rectifié bis ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Les explications qui ont été données par les uns et les autres se suffisent et me permettent d'indiquer simplement que je suis favorable à l'amendement n° 30 et défavorable à l'amendement n° 214 rectifié bis .
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 231-124 du code de procédure pénale est ainsi rédigé et l'amendement n° 214 rectifié bis n'a plus d'objet.

ARTICLE 231-125 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE