M. le président. La parole est à M. de Raincourt. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
La déclaration de politique générale du Gouvernement a été lue devant le Sénat. Elle n'a pas donné lieu à un débat, comme la Constitution l'aurait permis, mais je comprends tout à fait les motifs qui ont conduit le Gouvernement à ne pas en solliciter l'organisation.
Monsieur le Premier ministre, votre participation à notre première séance de questions d'actualité me permet de soulever un certain nombre d'interrogations qui me paraissent importantes.
Le récent sommet d'Amsterdam a confirmé la création de la monnaie unique le 1er janvier 1999, qui impose la poursuite de la réduction des déficits publics. Peu de jours après, dans votre discours de politique générale, reprenant les engagements que vous aviez souscrits durant la campagne électorale, vous avez annoncé, ai-je lu dans la presse, quarante-deux mesures, dont la quasi-totalité va entraîner des dépenses nouvelles, et je ne parlerai pas de l'arrêt de certains grands travaux ou de Superphénix, par exemple. Par ailleurs, des privatisations pourraient être différées ou abandonnées, vous privant des recettes correspondantes.
La seule économie annoncée - pour le moment, elle ne semble d'ailleurs guère faire recette - est le plafonnement des ressources pour l'attribution des allocations familiales. Monsieur le Premier ministre, c'est la remise en cause d'un principe que, pour notre part, nous n'entendons pas abandonner.
J'ajoute que la simultanéité de cette annonce et de la régularisation d'un certain nombre d'étrangers en situation irrégulière est pour le moins maladroite et qu'en tout cas elle en choque plus d'un. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Posez votre question !
M. Henri de Raincourt. Monsieur le Premier ministre, comment comptez-vous financer les premières mesures que vous avez retenues ? Comment à la fois aller vers la monnaie unique, réduire les déficits, augmenter les dépenses, stabiliser ou diminuer les prélèvements tout en prenant en compte les nouvelles contraintes de la politique nationale que vous entendez conduire ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout cela en deux minutes trente !
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE)
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre à la question de M. de Raincourt, je voudrais d'abord dire que, si les usages et l'ordre du jour du Parlement m'ont conduit, depuis ma nomination comme Premier ministre, à m'exprimer trois fois devant l'Assemblée nationale, c'est avec un très grand plaisir que je me trouve aujourd'hui au Sénat pour répondre, avec les membres de mon Gouvernement, aux questions qui nous sont posées.
Je suis heureux que l'occasion me soit donnée, avant la fin de la session parlementaire, d'ajouter que j'aurai le souci permanent, dans mon action gouvernementale, d'associer le Parlement, notamment le Sénat, dans le respect, naturellement, de l'indépendance de chacun et de la distinction entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, aux débats qui précéderont ou qui accompagneront la mise en oeuvre des orientations qui seront les nôtres.
En ce qui concerne plus particulièrement la question posée par M. de Raincourt, et après que Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, fut venue devant le Sénat présenter la déclaration de politique générale, je voudrais dire que, s'il existe un certain nombre de tensions, d'exigences contradictoires, de contraintes face auxquelles va se trouver le présent gouvernement et en raison desquelles, nous a-t-on expliqué, le précédent gouvernement avait préféré écourter la durée du mandat de l'Assemblée nationale, peut-être pour ne pas avoir, justement, à les affronter... (Marques d'approbation et rires sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
C'est une explication qu'on nous a donnée ! On ne nous en a pas donné tellement d'autres !
S'il existe des contraintes, disais-je, celles-ci relèvent moins, monsieur le sénateur - il faut nous en convaincre - d'une contradiction qui existerait entre nos engagements de campagne et le réel que de tensions, de contradictions ou d'exigences que recèle le réel lui-même et auxquelles nous sommes tous confrontés, ce gouvernement l'étant après le précédent. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce gouvernement a le temps devant lui. Par ailleurs, monsieur le sénateur, au-delà de toutes les promesses, lorsqu'un pays compte 3 millions de chômeurs et subit en même temps un endettement massif qui s'est, pour l'essentiel, envolé dans les années 1993 à 1995... (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste) ... lorsque ce même pays a un taux de prélèvements obligatoires considérable et que ce taux s'est accentué au point de constituer un record durant la période 1995-1997... (Nouvelles protestations sur les mêmes travées) ... ces contraintes existent pour tous : elles existent pour mon pays et elles existent pour le Gouvernement.
Nous avons à veiller aux comptes publics, à l'endettement, au risque de creusement du déficit. En même temps, nous devons nous efforcer d'intégrer une croissance qui donne peut-être des signes de reprise - mais ils sont encore fragiles, comme en témoignent des indicateurs contradictoires - alors que nous avons plus de 3 millions de chômeurs.
Ces contradictions existent dans la vie économique, mais aussi dans les rapports entre l'économique et le social, et même dans la société et la vie politique puisque l'on constate qu'une force extrémiste rassemble plus de 15 % des voix dans notre pays ! (« Grâce à vous ! » sur les travées du RPR.)
Nous devons par ailleurs affronter un rendez-vous monétaire, dont j'ai rappelé qu'il nous tenait et que nous nous engagions à le respecter.
Voilà le cadre général dans lequel le Gouvernement va agir. Nous allons affronter ces difficultés.
Monsieur le sénateur, les réponses aux questions précises que vous avez posées vous seront données à l'automne, lorsque nous aborderons le débat qui concernera le collectif budgétaire et la préparation du budget.
A ce sujet, je vous précise que j'ai réuni les ministres avant de vous rejoindre pour évoquer l'exercice budgétaire. Le débat commence entre nous d'abord, parce que c'est nécessaire. En effet, les lettres de cadrage doivent partir bientôt. Or, la procédure budgétaire, en raison de la dissolution - je n'en fais le reproche à personne, mais c'est une donnée - a été retardée de deux mois. Nous devons donc agir dans un délai beaucoup plus restreint.
Vous aurez des indications précises sur vos questions lorsque nous parlerons et du collectif budgétaire et du projet de budget pour 1998.
Je dois ajouter, monsieur le sénateur, qu'il ne m'était pas venu à l'esprit de faire un rapprochement entre la mise sous condition de ressources du versement des allocations familiales et la régularisation de tel ou tel sans-papiers se trouvant dans une situation inextricable. Vous avez opéré ce lien. Il ne m'était pas venu à l'esprit, et je ne suis pas persuadé qu'il soit venu à l'esprit de beaucoup de nos concitoyens !
M. Claude Estier. C'est vrai !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. En tout cas, nous allons effectivement tenir ces exigences contradictoires : croissance à soutenir, chômage à faire reculer et, en même temps, maîtrise des comptes publics, qu'il s'agisse du déficit du budget de l'Etat - nous aurons des informations précises sur ce point le 21 juillet quand l'évaluation des magistrats de la Cour des comptes aura été rendue publique - ou des comptes de la sécurité sociale, sur lesquels nous pouvons avoir de sérieuses inquiétudes.
Nous prenons la situation telle qu'elle nous a été laissée et nous travaillerons sur ces bases en espérant léguer à ceux qui nous succéderont une situation meilleure. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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