MESURES URGENTES
À CARACTE`RE FISCAL ET FINANCIER

Discution d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 425, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier. [Rapport n° 434 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai le plaisir de vous présenter ce matin, avec M. Christian Sautter, ce texte portant diverses mesures urgentes à caractère fiscal et financier dont l'Assemblée nationale a déjà été saisie.
Comme vous le savez, la principale partie de ce texte, que la commission des finances du Sénat a eu l'occasion d'examiner, a trait aux mesures qu'il a semblé bon au Gouvernement de prendre pour remédier au dérapage des finances publiques révélé par l'évaluation demandée à deux membres de la Cour des comptes, MM. Nasse et Bonnet, au mois de juillet dernier.
Il en résulte principalement que l'on pouvait alors prévoir que, à la fin de l'année, le déficit public s'établirait entre 3,5 % et 3,7 %, alors que vous l'aviez vous-mêmes voté en loi de finances initiale, mesdames, messieurs les sénateurs, à 3 %.
Le Gouvernement a considéré qu'il ne pouvait pas accepter ce niveau de déficit pour deux grandes catégories de raisons.
La première tient à nos engagements européens et à notre volonté de participer, avec la majorité sans doute de nos partenaires de l'Union européenne, à la création, le moment venu, de la monnaie unique.
La seconde, qui est au moins aussi importante, réside dans le fait que les simulations qui ont pu être réalisées, dont certaines figurent dans le dossier du projet de loi de finances pour 1998 que la commission des finances du Sénat a reçu, montrent que, avec un déficit maintenu pendant plusieurs années à 3,6 %, pour prendre la moyenne entre 3,5 % et 3,7 %, le niveau de la dette publique rapportée au PIB prendrait une ampleur tout à fait explosive, avec deux conséquences.
La première, que chacun a bien présente à l'esprit, est que la charge de la dette dans le budget de l'Etat deviendrait elle-même explosive, or on ne peut plus espérer, à l'avenir, des baisses massives des taux d'intérêt - ceux-ci sont déjà très bas - qui permettraient de la réduire.
Par conséquent, si rien n'était entrepris, nous nous trouverions, dans quelques années, dans cette situation paradoxale où, grosso modo, un peu moins de 45 % des recettes de l'Etat serviraient à financer les traitements, les retraites et autres éléments de rémunération des fonctionnaires, tandis que 16 %, 17 % et demain 20 % du budget seraient consacrés au service de la dette. A l'inverse, la part disponible pour financer les interventions de l'Etat dans ses différents domaines de compétence se verrait réduite à la portion congrue.
Or, si nous pouvons avoir, les uns et les autres, des opinions divergentes sur ce qu'il convient de faire de l'argent public et sur l'ampleur de l'intervention de l'Etat, nous pouvons nous rejoindre sur l'idée qu'il faut que l'Etat, lorsqu'il intervient, ait les moyens de le faire.
La seconde conséquence de la persistance d'un niveau élevé de déficit porte non plus sur le service de la dette, mais sur la dette elle-même.
Je crois très important que nous ne laissions pas à nos enfants et à nos petits-enfants une dette publique qui continue d'augmenter en pourcentage du PIB et qui constitue, dans l'avenir, un fardeau devenant petit à petit insupportable pour ces générations qui subiraient alors, demain, des prélèvements massifs.
Il convient donc d'inverser cette tendance, et si l'effort à consentir pour y parvenir est important, il n'est pas hors de portée. J'aurai l'occasion de vous en reparler à propos du projet de loi de finances pour 1998, mais l'engagement que veut prendre le Gouvernement, c'est, en poursuivant la mise en oeuvre de la politique qu'il a définie et dont nous reparlerons dans quelques semaines, d'arriver à infléchir cette courbe, ce qui n'est jamais arrivé dans notre histoire, et ce dès l'an 2000.
Je ne m'étends pas sur ce point, car nous y reviendrons. Cependant, chacun a bien présent à l'esprit que l'importance de cette dette doit finalement décroître, et le seul moyen pour y parvenir est, bien sûr, de réduire notre déficit.
Toutes ces raisons ont conduit le Gouvernement à vouloir se rapprocher le plus possible, bien que l'année ait déjà été à moitié écoulée au moment de la réalisation de l'audit, de l'objectif initial de la loi de finances, qui avait été fixé, peut-être un peu imprudemment, à 3 %.
A cette fin, 32 milliards de francs sont nécessaires, qui représentent 0,4 point de PIB. Nous pourrons ainsi approcher les 3 % de déficit public prévus, puisque nous serons alors à 3,2 %. Mais nous ne sommes pas obligés de choisir comme référence la moyenne entre 3,5 % et 3,7 % : nous pouvons être plus optimistes et prendre pour base un taux de 3,5 %, et si la croissance est au rendez-vous d'ici à la fin de l'année, cela nous permettra de nous rapprocher très nettement de l'objectif. Le Gouvernement estime qu'un effort représentant 0,4 point de PIB constitue un effort important, certes, mais pas insupportable.
Comme vous le savez, sur ces 32 milliards de francs, 10 milliards de francs proviendront d'économies réalisées par l'Etat. Celles-ci seront très difficiles à trouver, car ce n'est pas aux membres du Grand Conseil des communes de France que j'apprendrai combien il est difficile de réviser en milieu d'année des budgets publics, qu'il s'agisse de celui de l'Etat ou de ceux des collectivités territoriales. Nous savons tous que lorsqu'un budget a été voté et que la plupart des crédits ont été sinon engagés, du moins promis en faveur de différents domaines, qu'il s'agisse d'activités culturelles à financer, de projets de routes à réaliser ou de travaux publics déjà engagés, il est très difficile de revenir en arrière.
Ce gel de dix milliards de francs représente donc un effort très important, et les prélèvements complétant cette somme s'élèveront à quelque 21 milliards de francs, ce qui correspond très exactement, vous l'aurez remarqué, au défaut de recettes que les auditeurs ont mis en évidence.
En effet, le dérapage des finances publiques qu'ils ont souligné est dû, d'une part, à un certain dépassement des dépenses, et, d'autre part, à un déficit de recettes.
Ce second point constitue un réel problème en matière de finances publiques, en France mais aussi dans les pays étrangers, comme me l'ont confié certains de mes homologues. Ce manque de recettes correspond, en termes techniques, à l'affaiblissement de l'élasticité des recettes fiscales par rapport à la croissance. Plus concrètement, on peut dire que les recettes fiscales n'augmentent pas en proportion du renforcement de la croissance.
Par conséquent, lorsque le précédent gouvernement a arrêté son budget, son estimation des recettes fiscales a été quelque peu optimiste. Un ensemble de causes, liées par exemple à la TVA intracommunautaire, font que, en fin de compte, on a du mal à préserver, à législation constante, la recette prévue initialement.
Les 21 milliards de francs de prélèvements que le Gouvernement s'est résolu à demander au pays ne serviront qu'à reconstituer, j'insiste auprès de vous sur ce point, le montant total des recettes que la loi de finances pour 1997 avait prévu, mais qui ne sera pas atteint si cette mesure n'est pas prise.
En ce sens, il ne s'agit pas au total d'un prélèvement plus important, puisque, si tout se passe comme prévu, et il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas le cas, auront effectivement été prélevées au titre des recettes de l'Etat, à la fin de l'année 1997, les sommes qui avaient été initialement votées par les deux assemblées. Seules les modalités changent.
Pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi de recourir à l'impôt sur les sociétés pour compléter ses recettes ? Plusieurs raisons doivent être invoquées.
Je soulignerai tout d'abord que, comme vous le savez, le taux d'autofinancement de nos entreprises est aujourd'hui très élevé. Il est lui-même lié à la faiblesse des investissements, mais cela se traduit par des capacités de financement très excédentaires par rapport à l'investissement.
Il faut ici rappeler que, de 94 % voilà trois ou quatre ans, le taux de financement est passé en 1996 à 123 %, chiffre supérieur à 100 %, qui montre que les capacités de financement de nos entreprises sont supérieures à leurs besoins.
Il est possible d'aborder autrement le même sujet : lorsque l'on trace les courbes, que vous connaissez parfaitement, qui mettent en relation le niveau d'épargne des entreprises avec celui de leurs investissements, on constate, toujours en 1996, dernière statistique disponible, un excédent de quelque 134 milliards de francs de l'épargne des entreprises sur leurs investissements.
Il y a donc là une possibilité, sans gêner le fonctionnement de l'économie, de trouver les quelque 21 milliards de francs dont nous avons besoin. Je ne dis pas que les entreprises concernées se réjouissent de cette mesure, mais elle n'affecte pas directement leurs capacités de financement.
On peut encore étudier cette question en examinant le poids de l'impôt sur les sociétés dans le PIB.
Dans notre pays, cet impôt représente 1,6 % du PIB. Or, dans les pays voisins, il en constitue en moyenne 3 %. Cela traduit le fait que, au final, si le taux de notre impôt sur les sociétés est plutôt supérieur à la moyenne, sans être le plus élevé, l'assiette sur laquelle il porte est à ce point réduite que, au total, le prélèvement, en termes de points de PIB, est sensiblement plus faible que chez nos voisins.
Mais surtout, à partir du moment où l'objectif était fixé et où il fallait choisir une voie d'action, la seule possibilité était d'opérer un prélèvement sur les ménages. Or, choisir cette option eût été, du point de vue du Gouvernement, reproduire une erreur qui n'est pas si ancienne : voilà quelques années, un prélèvement très massif sur les ménages, dont chacun se souvient, a contribué à briser un début de reprise de notre économie.

Par conséquent, l'ensemble de ces contraintes a conduit le Gouvernement à estimer qu'il fallait réduire le déficit, mais que si nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir en matière de réduction de la dépense, il n'est pas possible d'aller très loin dans ce sens en milieu d'année. La situation sera différente en 1998, et nous aurons l'occasion d'en reparler, mais il faut dans l'immédiat dégager des recettes, et il ne s'agit d'ailleurs que de reconstituer celles qui manquent. On ne peut les prélever sur les ménages, car cela risquerait de casser la croissance, mais on peut solliciter les entreprises, dont les disponibilités sont relativement importantes.
Ces mesures prennent la forme, tout d'abord, de l'instauration d'une surtaxe temporaire de 15 % sur l'impôt sur les sociétés. J'insiste sur son caractère temporaire, car souvent les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont la tentation de qualifier de temporaire une mesure qui perdure. On en connaît force exemples !
En l'occurrence, nous tenons, et tel est l'objet du texte qui vous est soumis, à ce que soient inscrites immédiatement dans le code général des impôts la valeur de cette surtaxe pour 1997 et pour 1998, sa décroissance en 1999 et, enfin, sa disparition en l'an 2000, afin de bien marquer qu'il ne faudra pas un nouvel acte législatif pour la faire disparaître, ce qui pourrait laisser supposer qu'elle pourrait perdurer plus longtemps qu'on ne le souhaite. Si vous acceptez de voter ce dispositif, il suffira de le laisser en l'état pour que, au bout de trois ans, la surtaxe disparaisse effectivement.
En ce sens, elle apparaît très différente de la surtaxe précédente, mise en place par le gouvernement de M. Juppé, qui, annoncée pour temporaire, a été votée définitivement et suppose un acte législatif particulier pour la supprimer.
M. Philippe Marini. Sophisme !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cette surtaxe a été considérée par bon nombre d'entreprises comme l'investissement nécessaire pour que nous soyons au rendez-vous de l'euro auquel elles tiennent. C'est comme cela que j'interprète les réactions somme toute modérées de la part des représentants des entreprises lorsque cette mesure a été annoncée.
Toutefois, nous avons tenu à ce qu'elle ne concerne pas les petites entreprises, qui, chacun le sait, sont à l'origine de l'augmentation de l'emploi. Le seuil retenu, qui est bien entendu arbitraire comme tout seuil, est le seuil européen de définition des petites entreprises, à savoir 50 millions de francs de chiffre d'affaires.
J'attire l'attention du Sénat sur le fait qu'en exonérant de cette surtaxe les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions de francs ce sont 80 % des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés qui sont exonérées. Encore s'agit-il d'un pourcentage minimal, car plusieurs estimations de l'INSEE et des différentes administrations économiques sont supérieures à ce taux. Ce sont donc au moins 80 % des entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés qui seront exonérées de cette surtaxe.
L'Assemblée nationale a apporté deux modifications heureuses à cette disposition. La première consiste à étendre cette exonération aux petits groupes qui font moins de 50 millions de francs de chiffre d'affaires. C'est là un élargissement très considérable du concept traditionnel du code général des impôts, mais il est bienvenu.
La seconde modification apportée par les députés vise à exonérer de la surtaxe les entreprises de moins de 50 millions de chiffre d'affaires même lorsque leur capital est détenu non seulement par des sociétés de capital-risque mais également par des fonds communs de placement à risque, afin que les personnes qui s'investissent dans la prise de risques et que nous voulons soutenir ne soient pas pénalisées alors que ce sont sans doute elles qui font le plus d'efforts en matière d'innovation.
L'autre versant, à côté de la surtaxe de 15 % que je viens d'évoquer, a consisté à soumettre les plus-values au droit commun en matière d'imposition des bénéfices. Vous le savez, ce régime fiscal des plus-values est une sorte de curiosité géographique. En effet, aucun des pays qui nous entourent n'a cette particularité. Les plus-values y sont taxées selon le droit commun de l'impôt sur les sociétés. Cependant, cette curiosité a progressivement disparu. En effet, dès 1991, la sagesse des assemblées a conduit à supprimer cette exonération partielle des plus-values pour les titres de placement. Puis, en 1994, vous avez fait un pas de plus en la supprimant pour les titres de portefeuille. Nous voulons aller un peu plus loin, en maintenant toutefois quelques exceptions qui demeureront exonérées.
La première, ce sont les titres de participation. Il convient, en effet, que les plus-values sur ces titres continuent de bénéficier d'un taux particulièrement avantageux, faute de quoi les opérations au sein des groupes seraient extrêmement complexes et conduiraient sans doute un certain nombre de groupes à se localiser à des endroits où la législation fiscale serait plus favorable.
La deuxième exception, c'est de nouveau ce qui se passe pour les sociétés de capital-risque ou les fonds communs de placement à risque, pour lesquels nous avons, là aussi, voulu conserver le régime antérieur particulièrement avantageux en matière de plus-values.
La troisième exception concerne les plus-values issues de brevets ou d'inventions brevetables. Il a semblé souhaitable de ne pas augmenter la fiscalité en matière de plus-values, de façon à continuer d'avoir, en France, une importante localisation de brevets.
Au total, l'argument fondamental qui a présidé dans le passé au fait que nous ayons une fiscalité des plus-values avantageuse, à savoir une forte inflation - les plus-values étaient en grande partie purement nominales, et il convenait donc de ne pas les taxer au taux normal - a largement disparu puisque nous sommes dans une situation d'inflation particulièrement faible.
Les raisons qui ont présidé à la mise en place de cette fiscalité bonifiée ayant disparu, le Gouvernement a considéré qu'il était raisonnable de faire en sorte que la fiscalité bonifiée s'estompe.
Voilà, en quelques mots, ce que recouvrent les trois premiers articles du projet de loi qui vous est présenté.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de faire encore brièvement quelques commentaires sur les trois autres articles.
Le premier d'entre eux concerne EDF et le statut juridique des ouvrages de transport d'électricité qui, jusqu'à maintenant, est resté dans une certaine ambiguïté juridique. En effet, la propriété de ces ouvrages de transport n'était pas clairement définie. Le contrat de plan qui a été signé entre l'Etat et l'entreprise en avril dernier prévoyait de remettre cela en ordre. J'y vois plusieurs avantages.
Le premier, c'est de redonner à cette grande entreprise qu'est EDF un bilan avec des actifs qui valent quelque chose et qui sont « pesants ». Aux termes de l'article que nous vous proposons, les fonds propres d'EDF pourront être estimés à 80 milliards de francs, ce qui est plus en rapport avec l'importance de son activité. De plus, dans le cadre de l'évolution concurrentielle dans le domaine de l'énergie, en particulier de l'électricité, en Europe, EDF apparaîtra comme une société qui a effectivement à son bilan des actifs correspondant à l'importance de son activité.
Autre avantage, l'anomalie selon laquelle ces ouvrages n'apparaissent pas au bilan d'EDF conduisait à une situation fiscale dans laquelle des pertes un peu fictives apparaissaient, ce qui conduisait EDF à ne pas payer d'impôt sur les sociétés. Aussi, tous les gouvernements avaient la fâcheuse tendance de compenser ce manque d'impôt par un prélèvement, plus ou moins forfaitaire et donc arbitraire, sur EDF. La régularisation de cette situation va conduire EDF à payer l'impôt normalement, et donc, je pense, à restreindre l'habitude, toujours bien intentionnée mais pas toujours heureuse, des gouvernements de prélever arbitrairement des ressources sur cette entreprise.
Bien entendu - et, de ce point de vue, je veux rassurer le Sénat - ce dispositif ne remet nullement en cause le monopole dont dispose EDF. Il n'a aucune influence sur les collectivités locales, ni sur les réseaux qu'elle détiennent en régie. Il n'entraîne pas, au contraire et je viens de l'expliquer, un prélèvement supplémentaire quelconque sur EDF. En fait, cela normalise la situation de cette entreprise. Telles sont les précisions que je souhaitais apporter sur le premier des articles de cette seconde partie du projet de loi.
Le deuxième article concerne les CODEVI, les comptes pour le développement industriel.
Les modalités particulières que vous avez votées ont conduit les collectivités locales à pouvoir utiliser les ressources des CODEVI jusqu'au 31 décembre 1996 pour financer l'installation et l'aménagement de PME. A la demande de nombreux élus, il a semblé utile de reconduire cette possibilité jusqu'à la fin de 1997. Le Gouvernement s'est rallié à cette position. Un article permettant d'étendre jusqu'à la fin de 1997 l'emploi des ressources des CODEVI par les collectivités locales vous est donc présenté.
J'en viens, enfin, au dernier article de cette seconde partie.
Du rapprochement du CEPME, le Crédit d'équipement pour les petites et moyennes entreprises, et de la SOFARIS, entreprise de garantie en matière de capital-risque, est née la BDPME, la Banque de développement des petites et moyennes entreprises. Celle-ci a la caractéristique d'une holding. Comme elle regroupe des participations publiques dans des établissements financiers et publics, elle doit mettre en oeuvre la loi de 1983 sur la démocratisation du secteur public. Celle-ci ne prévoit pas clairement comment la représentation des salariés des filiales - la holding elle-même ayant peu de salariés - peut s'opérer au conseil de surveillance de la holding.
Aussi, il convient qu'un article de loi permette l'application simple, naturelle et de bon sens de la loi de 1983 qui ne prévoyait pas ce cas. Tel est l'objet du dernier article qui vous est soumis.
J'espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que sur l'ensemble de ces articles, le bien-fondé de la démarche gouvernementale vous apparaîtra et que vous souhaiterez vous associer à l'Assemblée nationale pour les approuver.
Je tiens à vous dire combien M. Christian Sautter et moi-même sommes à votre disposition pour examiner les amendements que vous présenterez. Je vous demande par avance de m'excuser de ne pouvoir participer à l'ensemble de la discussion, car M. le Premier ministre m'a demandé de le rejoindre en fin de matinée. Bien entendu, dès que la réunion à laquelle il me convie sera terminée, je vous rejoindrai afin de poursuivre avec vous la discussion.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et le secrétaire d'Etat au budget espèrent que cette première rencontre avec la Haute Assemblée sera, comme j'en ai, pour ma part, gardé le souvenir s'agissant des débats que nous avons menés ensemble lorsque je participais à des gouvernements précédents, l'occasion de discussions franches, intéressantes...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Courtoises !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et permettant d'enrichir les textes. Je suis sûr que nous pouvons, par là même, commencer une collaboration démocratique, souvent contradictoire mais toujours fructueuse, que nous poursuivrons bientôt lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de vous saluer puisque c'est notre première rencontre en séance publique à la veille de la discussion budgétaire. Je fais mienne la conclusion de votre propos, monsieur Strauss-Kahn : je souhaite que notre dialogue soit fécond, au service de notre pays.
Le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à notre examen comporte six articles. Les trois premiers sont la traduction législative des mesures fiscales annoncées par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie le 23 juillet dernier. Celles-ci sont elles-mêmes consécutives aux travaux menés par MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse, qui ont constaté un creusement du déficit des comptes publics.
Les trois premiers articles du présent projet de loi ont un triple objet. Il s'agit, d'abord, d'instituer une contribution temporaire sur le taux de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires de plus de 50 millions de francs, fixée à 15 % en 1997 et 1998 et à 10 % en 1999, ce qui portera le taux de l'impôt sur les sociétés à 41,66 % puis à 40 %. Il s'agit, ensuite, d'élargir l'assiette de l'impôt sur les sociétés en y incluant les plus-values à long terme, hors titres de participation et concession de licences d'exploitation de brevets et d'inventions brevetables. Il s'agit, enfin, de modifier le régime des acomptes pour assurer le rendement fiscal de ces mesures dès 1997.
L'augmentation du taux réel de l'impôt sur les sociétés et la suppression partielle du régime des plus-values à long terme devraient rapporter respectivement 14,4 milliards de francs et 6,7 milliards de francs de recettes supplémentaires au budget de l'Etat, soit un total de quelque 21 milliards de francs en 1997. Le rendement attendu en 1998 est de 16,5 milliards de francs.
La commission des finances considère qu'il convient sans doute d'actualiser le constat effectué par MM. Nasse et Bonnet sur l'état des comptes publics. Par ailleurs, elle ne recommande pas de souscrire à la stratégie retenue par le Gouvernement, qui consiste à accroître les recettes fiscales plutôt qu'à freiner les dépenses, pour permettre ainsi de respecter nos engagements européens, comme l'a dit tout à l'heure M. le ministre, et pour parvenir au plus vite, conformément au souhait de chacun dans cette assemblée, à la stabilisation de la dette.
A cet égard, monsieur le ministre, nous apprécions beaucoup dans cette assemblée une initiative qui a été prise à deux reprises, à savoir l'organisation d'un débat d'orientation budgétaire. Certes, le calendrier de cette année n'a pas permis un tel débat qui est l'occasion d'examiner d'une manière pluriannuelle l'évolution de nos finances publiques.
La dégradation des comptes publics révélée par l'audit doit être relativisée au vu des derniers résultats de l'exécution de la loi de finances de 1997 qui mettent en évidence une amélioration du solde budgétaire de 13,8 milliards de francs par rapport au mois de juillet 1996. Elle peut être aussi relativisée par votre optimisme - c'est une qualité, monsieur le ministre - sur le rythme de la croissance en 1997.
Je me souviens d'une interview que vous avez donnée fin août et dans laquelle vous affirmiez que le déficit approcherait peut-être 2,9 %.
Mais la lutte contre les déficits publics - la commission des finances le répète depuis longtemps - doit reposer en priorité sur la maîtrise des dépenses et même sur leur réduction, et non pas sur l'accroissement des prélèvements obligatoires. Or, le Gouvernement a donné un signe très négatif en la matière, en utilisant le gel des 10 milliards de francs de crédits opéré par le précédent gouvernement pour engager de nouvelles dépenses au moyen d'un décret d'avance, en date du 9 juillet dernier, de 11,1 milliards de francs.
En annulant purement et simplement les crédits gelés par le précédent gouvernement, le nouveau gouvernement aurait pu faire quelque 10 milliards de francs d'économies, ce qui aurait permis de diminuer le creusement du déficit budgétaire tel qu'il a été estimé par MM. Nasse et Bonnet.
Le Gouvernement n'a pas fait ce choix et préfère compenser le creusement du déficit budgétaire par une hausse de la fiscalité. C'est son droit, mais ce n'est pas la voie préconisée par la commission des finances ni par les deux rapporteurs de l'audit, qui écrivent ceci : « Agir sur la dépense est le seul moyen de réduire les déficits, comme la France s'y est engagée, sans accroître des prélèvements obligatoires déjà très lourds. Ce résultat ne pourra donc être obtenu que par des actions de fond. »
Il n'est pas inutile à ce stade de rappeler que les dépenses publiques représentent en France 54,6 % du PIB en 1996 contre 50,6 % dans l'Union européenne et que, comme nous l'oublions trop souvent, ce sont les pays industriels ayant choisi la voie de la réduction des dépenses publiques qui ont réussi à diminuer massivement leur taux de chômage.
Par ailleurs, deux arguments invoqués par le Gouvernement pour surfiscaliser en priorité les grandes et moyennes entreprises semblent contestables à la commission des finances. Outre qu'elles seraient moins taxées que les concurrentes, sur le seul critère de l'impôt sur les sociétés dans le PIB, leur bonne santé apparente en ferait des contributeurs tout désignés.
Vous avez d'ailleurs indiqué tout à l'heure, monsieur le ministre, que la réaction des entreprises à cette mesure était modérée. Je n'ai pas entendu qu'elles s'étaient réjouies, mais peut-être redoutent-elles tout simplement d'autres décisions du Gouvernement !
Non seulement les arguments invoqués par le Gouvernement peuvent être contestés, mais la commission des finances craint aussi que, en accroissant la fiscalité pesant sur les entreprises, contrairement à nos partenaires et concurrents économiques, le Gouvernement ne compromette l'emploi en retardant les investissements et la croissance, et ne donne un signal négatif aux entreprises. Les mesures fiscales prévues par le projet de loi de finances pour 1998 confirment de surcroît cette tendance, en raison, par exemple, de la modification du régime des provisions qui touche de nombreuses PME.
En effet, en portant notre taux d'impôt sur les sociétés à 41,6 % et en supprimant, même partiellement, le régime de la taxation, nous irions - mais c'est ce qui se passera sans doute puisque la majorité, à l'Assemblée nationale, en décidera certainement ainsi - à contre-courant des politiques menées par nos principaux partenaires européens qui, eux, entreprennent tous, sauf erreur de ma part, de réduire les impôts pesant sur les entreprises.
S'agissant du régime de taxation réduite des plus-values de cessions d'actifs immobilisés, vous avez indiqué tout à l'heure, monsieur le ministre, que notre pays se singularisait par rapport aux autres pays européens. Mais sans doute avez-vous voulu faire gagner du temps au Sénat en n'ajoutant pas que, dans ces derniers, existait une exonération dès lors qu'on réemployait le produit de la réalisation des actifs.
Même si elles ne sont pas immédiates, nous aurons dans quelques années à subir les conséquences de mesures qui pourraient se traduire par des délocalisations et par un reflux des investissements étrangers en France. L'Allemagne en a fait l'amère expérience, mais nous ne semblons pas vouloir nous instruire de cet exemple.
En deuxième lieu, les mesures proposées sont de nature à freiner la reprise économique au moment où des signes de plus en plus nombreux la confirment.
En effet, le durcissement de la législation fiscale réduit le taux de rendement interne des investissements et conduit les chefs d'entreprise à les diminuer. Faut-il rappeler la faiblesse des taux d'investissement passés et le retard pris par la France dans le renouvellement de ses capacités de production, l'investissement productif ayant baissé de 5,8 % entre 1992 et 1996 dans notre pays alors qu'il progressait de près de 35 % aux Etats-Unis ?
J'insiste beaucoup sur cette question, monsieur le ministre, et je souhaite vraiment retenir votre attention, car la majorité de la commission des finances craint que les mesures proposées ne soient défavorables à la reprise de l'investissement.
En outre, s'il est vrai que l'impôt sur les sociétés pèse très peu dans le PIB par rapport à nos principaux concurrents, c'est parce que d'autres charges, parfois importantes - je pense en particulier à la taxe professionnelle - pèsent déjà sur elles.
Il ne paraît donc pas opportun d'accroître encore le poids de leurs prélèvements, fût-ce à titre temporaire. N'oublions pas, de surcroît, que seules des entreprises en bonne santé financière et disposant d'un environnement fiscal et social favorable dans un contexte de compétition économique mondiale sont susceptibles de maintenir ou de créer des emplois.
Je ne m'étendrai pas, enfin, sur les difficultés plus techniques et pourtant nombreuses soulevées par les deux dispositifs fiscaux du présent projet de loi.
Outre leur rétroactivité, qui décourage toujours - nous le savons bien - les agents économiques, les dispositifs se caractérisent par leur complexité - je vous mets au défi, mes chers collègues, d'expliquer très simplement l'application de l'article 3 - et par un manque réel de lisibilité, ce qui n'est, hélas ! pas nouveau en matière de législation fiscale !
La commission des finances maintient en outre qu'il n'est pas de bonne législation d'introduire une discrimination entre les entreprises, même en fonction de leur chiffre d'affaires.
M. Philippe Marini. Tout à fait !
M. Alain Lambert, rapporteur. Nous en étions d'ailleurs déjà convenu lors de la création d'un taux réduit d'imposition des bénéfices pour les PME procédant à une augmentation de capital. De plus, les entreprises les plus pénalisées seront, en dernier ressort, les sociétés moyennes, celles qui réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires sur le territoire national, celles qui ne pourront échapper à l'impôt, à l'inverse des multinationales qui peuvent, en partie, « délocaliser » leurs bases imposables ou les lisser dans le temps.
La commission des finances constate enfin, pour le déplorer, que l'augmentation de l'impôt sur les sociétés déséquilibre le mécanisme de l'avoir fiscal et fait renaître des phénomènes de double taxation, aux dépens des actionnaires et des sociétés mères de filiales.
Il me paraît inadéquat de relancer une espèce de « guerre de religion » sur l'avoir fiscal - c'est ce que font indirectement le présent projet de loi et le projet de loi de finances pour 1998 - au moment où l'on insiste tant sur la nécessité de créer des PME dynamiques dans les secteurs des nouvelles technologies et où l'on veut convaincre - j'espère que nous y parviendrons - les Français d'acheter massivement des titres de France Télécom puis d'autres à venir. Ces petites économies n'ont qu'un faible effet budgétaire, mais elles irritent les investisseurs français ou étrangers qui n'apprécient guère de voir les règles du jeu modifiées en cours de partie.
Au total, la commission des finances souscrit sans réserve à la nécessité de respecter dès 1998 toutes les conditions de passage à la monnaie unique. Mais en choisissant la solution de court terme consistant à alourdir la fiscalité des entreprises plutôt que la politique vertueuse fondée sur la maîtrise des dépenses, le Gouvernement ne retient pas la bonne solution et risque de compromettre les intérêts à long terme de la nation.
La France ne peut continuer éternellement à faire cavalier seul en ignorant le contexte international dans lequel évoluent ses entreprises. La commission des finances vous soumettra, par conséquent, trois amendements tendant à supprimer les trois premiers articles du présent projet de loi.
M. Paul Loridant. Que cela ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, rapporteur. Les trois dernières dispositions n'ont rien à voir avec les précédentes. Elles étaient contenues dans le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier déposé par le précédent gouvernement, et leur présence dans ce texte est surtout justifiée par la nécessité de valider ce qui avait été annoncé à l'époque.
Je les évoquerai rapidement.
L'article 4 a pour objet de transférer la propriété des ouvrages de transport d'électricité du réseau d'alimentation générale, le RAG, de l'Etat, jusqu'à présent propriétaire concédant, à EDF.
Cette opération, accompagnée d'une restructuration du bilan de l'établissement public, vise à mettre fin à l'inadéquation de la structure capitalistique d'EDF qui se caractérisait jusque-là par une disproportion entre des capitaux propres inférieurs à 24 milliards de francs et des actifs avoisinant 680 milliards de francs.
Au terme de l'opération, le montant des capitaux propres devrait plus que tripler pour atteindre près de 80 milliards de francs et EDF devrait acquitter, pour la première fois, l'impôt sur les sociétés à hauteur de 3 milliards de francs.
Cette mesure paraît nécessaire à la commission des finances pour assurer la lisibilité des comptes d'EDF auprès de la communauté économique internationale, notamment auprès des partenaires financiers d'EDF. Elle est conforme en outre au contrat d'entreprise signé le 8 avril dernier entre l'Etat et EDF. Enfin, elle préserve la propriété des collectivités territoriales sur les ouvrages du réseau de distribution ; un amendement adopté par l'Assemblée nationale constitue une garantie supplémentaire en ce sens. Nous en parlerons tout à l'heure, si vous le voulez bien, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, afin que l'intention du législateur sur ce sujet ne puisse donner lieu à aucune ambiguïté.
L'article 5 vise à proroger de deux ans à compter du début de 1997 le dispositif de la loi Gest permettant aux collectivités locales d'emprunter sur ressources CODEVI pour financer des équipements destinés à favoriser l'implantation et le développement des PME. Ce dispositif a révélé une certaine utilité - je le dis avec bienveillance, n'en étant pas totalement convaincu ! - mais sa portée est très limitée, car le CODEVI ne constitue plus aujourd'hui une ressource réellement privilégiée. J'imagine que certains de mes collègues le feront d'ailleurs remarquer au cours de la discussion.
L'article 6 est relatif à la Banque du développement des petites et moyennes entreprises, successeur du CEPME. Il s'agit d'adaptations formelles destinées à lui appliquer la loi de 1983 sur la démocratisation du secteur public dans les mêmes conditions qu'au CEPME auparavant. Cette disposition n'appelle pas de commentaire particulier de la commission, même si nous pouvons regretter de n'avoir pas eu à nous prononcer sur la création même de la BDPME. Je rappelle simplement que la commission des finances s'était prononcée en faveur de l'existence d'organismes publics dits « de place » pour faciliter l'accès au crédit des PME.
Mes chers collègues, sous réserve de l'adoption des amendements que j'aurai à vous soumettre, au nom de la commission des finances, je vous propose donc d'adopter ce texte. Vous voyez que la commission des finances adopte une position équilibrée puisque, sur six articles, elle vous propose d'en supprimer trois et elle vous recommande d'en adopter trois. (Sourires et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini. Excellente recommandation !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de prime abord, nous devrions oublier nos divergences politiques et nous féliciter, ensemble, de l'intention qui anime ce projet de loi et qui a été exprimée voilà un instant par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, puis rappelée par M. le rapporteur.
En effet, ce texte constitue, au moins chronologiquement, la première traduction législative de la volonté du Gouvernement d'honorer l'échéance de l'euro. C'est bien ainsi que j'ai interprété l'intervention de M. Strauss-Kahn.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous adresser tout de suite mes compliments pour avoir réussi à convaincre vos collègues de la gauche de la majorité plurielle de se rallier à cette cause européenne. (Sourires.) Je pense qu'ils vous suivront dans leur démarche.
Mais nous n'allons pas céder, monsieur le ministre, à ce mouvement d'enthousiasme, car le volet fiscal de ce projet de loi, qui institue une surtaxe temporaire de l'impôt sur les sociétés - en France, nous savons que le temporaire, même lorsqu'il est inscrit dans la loi, peut durer longtemps ! - ne constitue pas, à mes yeux, le gage de la préparation de notre pays aux défis qu'il devra relever lorsque l'euro sera, avec l'appui de tous, devenu une réalité.
Réaliser l'euro, c'est bien. Réussir l'euro, c'est mieux.
Or, nous savons que la première urgence à laquelle seront confrontés les pays qui participent à cette aventure - au sens noble du terme - de l'euro consistera prioritairement dans l'harmonisation fiscale. Il s'agira alors d'éviter - c'est important - les délocalisations d'entreprises, les déplacements de l'épargne qui commencent à s'engager et les expatriations de travailleurs.
La mesure de surtaxation des entreprises que vous nous proposez, monsieur le ministre, s'apparente à une « mesure de divergence » qui va à contre-courant de la politique d'harmonisation à la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, menée au début des années quatre-vingt-dix par - pourquoi ne pas le dire ? - le regretté Pierre Bérégovoy.
Alors que Pierre Bérégovoy et Michel Charasse ont ramené, peut-être de manière un peu hâtive, le taux de l'impôt sur les sociétés de 42 % en 1989 à 33,33 % en 1992, vous nous demandez aujourd'hui, monsieur le ministre, de le relever, après l'épisode de l'été 1995 - j'avais d'ailleurs fait une observation à l'époque - de 36,66 % à 41,66 %. La mesure est un peu lourde : plus 15 % ! Tout le chemin parcouru courageusement depuis 1989 est donc ainsi effacé.
Tout de suite, une question vient à l'esprit, que je pose au Sénat ainsi qu'à vous-même, monsieur le ministre : comment nos industriels pourront-ils construire leur programme d'investissement avec un tel « yo-yo fiscal », si vous me permettez l'expression ?
Il convient qu'ensemble nous nous attachions à modifier une telle démarche qui, bien entendu, est contraire à l'économie et à l'avenir des entreprises.
Au même moment, l'Italie et l'Allemagne, qui avaient conservé des taux élevés, sont en train d'engager un mouvement de reflux, comme vient de nous le rappeler M. le rapporteur général dans son excellente intervention.
La surtaxation que vous nous proposez, monsieur le ministre, constitue donc, à nos yeux, une mesure contestable au regard de l'indispensable harmonisation fiscale européenne, qui doit s'accélérer avec la mise en place dans quelques mois, avec le soutien de tous, de la monnaie européenne.
En outre, cette mesure me semble inopportune dans la situation actuelle de notre économie, qui se caractérise par une reprise de la croissance, mais une reprise que tout le monde considère comme très molle, hélas !
Tout d'abord, cette mesure repose, à mon avis, sur une appréciation discutable, sinon erronée, de la situation des entreprises françaises.
Tout se passe comme si cette mesure n'était pas exempte d'une certaine volonté de sanctionner les entreprises coupables, aux yeux du Gouvernement, de ne pas investir et de ne pas recruter.
Soyons objectifs. C'est d'ailleurs une démarche permanente du Sénat ! Il est vrai que la politique du « donnant-donnant » a montré ses limites en dépit de l'importance des sommes consacrées, d'une part, au remboursement des avances de trésorerie effectuées par les entreprises en raison de la règle du décalage d'un mois en matière de TVA et, d'autre part, à l'allégement des charges sociales afférentes à l'emploi peu qualifié.
Il est vrai également que, dans nos fonction d'élus locaux, nous sommes confrontés - mais, heureusement, dans de très rares circonstances - alors que nous consentons des efforts financiers non négligeables pour faciliter l'implantation des entreprises, à des comportements qui peuvent parfois faire penser au titre de l'un des films de Woody Allen, intitulé Prends l'oseille et tire-toi. (Sourires.)
Il est vrai, enfin, que le taux d'autofinancement des entreprises atteint aujourd'hui un pourcentage record alors que leur investissement est en panne.
M. René Régnault. Oui !
M. Christian Poncelet, président de la commission. Mais peut-on jeter la pierre aux entreprises d'avoir veillé, dans le contexte de vif renchérissement des taux d'intérêt réels que nous avons connu de 1990 à 1995 - vous l'avez très justement rappelé, monsieur le ministre - à assurer leur survie en se désendettant très rapidement, à réduire leur dépendance vis-à-vis des établissements de crédit et à préserver leur pérennité ?
Par ailleurs, la forte progression du taux d'autofinancement des entreprises, même si elle est réelle, ne constitue pas à elle seule un indicateur de la bonne santé des entreprises françaises.
Pour rester sur le plan européen, terrain sur lequel vous vous êtes situé voilà un instant, monsieur le ministre, nous constatons que la rentabilité des entreprises françaises est inférieure de moitié à celle de leurs concurrentes européennes.
De même, le taux de marge de nos entreprises, défini comme la part des profits dans la valeur ajoutée, est en baisse : alors qu'il atteignait 37 % de la valeur ajoutée en 1970, il ne s'élevait plus qu'à 31,5 % en 1996, et non à 40 % comme certains l'ont prétendu à tort, même si je dois avouer qu'un démenti a suivi assez rapidement.
En second lieu, cette surtaxation des entreprises me semble inopportune, car elle risque de prolonger et d'aggraver la panne de l'investissement, alors que vous recherchez le contraire.
Ce reflux de l'investissement des entreprises, que nous observons depuis le début des années quatre-vingt-dix, est lourd de conséquences pour notre pays.
En effet, le vieillissement de l'appareil productif ne peut, à l'évidence, manquer d'entraîner un retard technologique qui va se traduire, à terme, par des pertes de parts de marchés à l'étranger, alors que l'excédent commercial dégagé par la France depuis 1992 apparaît comme le principal moteur susceptible de tirer la croissance.
Par ailleurs, en cas d'affaiblissement technologique, certains marchés intérieurs risquent d'être repris par des concurrents étrangers plus performants.
Cette surtaxation des entreprises, qui ne constitue pas - c'est un euphémisme ! - une incitation à investir, apparaît, dans ces conditions, comme une mesure qui va à l'encontre des choix effectués par le Gouvernement.
En effet, elle rend pour le moins hasardeux le pari que vous avez pris - nous l'analyserons prochainement - d'une croissance de 3 % l'année prochaine, pari sur lequel repose la construction du projet de loi de finances pour 1998.
Vous avez fait le pari que, parmi les moteurs de la croissance, la reprise de l'investissement des entreprises allait relayer et conforter la demande étrangère adressée à la France, c'est-à-dire les exportations.
Contestable...
M. Philippe Marini. Hasardeuse !
M. Christian Poncelet, président de la commission. ... au regard des perspectives fiscales européennes, inopportune dans ses effets économiques et peu compatible - c'est un point important - avec l'objectif de croissance affiché par le Gouvernement dans la construction de son budget pour l'exercice suivant, cette surtaxation des entreprises m'apparaît, en outre, d'une utilité douteuse.
Alors que l'audit réalisé en juillet dernier par les magistrats MM. Bonnet et Nasse - audit auquel, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, vous avez fait référence à l'instant - avait évalué le déficit public, au sens maastrichien du terme - qui est maintenant admis par tout le monde - à un montant situé dans une fourchette comprise entre 3,5 et 3,7 % du PIB, l'exécution du budget de 1997 apparaît, aujourd'hui, sous contrôle.
En effet, selon les informations dont nous disposons - à ce propos, monsieur le ministre, je remercie vos services de nous avoir communiqué les renseignements que nous souhaitons obtenir - les recettes rentrent, les dépenses stagnent et le solde budgétaire affiche une amélioration significative par rapport à celui qui avait été enregistré l'année dernière.
M. René Régnault. Ah ! vous avez bien géré !
M. Christian Poncelet, président de la commission. Dans ces conditions, le respect du déficit budgétaire, fixé à 285 milliards de francs par la loi de finances initiale de 1997, ne semble plus relever d'une mission impossible.
M. Claude Estier. Il ne fallait pas dissoudre, alors !
M. Christian Poncelet, président de la commission. Ce serait à refaire, on réfléchirait peut-être davantage... (Sourires.)
On peut même penser que l'objectif des 3 % aurait pu être tenu par une maîtrise des dépenses de l'Etat, sans nécessairement recourir à un accroissement de la pression fiscale qui vient gonfler nos prélèvements obligatoires, étant entendu que la France est, parmi les pays industrialisés, celui dont les prélèvements obligatoires sont les plus élevés.
M. René Régnault. Ce sont des mots !
M. Philippe Marini. C'est la réalité !
M. Christian Poncelet, président de la commission. Les réalisateurs de l'audit l'avaient d'ailleurs pressenti puisqu'ils avaient évoqué - écoutez bien, messieurs ! - « des dérapages de dépenses localisés, bien identifiés et dont l'ampleur reste sous contrôle ». Ce n'est pas moi qui l'écrit, mais MM. Bonnet et Nasse !
M. René Régnault. C'était votre budget, votre gestion !
M. Christian Poncelet, président de la commission. En définitive, c'est pour proscrire cette solution de facilité que constitue le recours à l'impôt et marquer sa préférence pour une action courageuse et vigoureuse de réduction des dépenses publiques que la commission des finances vous proposera, mes chers collègues, d'adopter les amendements de suppression du volet fiscal de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Permettez-moi, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques mots de commentaires sur les deux très intéressants exposés qui viennent de nous être présentés, en vous renouvelant mes excuses de devoir vous quitter dès que j'aurais prononcé ces paroles.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Nous le comprenons !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Merci, monsieur Poncelet !
Monsieur le rapporteur, vous nous dites, et je vous en remercie, que c'est par la lutte contre une dépense publique trop importante qu'il faut réduire les déficits. J'en suis bien d'accord ! J'anticipe donc : ce commentaire que vous faites aujourd'hui nous vaudra sans doute quelques félicitations dans quelques jours lorsque nous vous présenterons le projet de loi de finances pour 1998 qui, comme vous le savez puisque nous en avons discuté en commission, est le premier depuis vingt ans à stabiliser en termes réels les dépenses. (Sourires.) Mais j'anticipe, nous y reviendrons un peu plus tard.
Permettez-moi toutefois, sans être aucunement polémique, de vous faire remarquer que, si cette maîtrise des dépenses avait été assurée au cours des premiers mois de l'année par le gouvernement qui nous a précédés, nous n'aurions pas aujourd'hui cette discussion.
M. Philippe Marini. Non, c'est complètement inexact, c'est contraire à l'audit !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Marini, l'audit fait apparaître un dépassement de l'ordre d'une quinzaine de milliards de francs des dépenses, qui ne vous a certainement pas échappé.
M. Philippe Marini. Il y avait 10 milliards de francs d'économies !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, il y avait 10 milliards de francs de gel. Votre connaissance de la chose est trop grande, monsieur Marini, pour que vous fassiez semblant de confondre !
M. Philippe Marini. Ces 10 milliards de francs d'économies, vous les avez dépensés.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Le problème devant lequel nous nous trouvons, c'est que, chacun le sait ici, il est impossible de réaliser 30 milliards de francs d'économies en milieu d'année. C'est si vrai que, lorsqu'il y a deux ans le gouvernement et le Parlement s'étaient mis dans l'esprit, pour redonner du lustre - ce que je souhaite, pour ma part - à l'initiative parlementaire, le Parlement - donc aussi le Sénat - s'était fait un devoir de trouver quelques économies, mais n'avait pas été capable de trouver 2 milliards de francs lors de la discussion de la loi de finances initiale. Que dire alors s'il avait fallu trouver 30 milliards de francs en milieu d'année !
M. Raymond Courrière. C'est plus facile à dire qu'à faire !
M. René Régnault. Eh oui !
M. Alain Lambert, rapporteur. C'est l'Assemblée nationale qui s'était livrée à cet exercice !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout à fait, monsieur le rapporteur : l'Assemblée nationale aussi. Je ne mets pas en cause particulièrement le Sénat...
M. Christian Poncelet, président de la commission. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Je souhaite préciser, monsieur le ministre, qu'à l'époque le Sénat ne s'était pas associé à cette démarche et que nous en avions, au contraire, démontré la nocivité.
Nous avions indiqué que, lorsque le Parlement souhaitait que soient réalisées des économies, il appartenait au Gouverrnement, à l'exécutif, de chercher dans ses budgets où elles pouvaient être réalisées.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je prends acte de cette mise au point, monsieur Poncelet, et je modifie donc mon commentaire, de façon à être respectueux de la réalité : lorsque vos collègues de l'Assemblée nationale s'étaient engagés dans cette idée folle de vouloir trouver des économies, ils n'ont pas été capables de trouver 2 milliards de francs. Vous avez eu la sagesse de renoncer à cet exercice et de laisser faire le Gouvernement, ce en quoi vous avez eu raison. Nous en reparlerons pour 1998 !
Cela étant dit, sans doute aurions-nous pu aller dans la voie qu'indiquait M. Marini, lui qui a fait état d'un gel de 10 milliards de francs de crédits par le gouvernement précédent, si, en arrivant aux affaires, il ne nous était pas apparu que, dans la loi de finances qui avait été votée pour 1997, il n'y avait pas quelques insuffisances de couverture pour des dépenses prévisibles.
J'en citerai quelques-unes qui, peut-être, vous ont échappé lorsque vous avez voté le texte - mais sans doute le gouvernement que vous souteniez ne vous avait-il pas donné les éléments vous permettant de vérifier la véracité de ses comptes - car, qu'il s'agisse de la provision salariale pour 1997, qui était insuffisante de moitié, de la prime automobile dite « jupette », si je me souviens bien, et qui était totalement non financée, ou encore de l'insuffisance des crédits sur le logement ou des 2,8 milliards de francs qui manquaient sur les crédits recherche - qui ont pourtant été engagés au début de 1997 par le gouvernement précédent - la somme de toutes ces mesures n'est pas loin, déjà, du gel que le gouvernement précédent avait opéré.
Par conséquent, son gel n'a correspondu, finalement, qu'à la compensation de ses turpitudes précédentes. Nous revenons donc au problème de départ : nous nous retrouvons en millieu d'année avec une trentaine de milliards de francs à trouver et les voies pour cela, nous le savons, ne sont pas très nombreuses.
Nous avons choisi de reconstituer les prélèvements obligatoires.
Monsieur le rapporteur, vous dites que nous alourdissons les prélèvements obligatoires. Permettez-moi de contester cette interprétation.
Lorsque le gouvernement précédent prévoit, disons, 1 300 milliards de francs de recettes - le chiffre n'est pas tout à fait exact, mais cela ne change rien au raisonnement - que l'audit révèle qu'il manque 21 milliards de francs et que donc nous prélevons 21 milliards de francs de plus pour atteindre le chiffre initial, on ne peut pas dire, me semble-t-il, que nous alourdissons les prélèvements obligatoires ; simplement, nous reconstituons les prélèvements obligatoires qui avaient été prévus par le gouvernement précédent.
M. Philippe Marini. C'est un sophisme !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce n'est pas un sophisme, monsieur Marini, c'est la manière d'équilibrer les comptes que vous nous avez laissés.
M. Philippe Marini. C'est une vision macroéconomique ; c'est un alourdissement pour le contribuable !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je suis désolé : les contribuables français paieront, en 1997, exactement les impôts que vous avez votés en masse.
M. Michel Sergent. Très bien !
M. Philippe Marini. Les entreprises paieront plus !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Donc, les ménages paieront moins !
Si votre position est de dire qu'il ne faut pas que les ménages paient moins et que les entreprises paient plus, je vous invite à la défendre publiquement.
M. Philippe Marini. C'est une caricature !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur ont abordé une question très importante que je veux préciser, car il ne faudrait pas que le Sénat et eux-mêmes, qui sont très bien informés - je souhaite d'ailleurs que nous puissions les informer le mieux possible, comme c'est notre devoir - interprètent de façon trop optimiste les chiffres dont ils ont pu prendre connaissance.
En effet, lorsque l'on regarde la situation de nos recettes et l'exécution budgétaire à la lumière des derniers chiffres dont nous disposons, c'est-à-dire ceux de l'été, on peut avoir le sentiment - on l'a relevé à juste raison - que cela va mieux.
La réalité est plus complexe. En effet, n'est pas encore intervenue dans l'exécution budgétaire la baisse de recettes de 25 milliards de francs au titre de l'impôt sur le revenu, qui ne joue que sur le dernier tiers, prélevé à partir du 15 septembre. Cette baisse de recettes, que le précédent gouvernement a mise en oeuvre et que nous n'avons pas voulu remettre en cause parce que la parole de l'Etat était engagée, va bel et bien se traduire par 25 milliards de francs de recettes de moins sur le dernier tiers de l'impôt sur le revenu. C'est le premier point.
Deuxième point : en 1996 - puisque c'est l'année à laquelle vous comparez, légitimement, l'exécution de 1997 - le prélèvement européen - vous savez que nous versons chaque année un prélèvement aux Communautés européennes - n'a plus été versé à partir de septembre. Nous n'avons pas l'intention de procéder de même : nous remplissons nos engagements à mesure qu'ils se présentent. Nous aurons donc, au cours du troisième trimestre, à verser à l'Europe un prélèvement que le gouvernement précédent n'a pas opéré l'année dernière.
Enfin, troisième point : le rythme des versements de la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, à l'Etat de 12,5 milliards de francs a été beaucoup plus rapide sur les premiers mois de 1997 que sur les premiers mois de l'année 1996. En conséquence, sur la deuxième partie de l'année, il sera plus lent en 1997 qu'il ne l'a été en 1996.
Lorsqu'on ajoute tous ces éléments, on s'aperçoit que nous avons bel et bien besoin à la fois des 10 milliards de francs d'économies que nous nous sommes engagés à faire, que d'ailleurs nous réaliserons - vous l'avez souligné en disant, avec raison, que les dépenses étaient freinées - et des 21 milliards de francs de recettes que je demande au Parlement de bien vouloir voter, et qui sont nécessaires pour atteindre le résultat que nous disons tous vouloir obtenir.
M. le rapporteur a évoqué la question très importante de la rétroactivité. Il convient qu'en aucun cas un doute ne puisse s'insérer dans les esprits et que quiconque puisse penser, dans ce pays, que la loi fiscale est rétroactive.
En effet, le fait générateur de l'impôt - les législateurs que vous êtes le savent mieux que quiconque - en l'occurrence, c'est la date de clôture de l'exercice. Une mesure prise avant le fait générateur de l'impôt est donc considérée par le droit fiscal - c'est notre législation depuis plus d'un siècle - comme non rétroactive.
C'est si vrai que lorsque, en 1994 - je ne me souviens plus de la couleur politique du gouvernement alors en place, mais peu importe ! (Sourires sur les travées socialistes) - une mesure analogue a été prise sur les plus-values de cessions de titres de portefeuille, le Sénat n'a pas trouvé à y redire.
M. René Régnault. Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De la même manière, lorsque, en 1995 - je ne me souviens plus non plus de la couleur politique du gouvernement d'alors ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.) - la surtaxe de 10 % sur l'impôt sur les sociétés a été mise en place, personne, dans cette assemblée, ne s'est levé pour dire qu'il s'agissait d'une mesure rétroactive. Il me semble donc légitime de considérer que ce qui n'était pas rétroactif en 1994 et en 1995 ne l'est pas non plus en 1997.
M. René Régnault. Très bien !
M. Philippe Marini. Les mauvaises habitudes des uns n'excluent pas celles des autres ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. On aura tout entendu !
M. René Régnault. C'est un peu trop facile !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez raison. Je retiens, en tout cas, de vos propos la condamnation de mes prédécesseurs !
Dernière question qu'a soulevée M. le rapporteur et qui est effectivement très importante : faut-il ou non faire une différence entre les entreprises ?
C'est un débat dans lequel chacun peut évidemment avoir l'opinion qu'il souhaite, car les arguments existent dans les deux sens, je le concède volontiers. Je crois toutefois que le Gouvernement a bien fait d'exonérer les petites et moyennes entreprises de cette surtaxe sur l'impôt sur les sociétés.
En effet, nous faisons tous des discours, dans nos circonscriptions, dans nos départements - vous faites sans doute les mêmes que moi ! - expliquant qu'il faut soutenir les petites entreprises. Or, la volonté du Premier ministre, M. Lionel Jospin, et de son Gouvernement, c'est d'essayer de faire plus que cela n'a été le cas dans le passé, quelle que soit la couleur des gouvernements, le lien entre ce que nous disons aux Français quand nous les rencontrons sur le terrain et ce qui est voté dans les enceintes parlementaires.
Si nous disons tous ensemble qu'il faut soutenir les petites et moyennes entreprises, il faut, lorsque nous votons des textes, que nous les soutenions effectivement, même si, du point de vue de la beauté du système fiscal, de la logique parfois, on voudrait mettre sur le même plan les grandes et les petites entreprises.
C'est donc à bon droit que le Gouvernement a souhaité que les petites et moyennes entreprises soient exonérées de cette surtaxe malheureusement nécessaire.
Monsieur le président de la commission, je veux d'abord vous remercier de ce que vous avez dit sur la volonté du Gouvernement de mettre en oeuvre l'euro. C'est en effet un objectif largement partagé aujourd'hui, devenu sans doute depuis quelques mois un objectif non plus simplement probable mais que chacun anticipe comme étant pratiquement réalisable. Ce n'est pas encore le cas, il peut y avoir des aléas, mais je pense que nous sommes sur la bonne voie.
Vous me permettrez de faire remarquer sans aucun esprit polémique que, au niveau de déficit auquel nous étions au mois de juillet dernier, le gouvernement précédent avait disqualifié la France pour l'entrée dans l'euro.
Si donc l'objectif est majeur, il faut l'atteindre. Nous sommes tous ici des hommes et des femmes d'expérience et de responsabilité. Nous ne pouvons pas, dans le même discours, dire que quelque chose est majeur pour le pays et ne pas accepter les contraintes qui s'imposent pour le réaliser.
M. Philippe Marini. Et l'harmonisation fiscale !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'y viendrai, monsieur Marini. Vous ne perdez rien pour attendre ! (Sourires.)
On ne peut pas à la fois dire que l'on veut atteindre un objectif, constater, sans polémique, que la situation budgétaire ne le permet pas et soutenir qu'il ne faut rien faire.
Comme il est clair, au-delà de ce qui nous remplit de plaisir dans nos débats parlementaires, qu'entre le mois de juillet et la fin de l'année on ne peut pas faire 30 milliards de francs d'économies sur la dépense, il faut bien les faire sur la recette, sauf à renoncer à atteindre l'objectif !
Il faut être franc entre nous et regarder les choses en face : on peut y renoncer, mais alors il faut le dire. Certains peuvent le souhaiter. Le Gouvernement, lui, souhaite que la France soit qualifiée pour l'euro, et elle le sera.
Dans ces conditions, compte tenu de la situation budgétaire que nous avons trouvée et de l'impossibilité évidente dans laquelle nous sommes de réaliser 30 milliards de francs d'économies entre le mois de juillet et la fin de l'année, il fallait en passer par un prélèvement.
Je ne m'en réjouis pas. Ne croyez surtout pas que le Gouvernement, comme sans doute les groupes qui le soutiennent ici, souhaite d'une quelconque manière punir les entreprises. Les entreprises, il faut non pas les punir, mais, au contraire, les aider. Simplement, nous sommes devant un choix : soit les entreprises, soit les ménages.
Sans doute aurait-on pu faire un choix inverse. Je me souviens néanmoins que, en 1995, le choix qui a été fait, lorsque 116 milliards de francs ont été prélevés, de prélever 100 milliards de francs sur les ménages a eu les conséquences que nous savons sur la croissance,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et sur les élections !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... qui était renaissante et qui a été rapidement enterrée.
Si nous ne voulons pas courir ce risque, il faut prendre l'argent là ou il est, comme le disaient certains de nos amis il n'y a encore pas si longtemps.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous le disons encore !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En l'occurrence, c'étaient les entreprises. C'est là que se trouvaient des ressources disponibles, parce qu'elles étaient inutilisées - j'espère que, demain, elles ne le seront plus et que l'investissement repartira.
Cela étant, le taux de l'impôt sur les sociétés reste inférieur à celui que les Allemands pratiquent pour les bénéfices non distribués.
M. Philippe Marini. Pour les bénéfices non distribués !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est ce que je viens de dire ! De même, il reste inférieur à celui qui existe en Italie.
Et puisque la question de l'harmonisation fiscale a été abordée, j'en dirai, à mon tour, un mot.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Monsieur le ministre, actuellement, une procédure est engagée en Allemagne et en Italie pour baisser l'impôt sur les sociétés à la fois sur les bénéfices non distribués et sur les parties investies. L'engagement est pris de baisser l'impôt sur les sociétés de manière générale et d'arriver à 33,33, qui sera le taux généralisé pour l'ensemble des pays européens.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous avez raison, monsieur le président, si ce n'est qu'en Allemagne nous avons vu la semaine dernière que la négociation a échoué et que la réforme fiscale est reportée au moins jusqu'à l'an 2000, et qu'en Italie le gouvernement Prodi a failli tomber la semaine dernière pour cette même raison. Je comprends que vous nous poussiez dans cette voie, monsieur le président ! (Sourires.)
M. Alain Lambert, rapporteur. Nous n'avons pas d'impatience ! M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous comprendrez toutefois que le Gouvernement ait quelques réticences !
Pour autant, une procédure d'harmonisation est engagée à la fois par le président Jean-Claude Junker, Premier ministre du Luxembourg, qui préside jusqu'à la fin de l'année aux destinées de l'Union européenne, et par le commissaire Monti, qui est en charge de ces questions. Nous travaillons à l'harmonisation dans deux domaines, celui de la fiscalité de l'épargne et celui de la fiscalité des entreprises.
Il convient en effet d'éviter que, comme c'est aujourd'hui le cas dans un certain nombre de pays de l'Union européenne, des pratiques fiscales très discriminatoires n'attirent les entreprises, créant par là même des difficultés dans les autres pays. Je ne citerai aucun pays, mais nous les avons tous à l'esprit.
Chacun est décidé à avancer et à aller vers l'harmonisation. N'ayez crainte, monsieur Marini, si l'harmonisation se fait - ce que je souhaite - pour la fiscalité de l'épargne comme pour la fiscalité des entreprises, nous suivrons cette harmonisation, car le temps que cette procédure soit à l'oeuvre, nous aurons rétabli l'équilibre des comptes publics et nous pourrons défaire ce que nous faisons, malheureusement, aujourd'hui, pour corriger les erreurs de l'année passée.
M. Philippe Marini. Il faudra donc annuler ce que vous nous proposez aujourd'hui !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous n'aurez même pas besoin de l'annuler puisque je vous demande de le voter de façon temporaire, monsieur Marini. Nous allons au devant de vos souhaits ! (Sourires sur les travées socialistes.) Regardez les textes que nous vous proposons : c'est exactement ce que, dans vos rêves les plus fous, vous avez pu espérer !
M. Philippe Marini. Vous êtes vraiment trop habile !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La vérité peut parfois prendre des atours sympathiques et il ne faut pas la refuser sous prétexte qu'elle vient de vos adversaires politiques, monsieur Marini ! (Sourires.)
Avant-dernier point, M. le président de la commission dit, avec raison, que le problème, c'est l'investissement. Je partage son analyse, car la croissance de la consommation est pratiquement là, mais, effectivement, il n'y aura réellement croissance de l'économie, en 1998 et en 1999, que si l'investissement prend le relais.
Mais, dans la même partie de son discours, M. Poncelet nous dit que nous connaissons une panne des investissements depuis le début des années quatre-vingt-dix. Là, mon oreille se dresse, car, il l'a rappelé lui-même, depuis le début des années quatre-vingt-dix le taux d'imposition des bénéfices des sociétés est particulièrement faible. J'en conclus que cela n'a pas favorisé l'investissement !
Ce n'est donc pas la faiblesse de l'impôt sur les sociétés qui crée l'investissement. D'ailleurs, nous le savons tous, ce qui crée l'investissement, c'est la demande ! On n'a jamais vu un chef d'entreprise dire : je n'ai pas de client, je n'ai pas de demande, mais, comme l'impôt sur les sociétés est faible, je vais quand même investir ! Cela n'existe pas.
En fait, la demande incite à investir, et c'est quand on cherche à savoir si ce sera rentable à long terme que le taux de l'impôt sur les sociétés devient un facteur.
Ce qui est premier donc, c'est la demande. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi d'orienter l'ensemble de sa politique vers la relance de cette demande. Je crois qu'il est en train de réussir.
S'il y a demande, les entreprises se décideront à investir, après s'être demandé si ce sera profitable à long terme. Et c'est là que joue le caractère temporaire de la mesure, car, en surtaxant pour 1997 et 1998, et modérément pour 1999, puis en faisant disparaître la surtaxe en l'an 2000, le Gouvernement, avec vous - si vous voulez bien vous y associer, car je ne désespère toujours pas de vous convaincre - taxe les profits d'hier et non ceux de demain. Or, ce qui compte pour l'investissement, ce sont évidemment les profits que l'on peut faire demain et non ceux que l'on a accumulés hier !
La croissance sera-t-elle au rendez-vous ? Evidemment, ce ne sont que des prévisions. Cela étant, la prévision pour 1997 ne se révèle pas si fausse. Le Gouvernement précédent avait prévu 2,3 % de croissance réelle ; nous serons à 2,2 %, voire à 2,3 %. La prévision aura donc été à peu près juste.
M. Alain Lambert, rapporteur. On a vu pire !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On a vu des erreurs plus grandes, vous avez raison !
L'estimation d'une croissance de 3 % pour 1998 me paraît très raisonnable. D'ailleurs, ce que l'on appelle le « consensus des prévisionnistes », c'est-à-dire la moyenne des instituts de conjoncture - certains patronaux, d'autres syndicaux, d'autres publics - s'établit à 2,96 % - comme c'est une moyenne arithmétique, cela ne tombe pas juste.
Si la critique consiste à dire que la moyenne, c'est 2,96 % et qu'à 3 % nous sommes trop optimistes, je l'accepte ! Honnêtement, 3 % de croissance, c'est le chiffre qu'aujourd'hui tous les prévisionnistes anticipent. Si c'est plus, tant mieux ! Le risque existe que ce soit moins, car ce n'est évidemment qu'une prévision, mais cette prévision, je la crois, pour ma part, solide.
En conclusion, la Haute Assemblée peut, me semble-t-il, partager l'optimisme raisonné, qui ne doit en aucun cas être exagéré, du Gouvernement en ce domaine. Grâce à la politique que ce dernier conduit en matière de soutien de la croissance, de pouvoir d'achat largement distribué - je pense à l'allocation de rentrée scolaire, au basculement de la cotisation maladie sur la CSG, qui vont créer du pouvoir d'achat - grâce au fait qu'il comble le déficit en ne prélevant pas dans la poche des ménages, en laissant donc tout le revenu disponible pour que la consommation soit soutenue, les 3 % de croissance seront au rendez-vous.
M. Philippe Marini. Les ménages, pas les familles !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Les ménages et les familles, c'est très largement la même chose, monsieur Marini !
Nous venons de vivre une période politique un peu trouble, que chacun apprécie comme il l'entend. Ce dont je me souviens, et dont vous vous souvenez aussi, c'est que, aux mois de février et mars derniers, les informations dont disposait le gouvernement d'alors l'ont conduit à s'inquiéter de l'équilibre possible de ses comptes à la fin de l'année 1997, et encore plus de la possibilité de boucler, dans des conditions compatibles avec ses engagements internationaux, le projet de budget pour 1998. Des notes ont fui du ministère de l'économie et des finances, paraît-il...
M. Christian Poncelet, président de la commission. Etaient-elles sincères ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elles l'étaient certainement ! Je les tiens à votre disposition ; ce que je ne sais pas, c'est si la volonté de les faire fuir était sincère (Sourires), mais je ne saurais me prononcer sur les agissements de mes prédécesseurs.
En tout état de cause, ces notes ne diffèrent pas de ce que le précédent Premier ministre, M. Juppé, a dit à M. Jospin, son successeur, lorsqu'il lui a transmis ses pouvoirs ; d'ailleurs la presse s'en est fait l'écho. Si, à la rigueur, je conçois, monsieur Poncelet, que vous puissiez douter de la sincérité des notes qui émanent du ministère de l'économie et des finances, vous ne sauriez douté de la sincérité de M. Juppé...
Dans ces conditions, il était clairement établi que l'équilibre des comptes publics pour 1997 était très difficile à réaliser, celui de 1998 plus encore. Certaines mauvaises langues - je ne saurais m'y associer - pensent que cela n'a pas été complètement étranger à la décision du Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale.
Pour conclure, je me réjouis de ce que la Constitution n'autorise pas le Président de la République à dissoudre le Sénat, car je pense que, dans la situation qui était celle de la majorité au mois de mars, il n'aurait pas hésité à dissoudre le Parlement dans son ensemble s'il en avait eu le pouvoir, ce qui ne m'aurait pas permis aujourd'hui de vous retrouver si nombreux. (Sourires.)
Je suis heureux que cela n'ait pas pu se passer. Je suis content que nos institutions finement élaborées conservent au Sénat sa pérennité quels que soient les aléas de la vie des députés, et je suis sûr que nous retrouverons ce même plaisir dans quelques semaines lorsque nous examinerons le projet de loi de finances pour 1998. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, afin de valider les décrets d'avances pris par le Gouvernement en juillet dernier pour solder les comptes de l'exercice 1997, un collectif budgétaire devrait intervenir en décembre prochain. Le projet de loi qui nous est soumis constitue en fait, aujourd'hui, la première partie du collectif, les dépenses engagées au titre du décret d'avances en formant la seconde partie.
Ce projet de loi était-il nécessaire ? Nous répondons par l'affirmative pour deux raisons.
Tout d'abord, l'audit qui a été rendu public le 21 juillet l'a démontré, en matière de recettes, l'effet de base négatif des rentrées 1996 de la TVA se solde par une moins-value de 17 milliards de francs. En ce qui concerne les dépenses, les dérapages ont conduit à un accroissement de près de 30 milliards de francs.
Le gel de 10 milliards de francs de crédits décidé par le gouvernement de M. Juppé n'était pas suffisant, car il laissait un déficit important s'ajoutant aux milliards de francs d'économies supplémentaires restant à réaliser.
Le 9 juillet, pour honorer les premières mesures gouvernementales, le Gouvernement a ouvert 10 milliards de francs de crédits. Toutefois, cette décision n'eut pas d'influence sur le déficit précédemment invoqué puisqu'elle fut compensée par des annulations ou par des gels de crédits rendus indisponibles en mars dernier.
La politique budgétaire mise en place pour 1997 était donc dans l'impasse. La tendance devait être corrigée par des recettes nouvelles.
La seconde raison justifiant le dépôt de ce projet de loi est que, en quatre ans, de 1992 à 1996, l'encours de la dette a augmenté de 1 400 milliards de francs. Ce n'est pas par docilité à l'égard des engagements maastrichiens du Gouvernement sur la monnaie unique que nous rejetons ce déficit, mais pour gagner en efficacité économique et pour accroître le niveau de vie de nos concitoyens, il fallait freiner la marche vers le déficit.
Ces deux raisons motivent le dépôt de ce projet de loi. Il me paraît logique qu'il ait été présenté sans attendre pour éviter toute confusion avec le débat sur le projet de loi de finances pour 1998.
Nous approuvons donc le principe du dépôt de ce projet de loi portant mesures urgentes à caractères fiscal et financier. Le collectif de fin d'année devra prendre en compte l'influence de ces mesures et les 10 milliards de francs d'économies supplémentaires prévus par le Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe communiste républicain et citoyen ne conteste pas l'utilité de ce projet de loi. Il en approuve donc le dépôt et l'examen.
Toute la question est maintenant de savoir si cette loi se révélera efficace et juste.
La première mesure de relèvement de l'imposition sur les sociétés pourrait se traduire par une augmentation de recettes de 21 milliards de francs.
La deuxième mesure visant à modifier le champ du régime des plus-values et des moins-values pourrait rapporter 6 milliards de francs.
La troisième mesure, tendant à modifier les relations financières entre l'Etat et Electricité de France, pourraient permettre à l'Etat de retirer à EDF 3 milliards à 4 milliards de francs et conduire à un impôt de 3 milliards de francs en 1997 et de 2,5 milliards de francs en 1998.
Ces mesures pourraient effectivement rapporter quelques dizaines de milliards de francs et démontrer, par conséquent, une certaine efficacité financière.
Avant de porter un jugement global sur l'efficacité de ces mesures, je voudrais montrer l'insuffisance de l'une d'entre elles et le caractère très constestable d'une autre.
L'article 1er prévoit en effet une majoration de caractère exceptionnel du taux de cet impôt : 41,6 % pour les deux années à venir et, à compter du 1er janvier 1999, 40 %. Cette majoration est-elle exceptionnelle ?
Dans les faits, il s'agit de la deuxième majoration de l'impôt sur les sociétés que nous avons connue depuis 1993, année où l'impôt avait été ramené à 33,33 %.
La première majoration, transitoire, procédait d'un article de la loi de finances rectificative de juillet 1995, alors présentée par notre collègue Jean Arthuis.
Cette majoration était effectivement due.
Nous nous trouvons avec cet article 1er dans une situation assez proche de celle de 1995, puisque se reproduit la même mise hors champ des possibilités d'atténuation de cotisation d'impôt.
Une différence sensible est à noter par rapport à la lettre de la loi de 1995. Ce ne sont que les entreprises ayant réalisé au moins 50 millions de francs de chiffre d'affaires qui sont concernées par cette mesure, ce qui signifie que nombre d'entre elles échapperont à cette majoration.
En 1995, la majorité augmentait l'impôt pour toutes les sociétés, y compris les PME, dont les membres de la majorité sénatoriale se disent les défenseurs.
Aujourd'hui, vous protestez contre une majoration de l'impôt sur les sociétés qui ne vise que 6 % d'entre elles. Vous voulez même la supprimer totalement. Permettez-moi de vous dire que je vous trouve inconséquents, illogiques !
Le nombre réduit d'entreprises touchées me conduit d'ailleurs à marquer le caractère insuffisant de la mesure. A cet égard, je ne partage pas l'opinion de la majorité de la commission des finances qui l'estime insupportable pour les entreprises. Pour s'en acquitter, elles devront y consacrer un peu moins d'une journée d'activités, ce qui représente, nous semble-t-il, une dépense très supportable !
En outre, le seuil très élevé de 50 millions de francs de chiffres d'affaires limite à 25 000 le nombre des entreprises touchées : 94 % de celles-ci sont donc hors du champ d'application de la majoration.
Cette mesure ne place pas la France dans le peloton de tête des pays pour le taux de l'impôt sur les sociétés, par rapport aux richesses créées. Avec 1,6 % du PIB, elle ne devance que l'Allemagne dont le taux est de 1,1 %. Tous les autres pays ont des taux bien supérieurs, le Japon par exemple dépasse les 4 %.
La majoration de l'impôt sur les sociétés ne modifie que très peu cette réalité : la France demeure un des pays imposant le moins les entreprises.
M. Alain Lambert, rapporteur. Ce n'est pas vrai !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous n'avons pas les mêmes sources, et il faudra d'ailleurs qu'un jour nous sachions d'où viennent les chiffres !
L'impôt sur les sociétés a représenté 97 milliards de francs en 1996, soit 9 % des recettes fiscales de l'Etat.
En 1997, il rapportera 117 milliards de francs après majoration.
Le caractère de l'aggravation dont vous parlez, mes chers collègues, est très relatif. En 1990, le rapport de l'impôt sur les sociétés était de 113 milliards de francs.
Même si l'on tient compte du fait qu'au 1er janvier cet impôt sera porté à 41,6 %, il demeurera inférieur au taux de 1986, qui était de 50 %.
Pour nous, la proposition du Gouvernement est donc novatrice. Elle renoue avec l'idée selon laquelle il est possible de rompre avec cette évolution vers la diminution des charges des entreprises. Elle affirme clairement, et nous nous en félicitons, que l'on peut toucher aux profits des entreprises. Les marges sont importantes. En valeur absolue, les profits réalisés en 1996 représentent 1 300 milliards de francs soit douze fois plus que le produit de l'impôt sur les sociétés.
Vous savez également, messieurs de la majorité du Sénat, que l'on peut avoir un meilleur rendement qualité-prix. Le taux d'autofinancement bat un record chaque année. En 1996, il a atteint 118 %.
Notre réserve ne porte donc pas sur le principe de l'augmentation de l'impôt sur les sociétés, nous l'approuvons, mais sur son taux insuffisant, et nous vous proposons de reconquérir le niveau d'imposition de 50 % de 1986.
Dans l'immédiat, sans toucher aux plus petites entreprises, il nous semble que l'on pourrait décider que 20 % au moins des entreprises soient concernées par cette majoration de l'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire les plus importantes et les plus prospères. Nous souhaitons le maintien de cette mesure pour les prochaines années.
Notre deuxième remarque est plus fondamentale. Elle porte sur l'article 4.
La mesure présentée est plus grave qu'il n'y paraît à première vue. Vous proposez une forme de clarification comptable d'EDF, qui tend en fait à démembrer le domaine public de l'Etat au profit d'un établissement public.
Electricité de France constitue des provisions comptables pour la remise en état de ses installations de production. Les centrales nucléaires françaises vieillissantes ont des besoins nouveaux de surveillance, de modernisation, d'entretien. Il s'agit là d'une position très responsable d'EDF qui ne souhaite pas connaître un « Tchernobyl » français.
A plusieurs reprises, les gouvernements précédents ont été tentés par l'existence et l'utilisation de ces provisions.
Mes chers collègues de la majorité, n'aviez-vous pas déjà ce même projet l'année dernière ?
L'article 4 ne reprend-il pas dans les faits ce que vous envisagiez alors ?
Que rapportera cette mainmise sur les provisions d'EDF ? Peu d'argent pour le budget de l'Etat, mais la réduction des crédits pourrait être lourde de conséquences en matière de sécurité des installations de production.
D'autres questions plus graves et plus fondamentales sont également en jeu.
Le réseau de transport d'électricité est propriété de l'Etat donc de la collectivité nationale. Or, avec l'article 4, il sera transféré à EDF. Est-ce bien légal, voire constitutionnel ? Je me pose la question. Ce transfert est contraire à tous les principes des régimes de concessions. N'est-ce pas là le début d'un processus de bradage ?
Le transfert de propriété conduira à augmenter le capital d'EDF. Dans le même temps, les provisions deviennent sans objet. La résorption d'un report déficitaire exonérant EDF de l'impôt sur les sociétés rend EDF redevable de l'impôt sur les sociétés. La propriété publique de l'Etat est remise en cause. L'Etat paie avec l'argent des usagers. Cette mesure peut se révéler lourde de conséquences.
La pratique est très contestable et nous ne pouvons l'approuver.
L'augmentation du capital peut appeler d'autres ouvertures de capital, d'autres restructurations.
Le transport de l'électricité ne pourrait-il pas alors être filialisé, comme le proposent certains, dont l'objectif on le sait bien, est de démanteler toutes les entreprises publiques ?
La porte ne serait-elle pas ouverte à la mise en place du « gestionnaire de réseau » et du partage du capital avec les autres producteurs, appliquant en cela la directive européenne de déréglementation de décembre 1996 ? Nous le craignons, comme un grand nombre de syndicats des salariés d'Electricité de France.
EDF est un acquis national, prospère, de haute qualification, riche de promesse. Mais il est un tout. Le démanteler, c'est l'affaiblir, le livrer aux appétits privés. L'éclatement serait un retour en arrière, contraire aux évolutions économiques, industrielles, et, dirai-je, à la confiance qu'a le peuple français dans son entreprise.
On peut avoir une autre ambition pour un gouvernement de gauche appliquant une politique novatrice en faveur de la justice fiscale et de l'efficacité économique, qui sont deux éléments essentiels d'une politique de progrès social.
Pour bien me faire comprendre, je prendrai un autre exemple, en me référant à l'article 1er. Le produit attendu représente un demi point de valeur ajoutée, soit, en proportion, pour un salarié gagnant 10 000 francs par mois, une imposition supplémentaire de 25 francs.
Faut-il vous rappeler, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, les principes de notre Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lesquels chacun, chacune contribue en fonction de ses facultés à la charge publique ?
Les entreprises veulent payer moins d'impôt. Est-ce juste ? Pourquoi vouloir supprimer l'article 1er ? Les entreprises ne disposent-elles pas de moyens pour payer moins d'impôts, par exemple en augmentant les salaires ou en investissant et en créant des emplois ?
La philosophie de l'article 2 nous semble juste. Est-il possible, est-il logique de maintenir aujourd'hui un régime séparé d'imposition des plus-values destiné à atténuer les effets de l'inflation lorsqu'il n'y a que peu d'inflation ?
Mais pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, n'avoir pas élargi le champ de la mesure aux plus-values résultant des cessions de titres de participation ?
Vous minorez la portée de la disposition en la concentrant uniquement sur les actifs de caractère corporel que d'autres ont d'ailleurs tôt fait de dématérialiser dans leurs bilans.
Même avec ces insuffisances, la majorité de la commission veut supprimer l'article 2. Mais, messieurs de la majorité, notre groupe s'oppose à vos propositions de suppression des trois premiers articles.
Nous voudrions maintenant exprimer notre accord de principe avec l'article 5 du projet de loi qui prolonge la durée d'application de la loi permettant aux collectivités locales de solliciter les ressources collectées sur les comptes CODEVI pour financer leurs investissements.
Il nous semble nécessaire et complémentaire, dans ce cadre, de proposer des dispositions nouvelles.
Dans un premier temps et parce qu'il faut effectivement soutenir l'activité et la croissance, il nous paraît indispensable de relever sensiblement le plafond des CODEVI, comme d'ailleurs du livret A, afin de dégager de nouvelles ressources, qui sont socialement et économiquement utiles.
Ces mesures sont d'autant plus indispensables, à notre sens, qu'il importe de pouvoir en quelque sorte recycler des placements financiers jadis rémunérateurs, mais aujourd'hui moins rentables.
De surcroît, le livret A comme les CODEVI resteront hors champ des prélèvements fiscaux et sociaux, et cette situation peut leur rendre une certaine attractivité.
Cependant, au-dessus de tout, c'est l'utilité sociale de ces livrets d'épargne qui doit être mise en avant et renforcée.
M. Philippe Marini. Mais plus le taux de placement est élevé et plus les utilisations de ces fonds sont onéreuses !
Mme Marie-Claude Beaudeau. La majorité de la commission des finances, monsieur Marini en particulier, mène pour sa part un double et périlleux combat en faveur de la modification du niveau de rémunération de ces placements en fonction des « contraintes » des marchés financiers et de la banalisation.
Le livret A aurait donc tous les défauts - il ferait, par exemple, obstacle à la baisse des taux - mais tout le monde, en l'occurrence les banques commerciales « classiques », voudraient pouvoir collecter ses fonds.
M. Alain Lambert, rapporteur. Il a le défaut de renchérir le coût de l'emprunt pour les logements sociaux !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pour notre part, il nous semble plutôt nécessaire, monsieur le rapporteur, selon des modalités à préciser, de prévoir une dépense budgétaire nouvelle destinée à alléger la charge d'intérêt des emprunts accordés sur fonds d'épargne ou CODEVI, afin de mettre effectivement un terme, tant au différentiel de taux défavorable aux PME vis-à-vis de leurs banquiers comme au fait que les taux d'intérêt réels servis aux organismes d'HLM soient encore aujourd'hui supérieurs à la croissance réelle.
M. Philippe Marini. Les CODEVI font les profits des banques commerciales.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cette dépense budgétaire permettrait notamment d'alléger de nombreux coûts de réalisation d'investissement et de faciliter la mise en oeuvre de ces investissements.
Quand on sait, par exemple, que l'essentiel des augmentations de loyer consécutives aux opérations PALULOS est imputable au poids des emprunts et des charges financières qui en découlent pour les organismes d'HLM, on mesure tout l'intérêt, c'est le cas de le dire, d'une telle initiative.
M. Christian Poncelet, président de la commission. C'est vrai !
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'article 6 caractérise en effet le caractère public de la Banque de développement des PME, ce qui ne peut que nous agréer, au moment où des initiatives diverses sont prises pour entamer la cohérence de l'ensemble du secteur financier public et semi-public accomplissant des missions d'intérêt général.
Cette démarche nous semble d'ailleurs contradictoire avec la volonté du Gouvernement de mener la privatisation du groupe GAN-CIC, dont le rôle public devrait, au contraire, être renforcé et réaffirmé.
Pour rendre les mesures proposées plus efficaces, nous avons déposé un amendement à l'article 2 et un amendement tendant à insérer un article additionnel après l'article 4 et visant, celui-ci, à alléger les contraintes fiscales pesant sur la distribution d'électricité. Nous y reviendrons lors de l'examen des articles.
Pour conclure, je voudrais m'adresser à M. le rapporteur de la commission. Vous proposez, monsieur Lambert, la suppression des trois premiers articles, ainsi que l'adoption des articles 4 et 6 et de l'article 5, après modification.
Les trois premiers articles permettront des rentrées financières selon un principe mieux affirmé de justice fiscale. Vous les rejetez. En revanche, l'article 4, qui présente une menace de démantèlement de l'entreprise EDF, reçoit votre soutien. Ce projet de loi confirme bien qu'il présente certains aspects de progrès social. Vous les condamnez aujourd'hui.
A chacun ses choix et sa politique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Lambert, rapporteur. C'est le projet du Gouvernement, que vous soutenez, madame !
M. Christian Poncelet, président de la commission. Mme Beaudeau émet des réserves sur une partie de ce texte !

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