M. le président. Sur le texte proposé pour l'article 706-53 du code de procédure pénale, je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 51, M. Jolibois, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 19 pour l'article 706-53 du code de procédure pénale :
« Art. 706-53 . - Le procureur de la République ou le juge d'instruction peut autoriser l'enregistrement audiovisuel de l'audition d'un mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-48 avec le consentement du mineur ou, s'il n'est pas en état de le donner, celui de son représentant légal. Le refus d'autoriser cet enregistrement doit être motivé.
« Le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire chargé de l'enquête ou agissant sur commission rogatoire peut requérir toute personne qualifiée pour procéder à cet enregistrement. Les dispositions de l'article 60 sont applicables à cette personne, qui est tenue au secret professionnel dans les conditions de l'article 11.
« L'enregistrement fait l'objet d'une transcription écrite versée au dossier.
« Au cours de l'instruction, l'enregistrement peut être visionné par les parties, les avocats ou les experts, en présence du juge d'instruction ou d'un greffier.
« Aussitôt que l'information est terminée, l'enregistrement est placé sous scellés fermés.
« Le fait, pour toute personne, de publier un enregistrement ou une copie réalisée en application du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende.
« A l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la date de l'extinction de l'action publique, l'enregistrement est détruit dans le délai d'un mois. »
Cet amendement est assorti de deux sous-amendements.
Le sous-amendement n° 78, présenté par le Gouvernement, a pour objet, dans le texte proposé par l'amendement n° 51 pour l'article 706-53 du code de procédure pénal :
« I. - Au premier alinéa, après les mots : "l'enregistrement audiovisuel", d'insérer les mots : "ou sonore".
« II. - Au quatrième alinéa, après les mots : "l'enregistrement peut être", d'insérer les mots : "écouté ou". »
Le sous-amendement n° 127, déposé par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, tend à supprimer la dernière phrase du premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 51 pour l'article 706-53 du code de procédure pénale.
Par amendement n° 126, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer la seconde phrase du deuxième alinéa du texte présenté par l'article 19 pour l'article 706-53 du code de procédure pénale.
Par amendement n° 93, Mme Dusseau propose de compléter in fine le texte présenté par l'article 19 pour l'article 706-53 du code de procédure pénale par un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait, pour toute personne, de publier un enregistrement ou une copie réalisée en application du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 51.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement tend à réécrire l'article 706-53 du code de procédure pénale, relatif à l'enregistrement de la déposition du mineur, afin d'y apporter cinq précisions.
Premièrement, l'enregistrement ne peut être utilisé qu'au cours de l'instruction. En effet, si tel n'était pas le cas, ce serait incompatible avec le principe de l'oralité des débats criminels devant la cour d'assises.
Deuxièmement, seules les parties, leurs avocats ou les experts pourront visionner les enregistrements ou leur copie, et ce en présence du juge d'instruction ou, notamment si les demandes tendant à les visionner se multiplient, faisant ainsi peser une charge de travail excessive sur ce magistrat, en présence d'un greffier. Cette précision paraît constituer un gage supplémentaire de respect de la confidentialité de l'enregistrement.
Troisièmement, une transcription de l'enregistrement sera effectuée, laquelle rendra donc inutile la réalisation d'une copie. Cette transcription sera versée au dossier.
Quatrièmement, la publication de l'enregistrement, même après le procès, sera sanctionnée d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende.
Cinquièmement, l'enregistrement sera détruit à l'issue d'un délai de cinq ans à compter de l'extinction de l'action publique : condamnation, acquittement, prescription.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre le sous-amendement n° 78.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je souhaiterais m'exprimer à la fois sur l'amendement n° 51 de la commission, sur le sous-amendement n° 78 du Gouvernement et sur le sous-amendement n° 127 de M. Dreyfus-Schmidt, car la problématique est la même.
M. le président. A la demande du Gouvernement, la parole est donc à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre le sous-amendement n° 127.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous ne pourrons donc pas nous exprimer tout de suite sur le sous-amendement du Gouvernement ? Nous le ferons après ! (Sourires.)
Quoi qu'il en soit, la destruction de l'enregistrement à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la date de l'extinction de l'action publique est soit trop tardive, soit trop précoce. Si l'action publique est éteinte, on peut penser qu'il faut détruire l'enregistrement tout de suite afin d'éviter qu'il ne tombe entre je ne sais quelles mains. Mais, d'un autre côté, comme il peut y avoir révision du procès après trente, quarante, cinquante ou soixante ans, on n'a pas le droit de détruire une pièce qui peut être nécessaire.
J'en viens à notre sous-amendement, qui porte sur la dernière phrase du premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 51 pour l'article 706-53 du code de procédure pénale.
Cette phrase, ajoutée par l'Assemblée nationale, précise que le refus d'autoriser l'enregistrement doit être motivé. J'avoue que nous ne comprenons pas : la victime mineure - qui peut avoir dix-sept ans et demi ! - ou son mandataire ad hoc peuvent avoir de bonnes raisons de refuser ! Le droit à l'image, qui est permanent, justifie à lui seul qu'on puisse refuser d'être filmé sans avoir à s'en expliquer.
En outre, on peut ne pas savoir motiver son refus, ou bien l'on peut simplement ne pas vouloir.
En tout état de cause, je pense qu'il ne faut pas demander une motivation qui pourrait être difficile à donner. De plus, comme il ne peut pas être passé outre ce refus, à quoi sert une telle motivation ?
Nous proposons donc de supprimer purement et simplement la phrase : « Le refus d'autoriser cet enregistrement doit être motivé. »
M. le président. Madame le garde des sceaux, pour le bon déroulement du débat, je suis obligé de vous demander d'exposer maintenant le sous-amendement n° 78 : nous pourrons ainsi trancher sur les sous-amendements attachés à l'amendement n° 51 avant d'appeler les amendements n°s 126 et 93, qui sont soumis à discussion commune.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il ne faut pas limiter la notion d'enregistrement aux seuls enregistrements audiovisuels, mais viser également les enregistrements sonores.
C'était d'ailleurs ce que prévoyait le texte initial du Gouvernement, qui a été modifié à l'Assemblée nationale. Je vous propose donc ce sous-amendement pour revenir au texte initial du Gouvernement. Un enfant peut très bien refuser d'être filmé alors qu'il accepterait que ses paroles soient enregistrées ! Par conséquent, il ne faut pas se priver de cette aide technique qui présente, en tout état de cause, une réelle utilité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les sous-amendements n°s 78 et 127 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission est favorable à ces deux sous-amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 127 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à ce sous-amendement.
M. Dreyfus-Schmidt a très bien dit tout à l'heure pourquoi il fallait supprimer l'exigence de motivation du refus d'enregistrement, mais je lui ferai toutefois remarquer qu'il me semble qu'il se méprend sur le sens de cette exigence, qui concerne non pas le mineur ou ses parents, mais le procureur de la République ou le juge d'instruction.
Cela étant, je veux bien reconnaître que le texte est ambigu et, en tout état de cause, comme M. Dreyfus-Schmidt, je ne vois pas l'intérêt qu'il y a à demander au magistrat qui ne souhaite pas recourir à un enregistrement de motiver son refus, puisque celui-ci ne peut pas être contesté.
M. le président. Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 78.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis vraiment navré, alors que Mme le garde des sceaux vient de donner un avis favorable sur mon sous-amendement, de ne pas être, à titre personnel, en tout cas, d'accord avec elle sur le sous-amendement n° 78, et ce pour deux raisons.
La première, c'est que, si l'on se contente d'un enregistrement sonore, cela dispensera le Gouvernement de faire l'effort voulu pour équiper tous les locaux d'un système audiovisuel, c'est évident ! (Sourires.) Or, autant j'estime que l'enregistrement audiovisuel peut être intéressant, autant je n'ai aucune confiance dans le seul enregistrement sonore - où que ce soit, d'ailleurs, mais je note que c'est possible, d'après le texte, aussi bien à l'instruction qu'au stade de l'enquête - et dans son maniement.
La seconde raison, et j'attire l'attention de tous sur ce fait, vient de ce que les tribunaux n'acceptent pas comme preuve, du moins actuellement, les enregistrements sonores. Est-ce que, dorénavant, du jour au lendemain, nous allons donner l'exemple en prévoyant qu'on les accepte au pénal ? Nous allons alors ouvrir la voie au civil, bien entendu, et les tribunaux seront donc obligés d'accepter comme preuve tous les enregistrements sonores. Mais tout le monde sait à quel point on peut « travailler » des bandes sonores : il suffit de les arrêter à tel ou tel moment pour faire dire à l'enregistrement sonore tout autre chose que ce qu'il dit !
Je veux bien un enregistrement audiovisuel car, dans ce cas, la caméra est placée en hauteur et l'on ne peut pas aller l'arrêter toutes les deux minutes - j'émets cependant des réserves, pour les mêmes raisons techniques - mais un seul enregistrement sonore, je dis non. Je préfère l'enregistrement traditionnel de l'audition. Si vous acceptez de vous contenter d'un enregistrement sonore, vous n'aurez pas, en effet, d'enregistrement audiovisuel.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je veux défendre le sous-amendement du Gouvernement.
Dans un grand nombre de pays, l'enregistrement sonore, bien que ne constituant pas une preuve, est un outil mis à la disposition des magistrats et des parties.
Par ailleurs, monsieur Dreyfus-Schmidt, un enregistrement audiovisuel peut être modifié exactement de la même façon qu'un enregistrement sonore !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je l'ai dit !
M. Patrice Gélard. Ces deux enregistrements étant de même valeur, il ne faut pas exclure la possibilité de procéder à un enregistrement sonore.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Moi aussi, je suis favorable au sous-amendement du Gouvernement. On peut effectivement manipuler aussi bien un enregistrement audiovisuel qu'un enregistrement sonore !
A mon avis, pour de jeunes enfants, une caméra peut être très impressionnante et vécue de manière très agressive, alors que l'enregistrement fait à partir d'un simple magnétophone sera mieux supporté. A tous points de vue, il me paraît donc meilleur d'envisager la possibilité de recourir aux deux formes d'enregistrement, et en tout cas de ne pas interdire l'enregistrement sonore pour recueillir les dépositions, notamment des enfants.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 78, accepté par la commission.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 127, accepté par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Nous en revenons donc à la discussion commune des amendements n°s 51, tel qu'il vient d'être sous-amendé, 126 et 93.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 126.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans la mesure où je viens d'être battu, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 126 est retiré.
La parole est à Mme Dusseau, pour défendre l'amendement n° 93.
Mme Joëlle Dusseau. Etant donné que cet amendement sera satisfait dans quelques instants, monsieur le président, je le retire également.
M. le président. L'amendement n° 93 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 51 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. La rédaction proposée par la commission des lois pour l'article 706-53 du code de procédure pénale me paraît, pour l'essentiel, bien venue en ce qu'elle montre plus clairement le rôle du magistrat dans la décision de procéder à un enregistrement. Elle précise par ailleurs - ce qui me paraît tout à fait justifié - que, la diffusion de cet enregistrement constituant une infraction nouvelle, il faut en assurer la confidentialité.
Cela dit, certains points me paraissent soulever des difficultés.
En particulier, je ne suis pas certaine qu'il faille interdire toute copie des enregistrements. Le code de procédure pénale prévoit, en effet, que les dossiers de procédure doivent être établis en deux exemplaires. C'est notamment nécessaire en cas d'appel, la copie du dossier partant alors à la cour tandis que le juge d'instruction conserve l'original.
En cas d'appel de l'ordonnance de refus de mise en liberté, il faut permettre à la cour, si elle l'estime utile, de conserver l'enregistrement sans pour cela bloquer la procédure.
De la même façon, je ne suis pas persuadée que la consultation de l'enregistrement par les avocats doive se faire en présence du juge ou de son greffier. En effet, une telle procédure est lourde, très lourde même, et elle confond la préparation de la défense par un avocat, en l'absence du juge, et l'utilisation de l'enregistrement au cours d'un acte de procédure réalisé, lui, par le juge.
Par ailleurs, je ne pense pas que les enregistrements doivent faire l'objet d'une retranscription intégrale. En effet, il y aura déjà le procès-verbal de l'audition du mineur, qui sera rédigé conformément aux règles de notre procédure pénale.
Mais peut-être alors faut-il le dire expressément, monsieur le rapporteur, afin d'éviter toute ambiguité ! Pour ma part, j'en serais tout à fait d'accord.
Enfin, il m'apparaît que les délais de destruction des enregistrements peuvent sans doute être revus.
Ces différents points techniques pourront certainement être réexaminés au cours de la navette. En l'état, le texte proposé par la commission constitue une indéniable amélioration.
Par conséquent, le Gouvernement s'en remet à la sagesse bienveillante du Sénat sur l'amendement n° 51.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'amendement n° 51, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, le texte proposé pour l'article 706-53 du code de procédure pénale est ainsi rédigé.

ARTICLE 706-54 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE