M. le président. Par amendement n° I-100, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 18 undecies, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 985 du code général des impôts, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Les opérations menées sur le marché des changes sont soumises à une taxe.
« Le taux de cette taxe est fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie sur avis du gouverneur de la Banque de France et du Conseil national du crédit. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cet amendement porte sur l'une de nos revendications « traditionnelles » : l'instauration d'une taxation spécifique, fût-elle minime, des opérations menées sur le marché des changes.
Il s'agit, en fait, de la reprise du premier article de notre proposition de loi n° 66, récemment déposée, relative à la taxation de ces opérations.
Cette disposition concrétise aussi une proposition déjà relativement ancienne d'un prix Nobel d'économie, l'Américain James Tobin. Vous le voyez, nous trouvons aussi parfois nos idées d'amendements outre-Atlantique !
M. Guy Fischer. Nous avons changé !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Restez prudents ! (Sourires.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Chaque jour, plus de 1 250 milliards de dollars, en diverses devises, sont échangés sur les marchés financiers internationaux.
Ces sommes considérables sont utilisées pour développer une spéculation monétaire effrénée, alors même que des besoins très importants de la population de la planète ne sont pas satisfaits.
Il ne peut y avoir de véritable développement durable pour l'ensemble de l'humanité sans que des moyens spécifiques soient mobilisés pour relever les nombreux défis de notre temps : celui de la satisfaction des besoins alimentaires, celui de la santé et de l'éradication de maladies endémiques, celui de la préservation des espaces naturels, etc.
James Tobin propose que ces moyens soient notamment tirés de la taxation des mouvements sur les marchés des changes. Le produit de cette taxe pourrait être affecté au développement des pays du tiers monde, ce développement étant, de notre point de vue, la condition à remplir pour que certains caractères de la situation mondiale ne deviennent pas insupportables et ne provoquent pas des difficultés insurmontables tant dans les pays du Sud, qui en connaissent déjà beaucoup, que dans les pays du Nord.
Notre proposition de loi tend donc à compléter le dispositif de mise en place de cette taxation des mouvements monétaires par un abondement des comptes spéciaux retraçant les échanges entre la France et les pays du Sud.
Dans notre pays, selon les éléments en notre possession, ce sont 200 milliards de francs qui passent ainsi sur les marchés financiers dans les mouvements de devises.
Une taxation à concurrence de 1 produirait donc, par exemple, 200 millions de francs de recettes quotidiennes pour alimenter tant les comptes spéciaux dont nous parlions que le budget général.
On pourrait même concevoir que le taux de la taxe soit moins élevé, en fonction des besoins que nous avons décrits.
En tout état de cause, vous le voyez, mes chers collègues, cet amendement est donc un amendement de bon sens et de logique, et je vous invite à l'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. A question traditionnelle, réponse traditionnelle : la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je répondrai un peu plus longuement que M. le rapporteur général, car la proposition de M. Tobin, si elle est traditionnelle, concerne un réel problème.
Mme Beaudeau a évoqué ces 1 250 milliards de dollars qui sont échangés quotidiennement sur les marchés financiers internationaux. Par ailleurs, nous le voyons bien à la lecture des journaux ou en regardant la télévision, des turbulences agitent les marchés financiers, certes pas en France, heureusement, mais sur d'autres continents.
Pour lutter contre des mouvements de capitaux qui sont très rapides, très massifs et très volatiles à l'échelle mondiale, Mme Beaudeau propose d'instituer une taxe mondiale. Nous pourrions débattre de la question de savoir si cette taxe constituerait bien un frein à ces transactions.
Si cette taxe est instaurée dans un seul pays, la France en l'occurrence les opérations de change seront effectuées sur d'autres marchés. La première victime en serai le marché des changes français. Or nous sommes à la veille de la mise en place de l'euro.
En fait, les victimes involontaires seraient les touristes françaisou étrangers, dont il a déjà été question, et les petites et moyennes entreprises qui ne peuvent pas recourir à un autre marché que le nôtre. Tel n'est bien évidemment pas l'objectif que vous poursuivez.
Vous abordez donc un problème qui est tout à fait actuel, madame Beaudeau, et la tradition en la matière rejoint l'actualité, mais votre proposition ne me sembe pas adaptée pour lutter contre les risques d'instabilité mondiale. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Le Gouvernement a eu la bonté de répondre beaucoup plus longuement que je ne l'ai fait, mais je souhaiterais connaître son point de vue sur la constitutionnalité de cette proposition.
M. Roland du Luart. Elle n'est pas constitutionnelle !
M. le président. Madame Beaudeau, maintenez-vous l'amendement ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vais le retirer, monsieur le président, mais je souhaite qu'un débat s'instaure, et pas seulement entre le Gouvernement et sa majorité plurielle. En effet, un problème mondial se pose, et ce grand débat, qui est d'ailleurs attendu non seulement dans notre pays, mais aussi dans d'autres, est nécessaire, parce que c'est l'avenir de notre planète qui est en jeu.
Je comprends bien les arguments de M. le secrétaire d'Etat, qui attire notre attention sur les conséquences qu'entraînerait l'adoption dans notre seul pays de notre proposition. Selon lui, les Français pourraient être victimes de cette situation.
Mais j'ai envie de vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faut bien qu'un pays commence,...
M. Roland du Luart. L'exception française, ça coûte trop cher !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... et je crois que la France s'honorerait en amorçant ce débat et en obligeant tous les autres pays à aborder cette question. Il s'agit tout de même de sommes exorbitantes qui ne servent qu'à la spéculation ! Or, pour l'avenir de la planète, il faudrait que toutes ces sommes qui proviennent de la production de richesses soient utilisées pour tous les hommes et non pas pour quelques-uns, qui amassent des sommes considérables, ce que ne sait même pas le premier venu.
M. le président. L'amendement n° I-100 est retiré.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je réponds, certes avec un léger retard, à M. le rapporteur général qu'il n'est pas possible de fixer le tarif d'une taxe par arrêté. Cette prérogative appartient au Parlement. C'est ce que voulait dire, j'en suis sûr, M. le rapporteur général !

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