M. le président. Je suis saisi par MM. Lefebvre, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen d'une motion n° 8, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission les conclusions de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi de M. Gérard César et plusieurs de ses collègues portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture (n° 155, 1997-1998). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contaire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Lefebvre, auteur de la motion.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont déposé une motion de renvoi à la commission, car la proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture qui doit être examinée ce soir leur paraît inopportune. Ce texte témoigne en effet, à leur sens, d'une politique politicienne qu'ils ne peuvent accepter.
En effet, la majorité sénatoriale se doit de respecter la volonté populaire et donc le Gouvernement en place, tout en jouant son rôle de force d'opposition dans le contexte actuel, rôle que personne ne conteste ici. Ce sont les règles du jeu politique. Nous sommes bien évidemment favorables aux initiatives parlementaires.
Néanmoins, la proposition de loi examinée aujourd'hui cherche à précéder une loi d'orientation agricole en cours d'élaboration qui devrait être examinée par le Sénat au printemps prochain. Une telle démarche, relevant de l'opposition de blocage ou de l' a priori , ne nous semble pas digne - je vous le dis franchement, cher Gérard César - de représentants élus qui sont responsables et qui veulent faire avancer les choses.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, présentera son projet de loi d'orientation agricole prochainement. Il sera alors temps de débattre du contenu de ce texte et de le modifier éventuellement, selon les règles parlementaires.
La présente proposition de loi, qui reprend en fait l'essentiel du projet de loi d'orientation déposé par M. Vasseur, entend se substituer ou, en tout cas, précéder la loi d'orientation du Gouvernement.
Cela n'enrichira en rien le débat sur l'avenir de notre agriculture, question essentielle pour notre pays qu'il nous faut considérer avec sérieux et sereinement, et non pas utiliser à des fins de « manoeuvre » politicienne.
Notre demande de renvoi à la commission vise à attendre l'examen du projet de loi d'orientation agricole pour discuter du contenu de la présente proposition de loi, laquelle s'inscrira alors parfaitement dans le débat. Cela ne pourra d'ailleurs qu'accroître la cohérence et donc la pertinence de la discussion, qui gagnerait sans aucun doute à une présence beaucoup plus soutenue de nos collègues ! (Sourires.)
En effet, je le répète, il est essentiel pour notre agriculture de trouver de nouvelles solutions, de nouveaux axes de développement, un dynamisme qui lui permette de répondre aux défis actuels et de s'imposer, dans sa spécificité, aux niveaux européen et international. Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce point. Les agriculteurs attendent beaucoup du Gouvernement comme de l'ensemble des élus pour améliorer leur situation souvent difficile.
Or la réforme de la politique agricole commune se dessine. Elle implique, en l'état, une mise en concurrence exacerbée des agriculteurs sur le marché mondial par l'abaissement des prix agricoles à la production au niveau des cours mondiaux et par la suppression à terme de la préférence communautaire.
En fait, cette réforme constitue un véritable « acte de guerre » contre l'agriculture familiale française et, plus généralement, contre une agriculture européenne de qualité.
Le projet est de toute évidence fortement marqué par une logique capitaliste et productiviste, avec les conséquences d'accentuation des déséquilibres écologiques et territoriaux, la baisse du revenu de la majorité des agriculteurs et la disparition de très nombreuses exploitations.
Il est donc plus que jamais nécessaire, pour notre pays, de donner une nouvelle orientation à cette réforme de la politique agricole commune, sous peine de mort de notre agriculture. La France, en tant que première puissance exportatrice de produits agricoles en Europe, en a les moyens.
Nous nous félicitons que telle soit également la volonté du ministre de l'agriculture ; ce dernier a en effet défendu à plusieurs reprises les intérêts de l'agriculture française à Bruxelles contre les pressions fortes de démantèlement et de libéralisation. M. Louis Le Pensec a notamment affirmé qu'il n'accepterait pas le projet de réforme en l'état, ce qui nous paraît une bonne chose.
La France doit oeuvrer à réorienter le projet vers une approche privilégiant l'agriculture diversifiée de qualité, respectueuse de l'environnement, des territoires et, surtout, des hommes qui la font.
La loi d'orientation agricole qui sera examinée au printemps pourra constituer une base de référence française témoignant de notre vision de l'avenir de l'agriculture lors des négociations à Bruxelles.
Le document préparatoire de la loi d'orientation agricole, qui a été présenté par M. Le Pensec voilà quelques mois, nous semble comporter de nombreux éléments intéressants pour la logique de la future loi, confirmés dans les priorités du budget, même si certaines lacunes et insuffisances sont toutefois à regretter, selon nous.
Nous nous félicitons notamment de la volonté affirmée de contrôler les structures et de limiter les concentrations des exploitations ainsi que de la priorité donnée à l'installation des jeunes, élément indispensable pour la survie de notre agriculture dans sa diversité.
D'autres choix nous semblent judicieux : le développement d'une agriculture diversifiée, de la qualité et de la sécurité sanitaire, la volonté de replacer le territoire au coeur de la politique agricole, l'amélioration de l'enseignement.
Au-delà de la question de l'agriculture stricto sensu , un grand débat de société doit s'instaurer, en France, sur l'avenir du monde rural. Cela concerne l'ensemble de nos territoires et donc de notre société. Ce débat devrait inclure l'ensemble des acteurs avec les agriculteurs.
L'agriculture française doit faire face à un contexte et à des défis nouveaux.
Il faut y répondre avec la volonté de donner la priorité soit aux hommes, à la qualité et aux territoires dans laquelle elle s'inscrit, soit, à l'inverse, à la performance quantitative dans un contexte de guerre économique et de liberté des marchés profitant à quelques grands groupes.
La démarche du Gouvernement nous semble pouvoir aller dans le bon sens, même si nous restons très vigilants et si nous attendons la loi d'orientation agricole et l'attitude gouvernementale lors des négociations à Bruxelles.
Si nous sommes par ailleurs favorables à un débat incluant l'ensemble des propositions, selon les règles démocratiques, nous refusons les procès d'intention et les artifices de procédure.
Dans ces conditions, je réaffirme notre volonté, dans un souci d'efficacité et de cohérence, de voir le contenu de la présente proposition de loi examiné lors du débat que nous aurons au printemps prochain. Je propose donc à l'ensemble du Sénat de voter cette motion à l'ensemble du renvoi à la commission pour permettre une confrontation réellement démocratique des idées.
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Mes chers collègues, nous avons tous pris acte de l'annonce par M. le Premier ministre, lors de la déclaration de politique générale du Gouvernement, de la préparation d'un projet de loi d'orientation agricole.
Or, comme vous le savez certainement, M. Vasseur avait déposé sur le bureau du Sénat, le 6 mai dernier, un projet de loi d'orientation sur l'agriculture.
En reportant au deuxième trimestre de 1998 le dépôt du nouveau projet de loi d'orientation agricole, le Gouvernement n'a pas pris la pleine mesure des enjeux en cause. En effet, ce texte risque d'arriver soit trop tard pour influer sur les propositions de la Commission européenne au sujet de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en tenir compte.
Par ailleurs, je tiens à préciser que la proposition de loi qui a fait l'objet d'un examen par la commission des affaires économiques avait été déposée sur le bureau du Sénat le 1er octobre 1997. Les commissaires ont donc eu tout loisir d'en prendre connaissance. Quant aux propositions du rapporteur pour les conclusions à donner sur le texte, elles ont été exposées de façon détaillée par mes soins lors de notre réunion du mardi 3 décembre. Nous nous sommes donc, me semble-t-il, prononcés en connaissance de cause.
Par conséquent, je saisis mal le sens et l'intérêt de la motion de renvoi à la commission déposées par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen.
J'ajouterai, à l'adresse de M. Bony qui, malheureusement, a quitté l'hémicycle un peu trop tôt, que l'origine du retard du projet de loi d'orientation déposé par M. Vasseur est surtout à rechercher dans les arbitrages interministériels, qui ont été fort longs, et dans l'attitude du ministère de l'économie et des finances.
Vous savez bien en effet, monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, que, quel que soit le gouvernement, Bercy est toujours précis, directif et décisif en matière financière. Chaque ministre doit en tenir compte.
Je crois d'ailleurs savoir, monsieur le ministre, que la concertation sur votre projet de loi d'orientation agricole est marquée par de longs monologues. Est-ce pour cela que le nouveau texte est retardé ?
J'ajouterai, à l'intention de MM. Bony et Lefebvre, que l'initiative des lois, sous la Ve République, appartient concurremment au Gouvernement et au Parlement. Par conséquent, avec le dépôt de cette proposition de loi, c'est la démocratie que je défends dans cette enceinte, tant au nom de la commission des affaires économiques que de la majorité sénatoriale, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
Estimant tout à fait indispensable qu'une proposition de loi voie le jour au sein de la Haute Assemblée, j'émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur la demande de renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Monsieur le ministre, ainsi que vous l'avez souhaité, je vous donne maintenant la parole, pour répondre aux orateurs et pour donner l'avis du Gouvernement sur la demande de renvoi à la commission.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieures les sénateurs, les groupes de la majorité du Sénat ont souhaité mettre à l'ordre du jour de vos travaux une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Monsieur le rapporteur, vous avez rappelé que le Gouvernement prépare, en concertation avec l'ensemble des partenaires concernés, un projet de loi d'orientation agricole qui sera soumis au Parlement au cours du premier semestre de 1998.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'après l'annonce qui en a été faite par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale du mois de juin, je suis venu présenter devant vous les grandes lignes de ce projet de loi au cours d'un débat d'orientation qui s'est tenu au sein de la Haute Assemblée le 5 novembre dernier. Je précise que, dès septembre, vous aviez été destinataires d'un courrier précisant les lignes de force de ce projet de loi.
Nous en avons reparlé à l'occasion de l'examen du budget du ministère de l'agriculture et de la pêche, que vous avez examiné le 2 décembre dernier.
Vous êtes donc informés des travaux engagés par le Gouvernement dans ce domaine et du calendrier selon lequel ces travaux sont conduits.
Un groupe de concertation s'est réuni chaque semaine depuis trois mois au ministère de l'agriculture et de la pêche. Je voudrais insister, à ce propos, sur ma volonté de conduire une concertation réelle, approfondie et large pour préparer un texte s'appuyant sur la prise en compte de l'ensemble des points de vue. Le groupe de travail, dont je répète qu'il s'est réuni chaque semaine, aura rassemblé des représentants professionnels agricoles et agro-alimentaires dans leur diversité.
Ainsi, hier matin encore, j'avais une réunion de travail avec le président de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA, la présidente du centre national des jeunes agriculteurs, le CNJA, et le président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA. J'ai cru noter que, dans les auditions auxquelles vous avez procédé, aucune de ces personnes n'a pu être entendue, soit qu'elles n'y tenaient pas, je pense au président de l'APCA, soit qu'elles se soient fait représenter.
Au-delà de ces représentants professionnels, ce groupe de travail a réuni également les représentants des consommateurs, des associations écologistes, des salariés de l'agro-alimentaire, du monde de la recherche et de l'enseignement. Je ne peux pas citer tout le monde, mais je voulais insister sur ma volonté d'organiser la confrontation des points de vue la plus large possible pour préparer ce texte.
Un projet de texte sera préparé avant la fin de l'année, et il fera l'objet de concertations complémentaires.
Ce texte pourra être examiné en conseil des ministres dans la première moitié de l'année 1998, afin d'être soumis au Parlement avant l'été.
Tel est le calendrier qui guidera mon action dans ce domaine au cours des prochains mois. Il me semble suffisamment précis et court pour répondre à l'attente légitime des agriculteurs et de tous leurs représentants, qui souhaitent voir définies les lignes de force de la politique agricole, celle que notre pays entend mettre en oeuvre dans les années qui viennent.
Vous motivez néanmoins par l'urgence la nécessité d'examiner dès aujourd'hui un certain nombre de mesures, dont certaines pourraient prendre place dans le projet de loi que je viens d'évoquer.
Le rapport de la commission des affaires économiques et du Plan explique à ce propos qu' « en reportant au premier semestre 1998 l'examen du nouveau projet de loi d'orientation agricole, le Gouvernement a pris le risque de présenter un texte soit trop tardivement pour influer sur les propositions de la Commission européenne au sujet de la réforme de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en tenir compte ».
Je note, d'ailleurs, que le rapport que je viens de citer n'est pas exempt de contradictions, puisqu'il indique, un peu plus loin, que « cette proposition ne s'oppose en aucune façon au futur projet de loi d'orientation agricole : elle le prépare en permettant la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin rapidement en ouvrant un véritable débat ».
S'il ne s'agissait que d'ouvrir le débat, je pense que nous l'avons déjà largement fait entre nous et que nous aurons, d'ailleurs, encore de nombreuses occasions de le poursuivre afin de le conduire jusqu'à son terme.
Mais j'en reviens à cette idée d'urgence.
Quel est le calendrier que nous avons devant nous ?
Sous quarante-huit heures, se réunit à Luxembourg un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne pour examiner dans toutes ses dimensions ce qu'il est convenu d'appeler l'Agenda 2000, c'est-à-dire, notamment, les décisions que l'Union européenne doit prendre en matière d'élargissement de l'Europe des Quinze à un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale ainsi que les règles budgétaires pour la période 2001-2006.
Comme je l'ai dit cet après-midi lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement, la France entend bien lier son accord à l'engagement des négociations sur l'élargissement et à l'affirmation des principes concernant un certain nombre de politiques structurelles, singulièrement la politique agricole.
Les responsables syndicaux qui ont rencontré la semaine dernière tant M. le Premier ministre que le chef de l'Etat ont entendu dire, à ces deux niveaux, la volonté de la France de voir l'Europe prendre en compte l'affirmation d'une identité agricole européenne et avoir les moyens de son ambition. Le respect de la ligne directrice financière agricole garantit que la réforme aura ces moyens.
Le volet qui concerne la réforme de la politique agricole commune de cet Agenda 2000 a été examiné au cours de trois sessions du conseil des ministres de l'agriculture en septembre, en octobre et en novembre. J'apporte ces précisions car j'ai entendu, à plusieurs reprises, dans cette enceinte, mentionner les « futures négociations » de la réforme de la PAC. Elles ne sont pas futures ; nous y sommes ! Mais que l'Europe ait devant elle d'autres grands rendez-vous, ceux des négociations concernant l'élargissement et l'organisation mondiale du commerce, c'est incontestable.
S'agissant de la réforme de la PAC, un premier examen a donc eu lieu, qui s'est conclu par l'adoption d'une résolution sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir dans quelques instants.
Le débat sur la réforme de la PAC au sein des conseils des ministres des Quinze ne reprendra sans doute pas avant le printemps, lorsque seront connues les propositions de règlement auxquels la Commission va se mettre à travailler ou travaille déjà, dans certains cas.
Ce que l'on peut prévoir des négociations laisse penser que celles-ci pourraient être conclues à la fin de l'année 1998, c'est-à-dire après les élections en Allemagne. Toutefois, il ne s'agit que de mon pronostic, et les négociations pourraient se poursuivre, après tout, en 1999.
Il faut avoir ce calendrier en tête pour juger de l'opportunité du moment auquel notre projet de loi d'orientation agricole nationale devra être discuté et adopté par le Parlement.
J'ai indiqué mon souhait de voir ce projet de loi soumis à la discussion des parlementaires dans le courant du premier semestre de 1998. Il traduira une vision cohérente, un projet pour l'agriculture, que je défends aussi bien à Bruxelles qu'à Paris.
De ce point de vue, je peux vous dire de la façon la plus nette que je n'ai pas attendu l'adoption de la loi d'orientation agricole pour défendre à Bruxelles les intérêts de nos agriculteurs et l'ambition que j'entends bien donner à la politique agricole française et européenne.
Je voudrais vous rappeler, notamment, que j'ai pu présenter de façon extrêmement détaillée les objectifs qui sont les miens, notamment dans la négociation sur la réforme de la PAC à l'occasion du conseil des ministres de l'agriculture du 17 novembre dernier.
A cette occasion, j'ai indiqué que, si une réforme de la politique agricole commune était souhaitable pour de nombreuses raisons, qui tiennent aussi bien à ses difficultés internes de fonctionnement qu'aux évolutions internationales prévisibles - un certain nombre d'entre vous ont évoqué les excédents auxquels nous pourrions être confrontés - je ne pourrais pas, et le Gouvernement français ne pourrait pas accepter le projet de la Commission s'il n'était pas amendé de façon très substantielle. En d'autres termes, les propositions du paquet Santer ne sont pas, en l'état, acceptables.
MM. Emmanuel Hamel et Pierre Lefebvre. Très bien !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. J'ai d'ailleurs présenté devant vous, il y a peu, les amendements très importants que je demande à la Commission de prendre en compte pour améliorer son projet.
J'ai défendu à Bruxelles l'idée qu'une réforme de la politique agricole commune devait permettre de préserver les moyens d'intervention publique pour organiser les marchés et défendre l'agriculture communautaire, sa diversité et ses spécificités.
Au nombre des propositions du paquet Santer, figure, en effet, l'abandon des moyens d'intervention publique, outil qui, pourtant, en période de crise, a montré sa pertinence et son efficacité. Il n'est pas question pour la France d'accepter la liquidation de la politique agricole commune et de s'en remettre à la concurrence sauvage comme seule règle avec laquelle les agriculteurs devraient désormais compter.
M. Emmanuel Hamel. Il n'en est pas question, vous avez bien raison !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je me suis également battu pour que le conseil des ministres de l'agriculture reprenne ce point de vue, dans la perspective du sommet européen de Luxembourg, en insistant sur la nécessité de préserver les moyens de financement de la politique agricole commune à venir. Très concrètement, cela signifie que la ligne directrice agricole budgétaire, telle qu'elle est prévue, dans son principe et dans ses modalités de calcul, d'ici à l'année 2006, doit être préservée.
J'ai refusé - et vous avez été nombreux à rejeter cette proposition de la Commission - le recours à la baisse généralisée des prix pour tous les principaux secteurs de production agricole comme solution aux difficultés d'adaptation que l'agriculture européenne pouvait être conduite à rencontrer dans les années à venir.
Je n'accepte pas la proposition de la Commission qui consisterait à diminuer le prix garanti des produits laitiers et à instaurer un mécanisme de primes à la vache laitière pour compenser les effets négatifs de cette baisse de prix sur le revenu des agriculteurs. ( M. le rapporteur fait un signe d'approbation.)
Si je refuse la proposition de baisse des prix du lait, c'est parce que je considère qu'elle porte en germe la remise en cause, à moyen terme, du régime des quotas laitiers.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Or ce régime, malgré les inconvénients qu'il peut comporter, a été, depuis plus de dix ans, le meilleur garant du maintien d'une production laitière sur l'ensemble du territoire français. Je suis convaincu que sa remise en cause serait lourde de conséquences extrêmement néfastes pour cette production et, surtout, pour sa répartition sur l'ensemble du territoire.
M. Emmanuel Hamel. Vous avez raison !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je me bats également pour que les propositions de la Commission en matière d'organisation commune du marché de la viande bovine soient revues de fond en comble.
J'ai également récusé la baisse de 30 % du prix institutionnel de la viande bovine proposé par la Commission. En effet, cette mesure ne me paraît pas répondre aux difficultés auxquelles est confrontée cette filière, qui demeure fragile, car la baisse des prix à la production ne se répercute pas mécaniquement à la consommation. De ce fait, la relance espérée de celle-ci risque de ne pas être au rendez-vous, tandis que le revenu des éleveurs se trouverait compromis à coup sûr.
M. Emmanuel Hamel. Bonne analyse !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. J'ai demandé que la Commission fasse d'autres propositions, fondées sur un ajustement limité des prix au niveau nécessaire pour maintenir la compétitivité de la viande rouge par rapport à la viande blanche, et qu'elle arrête des mesures adaptées de maîtrise de la production, portant à la fois sur le troupeau laitier et sur le troupeau allaitant.
Le revenu des éleveurs bovins doit être préservé, comme nous le rappellent chaque semaine les manifestations régionales. Nous savons tous qu'il figure déjà parmi les plus bas de la profession agricole, et une nouvelle dégradation de la situation ne serait pas acceptable. C'est pourquoi les baisses de prix devront être intégralement compensées.
Par ailleurs, l'apport que cette activité représente en matière d'occupation du territoire doit être pris en compte dans le calcul des aides directes au revenu des éleveurs de viande bovine.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je veille très scrupuleusement à ce que la baisse du prix des céréales ne soit pas l'occasion d'une remise en cause de la préférence communautaire, ni de l'apparition d'un déséquilibre entre la culture des céréales, d'une part, et celle des oléagineux, d'autre part. J'ai d'ailleurs fait des propositions précises devant le conseil des ministres de l'agriculture pour que cet équilibre soit préservé, et j'ai souligné le fait que les dispositions en vigueur avaient permis de développer dans notre pays des filières industrielles à partir des oléagineux et des oléo-protéagineux.
Je souhaite que cette réforme de la politique agricole commune soit l'occasion d'instaurer des mécanismes qui permettent une meilleure répartition des aides entre les agriculteurs et une meilleure prise en compte des différentes fonctions que remplit l'agriculture.
En effet, celles-ci, cela a été dit à cette tribune, ne se résument pas, nous le savons bien, à la production de denrées alimentaires. C'est pourquoi je soutiens l'idée d'un plafonnement communautaire des aides, tel que proposé dans le « paquet Santer » et surtout la possibilité de moduler celles-ci sur un plan national, en vertu du principe de subsidiarité. En utilisant plus finement les outils de la politique agricole, nous pourrons en corriger les effets négatifs et rééquilibrer les choses en mettant un coup d'arrêt à la concentration des exploitations et des productions.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, je n'ai pas attendu l'adoption de la loi d'orientation pour affirmer une conception de l'agriculture pour notre pays et pour défendre celle-ci devant les instances appropriées.
Cette conception ne vise pas, je vous rassure tout de suite, à organiser deux agricultures, l'une axée sur le marché mondial et qui trouverait son aire de croissance privilégiée dans les zones agronomiques les plus favorisées, et l'autre qui serait une agriculture subissant des handicaps naturels, fragile et bénéficiant prioritairement des aides publiques. Ce dualisme - ayons l'honnêteté de le reconnaître entre nous - est largement favorisé par les mécanismes actuels de la politique agricole commune et, pour tout dire, par les mécanismes qui existent à l'échelon communautaire depuis les débuts de la construction européenne.
Ce sont des vérités souvent rappelées que 80 % des aides vont à 20 % des exploitations ou que la politique agricole commune, en faisant appel presque exclusivement à des mécanismes de distribution des aides en fonction des quantités produites ou de la taille des exploitations, a conforté celles dont la taille et le volume de production sont les plus importants, étant d'ailleurs, ces exploitations, situées généralement dans les zones agricoles les plus favorisées. C'est précisément cet état de choses qu'il faut modifier, en défendant la même politique à Bruxelles, à Paris, ou dans le Massif central.
Telle est l'ambition que nous poursuivons à travers le projet de loi d'orientation auquel nous travaillons actuellement.
Le contrat territorial d'exploitation, qui sera le nouvel instrument de la politique agricole que je proposerai par le biais de ce projet de loi, s'adressera à l'ensemble des exploitations agricoles de notre pays, où qu'elles soient situées et quelle que soit leur activité. Son objet est non pas d'instaurer ou de renforcer je ne sais quel dualisme entre les exploitations agricoles, mais de substituer à des systèmes d'aides publiques fondés sur des règles d'attribution mécaniques liées à un volume de production une relation contractuelle entre les agriculteurs et les pouvoirs publics qui prenne en compte tous les aspects de l'activité des exploitations agricoles.
Les responsables professionnels que j'ai reçus hier ont tenu à souligner l'intérêt qu'ils portaient à ce concept de contrat territorial d'exploitation.
Il s'agit de traduire dans les faits la nécessité d'instaurer un nouveau contrat entre l'agriculture et la nation.
Ce contrat reposera sur la volonté de maintenir une agriculture vivante sur tout le territoire remplissant toutes les fonctions que les citoyens attendent d'elle. Cela implique qu'il soit mis un terme à la concentration des exploitations et à l'accroissement permanent de leur taille au détriment de l'installation de jeunes agriculteurs.
A ce propos, j'entends bien prendre les mesures nécessaires pour permettre un contrôle effectif du développement des exploitations sous forme sociétaire - j'ai bien entendu les observations de M. le rapporteur - contrôle qui est impossible dans l'état actuel de notre droit.
Je souhaite également favoriser l'information des candidats à l'installation sur les terres qui se libéreront et prévoir l'obligation d'établir, chaque année et dans chaque département, un rapport public sur l'installation, qui fera le bilan de l'utilisation des terres libérées.
J'ai le souci de veiller à ce qu'il y ait une totale cohérence entre les positions défendues par le Gouvernement au plan communautaire et les mesures qu'il entend promouvoir au plan national.
En disant cela, je crois répondre, mesdames, messieurs les sénateurs, à votre préoccupation s'agissant de la date d'adoption du projet de loi d'orientation. Présenté dans le courant de l'année 1998, il viendra à son heure pour concrétiser, à l'échelon national, les orientations que le Gouvernement défend aujourd'hui à l'échelon communautaire. Il contiendra les outils dont nos agriculteurs ont besoin pour conforter la présence d'une agriculture vivante sur l'ensemble du territoire.
Renvoyer l'adoption d'un tel texte à une date postérieure à celle de la réforme de la PAC serait bien entendu une erreur. En effet, cela en modifierait totalement le contenu et ne permettrait pas d'affirmer la cohérence que je viens d'évoquer. Il s'agirait non plus alors d'une loi d'orientation, mais d'une loi d'adaptation à une réforme déjà adoptée, voire d'une loi de compensation des effets éventuels de cette réforme. Elle manquerait naturellement l'objectif qui lui est fixé et ne permettrait pas de répondre aux grandes questions qui nous sont posées.
La proposition de loi qui est présentée aujourd'hui ne répond pas, quant à elle, à cette ambition ; elle n'y prétend d'ailleurs pas, puisque M. le rapporteur indique qu'elle ne s'oppose ni ne se substitue à un futur projet de loi d'orientation.
Elle en reprend cependant certaines têtes de chapitre, en s'inspirant largement du projet de loi présenté par mon prédécesseur. Ce texte, faut-il le rappeler ? ne faisait pas l'unanimité. Il était inspiré par une certaine vision de l'agriculture plus soucieuse de performances économiques sur les marchés extérieurs à l'Union européenne que de défense d'une agriculture diversifiée, nombreuse et vivante sur l'ensemble du territoire.
Ce texte contesté a d'ailleurs fait l'objet, à la demande des professionnels de l'agriculture, de lettres rectificatives qui n'ont jamais donné lieu à un examen en bonne et due forme, les électeurs en ayant décidé autrement.
M. Philippe François. Pour d'autres raisons !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. La démarche consistant à reprendre des fragments d'un projet contesté pour en proposer l'adoption en dehors de tout projet d'ensemble et de toute concertation préalable approfondie ne me paraît pas appropriée.
Une loi d'orientation ne peut pas être préparée et approuvée à la sauvette. Son élaboration suppose au contraire un travail sérieux, en concertation avec les agriculteurs et leurs représentants, car préparer ce nouveau contrat entre l'agriculture et la nation implique bien entendu qu'un dialogue s'instaure avec toutes les composantes de la société. Je m'attache à cette démarche depuis ma prise de fonction, et je considère que ces efforts ont été utiles et ont débouché sur la conception d'idées nouvelles.
La même logique guidera les travaux de réflexion qui seront conduits par M. Jean-Louis Bianco, député et ancien président de l'office national des forêts, qui vient d'être chargé par M. le Premier ministre de préparer un projet de loi de modernisation sur la forêt.
M. Philippe François. Il n'a jamais vu un arbre de sa vie !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je regrette de vous avoir entendu, monsieur François.
M. Philippe François. Vous pensez comme moi, monsieur le ministre !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Pas du tout ! C'est parce que je tiens en haute estime Jean-Louis Bianco et que je ne doute pas de sa connaissance des problèmes de la forêt que j'ai chaudement approuvé sa désignation.
M. Philippe François. L'estime n'a rien à y voir !
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je partage l'opinion des sénateurs qui ont présenté cette proposition de loi sur au moins un point : l'agriculture française ne saurait se contenter de quelques mesures ponctuelles, et nous devons lui offrir un cadre cohérent susceptible de garantir son développement à long terme.
Les éléments que j'ai rassemblés au cours du travail de préparation du projet de loi que le Premier ministre m'a demandé de mener à bien permettront au Gouvernement de vous soumettre, à brève échéance, un texte reflétant une conception d'ensemble de l'agriculture et de son avenir. Je tiendrai compte, bien entendu, du débat que nous avons eu aujourd'hui.
Je ne peux pas répondre à chacun des intervenants, mais j'ai pris bonne note des remarques qui m'ont été adressées. Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande de bien vouloir prendre en compte également le point de vue que je viens d'exposer, la cohérence qu'il traduit et l'assurance que je suis venu vous apporter qu'il vous sera donné très rapidement l'occasion d'examiner un texte d'ensemble, dont je pense qu'il permettra d'écrire une nouvelle page de la politique agricole et d'infléchir réellement celle-ci pour préparer notre agriculture à affronter l'avenir.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est parce que le projet de loi que je vous présenterai bientôt répond à l'ambition de tracer une logique d'ensemble et non au souci de prendre des mesures ponctuelles que le Gouvernement n'entrera pas dans la discussion de chacun des articles de la proposition de loi, à laquelle il ne saurait souscrire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous demander quelle est votre opinion précise sur la motion tendant au renvoi à la commission.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je ne participerai pas à la discussion sur les articles.
S'agissant de la motion, je crois qu'il découle de ce que j'ai dit qu'il me paraît judicieux de se donner le temps de réfléchir, de continuer à travailler et d'engager une concertation. Le Gouvernement peut donc comprendre les motivations de ses auteurs.
M. le président. J'entends bien, monsieur le ministre, mais êtes-vous favorable ou défavorable à la motion de renvoi à la commission, ou bien vous en remettez-vous à la sagesse du Sénat ? Pardonnez-moi de vous torturer ! (Sourires.)
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Cela ne m'est pas une torture ! J'émets un avis favorable sur la motion.
M. le président. C'est bien ce que je pensais, mais il fallait que cela fût dit.
M. Gérard César, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Je souhaiterais faire remarquer à M. le ministre que la commission des affaires économiques a procédé à des auditions.
Ainsi, j'ai rencontré personnellement le président de la confédération française de la coopération agricole, la CFCA, le directeur de la mutualité sociale agricole, M. Lenoir, deux secrétaires généraux adjoints de la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles et les vice-présidents du centre national des jeunes agriculteurs. Je crois qu'il s'agit là d'interlocuteurs qualifiés ! Quant à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'APCA, elle m'a adressé un courrier, et comme je suis aussi président d'une chambre d'agriculture, je crois être à même de représenter cet organisme.
Je tenais à faire cette mise au point, suite aux propos qu'a tenus M. le ministre.
Par ailleurs, monsieur le président, je demande un scrutin public sur la motion de renvoi à la commission.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Qu'il me soit simplement donné acte que les trois présidents de grandes organisations que j'ai cités n'ont pas été auditionnés !
M. Gérard César, rapporteur. Cela leur a été demandé !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Certes, mais je note qu'ils n'ont pas été auditionnés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 8, tendant au renvoi à la commission, acceptée par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe communiste républicain et citoyen, l'autre, de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 60:

Nombre de votants 244
Nombre de suffrages exprimés 244
Majorité absolue des suffrages 123
Pour l'adoption 22
Contre 222

M. Gérard César, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur. Je note que le groupe socialiste brille par son absence ! Cela montre combien il s'intéresse à l'agriculture !
M. le président. Nous passons donc à la discussion des articles.

TITRE Ier

DE L'ENTREPRISE AGRICOLE

Article 1er