DATES D'OUVERTURE ANTICIPÉE
ET DE CLÔTURE DE LA CHASSE
AUX OISEAUX MIGRATEURS

Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 177, 1997-1998) de Mme Anne Heinis, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur :
- la proposition de loi (n° 346 rectifié, 1996-1997) de MM. Roland du Luart, Michel Alloncle, Bernard Barbier, Philippe de Bourgoing, Jean-Claude Carle, Jean-Patrick Courtois, Désiré Debavelaère, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Michel Doublet, Alain Dufaut, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean Grandon, Mme Anne Heinis, MM. Gérard Larcher, Pierre Martin, Serge Mathieu, Louis Mercier, Henri de Raincourt, Michel Souplet et Alain Vasselle, relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs ;
- la proposition de loi (n° 359, 1996-1997) de M. Michel Charasse relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs ;
- la proposition de loi (n° 135, 1997-1998) de M. Pierre Lefebvre, Mmes Marie-Claude Beaudeau, Nicole Borvo, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jean Derian, Michel Duffour, Guy Fischer, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs ainsi qu'à la réglementation de la chasse les concernant.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, les trois propositions de loi que nous examinons ce soir ont un objet identique. Elles visent en effet à résoudre un contentieux juridique qui n'a fait que s'aggraver : il s'agit de l'application des dispositions de la directive du Conseil du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages relatives à la pratique de la chasse.
Ces propositions de loi traitent, en effet, des procédures de fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau et au gibier de passage. Elles prévoient, d'une part, de fixer par voie législative les dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau, alors qu'elles étaient jusqu'à présent décidées par arrêté ministériel selon l'article R. 224-6 du code rural, et, d'autre part, en ce qui concerne la clôture de la chasse, de modifier l'article L. 224-2 du code rural issu de la loi n° 94-591 du 15 juillet 1994, fixant les dates de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs.
En 1994, l'adoption de cette loi, issue de plusieurs propositions de loi identiques, avait déjà eu pour objet de lever les incertitudes juridiques qui pesaient sur la détermination des périodes de chasse des oiseaux migrateurs et qui avaient suscité un contentieux abondant à l'époque.
En effet, se fondant sur les données scientifiques et la méthode proposée par le comité Ornis, c'est-à-dire le comité d'adoption de la directive de 1979, la loi du 15 juillet 1994 a fixé un calendrier échelonné de clôture de la période de chasse selon les espèces, tenant compte tout à la fois de la période du début des migrations de chacune des espèces et de leur état de conservation.
De plus, pour assurer la souplesse du dispositif juridique ainsi proposé, le dernier alinéa de l'article L. 224-2 du code rural prévoit que l'autorité administrative peut avancer les dates de clôture, sous réserve que ce soit avant le 31 janvier.
Hélas ! Loin de s'éteindre, comme on l'espérait, le contentieux s'est alors déplacé sur l'interprétation du pouvoir dérogatoire reconnu au préfet et sur l'étendue du pouvoir d'appréciation de ce dernier. Ce sont ces constatations qui conduisent les auteurs des propositions de loi à déposer aujourd'hui de nouvelles modifications à ce texte.
Je crois utile de faire le point sur les contentieux juridiques en cours et sur les difficultés qui subsistent quant à la compréhension des phénomènes de migration. En effet, nous devons disposer de tous les éléments d'appréciation nécessaires à l'adoption d'une solution équilibrée et raisonnable pour la chasse, solution qui soit conforme aux objectifs définis par la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages. Cette solution, en application du principe de subsidiarité, doit être définie au niveau de chaque Etat membre.
Je rappellerai tout d'abord que la directive du 2 avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages a pour objectif la conservation de tous les oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage en Europe, soit plus de quatre cents espèces, « à un niveau » - ce sont les termes mêmes de la directive - « qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ».
Les mesures propres à atteindre cet objectif de conservation s'appliquent bien sûr aux différents facteurs qui peuvent agir sur le niveau des populations d'oiseaux : l'interdiction de la destruction des nids et des oeufs, la protection des habitats et, bien entendu, la réglementation de la pratique de la chasse, qui n'est qu'un facteur parmi d'autres.
Cependant, il faut savoir - ce point est très important - que la chasse constitue très explicitement, selon la directive, une activité admissible qui contribue à la régulation des espèces et qui a des effets secondaires positifs à travers les actions des chasseurs sur la préservation des milieux.
M. Roland du Luart. C'est la vérité !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Par ailleurs, l'architecture même de la directive repose sur la distinction entre espèces protégées et espèces chassables puisque l'annexe II répertorie soixante-douze espèces chassables et que la France, en raison de sa diversité biologique, en compte cinquante-neuf.
A ce propos, madame le ministre, j'attire votre attention sur le fait que, en cas de contestation sur la traduction du nom des espèces, ce sont les annexes de la directive qui font foi.
L'encadrement de la pratique de la chasse découle du paragraphe 4 de l'article 7 de la directive, qui interdit de chasser les espèces reconnues comme gibier pendant la période nidicole et aux différents stades de reproduction et de dépendance ; pour les espèces migratrices, l'interdiction s'applique en particulier à la période de reproduction et à leurs trajets de retour vers leur lieu de nidification.
Dans la pratique, la situation est assez complexe.
Dans son arrêt du 14 janvier 1994, la Cour de justice européenne explicite le principe de protection complète des espèces qui s'applique pendant ces différentes périodes. Mais cet arrêt n'interdit pas le principe de fermeture échelonnée des périodes de chasse, à condition que l'Etat membre apporte la preuve que cet échelonnement n'empêche pas la protection complète des espèces concernées.
La loi du 15 juillet 1994 a donc fixé les dates de clôture de la chasse ; mais, depuis, une trentaine de contentieux ont fait l'objet de jugements par les tribunaux administratifs.
M. Jean-Louis Carrère. C'était une mauvaise loi !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Il faut observer que ces jugements présentent des conclusions divergentes sur la nature du pouvoir reconnu au préfet de déroger ou non au calendrier échelonné des fermetures de chasse intégré dans l'article L. 224-1 du code rural par la loi. La jurisprudence est donc loin d'être unanime.
A l'échelon européen, la Commission est consciente des difficultés d'interprétation posées par l'article 7 de la directive. Ces difficultés résident dans la définition de termes de référence comme « trajets de retour », « reproduction » ou « dépendance ». La Commission a donc proposé de modifier le texte pour y intégrer le principe d'une fermeture échelonnée de la chasse, qui serait fonction de la précocité de la migration et de l'état de conservation des espèces chassées.
Mais, en 1996, le Parlement européen a rejeté ce dispositif et, à une très faible majorité, adopté un amendement beaucoup plus restrictif imposant une date unique de fermeture de la chasse, fixée au 31 janvier. C'est l'amendement van Putten.
Néanmoins, la Commission européenne ne souhaite pas aller dans ce sens, et elle pourrait prochainement proposer d'instituer un régime dérogatoire de chasse sur quatre semaines, au-delà du 31 janvier, à la condition que soient mis en place des plans de gestion pour les espèces concernées.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
Mme Anne Heinis, rapporteur. En attendant, la Commission recommande d'appliquer la méthode de la fermeture échelonnée.
Au regard de cette opportunité encore ouverte à l'échelon européen et qu'il faut appuyer, on ne peut qu'être très inquet de la position du gouvernement français. En effet, ce dernier semble s'être laissé volontairement entraîner dans la voie d'une condamnation par la Cour de justice européenne, après un recours en manquement introduit par la Commission sur la base des articles 169 et 171 du traité de Rome.
En effet, lors d'une réunion sur les précontentieux environnementaux, tenue à Paris en mai 1997, les services de la Commission ont demandé communication du rapport au Parlement prévu par la loi du 5 juillet 1994 et des rapports scientifiques servant de base à ce rapport.
Certes, il faut constater et regretter que, faute d'avoir été rédigé en temps voulu, le rapport au Parlement n'ait pas été transmis. Mais les deux rapports respectivement établis par l'Office national de la chasse, en décembre 1996, et par le Muséum national d'histoire naturelle, en mars 1997, eux, étaient prêts. Or ils n'ont jamais été communiqués, bien qu'ils soient d'une grande valeur scientifique et technique et qu'ils fondent la règle relative au régime des périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse en France. Ils constituaient donc de très bons éléments de négociation vis-à-vis de Bruxelles qui, à juste titre, les réclame.
Il est incompréhensible et très dangereux que le gouvernement français ait refusé de les transmettre depuis mai dernier, ce qui nous vaut une lettre de mise en demeure de la Commission européenne.
M. Philippe François. C'est très grave !
Mme Anne Heinis, rapporteur. Alors, faut-il en conclure que le Gouvernement a renoncé volontairement à se défendre ? Et que, dans l'intention d'imposer en droit interne une date unique de fermeture de la chasse, il attend une condamnation de la Cour de justice européenne ?
Les chasseurs français jugeraient inacceptable une telle mesure, qui, de plus, apparaîtrait comme terriblement réductrice eu égard à la diversité du phénomène des migrations d'oiseaux.
Il faut rappeler à ce sujet que la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs concerne la plupart des 1 600 000 chasseurs répertoriés en France, et qu'elle se déroule sur tout le territoire national.
En outre, s'agissant de la compréhension du phénomène des migrations et de la difficulté à définir les termes utilisés par la directive, il faut savoir prendre en compte les marges de variation des phénomènes biologiques, qui n'ont pas un caractère « mécanique ». Il faut repérer les mouvements de l'espèce ou d'une population, et non de quelques individus isolés qui ne sont pas significatifs, c'est-à-dire raisonner sur des moyennes. Enfin, il faut ne pas oublier que, pour la plupart des migrateurs, le territoire français constitue une zone de recouvrement entre les zones d'hivernage et les zones de reproduction, ce qui ne permet pas de savoir a priori , face à tel individu isolé, s'il a passé l'hiver en France ou s'il vient d'y arriver.
L'identification des mouvements migratoires est, pour cette raison, très complexe à réaliser, mais, pour autant, on ne peut pas imposer une date unique de fermeture en arguant du risque de confusion en février entre les espèces encore chassables et celles qui ne le sont plus, alors que ce risque existe, bien évidemment, toute l'année et à une plus grande échelle entre espèces protégées et espèces chassables.
Par ailleurs, signalons que ce risque a été accepté dès l'origine par la directive du 2 avril 1979.
De plus, on rappellera que les chasseurs sont bien formés, qu'ils savent quel gibier ils ont le droit de tirer, et que, en cas de doute, un bon chasseur ne tire pas. C'est une règle de base élémentaire. De toute façon, le code pénal sanctionne les erreurs de tirs.
Compte tenu de ces observations, je vous proposerai donc de reprendre le contenu des deux propositions de loi n°s 346 rectifié et 359, en y ajoutant un dispositif qui rend obligatoires les plans de gestion pour certaines des espèces chassées entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février.
Cette proposition tendant à instituer des plans de gestion est d'ailleurs soutenue dans l'exposé des motifs de la proposition de loi n° 135, déposée par nos collègues communistes.
Il s'agirait, pour les espèces d'oiseaux dont les populations évoluent défavorablement, d'aller au-delà du principe d'une fermeture de la chasse avancée au 10 ou au 20 février, en instituant des plans de gestion de ces espèces. Ces derniers, en se fondant sur des données scientifiques et techniques fiables, autoriseraient une exploitation dynamique - j'insiste sur ce mot - des populations d'oiseaux concernées.
A ce titre, il faut d'ailleurs noter que la proposition de la commission des affaires économiques s'inspire très directement de l'amendement proposé par la commission de l'agriculture du Parlement européen en mars 1996 et qu'elle pourrait être reprise à son compte par la Commission européenne.
En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais insister sur notre volonté de proposer un dispositif permettant de concilier, d'une part, les obligations de la France découlant du respect de la directive du 2 avril 1979 sur la protection des oiseaux sauvages et, d'autre part, le respect du principe de subsidiarité s'agissant de la mise en oeuvre de cette directive. Nous pourrons ainsi, en accord avec les objectifs européens, prendre en compte les spécificités de l'exercice du droit de chasse sur le territoire national, qui est - je le rappelle - un héritage de la Révolution française et auquel tous les chasseurs de notre pays sont très attachés. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule à mon intervention, je souhaiterais présenter mes remerciements à tous ceux qui ont oeuvré pour que ce texte soit discuté en séance publique devant la Haute Assemblée.
Ma gratitude ira, tout d'abord, aux membres du groupe « Chasse et pêche » du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, car ils ont travaillé activement à l'élaboration d'un texte d'ensemble sur la chasse aux oiseaux migrateurs.
Je dois préciser que notre texte a fait l'objet, au sein de ce groupe, du plus large consensus, à la recherche duquel les apports de notre collègue Michel Charasse, pour ne citer que lui, ont été particulièrement utiles.
Mes remerciements iront, ensuite, au président Henri de Raincourt, dont l'intervention décisive a permis l'inscription à l'ordre du jour des trois propositions de loi qui nous sont soumises en discussion commune.
Ils iront, enfin, à la commission des affaires économiques et du Plan, à son président, Jean François-Poncet, et à son rapporteur, Anne Heinis. Le rapport qu'ils ont établi et les modifications qu'ils ont adoptées sur le texte initial de la proposition de loi constituent un ensemble remarquable, tant par sa précision que par son objectivité et sa modération. Je lis dans l'unanimité qui a conclu les travaux de leur commission le présage que ce texte recueillera le plus large consensus au Palais du Luxembourg comme au Palais-Bourbon.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur le dispositif tel qu'il ressort des travaux de la commission saisie au fond. Les explications que vient de présenter à la tribune notre éminente collègue Anne Heinis et les développements contenus dans son remarquable rapport écrit ont, si je puis dire, assez largement épuisé le sujet. Je souhaiterais toutefois apporter quelques appréciations d'ensemble sur l'évolution du droit de la chasse en France depuis un certain nombre d'années.
Nous allons aujourd'hui, mes chers collègues, parachever une évolution de long terme, à savoir le passage de la chasse-cueillette à la chasse-gestion. Après les plans de chasse au grand gibier, après les groupements d'intérêt cynégétique et les plans de chasse départementaux du petit gibier, nous allons voter le principe de plans de gestion de certaines espèces d'oiseaux dont l'état de conservation ne serait pas favorable.
Il s'agit là d'une évolution tout à fait remarquable, souvent mal connue de nos compatriotes, qui parachève les actions de gestion des espèces et des espaces conduites sur leurs territoires par les détenteurs de droits de chasse.
Ma deuxième remarque sera brève et portera sur l'articulation entre le droit interne, d'une part, et le droit communautaire et international, d'autre part. Elle sera d'une tonalité moins optimiste.
Sur les vingt dernières années, je constate en effet que le droit externe, si je puis employer ce terme, a été plus une source de perturbation qu'un facteur d'enrichissement. Les gouvernements successifs ont toujours abdiqué, je dois le reconnaître - même si le terme est un peu fort - devant les autorités communautaires.
Ils ont accepté successivement des textes illégaux par manque de fondement juridique - je pense à la directive de 1979 - des textes qui ne pouvaient être pris qu'à l'unanimité et auquel le ministre de l'époque était officiellement défavorable - je songe au règlement sur les pièges à mâchoires - puis des textes qui étaient en contradiction manifeste avec le principe de subsidiarité qui nous est particulièrement cher. La liste est malheureusement longue, et les rapports successifs de nos collègues Hubert d'Andigné, Philippe François et Jean-François Le Grand sont là pour nous le rappeler.
Alors que l'Europe devrait, à mon sens, parachever les réglementations nationales en les inscrivant harmonieusement dans l'espace communautaire, elle semble s'efforcer, au contraire, de les affaiblir et de les uniformiser. Cette situation n'est pas convenable, c'est le moins que l'on puisse dire.
M. Philippe François. Elle n'est pas acceptable !
M. Roland du Luart. Ma troisième remarque portera sur le principe de la fixation par la loi de l'échelonnement des dates de clôture. D'une part, il faut rappeler que ce principe a été reconnu comme pertinent par toutes les autorités scientifiques compétentes. D'autre part, et en démentant ainsi les critiques apportées à la loi de 1994, sa fixation par la loi et non par un texte réglementaire a constitué un système souple et efficace.
C'est ainsi que ma proposition de loi, se fondant sur les observations ornithologiques les plus récentes, tend à apporter quelques modifications à la loi de 1994 pour plusieurs espèces : certaines d'entre elles verront leur période de chasse allongée, tandis que d'autres verront raccourcir leur période de chasse autorisée après le 31 janvier. Bref, cet échelonnement constitue, à mes yeux, le moyen le plus efficace pour assurer une exploitation équilibrée des espèces.
Les plans de gestion, dont je voudrais dire maintenant quelques mots, viendront compléter ce dispositif. Lorsqu'ils s'avéreront nécessaires pour rétablir les effectifs de certaines espèces, ils devront faire l'objet d'une élaboration fondée sur la concertation et le pragmatisme.
La concertation implique que les associations de chasseurs - je pense notamment à l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, qui accomplit un travail scientifique remarquable - aient voix au chapitre.
Le pragmatisme commande de ne pas concevoir des plans uniformes, département par département, mais au contraire de mettre au point des outils de gestion performants et adaptables. Ils devront donc tenir compte des dates de trajet de retour et de l'état des populations pour contrôler la validité scientifique de l'échelonnement des dates de fermeture.
Compte tenu du manque de recul et du caractère nécessairement expérimental de ces plans, il convient donc de ne pas les surcharger dès à présent de dispositions trop pointillistes. Soyons modestes et patients, car c'est le meilleur moyen d'être efficace à long terme.
Bien entendu, nous pourrons progresser avec le temps et l'expérience accumulée. C'est dans cet esprit que j'ai déposé l'amendement n° 1 rectifié, que j'aurai ainsi défendu par anticipation.
Je suis persuadé - disant cela je me fais l'écho de l'ensemble du groupe « Chasse et pêche » du Sénat, qui regroupe les sensibilités les plus diverses - que le texte que nous allons voter aujourd'hui est un texte qui consacre une chasse moderne, une chasse fondée sur les meilleures connaissances scientifiques, soucieuse de préserver et de reconstituer les habitats, orientée ves la gestion raisonnée et dynamique des espèces.
Mais cette avancée juridique doit s'accompagner d'une révision de la directive de 1979.
Cette directive - nous devons en être conscients - n'est pas un texte rationnel fondé sur l'objectif de préservation des espèces. C'est un texte politique orienté vers la suppression progressive de la chasse et inspiré par des idéologues. C'est la raison essentielle pour laquelle sa modification se révèle si difficile : les intégristes de l'écologie craignent, en effet, le débat scientifique et se réjouissent de l'existence d'un texte obscur, vague et contradictoire qui permet toutes les exégèses.
M. Philippe François. Très bien !
M. Roland du Luart. L'Office national de la chasse, l'Union nationale des fédérations de chasseurs et l'Association des chasseurs de gibier d'eau ont avancé des propositions de modification que je juge excellentes.
La directive doit comporter un mécanisme fixant l'échelonnement des périodes d'ouverture de la chasse pour chaque pays, adapté aux particularismes locaux. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons tous, au Sénat, qu'un dialogue fructueux soit établi avec la Commission de Bruxelles.
La gestion des prélèvements apparaîtra comme le seul critère adapté à cette obligation. Conjuguée à des dates de fermeture de la chasse définies par pays et adaptées aux exigences des oiseaux, la fixation d'un « potentiel gibier », par référence aux tendances d'évolution et à la composition qualitative de chaque population d'oiseaux, est en effet le seul mécanisme adapté à une gestion véritablement rationnelle des oiseaux migrateurs.
Voilà, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais développer à cette tribune. En complimentant de nouveau la commission pour l'excellence de ses travaux, je forme le voeu que ses conclusions puissent être adoptées à l'unanimité. Seule l'unanimité du Sénat, j'insiste sur ce point, garantira l'avenir de ce texte.
M. Philippe François. Absolument !
M. Roland du Luart. Certains amendements, qui s'écartent de son objectif initial, mériteraient d'être analysés plus en détail. Je peux prendre l'engagement solennel, à cette tribune, que le groupe « Chasse et pêche », en harmonie, bien sûr, avec la commission, les étudiera avec minutie, dans le souci permanent qui est le sien de dégager un consensus entre tous, amoureux de la nature et amoureux de la chasse. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu'arrive-t-il pour que le Sénat débatte, ce soir, de questions aussi importantes ?
M. Philippe François. Pour vous ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Pour nous, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
J'ai le souvenir d'un débat, en 1994, où je m'étais ému en m'apercevant que les intentions qui animaient les promoteurs d'une loi risquaient de se retourner contre eux. Je leur avais dit alors : « Attention, le remède peut être pire que le mal, surtout si, concomitamment, la modification souhaitée de la directive "oiseaux" n'intervient pas ».
Force est de constater, madame la ministre, mes chers collègues, que les craintes que j'exprimais à l'époque se sont révélées exactes. Qu'est-il arrivé en effet ? Nous n'avons cessé d'aller d'arrêté cassé en arrêté cassé, de frustration en frustration, de dépit en dépit et, jour après jour, se sont amplifiées, dans nos régions, la grogne, l'incompréhension et les manifestations de mécontentement légitime des chasseurs.
Car enfin, madame la ministre, mes chers collègues, comment pourrait-on dire sans s'émouvoir à ces femmes et à ces hommes qui peuplent nos campagnes : « Vous n'êtes plus nombreux, vous ne représentez que 10 % de la population, vous n'avez plus voix au chapitre. Vous êtes bons, mesdames et messieurs, à cultiver les champs, à entretenir vos campagnes. Les traditions, les possibilités de distraction, ce qui vous permettait d'avoir une qualité de vie, c'est terminé ! C'est nous, les citadins, nous qui avons quitté nos campagnes, qui allons décider pour vous, qui allons réguler les espèces, qui allons vous dicter vos comportements, qui allons vous expliquer comment vous devez vous conduire, quand vous devez chasser, ce que vous devez chasser et en quelle quantité, tout cela sans vous y associer ! » ?
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. C'est inacceptable ; il faut que l'on rompe avec cette méthode et, sans faire de démagogie, que tous les intéressés se mettent autour d'une table pour trouver les solutions adaptées à cette légitime préoccupation.
M. Roland du Luart. Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère. Qu'on me pardonne de m'enflammer ainsi, mais je suis passionné à la fois par la vie rurale, le monde rural, et par la chasse et la pêche.
J'ai enseigné l'instruction civique à plusieurs générations d'enfants. Je leur ai appris à se comporter avec respect envers l'environnement, envers la nature. Aussi, je ne souris pas lorsqu'on ne me reconnaît pas le droit, ainsi qu'à bien des femmes et des hommes de ma trempe qui vivent dans ces régions-là, d'affirmer que je respecte la nature, au prétexte que nous pratiquerions - quel délit ! - qui la chasse, qui la pêche, fût-elle à la mouche, que beaucoup d'entre ceux qui voudraient nous l'interdire ne connaissent absolument pas parce qu'ils n'ont jamais su faire la différence entre une poule et un coq, entre un coq de trois ans et un coq moins âgé, parce qu'ils ne reconnaissent pas une plume qui se tient à la surface de l'eau et qui permet de construire une mouche efficace...
M. Philippe François. Exactement !
M. Jean-Louis Carrère. J'arrête là ma démonstration !
M. Philippe Madrelle, président du conseil général de la Gironde, et M. Bernard Dussaut, sénateur de ce même département, profondément inquiets au regard de ce qui se passe en ce moment en Aquitaine à ce sujet et qui n'ont pu être des nôtres cet après-midi, se joignent à moi pour exprimer, par ma voix, la colère des Girondins et la frustration qu'ils nourrissent compte tenu des préoccupations qui sont les leurs.
En quelques mots, madame la ministre, je veux vous dire avec beaucoup de solennité ce que je demande au gouvernement que je soutiens.
Je lui demande quelle est sa stratégie, quel est son choix. En clair, je lui demande trois choses qui, pour les hommes et les femmes qui peuplent les campagnes de l'Aquitaine, sont très importantes.
D'abord, je lui demande de prendre l'engagement d'oeuvrer à la modification de la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages. Sans cette modification, madame la ministre, quelles que soient les bonnes intentions, et le texte proposé par M. du Luart, et le texte proposé par M. Charasse, et le texte proposé par mon ami M. Lefebvre, que je défendrai, resteront sans effet.
Je demande, ensuite, au Gouvernement de défendre la loi Verdeille.
Madame la ministre, j'habite dans les Landes, département rural qui compte 310 000 habitants. Dans ce département, toutes les communes connaissent une association communale de chasse agréée, une ACCA, et j'ai la ferme volonté de vous démontrer, à cette tribune, que je défends la pratique de la chasse populaire, une pratique de la chasse responsable.
Sans ACCA - je pèse mes mots - il n'y aurait plus de chasse dans ce département peu peuplé et immense. On voit déjà fleurir, sur des aires très importantes de son territoire, des chasses qui ne correspondent pas du tout à la loi Verdeille, qui ne correspondent pas du tout à l'établissement des ACCA, qui ne correspondent pas du tout à nos habitudes et aux chasses populaires.
En quelque sorte, je demande que la loi Verdeille soit, pour le Gouvernement, une loi d'airain, et que tout soit fait pour la défendre, sans méconnaître les difficultés juridiques et d'ordre pratique auxquelles nous serons confrontés.
S'agissant d'une chasse très spécifique et très particulière dont je n'aime pas beaucoup parler parce que je considère que moins on en parle, mieux on se porte, je veux être très clair.
L'occasion m'est en effet donnée ici, ce soir, de parler - mes amis landais ne comprendraient pas que je ne le fasse pas - de la chasse au bruant ortolan.
Je ne ferai pas une longue digression sur ce sujet - encore que cela pourrait présenter un certain intérêt d'expliquer comment elle se pratique, quelles sont ses origines et ce à quoi elle peut concourir.
Cela pourrait également permettre à des scientifiques de se rendre compte que, lorsqu'on veut procéder à des comptages, il vaut mieux essayer de le faire de nuit - encore que ce soit très difficile et que l'on n'y soit pas bien parvenu - que, lorsqu'on recherche des zones de nidification, il ne faut pas exclure certains zonages pour arriver à démontrer qu'une population d'oiseaux serait, par exemple, en voie non pas d'extinction mais de diminution.
Il serait également intéressant de connaître la durée de vie moyenne du bruant afin de ne pas se tromper en disant qu'un oiseau de trois ans est un oiseau jeune. Non, à cet âge, il est presque au terme de sa vie puisque, si mon enseignement a été bon, la moyenne de vie de l'espèce n'est pas beaucoup plus longue.
Soucieux de ne pas m'étendre sur cette chasse au bruant, je dirai simplement, madame la ministre, que, depuis longtemps, nous demandons un moratoire - le temps nécessaire, pas trop long pour qu'il soit crédible - avec des commissions d'experts indiscutables, pour, ainsi que nous l'avons toujours dit, pouvoir nous conformer, après que nous aurons pris connaissance du rapport, en cas de diminution de l'espèce, à une limitation des prélèvements, en cas de mise en danger, à un arrêt de ces prélèvements et, en cas de stagnation ou d'accroissement de la population, à une légalisation de cette pratique qui pose de nombreux problèmes... dont je ne veux pas abreuver le Sénat.
Madame la ministre, mes chers collègues, tout cela constitue - je le dis pour que ce soit bien clair - ce que j'appellerai une stratégie diplomatiquement correcte, non pas de contournement, mais qui part de la réalité des choses, qui va jusqu'à une modification de la directive et qui propose une législation adaptée pour rompre avec cet environnement cahotique qu'est la législation sur la chasse.
Mais je veux dire très solennellement aussi que, si nous y étions contraints, nous n'hésiterions pas à contester la légalité même de la directive. Telle n'est pas notre intention première, mais sachez que, si nous n'étions pas entendus, ce serait notre stratégie ultime.
M. Philippe François. On la suivrait !
M. Jean-Louis Carrère. Que dire des propositions de loi, que ce soit celle de M. du Luart ou celle de M. Charasse, qui sont parvenus à une harmonie ?
Je comprends leurs objectifs. Elles procèdent d'une bonne intention et d'un bon sentiment. C'est pour corriger les insuffisances de la loi Lang que nos collègues nous proposent un cadre général relatif aux ouvertures et aux fermetures qui devrait permettre aux chasseurs de savoir en quelque sorte à quelle date ils peuvent commencer à chasser et à quelle date ils doivent cesser.
Tout aussi intéressante est l'idée des plans de gestion. Objectivement, j'y souscris. Mais, dans le même temps, je pense à cette image qu'utilisait un vieil ami de Gironde.
Cet ami me disait : « Ecoute-moi, mon garçon : imagine un seul instant que tu construises une maison et que tu fasses appel pour cela à un architecte » - n'ayez crainte, je n'en veux pas à la profession d'architecte, bien au contraire. « Un an après, ta maison s'effondre. Feras-tu appel au même architecte pour la reconstruire ? »
Je crains que la démarche très respectable qui vous conduit, après la loi Lang, à déposer une proposition de loi un peu de la même veine ne nous conduise de la même manière dans le mur. C'est la crainte que j'évoque devant vous, même si je n'ai pas l'intention de m'opposer à ce que vous qualifiez d'« avancée. »
M. Roland du Luart. Vous dialoguez avec la commission ?
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
Il me semble, moi, Aquitain, que la proposition de loi initiée par nombre de chasseurs membres ou sympathisants d'une association que je n'ai jamais entendu citer, et je le regrette, à savoir l'Union nationale de défense des chasses traditionnelles, et présentée par mes amis du groupe communiste républicain et citoyen correspond beaucoup mieux à la défense des chasses traditionnelles en général et à leur défense en Aquitaine en particulier. C'est, vous le comprendrez, quelque chose à quoi je suis et je reste très attaché.
C'est la raison pour laquelle, si j'en avais la possibilité, je vous dirais madame le rapporteur, mes chers collègues : « Vous choisissez cette stratégie, très bien ! Je l'accepte avec vous. Mais alors, pourquoi ne pas discuter de la proposition de loi n° 135 plutôt que des deux autres ? » Je ne rejette pas ces dernières, mais elles sont loin d'être complètes et de nature à résoudre une partie des problèmes qui se posent.
De surcroît, cette proposition de loi n° 135 règle des problèmes qui sont très importants pour la région Aquitaine et pour le département des Landes. Je sais que vous avez travaillé avec les chasseurs de gibier d'eau : elle règle, par exemple, le problème de la chasse de nuit, qui n'est pas résolu dans la proposition que vous avez faite vôtre. Je ne vais pas entrer plus dans le détail, car je ne veux pas allonger ce débat qui, pourtant, me passionne.
De même, l'idée de comités locaux, placés, bien sûr, sous la tutelle de scientifiques, réunissant chasseurs et non-chasseurs, qui fixeraient les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse, me paraît intéressante.
Mme Heinis, tout à l'heure, a évoqué des phénomènes migratoires. Vous le savez tous, vous qui êtes des hommes et des femmes de la nature, ces phénomènes migratoires sont étroitement liés à la climatologie et à la reproduction des espèces. C'est-à-dire que des dates fixées une fois pour toutes pour la France entière n'auraient guère de signification aux niveaux locaux.
Je souris lorsque j'entends dire qu'on va autoriser la chasse à la palombe de telle date à telle date. A Paris, on ne l'appelle pas la palombe ; pourtant, il y en a partout. Les Parisiens ne savent pas ce que c'est. Il y en a dans le jardin du Luxembourg ! Il s'agit du pigeon ramier, ce bel oiseau qui a des bandes blanches et qui, quand il vieillit un peu, a un collier magnifique autour du cou. Il a une apparence beaucoup plus belle que le pigeon ordinaire.
Je pourrai donc chasser la palombe dans les Landes à partir de l'ouverture de la chasse. Mais, mesdames, messieurs, il n'est jamais passé une palombe dans les Landes, ni d'ailleurs sur l'Aquitaine, avant... soyons honnêtes... la première décade d'octobre. On peut donc donner une autorisation de chasser. Mais à quoi cela sert-il ?
On nous dit aussi que nous pourrions chasser la bécasse - scolopax rusticola -, celle qui a un grand bec et une plume de peintre et qui se laisse difficilement attraper. ( Sourires. ) Certes, on peut chasser la bécasse ! Mais depuis trente-cinq ans que je m'intéresse à ces gibiers, j'ai peut-être assisté à un ou deux envols de bécasses dans nos régions avant le mois de novembre !
M. Philippe François. Exactement ! Comme partout ailleurs !
M. Jean-Louis Carrère. Il faut donc se méfier de ces espèces d'offres un peu candides qui ne riment à rien et qui ne résolvent aucun problème.
En résumé, madame la ministre, mes chers collègues, outre les trois demandes que j'ai présentées avec beaucoup de solennité et de gravité au Gouvernement, je voudrais insister sur le fait que, si vous acceptez d'examiner la proposition de loi n° 135 signée par mon ami Pierre Lefebvre et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, je participerai au débat. Dans le cas contraire, et bien que je reconnaisse objectivement les bonnes intentions qui sous-tendent les conclusions de la commission, le groupe socialiste serait conduit non pas à s'opposer au texte, mais à s'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il existe actuellement un profond mécontentement parmi les chasseurs, que l'on aurait tort de sous-estimer. La manifestation nationale du 14 février prochain, à Paris, par son importance attendue et par son organisation, sera un indicateur de la grogne qui monte au sein de la population des chasseurs, grogne qui n'est d'ailleurs pas nouvelle mais qui s'exprime depuis plusieurs années.
Le problème qui nous est posé est d'ordre juridique ; mais, au-delà de cet aspect, c'est bien l'avenir de la chasse française et la pérennité de ses traditions, y compris régionales, qui doivent nous préoccuper.
La non-conformité de notre droit avec les objectifs d'une directive européenne pose la question du partage des responsabilités entre l'échelon national et l'échelon communautaire, de l'autre.
Malgré l'existence du principe de subsidiarité, force est de constater que cette directive de 1979, qui concerne la conservation des oiseaux sauvages, sert de référence aux attaques contre le droit de la France à décider elle-même des conditions de la politique de la chasse aux oiseaux migrateurs.
De surcroît, la légalité de cette directive reste tout à fait à démontrer, dans la mesure où l'environnement, à cette époque, ne relevait, au moment de sa signature, ni de la politique communautaire ni du traité de Rome. Nous n'échapperons donc pas, tôt ou tard, à une nécessaire modification de cette directive, ce sur quoi je demande au gouvernement que je soutiens de s'engager, quel que soit, par ailleurs, le texte définitif qui sera adopté par notre assemblée.
Fondamentalement, est-il acceptable que la Commission européenne, au mépris de nos coutumes, de nos traditions, du droit français, dont nous sommes les garants, soit en mesure d'imposer un modèle de chasse uniforme dépourvu de toute référence à notre identité nationale ? Non, ce n'est pas acceptable !
Certes, nous devons adapter notre règlement aux objectifs européens dans la concertation, puisque les oiseaux migrateurs n'appartiennent à personne ; mais il nous faut le faire de façon intelligente, démocratique et transparente. Le respect de la diversité de nos pratiques de chasse constitue une condition et non un obstacle à la nécessaire protection des oiseaux migrateurs.
C'est la raison pour laquelle notre proposition de loi a été élaborée en concertation avec les associations de chasseurs, dans le souci d'actualiser, de moderniser et de simplifier le code rural. Nous souhaiterions promouvoir une chasse tout à la fois traditionnelle, gestionnaire, raisonnable et transparente.
Le texte proposé par le groupe communiste républicain et citoyen présente aussi, me semble-t-il, une vertu pédagogique. Des mesures exclusivement restrictives infantilisent le chasseur au lieu de le responsabiliser. Nous pensons que celui-ci doit être partie prenante pour l'élaboration des règles de chasse. Une règle imposée et incomprise ne peut susciter que la méfiance et l'indiscipline. Pour qu'elle soit respectée, une concertation préalable, démocratique et contradictoire, est nécessaire. En somme, nous militons pour un chasseur citoyen au lieu d'un chasseur coupable et injustement montré du doigt.
La défense de notre proposition de loi ne m'amène pas pour autant à jeter le discrédit sur les deux autres propositions de loi, de nos collègues MM. Charasse et du Luart.
Les uns et les autres, nous sommes d'accord sur le calendrier des ouvertures anticipées de la chasse. Certes, pour ce qui nous concerne, nous avions fait une exception pour le Calvados, mais nous n'avions fait, en cela, que reprendre, pour la respecter, une dérogation qui avait été accordée à ce département par Mme Lepage, ministre de l'environnement du précédent gouvernement, et par l'Office national de la chasse.
On entend dire ici ou là qu'il n'est pas raisonnable de fixer par voie législative un calendrier aussi précis des dates d'ouverture et de fermeture. Certes, les conditions climatiques, météorologiques, ont une influence sur les conditions des migrations. Mais les données scientifiques en notre possession nous confirment que leurs périodes sont toujours sensiblement identiques. Les dates que nous proposons d'adopter par voie législative visent donc à rationaliser la chasse, à préserver des espèces, étant précisé que, comme aujourd'hui, les préfets peuvent modifier ces dates si la nécessité s'en fait sentir.
En outre, nous proposerons des amendements sur des points que nous paraissent essentiels.
Madame la ministre, la position de notre groupe se veut ouverte et constructive. Nous ne faisons pas le choix de tel camp contre tel autre. Je ne suis d'ailleurs pas du tout convaincu que l'opposition entre chasseurs et défenseurs de la nature soit fatale, bien au contraire. Les chasseurs ont tout intérêt à ce que la nature soit sauvegardée et la population d'oiseaux sauvages protégée ; ils y contribuent d'ailleurs par leurs prélèvements et en entretenant des habitats naturels.
Nous voudrions contribuer à ouvrir un espace de dialogue et de concertation entre les différentes parties concernées pour que soient sauvegardées et la pratique de la chasse traditionnelle et la préservation des espèces.
La chasse n'est donc pas, comme on tente de la caricaturer, une activité sportive où le chasseur réalise un score qu'il tentera de battre à la prochaine expédition. Il s'agit véritablement d'une pratique culturelle, sociale et écologique. J'oserai dire, au risque de choquer certaines susceptibilités, que la chasse est un art, une passion, qui se pratique avec honneur, droiture et une certaine noblesse d'esprit.
M. Philippe François. Exactement !
M. Pierre Lefebvre. Que l'homme participe au mouvement perpétuel de création - destruction de la nature n'est-il pas essentiel à sa propre survie ? Isolé de ce mouvement cyclique, l'homme devient un être abstrait. Les chasseurs contribuent ainsi à perpétuer ce rapport particulier et primordial.
Ils contribuent aussi, selon moi, à entretenir ces traditions qui imprègnent notre sol natal et l'histoire de nos ancêtres. Si le législateur n'intervient pas en faveur d'une chasse rationnelle et transparente, il risque de se développer des chasses privées, réservées à quelques fortunés, parallèlement à une montée des pratiques illégales.
Que des exactions existent ici ou là, nul ne le nie, mais elles demeurent individuelles et très minoritaires. Les principales victimes en sont d'ailleurs les chasseurs eux-mêmes.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas ne pas entendre cet appel à la responsabilisation et la réglementation lancé par les associations de chasseurs. Nous vous invitons à saisir cette opportunité.
Certes, par notre proposition de loi, nous ne prétendons pas apporter la solution miracle, mais elle peut constituer une base sur laquelle des orientations et des méthodes nouvelles pourront être explorées.
Il est nécessaire, madame la ministre, de dépasser les divergences stériles d'hier. Vous avez déclaré cette semaine, dans une interview à un grand journal national, que toute aventure collective supposait le débat. C'est bien ce à quoi nous vous invitons pour ce qui nous préoccupe en cet instant.
L'opposition n'est plus entre tradition et modernité, entre pratique culturelle et protection de la nature, elle serait plutôt entre diversité et uniformité, entre respect des principes républicains, démocratiques, et retour au féodalisme.
La chasse est un droit acquis de la Révolution française. C'est à l'Etat français qu'il revient d'en garantir l'exercice dans les principes de liberté et d'égalité.
Telle est la philosophie de notre proposition qui doit vous aider, madame la ministre, ainsi que le Gouvernement, à défendre à Bruxelles, dans ce domaine, l'identité française.
Cette proposition répond bien à l'attente de tous les chasseurs, qui ne veulent pas d'une loi Lang dont ils ont déjà fait l'expérience, sans résultat positif, puisqu'aujourd'hui des chasseurs et des associations de chasse sont traduits en justice.
En outre, notre proposition prend en considération la diversité des situations des différentes chasses et des différentes régions, avec chacune leur tradition, ce qui en fait son intérêt et sa force.
Enfin, notre proposition permet à la France d'engager tout de suite la négociation avec l'Europe et de faire respecter la volonté et l'originalité françaises.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter la proposition n° 135 que vous propose le groupe communiste républicain et citoyen. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, messieurs les sénateurs, madame, c'est un texte délicat que nous examinons aujourd'hui.
Depuis qu'elle n'est plus motivée par des besoins alimentaires, la chasse est devenue pour beaucoup une passion et donc l'objet de contestations.
Déjà dans la Grèce antique, Solon, un homme d'Etat athénien, avait cru bon d'interdire la chasse parce qu'elle détournait des activités utiles à la cité.
Plus près de nous, en France, les possédants s'en arrogèrent le privilège avec quelquefois des arguments similaires à ceux qui avaient été avancés par Solon. Ainsi, l'ordonnance de 1515 signée par François Ier réserve la chasse aux nobles et bourgeois vivant de leurs rentes ou héritages. En effet, en chassant, ne perd-on pas un temps précieux qui pourrait être utilement employé aux travaux des champs ? Henri IV et Louis XIV renforcèrent ce privilège qui fut heureusement aboli le 4 août 1789. La chasse pour tous, en tout temps et partout devenait possible.
Mais les privilèges abolis, tous les excès furent permis. C'est pourquoi, dès avril 1790, l'Assemblée nationale décidait de poser des limites à la liberté illimitée du droit de chasse. Les quatre grands principes fondateurs des différentes législations qui encadrent l'exercice de la chasse datent de cette époque.
Il s'agit de la défense de chasser sur le terrain d'autrui sans son consentement, de la sécurité publique, de la protection des récoltes et de la conservation du gibier. La loi du 3 mai 1844 relative à la police de la chasse formalisera ces principes visant à promouvoir une chasse acceptable pour tous, en demandant notamment aux préfets de fixer des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse qui doivent varier, ce que soulignent des commentateurs de l'époque, en fonction du climat, de la configuration du sol, du mode de culture adopté dans chaque département et de la conservation du gibier. Notre débat d'aujourd'hui n'est donc pas vraiment nouveau, puisqu'il dure depuis 150 ans !
Comme l'écrivaient, en 1851, le député Gillon et l'avocat de Villepin : « La chasse doit cesser d'être un objet d'amusement dès lors qu'elle peut porter quelque préjudice à un tiers, la raison seule, autant que l'équité, devrait donc alors en interdire l'usage ; mais, comme la raison ne produit pas toujours son effet sur ceux que la passion de la chasse domine, il a fallu que l'autorité des lois y suppléât. » Vous apprécierez ces propos.
Depuis cette époque, il est communément admis, pour le gibier sédentaire, que l'on ne chasse pas des oiseaux en période de reproduction et que l'on doive tenir compte de facteurs locaux pour asseoir les périodes de chasse. Il en va curieusement autrement pour les oiseaux migrateurs. La loi de juillet 1994 comme vos propositions de loi et les conclusions du rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan tendent à démontrer que les oiseaux ne seraient pas soumis aux mêmes contraintes selon qu'ils seraient sédentaires ou migrateurs. Cela ne laisse pas d'étonner lorsque la passion pour la chasse ne vous anime pas.
Alors qu'il est nécessaire, si l'on souhaite assurer une chasse durable, de ne pas chasser des oiseaux en période de reproduction, ce principe admis pour le gibier sédentaire ne s'appliquerait pas aux oiseaux migrateurs. La loi du 15 juillet 1994, en ce qu'elle permet des dates de clôture trop tardives, autorise le tir d'oiseaux venant se reproduire. C'est là une aberration si l'on raisonne en termes de gestion de populations. Il est en effet justifié de prélever sur des migrateurs qui regagnent leurs secteurs d'hivernage, car l'on sait qu'une part de ces oiseaux est vouée à disparaître avant la fin de la migration de retour. Le prélèvement s'effectue donc statistiquement sur une partie d'une population ne jouant pas de rôle dans le maintien des effectifs de l'espèce. En revanche, prélever sur des reproducteurs qui viennent assurer la survie de l'espèce, c'est en rester au stade de la cueillette alors qu'une bonne gestion du gibier voudrait que l'on ne prélève pas sur le capital. Certains chasseurs le reconnaissent depuis longtemps.
Les propositions de dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau préconisées dans les propositions de loi participent de la même logique de cueillette. Comme le montrent les travaux des biologistes, la reproduction n'est pas achevée à ces dates pour de nombreuses espèces lorsque la chasse est ouverte. Les chasseurs de gibier d'eau migrateur ne devraient-ils pas demander eux-mêmes, comme les chasseurs d'oiseaux sédentaires, qu'il n'y ait pas d'ouverture avant la fin de la période de reproduction. Que je sache, on ne chasse pas les perdrix, le coq de bruyère, le faisan ou le merle au mois de juin !
Souhaiter fixer des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse par voie législative va à l'encontre de toute gestion raisonnable des réalités de terrain. L'étude des migrations montre que de multiples facteurs interviennent à toutes les étapes du cycle biologique des oiseaux migrateurs.
Les conditions climatiques lors de la période d'hivernage, les modalités de migrations en fonction des conditions météorologiques du moment, la réussite de la reproduction sont autant d'éléments qui influent sur la dynamique des populations et qui peuvent changer d'une année sur l'autre. Vouloir fixer par la loi les périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse dans chaque département, c'est s'interdire toute possibilité d'adaptation en fonction des réalités de terrain.
Ce qui est vrai localement l'est a fortiori à l'échelon de l'Europe. On a trop tendance à oublier que les oiseaux migrateurs, à la différence des oiseaux sédentaires, ne font que passer sur notre territoire. Ils n'appartiennent pas plus aux Etats africains, où ils hivernent, qu'à la France, où certains ne font que passer, qu'aux pays du nord de l'Europe, où ils se reproduisent. Il s'agit d'un patrimoine commun, qu'il convient de gérer comme tel. C'est une idée que nous devons avoir à l'esprit quand nous invoquons le principe de subsidiarité, comme Mme le rapporteur nous y a invités.
Nous nous trompons de terrain. Nous nous trompons aussi d'époque.
Au moment où l'opinion publique s'interroge sur la légitimité de l'Etat à légiférer sur tout, il semble pour le moins déplacé de vouloir établir un carcan là où il faudrait de la souplesse. Trouveriez-vous normal que le législateur veuille fixer, de manière arbitraire et pour des années, les dates de début et de fin de la récolte du foin, des moissons, ou du ramassage des fruits, sans tenir compte des conditions climatiques, qui sont susceptibles de varier d'une année sur l'autre ?
Ce débat était déjà d'actualité lors de l'adoption de la loi de 1844. Le législateur s'était alors préoccupé, en confiant aux préfets le soin de fixer les dates d'ouverture et de clôture, de tenir compte des réalités de terrain. On était alors parfaitement conscient que la fixation uniforme de dates d'ouverture et de clôture « léserait une foule d'intérêts » et qu'il convenait donc de savoir s'adapter aux circonstances. Il était alors même question de proposer des dates différentes par arrondissement, voire par commune !
Sans aller jusque-là, une solution équilibrée voudrait que soit fixée au niveau national, par le ministre en charge de la chasse, une fourchette tenant compte des dates extrêmes de migration et de reproduction, fourchette qui serait susceptible d'être modifiée en fonction des paramètres influant sur les migrateurs. Les préfets, tenant compte de cette fourchette, pourraient alors définir la période de chasse locale au vu des conditions particulières des départements et des régions.
Certaines fédérations départementales de chasseurs, qui avaient demandé le recul de l'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau pour tenir compte des conditions de reproduction de certaines espèces, ont été fort marries des modalités de fixation des dates d'ouverture anticipée arrêtées par mon prédécesseur. Ayant demandé une ouverture au 31 août ou au 15 septembre, ces fédérations ont eu la surprise de voir qu'une décision nationale avait autorisé la chasse à des dates beaucoup plus précoces... et qu'elles récusaient.
C'est le cas par exemple dans le département de l'Ain, dont le préfet m'a fait savoir dès le mois de juin 1997 que la date du 31 août ne convenait pas du tout à la fédération départementale des chasseurs, qui souhaitait une ouverture plus tardive parce qu'elle avait constaté une régression des effectifs de canards nicheurs dans les Dombes.
Cela m'amène à m'interroger sur les motivations réelles de cette demande de centralisme. La lecture de l'exposé des motifs des différentes propositions de loi, tout comme le rapport de la commission des affaires économiques et du Plan, montre que ces propositions visent beaucoup plus à régler un contentieux juridique avec certains tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat qu'à asseoir des pratiques de chasse durables.
Ce contentieux tire son origine de l'application de la directive « oiseaux », adoptée en 1979, grâce, notamment, à l'action forte de la France et à l'engagement du ministre de l'environnement d'alors, Michel d'Ornano, que chacun a connu ici comme l'un de ces « intégristes de l'écologie » que M. du Luart a cru pouvoir reconnaître dans les amoureux de la nature que nous sommes tous ici.
M. Roland du Luart. Pas d'amalgame !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Cette directive, qui admet parfaitement que des espèces d'oiseaux puissent être chassées, stipule que l'on ne peut chasser les oiseaux en période de reproduction et lors de leur trajet de retour vers les lieux de nidification pour les migrateurs. Elle ne fait donc que transcrire un principe de bon sens qui devrait animer tous les promoteurs d'une chasse durable. Ce principe n'est d'ailleurs qu'une formulation anticipée du principe de précaution mis en exergue lors du sommet de Rio en 1992 et traduit par la loi Barnier.
Pour des raisons qui me sont peu compréhensibles, les chasseurs de gibier migrateur se sont refusés à mettre en oeuvre ce principe, qui est pourtant communément admis pour le gibier sédentaire. Faut-il y voir une certaine insouciance vis-à-vis d'oiseaux n'appartenant en définitive à personne alors que le gibier sédentaire est plus attaché à un territoire particulier ? Je ne peux l'affirmer.
La fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs a entraîné de nombreux contentieux, vous le savez. Ils sont dus à des associations de protection de la nature qui ne sont pas, dans leur grande majorité, malgré ce qu'on en dit parfois, hostiles par principe à la chasse. Elles souhaitent simplement que les pratiques cynégétiques soient des pratiques gestionnaires et tiennent compte de la faune qui n'est paschassée.
Désireux de sortir d'un imbroglio juridique, les gouvernements précédents ont proposé pour les dates de clôture de la chasse une méthode d'échelonnement qui satisfaisait aux demandes des chasseurs de gibier migrateur même si elle apparaissait d'un maniement difficile, d'une part, parce qu'il est difficile de chasser certains oiseaux sans déranger les autres, ceux qu'on ne chasse pas ; d'autre part, parce qu'il peut y avoir des confusions. Sans exagérer ce problème, madame le rapporteur, on ne peut nier que les pratiques de chasse crépusculaire et nocturne dans certaines régions nous exposent à ce risque.
Ces méthodes étaient de plus peu propices à une bonne gestion, comme en conviendra d'ailleurs, ici même, votre collègue M. le sénateur Louis Althapé, en juin 1994 : « Une fermeture échelonnée de la chasse aux gibiers d'eau et aux oiseaux de passage ne correspond pas à une bonne gestion de ces espèces non menacées. De plus, cette fermeture échelonnée générerait de nombreux conflits et des recours qui, une fois de plus, créeraient un climat insupportable. » On ne peut être plus clair !
Cette méthode conduisait à admettre qu'une partie des oiseaux en migration prénuptiale puisse ne pas être protégée. Elle a été reprise sous forme de recommandations par le comité d'adaptation de la directive « oiseaux », dit comité ORNIS. Sans attendre qu'une modification de la directive valide ces recommandations, le Gouvernement a incité les préfets à en tenir compte dans la fixation des dates de clôture.
Le 19 janvier 1994, la Cour de justice des Communautés européennes réaffirmait l'obligation d'une protection complète des oiseaux migrateurs pendant la période de migration prénuptiale et condamnait la France pour n'avoir pas tenu compte de cette obligation.
En avril 1994, le Gouvernement essayait, en vain, d'obtenir une modification de la directive en intervenant auprès de la Commission européenne et du Conseil des ministres. Le Parlement français voulut mettre un terme aux contentieux et anticiper sur une éventuelle modification de la directive. Il adoptait, le 15 juillet 1994, la loi dite « loi Lang ».
Comme le déclarait alors à l'Assemblée nationale ma collègue Ségolène Royal, il s'agissait de fixer par la loi des dates de période de chasse relevant du domaine réglementaire. Elle précisait que la proposition était en contradiction avec la directive « oiseaux », et avec l'interprétation qu'en avait donnée la Cour de justice des Communautés européennes. Elle déclarait : « Le droit communautaire n'est donc pas respecté. Le vote par le Parlement français de la proposition de loi constituera une pression exercée sur le Parlement européen en anticipant sur une modification non encore acquise de la directive. Elle est, en fait, destinée à priver les associations pour la protection de la nature du bénéfice de l'arrêt de la Cour de justice qui leur a donné raison. C'est si vrai que le Gouvernement n'a pas osé présenter lui-même un texte, mais il a invité un parlementaire à déposer une proposition de loi. »
Les prévisions de Ségolène Royal se sont vérifiées. Mais la pression exercée sur le Parlement européen a eu l'effet inverse de celui qui était attendu. Le 15 février 1996, le Parlement européen adoptait le rapport vanPutten qui concluait à la nécessité d'une fermeture unique de la chasse aux oiseaux migrateurs le 31 janvier.
Cette rigidité, vous l'aurez noté, est discutable et d'ailleurs discutée, mais il est difficile d'invoquer ici la subsidiarité, qui, par nature - je l'ai expliqué tout à l'heure -, s'adresse à des espèces d'oiseaux migrateurs qui ne dépendent d'aucun pays particulier.
De plus, l'adoption de la loi du 15 juillet 1994 n'a pas amoindri les contentieux, ce qui a conduit les promoteurs du texte que nous examinons à vouloir rigidifier le système et à s'écarter un peu plus encore du droit communautaire. Ce n'est certainement pas le meilleur moyen de s'en sortir...
En effet, les condamnations et les mises en demeure sont en nombre croissant : 23 des 38 arrêtés préfectoraux fixant les dates de clôture de chasse au gibier migrateur au-delà du 31 janvier attaqués ont été annulés par des tribunaux administratifs ; 65 arrêtés ministériels d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau sur 68 arrêtés attaqués ont été annulés par le Conseil d'Etat.
La France est sous le coup, d'une part, d'une mise en demeure de la Commission européenne pour non-transposition de la directive « oiseaux » et, d'autre part, d'un avis motivé complémentaire après une condamnation en 1988 pour protection insuffisante de diverses espèces d'oiseaux, dont certaines sont migratrices. Une condamnation définitive, avec une forte sanction pécuniaire en application de l'article 171 du traité européen, semble maintenant inéluctable si la France ne donne pas satisfaction aux requêtes de la Commission européenne.
En ce qui concerne la fixation des périodes de chasse aux oiseaux migrateurs et, d'une manière plus générale, les problèmes liés à l'application de la directive « oiseaux », j'ai fait valoir à Ritt Bjerregaard, commissaire européen à l'environnement, qu'il était nécessaire d'ouvrir des discussions sur une proposition d'adaptation de la directive « oiseaux ».
C'est que, voyez-vous, l'idée d'un plan de gestion ne me choque pas.
M. Roland du Luart. Encore heureux !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. La commissaire m'a répondu en décembre dernier que si la prochaine présidence de l'Union européenne était prête à proposer la réouverture des débats sur la directive, elle serait disposée, dans la perspective d'un compromis équitable, à envisager une solution qui assure un bon état de conservation des espèces concernées pour la fixation des dates de fermeture de la chasse. Je suis prête à entamer des discussions avec la Commission.
Cela étant, on ne peut oublier les contentieux communautaires en cours. Il apparaît donc peu réaliste de vouloir traiter avec la Commission tant qu'ils ne seront pas éteints.
Vous avez souhaité, madame Heinis, évoquer le rapport sur l'application de la loi du 15 juillet 1994 qualifiant d'incompréhensible et de dangereux le comportement du Gouvernement que vous suspectez de s'être laissé entraîner volontairement dans un conflit - un de plus - avec la Commission.
Ce rapport, il faut le savoir, aurait dû être remis au Parlement par le Gouvernement précédent en juillet 1996. S'il ne l'a pas été, c'est à lui qu'il faut en faire grief. Mon ministère n'avait bien entendu pas les moyens de réaliser en six mois ce qui ne l'avait pas été en deux ans.
Une première version de ce rapport m'a été proposée par mes services à la fin du mois de décembre. La version définitive sera vraisemblablement prête en février et elle sera alors adressée au Parlement.
La Commission nous a fait grief de ne pas lui avoir transmis ce rapport. Nous aurions certes pu lui adresser les éléments préliminaires ; nous nous serions alors exposés à la critique de ne pas avoir réservé, comme il est normal, la primeur de ce rapport au Parlement français.
Quant aux rapports de l'Office national de la chasse et du Muséum national d'histoire naturelle, il faut savoir que s'ils répondaient en partie aux questions posées, celui du Muséum allait très au-delà de ce qui nous était demandé. Par ailleurs, ces rapports étaient contradictoires. Il me semble qu'il était donc difficile d'exposer à la Commission les divergences des experts français en la matière.
L'adoption de la loi du 15 juillet 1994 a été un chiffon rouge pour le Parlement européen et pour la Commission. Un nouveau texte allant dans le même sens aura le même effet. C'est que, voyez-vous, la patience de la Commission et de la commissaire à l'environnement est singulièrement émoussée après vingt ans, ou presque, de manoeuvres dilatoires, de négociations ardues, de promesses non tenues.
Il serait vain pour mon ministère de vouloir dialoguer avec la Commission en venant avec des lois votées par le Parlement français qui seraient en contradiction avec l'esprit et la lettre de la directive « oiseaux ». Une fois de plus, je dois répéter qu'avec les oiseaux migrateurs nous devons penser européen, international. La mise en place de plans de gestion coordonnés à l'échelle européenne pour le gibier migrateur, telle qu'elle a été proposée lors du vote du rapport van Putten au Parlement européen, est une piste à explorer.
Je veux enfin rappeler aux membres du groupe socialiste que, lors de l'adoption de la loi du 15 juillet 1994, leur groupe à l'Assemblée avait souligné qu'il n'acceptait cette loi qu'à la condition qu'elle soit transitoire. Il n'était pas question qu'elle soit un geste contre l'Europe et, surtout, une renonciation à la solution pérenne qu'il était indispensable de mettre en place.
La voie européenne, déclarait leur représentant, est donc certainement celle de la sécurité ; elle est celle de la durée. Quant à ceux qui défendent une exception française, qui déplorent, comme M. de Luart, que le Gouvernement français « abdique devant les institutions communautaires »,...
M. Philippe François. C'est vrai !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. ... je les renvoie aux propos tenus par le Président de la République lors de la présentation de ses voeux, le 31 décembre 1997 : « Et puis il y a l'Europe. Cette Europe qu'après d'autres, et avec d'autres, je contribue à bâtir. (...) Il n'y a pas d'exception française qui nous permettrait de nous soustraire aux règles qui valent pour les autres. »
M. Philippe François. L'un n'empêche pas l'autre !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. C'est parce que le Gouvernement croit à la construction européenne, c'est parce qu'il pense que la discussion permet l'évolution et l'amélioration qu'il ne peut pas accepter la proposition de loi de la commission en l'état. Une idée comme celle des plans de gestion va pourtant dans le bon sens, notamment pour le maintien et la restauration de la qualité des milieux et le suivi des effectifs des populations.
Pour avoir travaillé au Parlement européen, je sais l'importance de l'action à mener pour que les institutions européennes ne financent pas des opérations aboutissant à la destruction des milieux. Le groupe auquel j'ai appartenu y a consacré beaucoup d'énergie, avec d'autres, ainsi qu'au soutien à des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement. Nous savons que ce point est également très important pour le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la promotion d'une chasse raisonnable et durable que, m'a-t-il semblé, vous appelez de vos voeux. C'est aussi comme cela que je conçois les choses.
J'ai bien entendu l'argumentation passionnée, toute empreinte de la tradition rurale du Sud-Ouest, de Jean-Louis Carrère, qui a manifesté son attachement à la chasse de l'Ouest et la légère tendance à l'exagération que l'on prête parfois aux gens du Sud.
Il n'est pas question, monsieur le sénateur, d'opposer ici les chasseurs et les protecteurs des oiseaux, les ruraux et les citadins, ni même les modernes et les traditionnels. Il n'est même pas question d'appeler à une énième table ronde, d'une part, parce que la concertation est la règle depuis toujours et que les chasseurs participent déjà à l'élaboration des règles qui encadrent la chasse, à tous les niveaux, national, régional et départemental, en particulier au sein des conseils départementaux de la chasse et de la faune sauvage et, d'autre part, parce qu'il est hautement improbable que, sur cette question, nous puissions jamais nous vanter d'avoir trouvé la solution miracle.
Il n'existe pas de solution permettant de trancher définitivement ce débat et d'inscrire dans notre droit « la » solution. J'ai d'ailleurs donné tout à l'heure des exemples montrant qu'une solution intelligente serait celle qui se rapprocherait le plus possible du terrain et des contextes locaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, pour tous les motifs que j'ai exposés, le Gouvernement ne peut soutenir les propositions que vous avez formulées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.

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