M. le président. Par amendement n° 51, MM. Ostermann et Eckenspieller proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 6 de la même ordonnance est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« La réponse de l'autorité publique à une demande de titre de séjour doit intervenir dans un délai de deux mois au plus tard après la date à laquelle a été délivré au demandeur un récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la constitution d'un dossier complet. Ce délai peut être prolongé une seule fois d'un mois. »
La parole est à M. Eckenspieller. M. Daniel Eckenspieller. Aucun délai n'est actuellement imposé à l'administration pour l'instruction des demandes de titre de séjour.
Or, bien souvent, les étrangers - ressortissants de l'Union européenne exceptés - doivent patienter jusqu'à six mois entre le moment où ils retirent leur dossier et celui où ils le déposent et obtiennent un récépissé de dépôt, puis encore plusieurs mois avant d'obtenir, ou non, un titre de séjour.
Ce délai, beaucoup trop long, met les demandeurs dans une situation inconfortable. Il leur permet, en outre, de s'installer sur notre territoire où ils peuvent être conduits à recourir au travail illégal pour subsister. Enfin, au cas où le titre de séjour leur est refusé à l'issue de la procédure, beaucoup d'entre eux préfèrent se maintenir irrégulièrement sur notre territoire plutôt que de regagner leur pays d'origine.
Ce n'est pas acceptable, et le présent amendement vise donc à imposer à l'administration compétente un délai maximal de traitement des demandes.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission des lois a examiné avec beaucoup d'attention l'amendement n° 51. Nous sommes, en effet, tous d'accord pour considérer que les procédures administratives doivent être accélérées, notamment en ce domaine.
Cependant, il ne nous a pas paru souhaitable, après débat, d'enfermer l'administration dans des délais fixes s'agissant de demandes parfois délicates à traiter. Les titres de séjour concernent souvent des étrangers pour lesquels des renseignements concernant l'état civil - on en a parlé hier - l'origine ou le domicile ne sont pas faciles à obtenir. Bref, il s'agit peut-être d'une matière dans laquelle l'administration a particulièrement besoin de souplesse et doit faire diligence.
C'est pourquoi la commission n'a pas voulu donner suite à l'amendement n° 51 et suggère à notre excellent collègue de le retirer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je rejoins M. le rapporteur : s'il est en tout à fait souhaitable que le délai qui s'écoule entre la demande et la délivrance du titre de séjour ne soit pas trop long, il paraît néanmoins difficile d'enfermer l'administration dans un délai aussi bref que celui qui est proposé par les auteurs de l'amendement.
J'ajoute que le traitement des demandes de titre de séjour appelle de nombreuses vérifications et que la seule réponse à apporter au problème des délais est, en réalité, d'ordre administratif : c'est le renforcement des effectifs des services des étrangers des préfectures, que j'ai d'ores et déjà entrepris et que je compte poursuivre. La réponse est donc de nature non pas législative mais réglementaire.
Enfin, vous le savez, tout étranger qui dépose une demande de titre de séjour peut se voir remettre un récépissé, ce qui amoindrit tout de même l'inconvénient des délais, d'autant, je l'ai dit, qu'un effort est fait par ailleurs pour raccourcir ces derniers.
Je me joins donc à la demande de retrait exprimée par M. le rapporteur.
M. le président. Monsieur Eckenspieller, l'amendement n° 51 est-il maintenu ?
M. Daniel Eckenspieller. Compte tenu des observations formulées tant par M. le rapporteur que par M. le ministre, j'accepte de retirer l'amendement n° 51, d'autant que je suis conscient qu'aucune sanction, telle que la décision implicite d'acceptation ou du refus de la demande passé le délai, ne semble envisageable.
Le problème n'en est pas moins réel. C'est pourquoi, monsieur le ministre, je prends acte de votre déclaration. Il est nécessaire d'affecter davantage de moyens, tant financiers qu'humains, aux services des étrangers des préfectures afin qu'ils puissent accomplir sereinement et efficacement leur mission.
Nous serons très attentifs aux efforts que vous ferez dans ce domaine, car il s'agit d'une des clés de voûte du dispositif que vous envisagez de mettre en place.
M. le président. L'amendement n° 51 est retiré.
Toujours après l'article 2, je suis maintenant saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 81, MM. Duffour, Pagès, Derian, Mme Beaudeau, M. Bécart, Mmes Bidard-Reydet, Borvo, MM. Fischer, Lefebvre, Mme Luc, MM. Minetti, Ralite, Renar, Mme Terrade et M. Vergès proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les articles 8, 8-1, 8-2 et 8-3 de la même ordonnance sont abrogés. »
Par amendement n° 53, Mme Dusseau propose d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 8-3 de la même ordonnance est abrogé. »
Par amendement n° 52, MM. Ostermann et Eckenspieller proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 8-3 de la même ordonnance est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d'Etat précisera les modalités d'application des présentes dispositions. »
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 81.
M. Robert Pagès. L'amendement n° 81 vise à supprimer les articles 8, 8-1, et 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
L'article 8 de cette ordonnance a été introduit par la loi du 24 août 1993, donc sous un gouvernement de droite, fort peu de temps d'ailleurs après que celui-ci été formé.
Cette loi a institué ce que nous avions dénoncé à l'époque comme des contrôles « au faciès ». Elle prévoit en effet qu' « en dehors de tout contrôle d'identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire ».
C'est une disposition qui renforce la suspicion à l'égard des étrangers et qui conforte l'idée selon laquelle il y a, forcément, un parallèle entre immigrés et délinquants.
C'est aussi une disposition exorbitante du droit commun, puisque, pour tout un chacun, les contrôles d'identité sont spécialement encadrés par le code de procédure pénale.
Il s'agit donc d'une atteinte excessive à la liberté individuelle d'aller et venir, les motifs des contrôles effectués n'ayant pas à être justifiés.
En 1993, nous nous étions vivement opposés à l'adoption de cet article. En 1997, le gouvernement de droite, loin d'assouplir la législation en la matière, l'a bien au contraire renforcée !
C'est ainsi qu'ont été ajoutés dans l'ordonnance de 1945 les articles 8-1, 8-2 et 8-3, qui constituent des atteintes lourdes de conséquences aux libertés individuelles et collectives des citoyens.
Comme le disait à l'époque ma collègue Nicole Borvo, ici présente, « cet article, que nous condamnons avec la plus grande fermeté, contient des dispositions vraiment choquantes ».
« On y trouve, poursuivait-elle, des mesures aussi diverses que dangereuses, telles que la rétention du passeport, la visite sommaire des véhicules, la mémorisation des empreintes digitales. »
Depuis mars 1997, notre position n'a pas changé. Nous considérons toujours que l'article 8-1, qui organise la retenue du document de voyage ou du passeport de l'étranger en situation irrégulière en échange d'un simple récépissé, est inadmissible, car il prive les personnes concernées de leurs papiers, qui sont pour elles un outil essentiel en vue d'une éventuelle régularisation de leur situation.
En 1997, le projet de loi présenté par M. Debré devait corriger les effets pervers de la législation de 1993, qui avait jeté dans la clandestinité nombre de personnes. En réalité, il n'a fait que l'aggraver.
C'est pourquoi nous y sommes toujours opposés.
Nous ne pouvons accepter aujourd'hui de ne pas saisir l'occasion de revenir à la législation antérieure.
J'ajoute que la Commission nationale consultative des droits de l'homme elle-même recommande que « soit abrogé l'article 8-1 de l'ordonnance autorisant la confiscation par la police ou la gendarmerie des passeports des étrangers en situation irrégulière, empêchant de faire toute démarche de régularisation ».
L'article 8-2 de l'ordonnance permet à la police de procéder à la « visite » sommaire des véhicules, pour ne pas parler de « fouille », dans une bande de vingt kilomètres à l'intérieur du territoire français.
Ce contrôle se fait sans contrôle judiciaire. Aussi cette mesure, prévue pour les véhicules non personnels, peut-elle être facilement étendue dans la pratique à tous les véhicules sans que l'intéressé ait réellement un moyen de s'y opposer, ce qui peut rapidement devenir source d'arbitraire le plus total.
Enfin, s'agissant de l'article 8-3, introduit en son temps par une Assemblée nationale fortement ancrée à droite, Mme Nicole Borvo l'avait considéré comme revêtant « un caractère policier à forte connotation xénophobe ».
Il s'agit du relevé, de la mémorisation et du fichage des empreintes digitales des étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne qui sollicitent un titre de séjour.
Je précise que l'application des dispositions de l'article 8-3 est conditionnée à la publication d'un décret qui n'a pas encore été pris.
A croire que l'adoption de ces mesures, surtout à l'époque, répondait à des visées essentiellement électorales...
En tout état de cause, nous considérons que les articles 8, 8-1, 8-2 et 8-3 doivent être supprimés tant sont importantes les atteintes individuelles et collectives qu'ils comportent.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau, pour défendre l'amendement n° 53.
Mme Joëlle Dusseau. Mon amendement vise à abroger l'article 8-3 de l'ordonnance de 1945.
J'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point j'aurais préféré l'abrogation des lois Pasqua-Debré, non seulement sur le plan symbolique, mais aussi parce que, en les toilettant, ou en les modifiant, peu importe le mot utilisé, on peut être amené à maintenir des éléments qui sont particulièrement dangereux.
Je souligne au passage que je voterai l'amendement présenté par M. Pagès, car je partage les remarques qu'il a formulées.
Pour ma part, je suis particulièrement choquée par le maintien de l'article 8-3 relatif à la mise en place d'un fichier centralisé et automatisé des empreintes digitales des détenteurs d'une carte de séjour.
Je rappelle que, à l'heure actuelle, ce type de fichier centralisé et automatisé, donc utilisable directement, n'existe que dans deux cas : l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, et la police judiciaire.
En 1995, Mme Sauvaigo - vous le constatez, j'ai de bonnes sources - a procédé à une série d'auditions pour préparer son rapport. Elle a été conduite à auditionner le directeur du service des Français à l'étranger et des étrangers en France du ministère des affaires étrangères ; il s'agissait de l'automatisation du fichier de l'OFPRA, qui concerne un petit nombre de personnes. Le directeur avait alors insisté sur l'ampleur et le coût très important de l'équipement, environ 10 millions de francs, pour seulement une dizaine de milliers de personnes.
Cela étant dit, chacun le comprend bien, mon opposition à l'extension de ce type de fichier à l'ensemble des détenteurs d'une carte de séjour n'est pas fondée exclusivement par le coût. Il s'agit, pour moi, d'une question de principe.
En effet, un tel fichier comporte, en germe, la suspicion de tout immigré en situation régulière, considéré, a priori , comme un clandestin ou un malfaiteur potentiel.
Enfin, sans revenir sur le débat que nous avons eu hier soir, mes chers collègues, je rappelle que, lorsque vous avez réintroduit le certificat d'hébergement, vous avez rétabli en puissance la possibilité d'instituer un fichier des hébergeants. Cette manie signalétique me paraît inquiétante.
Telles sont les raisons pour lesquelles je propose de supprimer le fichier des empreintes digitales des détenteurs d'une carte de séjour.
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller, pour défendre l'amendement n° 52.
M. Daniel Eckenspieller. La loi du 24 avril 1997 a autorisé le relevé et le traitement automatisé des empreintes digitales des ressortissants étrangers qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour, de ceux qui sont en situation irrégulière ou qui font l'objet d'une mesure d'éloignement.
Les agents expressément habilités des services du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale peuvent avoir accès aux données du fichier automatisé des empreintes digitales en vue d'identifier un étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement.
Or, jusqu'à présent, aucun décret d'application n'a été publié. Cette disposition est donc inopérante.
L'article concerné n'ayant pas fait l'objet d'une demande de suppression dans le cadre du présent projet de loi, on peut considérer que le Gouvernement n'y est pas opposé. Une telle mesure se révélerait, en effet, très utile en matière de contrôle et faciliterait l'éloignement des étrangers en situation irrégulière.
C'est pourquoi, par le présent amendement, nous demandons expressément que le décret d'application soit publié.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 81, 53 et 52 ?
M. Paul Masson, rapporteur. Comme je l'ai indiqué en commission, ces amendements concernent des matières qui ont été largement débattues au cours de discussions antérieures : en 1993 pour l'article 8 et en 1997 pour les articles 8-1, 8-2 et 8-3, qui sont des ajouts de la loi du 24 avril 1997.
M. Pagès a évoqué l'atteinte aux droits de l'homme. Je rappelle que ces textes ont été examinés scrupuleusement par le Conseil constitutionnel, qui sait fort bien dire là où il y a atteinte aux droits de l'homme. En l'occurrence, ce n'est pas le cas.
Sur le fond, la rétention des passeports, la fouille des véhicules et la prise des empreintes digitales se sont avérées utiles et indispensables pour la surveillance de nos frontières. Grâce à ces dispositions, l'efficacité de la police a été, à plusieurs reprises, accrue - M. le ministre le sait bien - s'agissant des filières de clandestinité, c'est-à-dire ceux qui font commerce du travail au noir et de la misère des gens. Ainsi, par ces dispositions qui ne sont pas contraires aux droits de l'homme et qui s'avèrent particulièrement efficaces, on rend un éminent service à ceux qui sont chargés de la lutte contre ces filières.
J'ajoute que le Gouvernement ne semble pas hostile à ces dispositions puisqu'il ne les a pas reprises dans le présent projet de loi. Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur les amendements n°s 53 et 81.
L'amendement n° 52 est présenté dans un esprit totalement différent. En effet, MM. Ostermann et Eckenspieller ne sont pas hostiles aux dispositions concernées et souhaitent savoir quelles dispositions le Gouvernement compte prendre pour qu'elles soient mises en oeuvre.
Une circulaire de M. Debré en date du 30 avril 1997 avait précisé que pour la mise en oeuvre de ces dispositions, c'est-à-dire l'article 3, il fallait, d'une part, un décret pris, madame Dusseau, après avis de la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, pour la création d'un nouveau fichier, et, d'autre part, une modification, également après avis de la CNIL, du décret du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales, afin que des agents spécialisés et habilités par le ministère de l'intérieur puissent interroger ce fichier.
Ces textes d'application n'ont effectivement pas encore été publiés. Je crois avoir évoqué ce point devant la commission des lois. Vous avez alors dit qu'il était toujours dans vos intentions de mettre en oeuvre ces dispositions le plus rapidement possible mais que vous vous heurtiez à des contraintes budgétaires pour aller vite en cette matière.
Cette réponse est intéressante, monsieur le ministre. En effet, je crois comprendre que, pour des dispositions déjà votées, vous êtes juste. Alors, a fortiori , s'agissant de dispositions qui seront votées dans quelques semaines, si l'Assemblée nationale vous suit, qu'en sera-t-il des ouvertures de crédits supplémentaires, par exemple pour financer la création des postes nécessaires au ministère des affaires étrangères ou dans vos services ? Puisque, s'agissant de mesures votées, vous n'avez pas les ressources financières nécessaires, qu'en sera-t-il du financement des mesures qui ne sont pas encore votées mais qui le seront, et pour lesquelles vous n'avez bien évidemment pas encore les ouvertures budgétaires suffisantes ?
Monsieur le ministre, la position de la commission des lois consiste à vous interroger sur la procédure que vous allez suivre pour mettre en place les dispositions prévues par l'article 8-3 de l'ordonnance et promulguées le 24 avril 1997, pour lesquelles deux textes complémentaires sont nécessaires. Comptez-vous élaborer ces textes avant d'avoir les financements nécessaires ? Attendez-vous des financements, ou bien n'avez-vous aucune réponse à fournir à cet égard ? De votre réponse, monsieur le ministre, dépendra l'attitude de la commission des lois et la suggestion que le rapporteur fera à la Haute Assemblée en vue de l'approbation ou non de l'amendement dont il est question.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces trois amendements ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement n'entend pas refaire la guerre de 1914-1918 ni reprendre le débat qui a déjà eu lieu voilà un an à propos d'un autre projet de loi.
Le Gouvernement procède par esprit méthodique : Qu'est-ce qui est bon et qu'est-ce qui est mauvais ? Qu'est-ce qui sert une politique juste et équilibrée et qu'est-ce qui la dessert ? Nous appliquons donc le doute méthodique.
S'agissant de la loi Debré, nous souhaitons supprimer une disposition essentielle, à savoir l'instauration du certificat d'hébergement, complètement détourné de son objet. Cette disposition avait été supprimée par l'Assemblée nationale. Le Sénat l'a rétablie hier.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Provisoirement !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Regardons les choses d'une manière objective. Toute loi implique un contrôle, toute règle nécessite que l'on vérifie qu'elle est bien observée. Il n'y a rien de désobligeant à interroger une personne sur son identité et à lui demander si elle est en règle par rapport à la législation relative aux étrangers.
On ne peut pas dire que l'on est pour la maîtrise des flux migratoires et se priver d'un moyen de contrôle. Moi, je ne sais pas comment faire. Si vous avez un avis à me donner, j'y serai très attentif. Il faut bien qu'il y ait des contrôles. Que valent-ils ? Le premier prévoit la rétention du passeport contre récépissé. Ce document indique effectivement que le passeport a été provisoirement confisqué. Cependant, vous le savez très bien, cette disposition ne s'applique qu'à des étrangers en situation irrégulière. Or que fait un étranger en situation irrégulière pour éviter d'être reconduit à la frontière ? Dans 90 % des cas - et je suis sans doute en deçà de la réalité - il détruit ses documents d'identité, il les fait disparaître ! Donc, la rétention du passeport est une précaution utile, que nous sommes amenés à prendre.
J'en viens au contrôle des véhicules. A cet égard, seuls les camions sont concernés - toute voiture personnelle est, en effet, considérée par la jurisprudence comme domicile et protégée comme tel - et ce dans la bande de Schengen, c'est-à-dire la bande des vingt kilomètres. Or, j'ai bien dû constater que, dans le cadre de notre travail de démantèlement des filières criminelles, cette disposition avait permis d'arrêter plusieurs camions et, ainsi, d'intercepter de nombreux étrangers en situation irrégulière.
Le fait d'arrêter un camion à vingt kilomètres de la frontière constitue-t-il une atteinte aux libertés individuelles ? Franchement, je ne le crois pas. Si cette disposition est utile, elle peut être conservée.
Quant à la disposition concernant le fichier des empreintes, elle n'est pas appliquée, comme M. le rapporteur l'a fait observer. Faut-il la supprimer ? J'observe que la convention d'application de l'accord de Schengen, qui a été entérinée par la France, prévoit la constitution d'un tel fichier. Faut-il faire marche arrière ?
M. le rapporteur me demande ce qu'il en est des difficultés budgétaires. Nous verrons bien au prochain budget ! Comptez sur ma pugnacité, monsieur le rapporteur !
Mais le problème n'est pas seulement budgétaire. En effet, il faut, pour la constitution d'un tel fichier, obtenir l'autorisation de la CNIL. J'indique d'ailleurs à M. Eckenspieller que c'est un décret simple qui doit être pris.
Sur le plan des principes, est-il choquant de demander ses empreintes digitales à un étranger, alors qu'on les demande bien à un Français pour la délivrance d'une carte nationale d'identité ? Ce que l'on demande à un Français ne peut-il être demandé à un étranger ?
M. Dominique Braye. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Ce sont peut-être des arguments de gros bon sens. Mais permettez-moi de dire que, à l'examen, ils ont emporté ma conviction. Je pense que nous ne devons pas nous situer dans un monde irénique où nous affirmerions un certain nombre de principes sans en tirer les conclusions.
Tel est l'état d'esprit du Gouvernement, qui se tient autant que possible sur la voie étroite de la lucidité, entre le cauchemar et le rêve éveillé.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 81.
M. Robert Pagès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le ministre, je comprends parfaitement votre souci d'observer l'impact des lois récemment adoptées.
Cela dit, des lois existaient avant 1997, et, pour ma part, je n'ai pas l'impression que le texte voté en 1997 ait considérablement amélioré la situation.
A cet égard, j'évoquerai notamment ce que nous avions dénoncé, à l'époque, comme le contrôle du faciès. Dans nos cités, nombre de jeunes gens, en particulier, sont contrôlés des dizaines de fois dans la semaine, ce qui crée une tension extraordinaire. Si cela n'explique pas, bien sûr, toutes les difficultés que nous rencontrons avec la jeunesse, cela crée cependant un climat extraordinaire de tension, d'animosité ; je pense que la loi de 1997 a encore exagéré ce contrôle. C'est pourquoi nous souhaitons que l'on en revienne à la législation précédente, qui n'était pas laxiste et qui offrait tout de même un certain nombre de possibilités.
Je ne développerai pas davantage mon argumentation concernant la fouille des véhicules. Les véhicules privés, vous le savez bien, sont aussi arrêtés et contrôlés. Nous avons aussi, à cet égard, le sentiment d'une espèce de chasse à l'étranger.
Vous parlez de rétention du passeport, qui donne lieu, dites-vous, à un récépissé. Mais l'étranger peut-il rentrer chez lui avec un simple récépissé ?
Personnellement, j'ai l'impression que l'étranger qui, finalement, serait décidé à rentrer dans son pays est plutôt encouragé à rester en France et à devenir un sans-papiers de plus ! Il faudrait donc revoir ces textes qui ne sont pas satisfaisants ; c'est la raison du dépôt de nos amendements. M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 81, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 53.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Concernant l'amendement n° 53, M. le rapporteur a considéré que la constitution d'un fichier des empreintes digitales était un moyen pour avoir accès aux filières et les démanteler. Mais instituer un fichier pour tous les demandeurs d'un titre de séjour, qui se posent donc en entrants réguliers, ne me paraît vraiment pas la bonne façon de démanteler des filières qui, précisément, ne passent pas par ce type de démarche.
Je n'ai pas été extrêmement convaincue par les arguments de M. le ministre, y compris en ce qui concerne la législation de Schengen. Je continue à trouver extrêmement dangereux de laisser subsister ce qui a été la symbolique de la loi Debré, à savoir une espèce de volonté de fichage, de mise en place de fichiers automatisés et exploitables. Cela me paraît grave sur le plan des principes ; je ne comprends donc pas qu'on laisse une telle disposition dans le texte, même si je sais bien que le danger sera corrigé, au fil des ans, par l'inefficacité, compte tenu de l'impossibilité de constituer un fichier de centaines de milliers de personnes !
La solution du Gouvernement consistant à laisser les choses en l'état, même en l'absence de décrets d'application, et à dire que l'on verra plus tard ne me paraît pas bonne. A la limite, la position des auteurs de l'amendement n° 52, qui considèrent que, si la disposition subsiste, il faut alors prendre un décret d'application, paraît plus cohérente !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 53, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 52.
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Si j'ai entendu vos réponses, comme toujours pertinentes, monsieur le ministre, je n'ai pas bien saisi l'intensité avec laquelle vous considérez l'acuité de ce problème. (Sourires.) Le problème est aigu ; mais portez-vous sur lui un regard suffisamment intense pour nous conduire à penser que quelque chose va bouger dans ce dispositif au cours non pas de ce semestre, mais de l'année qui vient ?
Je vous pose une question simple, monsieur le ministre : la CNIL a-t-elle été consultée, oui ou non ? Si elle ne l'a pas été, va-t-elle l'être ? Ça, ça ne coûte pas d'argent !
Si votre réponse nous encourage à penser que la suite peut aller vite, je demanderai alors aux auteurs de l'amendement n° 52 de bien vouloir retirer ce dernier.
Mais si la position du Gouvernement et celle du ministre de l'intérieur ne sont pas totalement affirmées sur ce point, je demanderai au Sénat de voter l'amendement n° 52. Telle est d'ailleurs la position que la commission des lois m'a demandé de rapporter devant vous, mes chers collègues.
En résumé, monsieur le ministre, la CNIL a-t-elle été ou non consultée ? Si oui, quand l'a-t-elle été ? Enfin, avec quelle acuité considérez-vous ce problème ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je répondrai très simplement à M. le rapporteur que la demande a été déposée à la CNIL.
M. Paul Masson, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. La CNIL ayant été consultée, il y a donc un commencement d'exécution de la part du Gouvernement et de M. le ministre, dont nous pouvons prendre acte. De plus, compte tenu du fait qu'il faudrait non pas un, mais deux décrets d'application, l'amendement n° 52 devrait être rectifié.
Dans ces conditions, peut-être M. Eckenspieller pourrait-il considérer la consultation de la CNIL, qui constitue un fait positif, comme une réponse à son amendement ?
M. le président. L'amendement n° 52 est-il maintenu, monsieur Eckenspieller ?
M. Daniel Eckenspieller. Je m'en remets à l'avis de notre excellent rapporteur, et je retire donc l'amendement n° 52.
M. le président. L'amendement n° 52 est retiré.

Article 2 bis