SÉANCE DU 28 JANVIER 1998
M. le président.
« Art. 3. _ L'article 12 de la même ordonnance est ainsi modifié :
« 1° Après le deuxième alinéa, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« La carte de séjour temporaire délivrée à l'étranger sous réserve d'une
entrée régulière pour lui permettre de mener des travaux de recherche ou de
dispenser un enseignement de niveau universitaire porte la mention
"scientifique".
« La carte de séjour temporaire délivrée à un artiste professionnel étranger
titulaire d'un contrat de plus de trois mois passé avec un professionnel du
spectacle, un établissement ou une entreprise culturels porte la mention
"profession artistique et culturelle". Les conditions de sa
délivrance sont définies par décret en Conseil d'Etat. »
« 2° Le quatrième alinéa est supprimé. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 5, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose de
supprimer cet article.
Par amendement n° 67, MM. Dreyfus-Schmidt, Allouche, Authié, Badinter,
Biarnès, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Chervy, Dussaut, Mme Pourtaud, MM.
Quilliot, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent
de compléter
in fine le texte présenté par l'article 3 pour modifier
l'article 12 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 par un alinéa ainsi rédigé :
« ... - Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« La carte de séjour temporaire peut être retirée temporairement à tout
employeur, titulaire de cette carte, en infraction avec l'article L. 341-6 du
code du travail. Un récépissé faisant mention des raisons du retrait lui est
remis. Le retrait peut devenir définitif si intervient une condamnation telle
que prévue au deuxième alinéa de l'article 25 de la présente ordonnance. A
défaut elle est restituée à l'intéressé. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5.
M. Paul Masson,
rapporteur. Avec l'article 3, le Gouvernement nous propose la création de
deux nouvelles cartes de séjour spécifiques.
L'octroi de la carte de séjour est déjà parfaitement organisé autour d'un
dispositif que chacun connaît. Cette carte concerne les étrangers dont les
ressources personnelles sont suffisantes pour ne pas exercer d'activité, ainsi
que les étudiants et les personnes qui exercent des activités professionnelles,
terme générique tout à fait spécifique et clair.
On nous propose de créer une carte de séjour « scientifique »...
M. Henri de Raincourt.
Oh là là !
M. Paul Masson,
rapporteur. ... ainsi que, sur l'initiative de nos collègues de
l'Assemblée nationale, une carte « profession artistique et culturelle »,
délivrée sous certaines conditions.
La commission n'est pas favorable à la création de ces cartes spécifiques, qui
lui paraissent alourdir un système déjà complexe.
L'initiative de la carte de séjour « scientifique » est empruntée au rapport
de M. Weil : ce dernier dit avoir été très frappé par les difficultés
rencontrées auprès des administrations par les scientifiques ou les chercheurs
qui, souhaitant se rendre en France, cherchent à obtenir une carte de séjour. A
en croire M. Weil, ces désagréments nuiraient au prestige national. En effet,
ces personnes, qui sont estimables et souvent estimées, n'ont pas le temps
d'attendre et préfèrent aller ailleurs plutôt que de piétiner devant un
guichet. M. Weil insistait ainsi sur la réprobation muette mais réelle suscitée
par cette situation dans le monde scientifique.
J'observe cependant, mes chers collègues, qu'il ne s'agit ici que d'une
affaire entre administrations, chacun interprétant de façon différente la
notion d'activité professionnelle, d'où certains freins et certaines
lenteurs.
Cela étant, monsieur le ministre, sommes-nous obligés de modifier la loi parce
que des administrations, sous l'autorité des ministres compétents, s'obstinent
à avoir des positions ambiguës ou, quelquefois, opposées ? Le rôle du
Gouvernement, le rôle d'un ministre n'est-il pas de recadrer l'action des
administrations et de les obliger à se conformer à l'esprit de la loi, dans
l'intérêt national ?
Nous ne sommes pas là, me semble-t-il, pour ajuster des textes parce que les
administrations ne veulent pas les comprendre, mais pour demander au
Gouvernement d'avoir la vigilance et l'autorité nécessaires pour faire en sorte
que le système fonctionne.
Pourquoi créer une carte « scientifique » ? Et pourquoi, alors, ne
créerions-nous pas une carte pour les ingénieurs - qui, après tout, sont
également des gens de talent - voire une carte pour les militaires étrangers en
stage en France ? On peut multiplier les inventions à ce sujet !
Pour notre part, nous estimons que l'activité des scientifiques entre tout à
fait dans le cadre des « activités professionnelles », et que nous devons nous
en tenir là. Sinon, nous risquons d'aller au-devant de nombreuses contestations
: où commence l'activité du chercheur, où finit-elle ? Où commence l'activité
scientifique, où finit-elle ? Là encore, la procédure contentieuse a de beaux
jours devant elle !
Mes observations seront plus brèves, mais peut-être plus ironiques encore,
pour les professions artistiques et culturelles. Un contrat de trois mois
suffit-il à donner du talent à quelqu'un ?
(Sourires.) L'art est-il
forcément professionnel ? La culture va-t-elle avec l'art ? C'est un vaste
débat, monsieur le ministre, et je crois préférable de ne pas l'ouvrir en cet
instant.
Pour tous ces motifs, la commission propose la suppression de l'article 3.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 67.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je suis un peu confus, parce que, en vérité, cet amendement ne sera pas soumis
au vote du Sénat si l'amendement de suppression proposé par la commission est
adopté.
Par conséquent, je souhaite rectifier cet amendement n° 67, afin qu'il ait
pour objet non plus de modifier l'article 3, mais d'insérer un article
additionnel après ledit article. Ainsi, le Sénat pourra se prononcer à son
sujet même si l'amendement de la commission est adopté.
Je vous demande, monsieur le président, de bien vouloir m'en donner acte.
M. le président.
Je vous en donne acte, mon cher collègue.
L'amendement n° 67 rectifié ne fait donc plus l'objet de la présente
discussion commune et il viendra en discussion après l'article 3.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 5 ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur. Le Gouvernement est évidemment favorable à son
texte. Il considère que la France est un grand pays scientifique - le quatrième
du monde - que son rayonnement culturel est en jeu et que, trop souvent, des
scientifiques étrangers ou des artistes se heurtent à des tracasseries
administratives ; j'en ai été témoin à plusieurs reprises comme ancien ministre
de la recherche ou à l'occasion de différents voyages que j'ai effectués à
l'étranger.
Le Président de la République lui-même s'en est ému et, en présentant ses
voeux aux ambassadeurs, il a déclaré - je l'ai rappelé dans mon intervention
liminaire - qu'il avait soutenu par ses directives la démarche tendant à
faciliter la venue en France d'un certain nombre de personnalités qui ne
pouvaient que contribuer à faire de la France un foyer de rayonnement
international.
Par conséquent, je m'étonne de cet amendement de suppression, qui va
directement à l'encontre du souhait exprimé par le Président de la République
lui-même aux ambassadeurs et, par conséquent, aux pays qu'ils représentent.
Je maintiens donc le texte du Gouvernement, ainsi revêtu d'une double
autorité.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Monsieur le ministre, il ne faudrait
pas que subsiste la moindre ambiguïté.
Nous sommes particulièrement favorables à la venue de scientifiques de
qualité. Mais nous vous demandons simplement - c'est sans doute, d'ailleurs, ce
que le Président de la République a voulu vous demander aussi, et vous avez
bien voulu faire allusion à sa démarche - de prendre les dispositions
nécessaires.
Vous savez très bien que la venue des scientifiques et des étudiants est une
question de ressources. Vous pourrez créer toutes les cartes d'étudiant et
toutes les cartes « scientifiques » du monde, si vous n'accordez pas des
bourses afin d'assurer aux chercheurs désirant venir en France les moyens
nécessaires à l'accomplissement des tâches qu'ils souhaitent entreprendre, cela
ne servira à rien, vous le savez très bien.
Nous aurions pu - je vous l'ai dit dans mon propos liminaire - opposer la
question préalable à ce texte dont nous ne voulons pas, vous êtes en train de
le comprendre.
(Mme Dusseau sourit.) Cela aurait simplifié les choses.
Mais nous avons préféré démontrer, en disséquant, en quelque sorte, chaque
article, que les dispositions qui nous étaient proposées étaient soit nocives,
soit inutiles.
Nous sommes présentement dans le deuxième cas de figure : il ne sert
rigoureusement à rien de créer ce que vous voulez créer, et ce n'est pas parce
qu'il y aura une carte « scientifique » que vos services - ou plutôt les
services du ministère des affaires étrangères dûment complétés, vous nous
l'avez expliqué - pourront, le cas échéant, accorder plus facilement
qu'autrefois les titres nécessaires. Tout cela, c'est du faux-semblant !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur. Je trouve que vous y allez un peu fort !
D'abord, cet article 3 concerne non pas les étudiants, je tiens à le préciser,
mais les chercheurs et les scientifiques. Les conditions de leur venue en
France seront définies dans une convention passée avec un organisme français de
recherche. Le problème des ressources sera donc résolu.
Il en sera de même pour les artistes, qui bénéficieront d'un contrat d'au
moins trois mois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois. Qu'est-ce qui vous empêche d'agir,
alors ? Pourquoi une carte supplémentaire ?
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur. Vous oubliez que l'opposabilité de l'emploi est
possible pour toutes les catégories d'étrangers qui demandent une carte de
séjour. Ce ne sera pas le cas pour les scientifiques, pour les chercheurs et
pour les artistes. Voilà la différence, et elle est substantielle, monsieur
Larché.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Paul Loridant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Je voudrais dire à M. le rapporteur et à M. le président de la commission des
lois que leur démonstration n'est pas convaincante.
Je crains, mes chers collègues, que l'absence d'expérience sur le terrain ne
vous ait dicté la position que vous avez prise. Pour être maire d'une commune
qui jouxte un centre universitaire scientifique de renom, Paris XI-Orsay - je
suis d'ailleurs membre du conseil d'administration de cet établissement - je
puis vous dire que, chaque année, des universitaires me font part de leur
extrême difficulté à accueillir des scientifiques d'universités voisines.
(Mme Cerisier-ben Guiga applaudit.) En conséquence, ces derniers ne
peuvent venir, pour quelques semaines ou pour quelques mois, faire soit de la
recherche, soit de l'enseignement dans nos propres universités.
Il ne faut pas non plus, mes chers collègues, oublier vos positions
traditionnelles en matière de francophonie. C'est bien pour favoriser cette
francophonie que, régulièrement, vous venez nous dire - nous en sommes d'accord
- qu'il faut multiplier les échanges d'étudiants, faire en sorte que les
chercheurs puissent venir en France conforter leur enseignement, échanger leurs
connaissances avec leurs collègues, pour, ensuite, rayonner dans les pays
francophones. Et voilà que, pour un effet d'affichage, vous venez conforter les
positions les plus conservatrices !
Encore une fois, ce serait nuire au rayonnement scientifique, culturel et
universitaire de notre pays que de vous suivre sur ce point, monsieur le
président de la commission, monsieur le rapporteur. Vous avez tort ; votre
expérience en la matière n'est pas fondée.
Aussi, j'en appelle à la majorité du Sénat pour qu'elle vote ce texte tel
qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale, tel que le souhaite le
Gouvernement et tel que le souhaite M. le Président de la République. Ce
faisant, elle sera fidèle à sa vision de la France.
(Applaudissements sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes.)
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Pour ne pas avoir à reprendre la parole et ainsi gagner du temps, je vais
élargir mon propos à l'ensemble de la question, c'est-à-dire aux chercheurs,
aux scientifiques, au milieu culturel et aux étudiants.
M. le président de la commission des lois vient de nous dire que la majorité
sénatoriale aurait pu adopter une question préalable afin de régler le problème
très rapidement, mais que, voulant argumenter, elle a préféré qu'il y ait un
débat article par article.
Mes chers collègues, j'ai le sentiment que vous persistez dans l'erreur et que
votre champ de vision ne va pas au-delà de l'Hexagone.
M. Jean Chérioux.
Heureusement que vous êtes là pour nous le rappeler !
M. Guy Allouche.
Mais oui, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux.
Si on ne vous avait pas, qu'est-ce qu'on deviendrait ?
M. Guy Allouche.
Monsieur Chérioux, vous avez parfois besoin, vous aussi, que l'on vous ouvre
et les yeux et l'esprit !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini.
Quelle prétention !
M. Guy Allouche.
Lorsque M. le Président de la République déclare qu'il souhaite que la France
redevienne le centre culturel du monde, c'est un appel qu'il lance, après avoir
reconnu à Hanoi, lors du sommet de la francophonie, qu'il y a une véritable
crise.
Nous connaissons tous la chute vertigineuse du nombre d'étudiants qui viennent
en France étudier et le français et d'autres matières parce que - on l'a dit -
les démarches sont d'une telle complexité qu'ils se dirigent vers des pays dont
l'accès est beaucoup plus facile, où on ne leur oppose pas un juridisme
pointilleux.
Quand on sait que les chefs d'entreprise constatent que les étudiants
étrangers ne veulent plus travailler sur un matériel français, parce qu'on ne
peut pas les faire venir dans notre pays pour les former, ce qui les amène à
étudier ailleurs, sur un matériel allemand, américain, canadien ou autre,
comment s'étonner que la France soit dans l'état où elle est de ce point de vue
?
Il en va de même sur le plan culturel. Regardons ce que font le Royaume-Uni ou
l'Italie dans ce domaine !
Il ressort d'une étude récente que 16 % des postes de médecin sont à pourvoir
dans le secteur hospitalier français. La plupart de ces postes étaient occupés
par des chercheurs et des médecins d'origine étrangère qui, après avoir reçu
une formation de pointe en France, retournaient dans leur pays pour y
développer l'art médical.
Ouvrez les yeux, mes chers collègues, ne faites pas une fixation sur les
clandestins, les délinquants ou je ne sais quoi !
Voilà pourquoi je ne m'explique pas ce raisonnement étroit de la majorité
sénatoriale. Ou alors la France ne serait plus ce qu'elle était !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Je veux, moi aussi, après mon collègue Paul Loridant, témoigner de l'utilité
de l'article 3, cette disposition que propose le Gouvernement et qui permettra,
nous l'espérons, de renouer avec une vieille tradition d'accueil de
scientifiques étrangers en France.
Je peux vous dire, pour être sans arrêt en contact avec nos services
diplomatiques à l'étranger, que ces derniers n'arrivent pas à obtenir des
droits au séjour et des visas pour des scientifiques qui sont invités dans des
universités françaises ou par des laboratoires de recherche français.
Est-il normal que des conseillers culturels en viennent à téléphoner à un
sénateur représentant les Français de l'étranger pour obtenir une intervention
auprès d'une préfecture afin que tel scientifique dont ils ont organisé le
voyage en France obtienne son titre de séjour ?
Cette situation n'est pas acceptable. C'est nuisible à l'image de la France à
l'étranger, et même très gravement ; c'est nuisible à la francophonie.
Il faut absolument que non seulement on dispose de cette carte scientifique,
mais aussi qu'on améliore les procédures administratives dans les consulats et
dans les préfectures pour que les intéressés soient accueillis avec toute la
déférence et toute l'amitié que nous souhaitons leur témoigner.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Daniel Eckenspieller.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
La multiplication des types de carte de séjour proposée dans cet article est,
à nos yeux, dangereuse et elle constitue une réponse inadaptée à la lourdeur du
traitement des demandes de titres.
Une mesure dangereuse, d'abord, car ces créations de cartes risquent de
complexifier le système existant et d'entrouvrir la porte à d'autres
créations.
En effet, jusqu'à présent, le demandeur ne pouvait se porter candidat qu'à un
ou deux types de carte de séjour, les catégories étant à dessein définies très
largement. Mais si le système proposé par cet article venait à être appliqué,
un étranger ayant essuyé un refus pour un certain type de carte serait tenté de
redéposer une demande pour un autre type de carte.
Ce cas de figure est d'autant plus plausible que les nouvelles catégories
proposées présentent des contours extrêmement flous.
Ainsi, la carte « profession artistique et culturelle », si elle était
instituée, entraînerait inévitablement le fleurissement « d'établissements et
d'entreprises culturels » qui ne sont nullement définis dans le présent
article, qui n'en auraient que le nom et qui seraient de véritables coquilles
vides destinées à faciliter l'entrée sur notre territoire.
En outre, une telle mesure nous semble totalement inadaptée au problème
qu'elle entend résoudre. En effet, si les conditions d'entrée sont trop lourdes
et, surtout, si les délais de délivrance des titres sont trop longs pour les
scientifiques et les artistes, je note qu'il en va de même pour l'ensemble des
demandeurs, quelle que soit leur situation !
Aussi, plutôt que de créer des catégories supplémentaires et d'alourdir une
réglementation déjà difficile à appliquer, il conviendrait d'accorder davantage
de moyens aux services compétents en vue d'un traitement plus rapide et
efficace des demandes.
Vous avez compris, monsieur le ministre, que nos points de vue divergent sur
cette question et que nous ne pouvons donc que nous rallier à la position de la
commission visant à supprimer l'article 3.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
En tant que doyen de faculté comme en tant que vice-président d'une
université, j'ai connu les problèmes qu'a soulevés M. Loridant. Mais, en pareil
cas, ce n'est jamais la loi qu'on a mise en cause ; c'est toujours
l'administration.
C'est l'administration qui est coupable dans cette affaire. C'est elle qui
n'enregistre pas suffisamment et en temps voulu toutes les demandes et tous les
dossiers. En réalité, c'est la faiblesse des moyens de l'administration que
l'on est en train de dénoncer ici, et pas autre chose.
Ce n'est d'ailleurs pas à la loi d'intervenir dans ce domaine. Rien n'interdit
au ministre de rajouter, sur les formulaires de demande de visa ou de titre de
séjour, la catégorie. Le législateur n'a pas à régler les détails ; on n'en
sortirait plus ! De plus, à chaque réunion du Parlement, on créerait de
nouvelles catégories.
En réalité, c'est le procès de l'administration qui est instruit ici, et non
pas celui de la loi !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Dominique Braye.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Pour ma part, je me réjouis que la commission nous propose cet amendement de
suppression et je ne saurais, naturellement, mieux illustrer les raisons pour
lesquelles le groupe du RPR le votera qu'en citant les propos qu'a tenus notre
éminent collègue Charles Pasqua lors de la discussion générale.
Voici ce qu'il disait : « L'instauration d'une carte de séjour pour les
chercheurs peut être une bonne chose pour attirer des scientifiques de haut
niveau dans notre pays, mais une définition trop générale entraînera une
multiplication des étudiants qui poursuivent leurs études sans jamais les
rattraper. »
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.) « Un thésard de complaisance pourra s'installer en France avec
sa famille, puis arguer de cette implantation familiale pour rester sur notre
territoire. »
(Murmures sur les mêmes travées ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini.
C'est la vérité !
M. Dominique Braye.
Je poursuis ma lecture : « On n'osera évidemment pas contrôler le sérieux de
ces chercheurs, on n'osera évidemment pas définir les disciplines où nous avons
de vrais besoins, on n'osera évidemment pas avoir une politique intelligente de
quotas dans ce domaine, qui s'y prête pourtant tout à fait. »
M. Philippe Marini.
C'est la politique de la passoire !
M. Dominique Braye.
Les interventions de nos collègues Mme Dusseau et M. Allouche en ont encore
témoigné, il nous est reproché, tout au long de cette discussion, de voir en
chaque étranger un clandestin en puissance.
En tout cas, moi, mes chers collègues, je remarque que, vous, vous voyez dans
chaque véritable clandestin une victime et dans chaque criminel avéré un petit
ange.
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Si nous vous suivions, j'aurais tendance à dire que, celui-ci étant pavé
de bonnes intentions, c'est en enfer que nous irions, madame Dusseau, monsieur
Allouche. Eh bien, nous ne voulons pas y aller !
Plus généralement, les nouvelles catégories de carte de séjour temporaire
créées par l'article 3 du projet de loi - je pense notamment au rajout de
l'Assemblée nationale sur les professions artistiques et culturelles - ne font
qu'ajouter à la confusion. Elles rendent moins lisible l'ordonnance de 1945 et
encore plus complexe le régime des titres de séjour, comme le rappelait
l'orateur précédent.
C'est donc avec plaisir et conviction que nous voterons cet amendement.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Louis Boyer.
Tant pis pour les soi-disant danseurs de samba !
M. Robert Pagès.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront, bien sûr,
sans hésitation contre cet amendement de suppression de la commission.
L'article 3 étend, notamment, le champ de la carte de séjour temporaire aux
scientifiques et aux artistes étrangers. Cette dernière avancée a d'ailleurs eu
lieu grâce à une initiative des députés communistes.
Avant toute chose, je souhaite souligner une nouvelle fois mon désaccord avec
la conception de l'immigration avancée par M. le rapporteur ainsi que par
d'autres orateurs. Ils conçoivent la venue dans notre pays de scientifiques
uniquement en termes de profits pour la France et nullement en termes d'aide au
développement, de coopération. Ils évoquent en effet « l'intérêt et le
rayonnement de la France ».
Les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ont, décidément,
une optique différente, qui comprend l'intérêt fondamental de notre pays comme
intimement lié à une politique de codéveloppement qui doit mettre en exergue la
nécessité d'échanges scientifiques.
A l'Assemblée nationale, sur cet article, l'opposition de droite a fait planer
une nouvelle fois l'esprit de suspicion. M. Estrosi, député RPR des
Alpes-Maritimes, a fait très fort, en ce domaine : « Pour vous, disait-il, il
n'y a pas de clandestin hors la loi, pas de mariage blanc, de chasseur de RMI
et d'allocations, de scientifique douteux, d'artiste délinquant, de retraité
malhonnête ».
Il insistait, la veille, le 11 décembre - je reprends dans ce florilège - en
affirmant que « ce n'est pas parce qu'on est enseignant ou chercheur qu'on ne
peut avoir d'activité illicite ». Merci pour eux !
Notre collègue M. Braye a repris le texte de M. Pasqua : « Une définition trop
générale de la carte scientifique entraînera une multiplication des étudiants
qui - disait-il avec beaucoup d'humour - poursuivent leurs études sans jamais
les rattraper. Un thésard de complaisance pourra s'installer en France avec sa
famille puis mettre en avant cette implantation familiale pour y rester ». Le «
thésard de complaisance », c'est vraiment quelque chose de nouveau chez les
scientifiques !
Ainsi, les propos parfois séduisants de M. Pasqua en matière de coopération
risquent de devenir caducs face à ces paroles chargées de méfiance, de dérision
et source, hélas ! de haine.
M. Dominique Braye.
C'est la réalité qu'il décrit !
M. Robert Pagès.
La délivrance de la carte aux artistes a provoqué des débordements verbaux
inacceptables de la part de députés de l'opposition.
M. Mariani, député RPR, s'interrogeait : « Qu'est-ce qu'un artiste ? Qui fera
la différence entre le tagueur artiste et le tagueur voyou ? Dans mon
département, on a fait venir quelques danseurs cubains de rumba. »
Mme Joëlle Dusseau.
C'était la samba, tout à l'heure !
M. Robert Pagès.
« S'agissait-il d'une prestation artistique ? On a parfois des chances que les
choses s'achèvent en prestations extra-artistiques... » Voyez la pointe !
M. Rudy Salles n'était pas en reste : « L'article 3, disait-il, restera dans
les annales pour son art de tout mélanger : Einstein et les strip-teaseuses de
Pigalle. »
Ces propos sont choquants, et je suis persuadé que bon nombre d'entre vous,
sur l'ensemble des travées, n'acceptent pas cette dérive même s'ils ne
partagent pas, par ailleurs, toutes nos analyses.
Il faut conserver, selon nous, l'aspect novateur et intéressant du projet de
loi. Aussi, nous ne voterons pas cet amendement de suppression.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les propos de notre collègue Dominique Braye n'ont pas semblé soulever, du
côté gauche de l'hémicycle, de l'enthousiasme. Je ne serai pas aussi sévère
car, pour une fois qu'il a demandé la parole au lieu d'interrompre sans cesse
les orateurs, je trouve qu'il y a un progrès.
(Rires.) Ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs de continuer d'interrompre
après !
(Nouveaux rires.) Mais pendant qu'il s'exprime, au moins il ne le fait
pas. Certes, il lit son intervention mais il y a déjà un progrès.
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Dominique Braye.
Je n'arrive pas à la cheville de M. Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Excusez-moi, je soulignais le contraste selon lequel quand M. Braye interrompt
il ne lit pas et lorsqu'il intervient il lit.
(Sourires.)
M. Philippe Marini.
Revenez au sujet !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. le rapporteur nous a reproché hier de demander que l'administration soit
contrôlée pour éviter tout risque de dysfonctionnement. Notre collègue Patrice
Gélard a déclaré tout à l'heure qu'il s'agissait de modifier non pas la loi
mais les errements de l'administration.
Mme Nicole Borvo.
Il faudrait savoir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais comment faire pour éviter tout dysfonctionnement dans l'administration
sinon de légiférer en ce sens ?
Je m'étonne d'ailleurs qu'il n'y ait pas une unanimité qui se dégage pour
soutenir le texte de l'Assemblée nationale alors que, rentrant d'une mission au
Liban conduite par le président de la commission des lois lui-même, les uns et
les autres exprimaient leur émotion quant au fait qu'un professeur venant
jusque-là tous les ans en France faire des conférences - M. Larché pourrait
être plus précis - n'arrivait plus à obtenir son visa. Il a fallu tout le poids
de certains membres de la majorité de l'époque pour que ce document lui soit
délivré.
Le texte qui vous est proposé mettra un terme à de tels dysfonctionnements.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
La succession des amendements que nous avons examinés depuis une demi-heure
est très intéressante car nous voyons bien que le visage de réalisme que le
Gouvernement voudrait se donner est quelque peu hétérogène, en tout cas
beaucoup plus qu'il ne nous le dépeint.
M. Guy Allouche.
« Visage hétérogène », cela ne veut rien dire !
M. Philippe Marini.
Je vais vous dire où je veux en venir !
Tout à l'heure, M. le ministre nous a expliqué qu'il fallait maintenir une
disposition de bon sens de la loi Debré, et donc repousser les amendements
proposés par Mme Dusseau et par le groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Joëlle Dusseau.
Hélas !
M. Philippe Marini.
Voilà quelques instants à peine, M. le ministre reprenant, par solidarité
politique sans doute au sein de la majorité plurielle, une idée issue du groupe
communiste de l'Assemblée nationale, défend - probablement sans trop de
conviction - ce principe de la carte spécifique pour les artistes et pour les
scientifiques.
Si j'ai parlé d'un visage hétérogène, c'est parce que je ne comprends pas.
On peut avoir une approche réaliste et, dans ces conditions, on tient compte
notamment de ce qui a été dit très opportunément par notre collègue Patrice
Gélard, bon praticien de ces sujets, ou par M. le rapporteur. Dans cette
optique réaliste, on reconnaît que c'est à l'administration de considérer que,
dans certain cas, il y a des conventions de coopération, que des scientifiques
viennent invités par des universités françaises...
M. Claude Estier.
A qui on refuse le visa !
M. Philippe Marini.
Dans ces cas, les procédures suivies par l'administration sont rapides et
efficaces. C'est ce que j'appelle l'optique réaliste.
Mais on peut avoir une optique différente - c'est l'autre face du visage, face
que j'allais qualifier de plurielle - et avoir une approche angélique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas hétérogène !
M. Philippe Marini.
Cette approche consiste à parer les membres de certaines professions ou les
praticiens de certaines activités de toutes les vertus. Au nom de ces vertus
imaginaires, on leur ouvre grand les portes de notre pays.
Cette succession d'amendements et de débats montre bien la contradiction
interne du Gouvernement, qui voudrait nous expliquer qu'il est sur une espèce
de ligne de crête raisonnable où il aurait le monopole du réalisme.
Mes chers collègues, si l'on est réaliste, on suit la commission des lois, et
on s'en tient à la législation précédente, qui était fort équilibrée et fort
opportune. Il convient donc de supprimer l'article 3. Pour ma part, avec un
grand nombre de mes collègues, je voterai l'amendement de suppression.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 3 est supprimé.
Mme Nicole Borvo.
Quelle honte !
Article additionnel après l'article 3