M. le président. « Art. 33. _ I. _ Le quatrième alinéa de l'article 131-30 du code pénal est remplacé par les dispositions suivantes :
« Le tribunal ne peut prononcer que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger condamné l'interdiction du territoire français, lorsque est en cause :
« 1° Un condamné étranger père ou mère d'un enfant français résidant en France, à condition qu'il exerce, même partiellement, l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ou qu'il subvienne effectivement à ses besoins ;
« 2° Un condamné étranger marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation, que la communauté de vie n'ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;
« 3° Un condamné étranger qui justifie qu'il réside habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de dix ans ;
« 4° Un condamné étranger qui justifie qu'il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans ;
« 5° Un condamné étranger titulaire d'une rente d'accident de travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ;
« 6° Un condamné étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. »
« II. _ A l'article 213-2, au deuxième alinéa de l'article 222-48, et aux articles 414-6, 422-4 et 442-12 du code pénal, les mots : "cinq derniers alinéas de l'article 131-30" sont remplacés par les mots : "six derniers alinéas de l'article 131-30". »
Par amendement n° 75, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit le premier alinéa du I de cet article :
« Les cinq derniers alinéas de l'article 131-30 du code pénal sont remplacés par sept alinéas ainsi rédigés : ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Il s'agit de corriger une erreur d'alinéa. Là encore, nous sommes animés par le souci de bien compter.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Favorable !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 75, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté).
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 73, MM. Dreyfus-Schmidt, Allouche, Authié, Badinter, Biarnès, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Chervy, Dussaut, Mme Pourtaud, MM. Quilliot, Sérusclat et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger ainsi le premier alinéa du texte présenté par le I de l'article 33 pour remplacer le quatrième alinéa de l'article 131-30 du code pénal :
« Toutefois, l'interdiction du territoire n'est pas applicable lorsque est en cause : »
Par amendement n° 39, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose, dans le premier alinéa du texte présenté par le I de l'article 33 pour remplacer le quatrième alinéa de l'article 131-30 du code pénal, de supprimer les mots : " et de la situation personnelle et familiale de l'étranger condamné ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 73.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais tout de même souligner le souci de la commission des lois de rectifier les erreurs matérielles, y compris dans le décompte des alinéas. Cela démontre que, à son avis, l'Assemblée nationale, lorsqu'elle se prononcera une dernière fois, n'apportera aucun changement à ce texte ; sinon, cela n'aurait aucun intérêt.
Tout à l'heure, M. le ministre m'a opposé Molé. Je voudrais tout de même lui signaler que la statue qui est dans cette enceinte est celle de Mathieu Molé, lequel fut garde des sceaux en avril 1651. Il ne faut pas le confondre, comme il l'a fait, avec son père, Edouard, qui fut effectivement président à mortier et qui, s'il entretint des relations avec le roi, n'en avait pas moins prêté serment à la Ligue. (Sourires.) Mais nous aurons sans doute le temps d'y revenir.
M. Jean Delaneau. Cela paraît en effet très important ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'en reviens aux amendements. Je rappelle que, hier, je suis intervenu, pour me prononcer sur l'amendement n° 88 présenté par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, après avoir vainement demandé une discussion commune avec notre amendement n° 73. M. le président m'a fait remarquer que ce n'était pas possible, et il avait raison. En effet, l'article 21 bis de l'ordonnance, dans lequel nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen demandaient que l'on supprime les mots « que par une décision spécialement motivée », précisait : « le tribunal ne peut prononcer que par une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction l'interdiction du territoire prévue par les articles 19, 21, 27 et 33 ». Je pensais donc qu'il y avait un rapport avec notre amendement n° 73, qui se rapporte à l'article 33. Mais il ne s'agit pas du même article 33. En effet, celui qui est visé dans l'article 21 bis, c'est l'article 33 de l'ordonnance, alors que notre amendement n° 73 concernait l'article 33 du projet de loi.
Il n'en reste pas moins qu'il s'agit, dans les deux cas, de l'interdiction du territoire prononcée par le tribunal. Dans l'article 131-30 du code pénal, concerné par l'article 33 du projet de loi, il est demandé qu'elle ne soit proposée à l'encontre des personnes protégées que par une disposition spécialement motivée. Le Gouvernement a proposé, dans son projet de loi, que l'on ajoute les mots « et compte tenu de la situation familiale de l'intéressé ». Ces dispositions-là ne se retrouvent pas à l'article 21 bis où sont prévus des cas comme celui de la tante qui aurait accueilli son neveu qui serait en situation irrégulière, c'est-à-dire des cas moins graves que ceux qui sont visés par le code pénal. Je pense qu'il m'aura suffi d'attirer l'attention du Gouvernement sur cette non-conformité entre l'article 33 de son projet de loi et l'article 21 bis de l'ordonnance pour qu'il tente, lorsque le texte reviendra devant l'Assemblée nationale, au moins de coordonner ces deux textes.
Par notre amendement n° 73, comme je l'ai expliqué hier en intervenant sur l'amendement n° 88, nous insistons pour que l'interdiction du territoire ne puisse pas être prononcée à l'encontre de personnes qui ont des liens extrêmement étroits avec la France. C'est ce que prévoyait l'article 131-30 du code pénal avant qu'il ne soit modifié par la loi Pasqua.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 39 et pour donner l'avis de la commission sur l'amendement n° 73.
M. Paul Masson, rapporteur. L'amendement n° 39 vise à supprimer les mots « et de la situation personnelle et familiale de l'étranger condamné ». En effet, aux termes du projet de loi dans sa rédaction actuelle, le tribunal doit d'ores et déjà prendre en compte, dans sa motivation, l'ensemble des éléments du dossier, parmi lesquels figurent, bien sûr, la situation personnelle et familiale de l'étranger condamné. Il paraît un peu redondant de préciser que le tribunal doit prendre en considération la situation personnelle et familiale de l'intéressé, puisque c'est l'ensemble du dossier qui doit être examiné.
S'agissant de l'amendement n° 73, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 73 et 39 ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je ne vais pas répondre de nouveau à M. Masson, qui veut priver le texte gouvernemental de toutes les avancées qu'il comporte.
M. Jean Chérioux. Avancées pour les uns et pas pour les autres !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. M. Dreyfus-Schmidt n'est pas toujours sensible à ces avancées. En effet, il intervient constamment dans un sens, mais jamais pour soutenir les avancées que comporte le projet de loi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est parce que vous m'avez demandé de ne pas être trop long, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Dans ces conditions, je vous prie de m'excuser.
Je vous fait tout de même remarquer que ce texte comporte de nombreuses avancées sur lesquelles, si vous deviez voter le traité d'Amsterdam, vous seriez obligé de revenir complètement. En effet, vous troqueriez la législation française, avec les ouvertures et les avancées libérales qu'elle comporte au regard du droit des étrangers, contre un texte vraisemblablement beaucoup plus sévère s'il obéit au souhait de l'Allemagne, comme cela paraît être le cas. Je pense que vous devriez bien mesurer l'inconséquence fondamentale de la position qui est la vôtre, au moins sur ce point.
Je vais quand même vous répondre sur le fait que vous souhaitez interdire la possibilité d'une interdiction judiciaire du territoire. Il faut garder un certain équilibre entre la présence de l'étranger et le souci de l'ordre public. Je vois passer sur mon bureau, non pas tous les jours mais souvent, des dossiers concernant des cas dramatiques. Je ne les citerai pas ici pour ne pas déchaîner les passions. Il s'agit de ceux sur lesquels je dois parfois m'interroger au regard des risques de récidive, qui peuvent être sérieux.
Il ne faut donc pas priver la puissance publique d'une possibilité d'appréciation. En effet, l'expression « double peine », qui est employée couramment, est, selon moi, totalement démagogique et méconnaît foncièrement la distinction entre le citoyen français et l'étranger. Or cette distinction existe. Elle est le fondement même de l'organisation internationale. Les hommes se reconnaissent dans leur appartenance nationale, du point de vue politique, pour l'exercice de la souveraineté politique. On n'a pas encore inventé un autre système.
Je rappelle que l'Organisation des Nations unies, c'est l'organisation des nations. On ne peut donc pas faire comme si cette appartenance nationale n'était pas la base de l'organisation politique du monde. A partir de là, on peut, bien sûr, introduire toutes les souplesses possibles. Nous ne devons pas perdre de vue les grands idéaux universels qui sont au coeur de la devise républicaine. C'est là le b a-ba de la compréhension du monde dans lequel nous sommes. L'oublier, c'est forcément s'aventurer sur un terrain glissant ; donc, je vous retiens avant que vous tombiez ! (Sourires.)
Sur le fond, je regrette que M. Masson ne soit pas sensible à la nécessité de tenir compte des attaches familiales.
M. Paul Masson, rapporteur. Mais si !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Il faut que la décision du juge soit motivée au regard des attaches familiales, monsieur le rapporteur. Telle est la nouveauté introduite par le projet de loi.
Dans ces conditions, j'émets un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 73.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais d'abord dire à M. le ministre que nous sommes souvent intervenus pour soutenir les avancées du projet de loi, avancées que nous reconnaissons et que nous avons nous-mêmes soulignées lors de nos interventions à la tribune.
Si nous le faisons moins - nous restons naturellement prêts à le faire - c'est pour l'unique raison qu'il nous a lui-même, en même temps qu'au Sénat, demandé d'être aussi peu bavards que ce soit ! Mais nous sommes bien souvent en plein accord avec lui et nous le répéterons tout à l'heure, au cours des explications de vote.
Pour le reste, je dois vous rappeler, monsieur le ministre, que je suis le porte-parole du groupe socialiste, qui a adopté en connaissance de cause les amendements que j'ai l'honneur de défendre.
En ce qui concerne l'amendement pour l'instant en discussion, il faut, selon moi, faire une différence entre les étrangers qui n'ont aucune attache avec la France, pour lesquels j'estime, en effet, qu'il ne s'agit pas d'une double peine, et ceux qui ont des attaches importantes avec notre pays. Ce sont précisément ceux-là qui sont visés à l'article 33 du projet de loi ; ce sont d'ailleurs les mêmes qui sont visés dans l'ordonnance, à l'article 26, et qui sont inexpulsables. Je citerai, par exemple, le cas d'un étranger qui justifie de résider habituellement en France depuis plus de quinze ans ou d'un étranger qui est père ou mère d'un enfant français et qui contribue à ses besoins. Nous ne contestons pas le fait qu'ils puissent être condamnés, monsieur le ministre, s'ils sont coupables d'infractions pénales. Cependant, nous sommes choqués - et vous n'y êtes pour rien car c'est la formulation précédente - par le fait qu'ils puissent être interdits du territoire au regard de la gravité de l'infraction alors que, nous l'avons dit hier, ce qu'il faut prendre en compte, c'est non pas la gravité de l'infraction, mais l'importance de la condamnation.
Vous ajoutez, vous, que l'interdiction doit être motivée également par la situation personnelle et familiale de l'étranger condamné. Or, ceux qui ne pourraient être interdits du territoire que par une décision spécialement motivée, ce sont précisément ceux dont la situation personnelle et familiale est prise en considération par la loi pour les protéger, comme par l'article 26 de l'ordonnance qui les rend inexpulsables.
Il y a les étrangers et les Français, dites-vous. C'est vrai. Mais entre les deux, il y a ceux qui sont régulièrement en France, et dont il ne faut pas précariser la situation, avez-vous dit. Sur ce point, comme sur de nombreux autres, nous sommes pleinement d'accord avec vous.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 73, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 39, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 40, M. Masson, au nom de la commission des lois, propose, à la fin du II de l'article 33, de remplacer les mots : « six derniers alinéas » par les mots : « sept derniers alinéas ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson, rapporteur. Il s'agit de constater que le code pénal dispense, dans certains cas, de rendre une décision spécialement motivée. C'est pourquoi il faut modifier le décompte des alinéas pour prendre en considération les nouvelles catégories visées par le projet de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Favorable !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 40, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 33, modifié.

(L'article 33 est adopté.)

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