M. le président. Je suis saisi par M. Bonnet, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant qu'il a adopté, le 18 décembre 1997, une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi relatif à la nationalité, le droit de la nationalité lui étant apparu trop fondamental et trop intimement lié à l'identité de la nation pour être bouleversé sans solennité au gré de chaque alternance ;
« Considérant qu'après le rejet de cette motion par l'Assemblée nationale, il a souhaité le maintien de l'exigence d'une démarche individuelle volontaire pour l'acquisition de la nationalité française par les jeunes nés en France de parents étrangers, instituée par la loi du 22 juillet 1993, et a donc été conduit à supprimer, en première lecture, les dispositions du projet de loi tendant à revenir sur cette réforme récente du droit de la nationalité ;
« Considérant que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion n'a pu que constater que les travaux des deux assemblées reposaient sur des philosophies inconciliables et qu'il était dès lors impossible de parvenir à un accord ;
« Considérant qu'en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale n'a pas évolué, même sur les points les plus techniques, et, ne tenant aucun compte du travail effectué par le Sénat, a intégralement repris le texte qu'elle avait adopté en première lecture, rejetant en même temps la totalité des nouveaux articles additionnels ;
« Considérant que ce texte qui lui est aujourd'hui soumis en nouvelle lecture ne diffère en rien, à une exception près concernant les Alsaciens-Mosellans, de celui sur lequel il a tenu à procéder à un débat approfondi et détaillé en première lecture ;
« Considérant que ce projet de loi n'est ni urgent, ni nécessaire, car rien ne justifie de remettre en cause dans son principe la manifestation de volonté de devenir français instituée par la loi du 22 juillet 1993 sur la base des propositions largement consensuelles de la commission de la nationalité, les regrettables dysfonctionnements administratifs parfois apparus dans l'application de cette loi - au demeurant globalement satisfaisante - pouvant être corrigés sans réforme législative nouvelle ;
« Considérant que ce projet de loi n'est pas non plus opportun, notamment parce que les préoccupations liées à la conscription qui avaient autrefois conduit à prévoir une acquisition automatique de la nationalité française par les immigrés de la "deuxième génération" ne sont plus d'actualité et que la capacité d'intégration de la société française s'est affaiblie ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la nationalité, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 287, 1997-1998). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion : l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Dès lors qu'un débat approfondi a eu lieu dans cette enceinte voilà quelque temps, dès lors que les points de vue apparaissent parfaitement inconciliables, la commission des lois a estimé que mieux valait recourir à une question préalable.
Le projet de loi qui vous est soumis une nouvelle fois ne diffère en rien, à une exception près concernant les Alsaciens et les Mosellans, de celui sur lequel le Sénat a tenu à procéder, je le répète, à un débat très approfondi, très détaillé en première lecture.
Or ce projet de loi n'est ni nécessaire ni urgent, car rien ne justifie de remettre en cause dans son principe la manifestation de volonté de devenir français instituée par la loi du 22 juillet 1993 sur la base des propositions largement consensuelles de la commission de la nationalité, les regrettables dysfonctionnements administratifs parfois apparus dans l'application de cette loi, au demeurant globalement satisfaisante, pouvant être corrigés sans réforme législative nouvelle.
Ce projet de loi ni nécessaire ni surtout urgent n'est pas non plus opportun, notamment parce que les préoccupations liées à la conscription qui avaient autrefois conduit à prévoir une acquisition automatique de la nationalité française par les immigrés de la « deuxième génération » ne sont plus d'actualité et que la capacité d'intégration de la société française s'est indéniablement affaiblie.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Dès lors, la commission des lois a estimé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à la nationalité tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après déclaration d'urgence. Elle vous propose donc d'adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Braye. On le fera !
M. le président. La parole est à M. Badinter, contre la motion. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est paradoxal de conclure sur une question préalable un débat qui aura retenu, semble-t-il, de façon si passionnée l'attention de chacun.
Au terme de ce débat, je suis sans illusion. Vous l'emporterez aisément, mon cher collègue Christian Bonnet, sinon glorieusement, mais vous l'emporterez.
Il est toutefois peut-être temps de ramener l'objet de la discussion à sa juste mesure. On a parlé à cet égard de points de vue inconciliables pour des raisons de philosophie. S'agit-il bien de philosophie ? Très franchement, je ne le crois pas. Nous n'avons pas assisté en effet à une remise en cause de la conception de la nationalité qui est traditionnellement celle du droit français.
Ai-je besoin de le rappeler ? Nous avons vécu, nous continuons à vivre et nous continuerons à vivre sur un double droit, celui du sang et celui du sol.
Contrairement à ce que j'ai entendu avec stupéfaction - mais je n'étais pas le seul à avoir eu ce sentiment - de la part de certains sénateurs de la droite, le droit du sol dans le droit français de la nationalité n'a jamais été l'acquisition de la nationalité française par le simple fait d'être né sur le sol français. On y a toujours ajouté les conditions, qui sont essentielles, de résidence et d'établissement ; et ce dispositif n'est pas modifié.
De quoi avons-nous donc débattu ? Nous avons débattu tout simplement du problème de l'expression d'une volonté dans ce qui a été, depuis plus d'un siècle, la tradition républicaine : on ne devenait pas Français contre son consentement, on ne devenait pas Français automatiquement, on devenait Français, sauf à s'y opposer, sauf à ne pas le vouloir. La République a toujours respecté la volonté de chacun sur son sol.
Qu'est-ce qui a changé à partir des travaux de la commission Marceau Long ? Le seul changement fut de passer à l'exigence d'une déclaration explicite au lieu d'une simple expression implicite, par le fait qu'on ne déclinait pas la nationalité française.
Voilà ce qu'a été la loi de 1993. J'expliquerai maintenant pourquoi vous avez bien fait, madame la ministre, de revenir sur cette disposition qui est loin d'avoir l'éclat et l'importance qu'on lui prête.
Ne confondons pas - je vous en prie - la naturalisation avec ce qu'elle peut impliquer dans certains pays de cérémonial et la situation particulière d'enfants qui sont nés sur le sol français, qui, pour leur quasi-totalité, y ont grandi, qui sont, eux aussi, bénéficiaires de notre culture et qui sont appelés - ne l'oubliez surtout jamais - à y demeurer.
Les choses étant ce qu'elles sont, je dirais simplement que vous avez bien fait, madame la ministre. Il y avait un problème, que l'on connaît et qui n'a pas été résolu durant les dernières années, à savoir la différence de zèle de l'administration à informer ces enfants de parents étrangers nés sur le sol de France, qui y avaient grandi, qui s'y étaient établis, qu'il leur fallait désormais demander explicitement la nationalité française pour l'obtenir. Cela avait pour conséquence que, selon les régions, selon le zèle, la bonne volonté ou la disponibilité des agents de l'administration, ici l'on avait plus de déclarations que là, au regard de la proportion d'enfants étrangers nés sur le sol de France et appelés à être Français.
On ne peut pas, messieurs, je le dis très fortement, soumettre ainsi aux diligences de l'administration la possibilité de devenir français.
M. Philippe Marini. Elle est dirigée par le Gouvernement !
M. Robert Badinter. Il y a là une sorte d'inégalité de fait devant une loi qui ne répond pas à des exigences que chacun connaît et qui sont d'ailleurs, sur ce point, toujours très scrupuleusement censurées, en cas de défaut, par le Conseil constitutionnel. L'égalité devant la loi doit être concrète.
Il y a aussi, lié à cela, le risque majeur qui avait été évoqué et qui semble avoir été perdu de vue : rien ne me paraît plus grave que de laisser sur le bord de la route ceux qui pensent être devenus français et qui, par ignorance, n'ont pas fait les formalités nécessaires. Ce sont généralement ceux qui sont le plus défavorisés par leur condition sociale. Ainsi, aux autres désavantages - et le terme est faible ! - s'ajouterait le fait que, sans le savoir, ils demeurent étrangers sur le sol où ils sont nés. Je ne crois pas que ce soit la vocation de la République.
Voilà la raison première pour laquelle on devait revenir à la tradition républicaine.
La seconde raison, en dehors de cette inégalité de fait qui accable les moins favorisés, est d'un autre ordre, mais elle est tout aussi pressante. Il ne s'agit pas ici, mesdames, messieurs, d'un point de vue philosophique. Il s'agit simplement d'une exigence première qui nous concerne tous : tout ce qui facilite l'intégration paisible de ceux qui sont nés sur le sol de France et qui, je le répète, sont voués à y demeurer est bon pour la nation et la République tout entière.
Ne laissons pas dans ce domaine d'exclus sur le bord du chemin pour des présupposés idéologiques. Tant que la République sera ce qu'elle est et telle que nous l'aimons, jamais les plus défavorisés ne doivent, dans la législation, être traités plus sévèrement que les autres.
Dans le cas qui nous intéresse, vous l'avez dit fort bien, madame la ministre, et je regrette que notre ami Paul Girod ne soit plus là, vous n'avez pas évoqué seulement la télévision. Vous avez aussi évoqué la communauté de vie dans les mêmes immeubles et dans les mêmes quartiers qui ne sont pas les plus favorisés, la communauté à l'école, où les enfants ont la même scolarité, les mêmes professeurs, les mêmes manuels. Vous avez enfin évoqué la communauté que l'on peut appeler de culture et dans laquelle s'inscrit, au premier chef, la télévision, nous le savons tous, et cela vaut aussi bien pour les ouvrages qu'on lit.
Ils sont les mêmes, les Français nés de parents français sur le sol français et les enfants d'immigrés qui sont nés, à côté d'eux, de parents immigrés et qui seront français ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Ceux qui disent qu'ils ne sont pas les mêmes projettent sur la nationalité une conception que la République a toujours refusée, qu'on l'appelle « organique » ou qu'on l'appelle « ethnique », et qui ne sera jamais la nôtre ! (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Les choses étant ce qu'elles sont, je crois que vous avez bien fait.
J'ai peut-être, comme mon amie Monique Cerisier-ben Guiga, quelque regret. En effet, vous n'êtes pas allée plus loin sur la possibilité pour les enfants nés sur le sol de France de parents étrangers établis régulièrement et depuis longtemps sur notre sol de devenir Français dès leur naissance par déclaration de leurs parents. Cela leur aurait valu d'éviter de se sentir étrangers dans le pays auquel ils sont voués à appartenir. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
La parole est à M. Gélard pour explication de vote.
M. Emmanuel Hamel. La force normande ! (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Merci, cher collègue !
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe du RPR va naturellement voter la question préalable... (Quel scoop ! sur les travées socialistes) pour des raisons qu'il me serait trop long de développer en détail, mais sur lesquelles je voudrais revenir brièvement.
D'abord ce débat a eu au moins un mérite, celui de reconnaître que le droit du sol n'a jamais été menacé en France, contrairement à ce que l'on a dit trop souvent lorsqu'on a manifesté contre la loi de 1993 dans le passé.
Ensuite, je regrette que l'on n'ait pas voulu demander au peuple français ce qu'il pensait sur la nationalité et donc que l'on n'ait pas eu recours au référendum. (Bravo ! sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini. Ils ont eu peur !
M. Patrice Gélard. Enfin, et j'attire votre attention sur ce point, madame le ministre, nous divergeons moins sur la philosophie que sur le diagnostic de la situation. Or qui dit différence de diagnostic dit différence de thérapeutique.
Je ne veux pas remettre en cause ni vos motifs ni votre générosité, sans doute réelle, à l'égard de ceux que vous voulez intégrer. Mais, madame le ministre, l'intégration ne se décrète pas. L'intégration, on la veut ou on ne la veut pas. La nation n'est pas une somme d'individus, elle n'est pas une addition d'êtres humains. Ou alors nous n'avons plus la même conception de la nation, ce qui serait très grave.
Je ne veux pas que l'on aille jusque-là. Toutefois, je le répète, cette différence de diagnostic implique une différence de thérapeutique. Il n'y a aucune raison de remettre en cause celle que nous avions instaurée en 1993 et qui demandait une simple manifestation de volonté de la part de ceux qui sont fiers de devenir français comme nous nous sommes fiers de les accueillir parmi nous. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Philippe Marini. Il faudra y revenir !
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Il semble qu'entre l'Assemblée nationale, le Gouvernement et le Sénat il n'y ait guère de compréhension bien que, comme l'a rappelé Robert Badinter, le fait de modifier à nouveau la loi ne change rien pour les jeunes. Je crains même qu'elle ne soit encore moins bien comprise !
Parce que, nous explique-t-on, des jeunes entre seize ans et vingt et un ans ne faisaient pas leur déclaration, il faut supprimer cette dernière. S'il fallait, dans toutes les lois, supprimer les dispositions légales qui ne sont pas appliquées à 100 %, il ne nous resterait plus qu'à lever la séance immédiatement et cela ne servirait plus à rien de légiférer !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Il s'agit d'une conception tout à fait curieuse de la loi !
M. Dominique Braye. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. En fait, nous avions proposé - la commission des lois avait d'ailleurs accepté, tout comme le Sénat - étant donné que nous avons transformé le code électoral avec l'inscription automatique des jeunes de dix-huit ans et qu'à partir de 1999 tous lesgarçons et filles vont être recensés, de diffuser à ce moment-là auprès des jeunes l'information. Cela nous paraissait plus simple !
M. Jean Chérioux. C'était trop simple !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais vous ne l'avez pas fait !
M. Jean-Jacques Hyest. En fait, on a voulu faire plus symbolique car il paraît que nous avions, en 1993, supprimé le droit du sol. C'est du moins ce qu'ont affirmé les médias, mais ce n'est pas vrai. D'ailleurs, tout le monde en convient aujourd'hui.
Nous souhaitions seulement, selon les travaux de la commission Marceau Long - commission qui était ouverte, et non restrictive, et qui avait formulé de nombreuses dispositions très positives - permettre aux jeunes issus de l'immigration de s'intégrer véritablement.
On ne peut pas, au nom d'un symbole, changer aujourd'hui la législation. Non seulement cela me paraît complètement inutile, mais dela détournerait encore un peu plus le débat politique sur un sujet très délicat ! C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste votera la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Le groupe du RDSE est un groupe divers.
M. Jean Chérioux. Pluriel ! (Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau. Pour ceux qui auraient eu des doutes sur ce sujet, l'intervention de M. Paul Girod et la mienne auront levé toutes les questions préalables. (Nouveaux sourires.)
Nos votes vont donc bien entendu se partager, et ce d'une manière pratiquement égale, légèrement au détriment du contre malheureusement. En effet, au sein de notre groupe, neuf d'entre nous rejetteront la question préalable, onze l'adopteront et un s'abstiendra.
M. Dominique Braye. Ce n'est pas trop mal ! (Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau. Mais la tendance de gauche progressant quelque peu dans ce groupe, je ne pouvais me priver du plaisir de le signaler !
M. Jean Chérioux. De vous en féliciter !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 76:

Nombre de votants 315
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages 158214
Contre 100

M. Emmanuel Hamel. Pour la défense de la France !

M. le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.4