M. le président. La parole est à Mme Heinis, auteur de la question n° 155, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
Mme Anne Heinis Ma question s'adressait en fait à M. le ministre des affaires étrangères et concerne la situation toujours préoccupante entre les autorités anglo-normandes et les pêcheurs du Cotentin. Depuis le mois de septembre 1997, des réunions techniques et professionnelles sur le thème des relations de voisinage entre pêcheurs jersiais et normands se sont multipliées.
Cependant, il semble que la position des autorités françaises ne soit pas suffisamment ferme face aux exigences accrues des autorités britanniques et jersiaires, en vue de limiter, de façon drastique, l'accès des pêcheurs français dans la baie de Granville, zone pour laquelle existe un principe de « mer commune ».
A l'heure actuelle, le secteur de pêche exclusivement réservé à Jersey est limité à une bande de trois miles autour de l'île anglo-normande. Les autorités britanniques et jersiaires prétendent voir étendue cette limite à partir de deux bancs de rochers découvrants, eux-mêmes situés en limite des trois miles actuels, repoussant d'autant vers le Nord la limite exclusive des trois miles.
Il faut savoir que les pêcheurs du Cotentin ont été échaudés par l'application systématiquement défavorable de l'accord bilatéral conclu en 1992 avec Guernesey, qui a notamment abouti à leur éviction du « haricot » de la Schole.
Les points suivants sont les plus sensibles : le dévoiement de la délégation de justice qui a donné lieu à une pétition du comité régional des pêches maritimes auprès du Parlement européen, la notion de reconnaissance des pratiques existantes, la rupture unilatérale du modus vivendi de 1994, le non-respect de l'article 6 aux termes duquel les pêcheurs sont invités à se rencontrer et la modération dans la mise en oeuvre et dans le règlement des contestations.
Je demande donc au Gouvernement de manifester une volonté politique très ferme, d'appuyer le travail technique effectué par la direction des pêches maritimes par une réouverture des négociations avec Guernesey avant de poursuivre les démarches relatives aux relations de voisinage avec Jersey. M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Je vous prie tout d'abord, madame le sénateur, d'excuser M. Louis Le Pensec, qui n'est pas à Paris ce matin et qui m'a chargé de répondre très précisément à votre question. Je vais donc vous lire - pardonnez-m'en - sa réponse, puisque les lieux particuliers que vous avez cités ne souffrent pas d'approximation.
Nos relations de voisinage en matière de pêche avec les îles anglo-normandes ont toujours été difficiles en raison de la faible distance qui sépare ces îles de nos côtes.
En ce qui concerne Jersey, la France a toujours exigé avec beaucoup de fermeté que la négociation en cours sur la délimitation des eaux britanniques et françaises autour de cette île ne remette pas en cause le principe de « mer commune » de la baie de Granville. Les droits d'accès des pêcheurs des deux parties aux eaux de la baie de Granville doivent être maintenus, à l'exception, bien sûr, des bandes côtières exclusives de chacun.
Notre fermeté a conduit le Royaume-Uni à accepter ces principes et à modérer ses revendications sans chercher à profiter des récentes évolutions du droit de la mer. Ainsi, le Royaume-Uni ne revendique pas d'étendre ses eaux exclusives au-delà des trois milles. Il ne propose pas non plus d'abandonner la référence appelée « laisse de basse-mer » pour mesurer la largeur de la bande côtière exclusive à l'est de Jersey, région la plus fréquentée par les pêcheurs français.
Au nord ou au sud de Jersey, où le Royaume-Uni souhaite partir des rochers découvrants pour mesurer la limite des trois milles exclusifs, les pratiques de pêche existantes seraient malgré tout reconnues à titre viager, voire perpétuel, dans les zones qui deviendraient ainsi exclusives. Ce serait le cas des bancs de rochers des Pater-noster et des Dirouilles que vous évoquez, au nord de Jersey.
La discussion laisse encore ouvertes, à ce stade, un certain nombre d'options qui devront être approuvées non seulement en fonction des contraintes découlant des règles internationales en la matière, mais aussi de la nécessité d'assurer un juste équilibre entre les intérêts professionnels en cause.
Le ministre de l'agriculture et de la pêche m'indique qu'il est tout à fait à même de vous rassurer sur la détermination de la délégation française à défendre, sans esprit de concession, des positions qui, vous le savez, ont toujours été définies en étroite concertation avec la profession.
Enfin, s'agissant de l'accord de 1992 relatif à Guernesey et des difficultés qu'il soulève, la volonté du Gouvernement est d'approfondir le dialogue avec le Royaume-Uni, notamment en vue d'amender les dispositions de l'accord relatives à la compétence en matière de poursuites. Cette volonté a été clairement affirmée encore tout récemment, le 3 février dernier, par M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, qui a reçu une délégation du comité régional des pêches maritimes pour discuter de la mise en oeuvre de cet accord.
Mme Anne Heinis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir bien voulu répondre à ma question de façon très détaillée.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, ma question s'adressait et s'adresse toujours à M. le ministre des affaires étrangères. M. le secrétaire général du Gouvernement a cru devoir la transmettre au ministre de l'agriculture et de la pêche, dont vous avez pris le relais avec beaucoup de talent. Je ne suis pas rassurée pour autant, et je déplore les effets de cascade.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit d'un problème de relations diplomatiques. S'il est parfaitement exact que la direction des pêches maritimes connaît parfaitement la question, le ministère de l'agriculture et de la pêche a donné au ministère des affaires étrangères tous les éléments en sa possession pour pouvoir négocier avec les îles et avec le gouvernement britannique.
Toutefois, mon inquiétude demeure, parce que je n'ai pas constaté jusqu'ici, depuis l'accord de Jersey de 1992 - mais j'espère que cela viendra, c'est d'ailleurs pourquoi je pose cette question aujourd'hui - de réelle volonté diplomatique et politique de notre pays de trouver, avec les trois composants que sont la France, la Grande-Bretagne et les îles Anglo-Normandes, une réelle solution d'entente.
Cela se traduit, dans la pratique, par des conflits qui ont tendance à s'aggraver entre les pêcheurs, tandis que les îles Anglo-Normandes affichent des ambitions démesurées en matière de territoire de pêche. Si nous ne nous battons pas pour conclure des accords convenables qui respectent les droits des uns et des autres, les pêcheurs français seront très vite au chômage.
Ce sera aussi simple que cela pour une raison très prosaïque que vous avez évoquée tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat : la proximité de ces îles. L'espace est en effet très réduit entre les côtes de la Manche et les îles Anglo-Normandes, et la baie de Granville est toute proche.
Ces eaux sont régies par un droit spécifique, et il est difficile d'exposer le problème en quelques minutes. Mais cette question exige une grande attention si nous voulons parvenir à véritablement défendre nos ressortissants afin que les accords soient respectés par les îles Anglo-Normandes. Nous n'y parviendrons qu'avec le concours du Foreign Office et du Quai d'Orsay. C'est à ce niveau que l'affaire doit être traitée.
Ces instances disposent de tous les documents qu'il leur faut ; nous pouvons d'ailleurs, s'il leur en manquait - ce dont je doute ! - continuer à leur fournir des informations, aussi bien juridiques que techniques.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire au ministre délégué chargé des affaires européennes, M. Moscovici, mais je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous supplie même, de bien vouloir répéter à votre collègue le ministre des affaires étrangères que ce n'est pas une petite affaire, que la France n'a pas le droit de ne pas s'occuper de ses ressortissants, que les problèmes ne peuvent pas être réglés localement - même si les pêcheurs déploient d'immenses efforts - et qu'ils ne peuvent être réglés que par la voie diplomatique.
Nous ne pouvons admettre de voir nos territoires de pêche disparaître et nos pêcheurs vendre leur bateau et s'inscrire au chômage.
Je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour transmettre ce message auquel je suis très attachée. Ces pêcheurs, ils habitent la même région que moi, je les connais, je travaille avec eux, je les rencontre, et ils attendent beaucoup de notre Gouvernement.
M. Pierre Fauchon. Il faut de la combativité !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Madame le sénateur, du fait de la documentation de votre intervention, de votre ton et de votre légitime insistance, je mesure la gravité du problème et l'urgence d'apporter des solutions. Comptez sur moi, je transmettrai tous ces éléments d'information au Quai d'Orsay !

MONTANT DE LA VIGNETTE AUTOMOBILE