M. le président. Par amendement n° 36 rectifié, MM. Cabanel et Barnier proposent d'insérer, après l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé ;
« Il est inséré dans le code du travail un article L. 212-1 bis ainsi rédigé :
« Art. L. 212-1 bis . - Dans les établissements ou les professions mentionnées à l'article L. 200-1 ainsi que dans les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs et leurs dépendances, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 39 heures par semaine. La durée moyenne du travail peut être abaissée jusqu'à 32 heures hebdomadaires par accords d'entreprises ou conventions collectives. »
La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. L'article 1er a donc disparu. Est-ce un bien, comme le pense la majorité sénatoriale ? Et que va-t-il se passer après ? C'est la grande question. La réduction du temps de travail sera-t-elle pour autant définitivement arrêtée ? Je ne le crois pas ; le mouvement de l'histoire ne s'arrêtera pas. La réduction du temps de travail se fera, le message délivré par le Sénat étant qu'elle doit se faire dans d'autres conditions, conditions auxquelles il nous faudra réfléchir.
Pour ma part, j'aurais préféré que l'article 1er, qui est au fond l'élément décisif de la loi, soit réservé pour être examiné à la fin du texte. Peut-être les réflexions auraient-elles été différentes. Quoi qu'il en soit, la situation est ce qu'elle est.
Dans ces conditions, prévoyant quelle serait la décision de la majorité sénatoriale, je me suis efforcé, avec mon collègue Michel Barnier, à titre tout à fait personnel, de reconstituer un article L. 212-1 bis du code du travail qui se lirait ainsi : « Dans les établissements ou les professions mentionnées à l'article L. 200-1 ainsi que dans les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs et leurs dépendances, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 39 heures par semaine. » C'est le chiffre que nous devons retenir compte tenu de la décision de suppression de l'article 1er. Et d'ajouter : « La durée moyenne du travail peut être abaissée jusqu'à 32 heures hebdomadaires par accords d'entreprises ou conventions collectives. »
On pourra peut-être nous reprocher d'entériner un état de fait puisque telle est bien la situation qui prévaut actuellement : des négociations peuvent être ouvertes, dans le cadre de la loi quinquennale de 1995 et, surtout, de la loi Robien de 1996, qui permettent d'aller dans cette voie.
Mais, au moment où le Sénat rejette l'idée de dates butoirs, qui peuvent avoir leur importance pour les travailleurs, car on peut se poser la question de savoir quand cette réduction du temps de travail interviendra si l'on attend les effets lents et progressifs de la loi Robien, par exemple, il me paraît tout de même nécessaire de dire dans quelle voie nous souhaitons nous engager.
A nos yeux, la réduction du temps de travail à 32 heures est certainement la plus efficace. Elle répond à la bonne définition d'une rupture en matière de diminution du temps de travail qui est créatrice d'emplois. Elle répond aussi à une possibilité d'organisation sociale sur quatre jours.
Cette voie mérite donc d'être explorée. Nous souhaitons que soit consacrée cette possibilité au moment où s'est refermée la porte des dates butoirs en matière de réduction du temps de travail.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. M. le président Fourcade a par avance excellemment répondu à cette question en disant, il y a quelques instants, ce que je pouvais dire moi-même.
M. Cabanel est trop bien informé, il connaît trop le code du travail - aussi bien, me semble-t-il, que le rapporteur - pour ne pas savoir que rien, dans ce qu'il propose, n'est normatif.
Il est dit dans l'amendement que : « Dans les établissements... la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à 39 heures. » Mais c'est déjà le cas actuellement. Par ailleurs, rien n'interdit de descendre à 32 heures, voire 31 heures ou 29 heures.
M. Cabanel s'est inquiété de savoir ce qui allait se passer. L'amendement n° 2 - je ne doute pas qu'il l'a lu - qui tend à réécrire l'article 2, répond à sa question.
A titre personnel, puisque la commission n'a pas eu à en connaître, j'estime que l'amendement est intéressant, mais je m'interroge : est-il nécessaire, compte tenu du fait que 39 heures est la durée légale et que rien n'interdit de descendre en dessous de ce seuil, par accords d'entreprises, en particulier ?
Je ne peux pas être défavorable à l'amendement dans la mesure où il ne fait que sanctionner ce qui se passe, mais il me paraît être redondant et, dès lors, ne pas avoir sa place dans la loi.
M. le président. Faut-il en conclure que vous êtes défavorable à cet amendement, monsieur le rapporteur ?
M. Philippe Marini. C'est un amendement superfétatoire !
M. Louis Souvet, rapporteur. Monsieur le président, je préférerais, compte tenu de ce qui a été dit, que M. Cabanel accepte de retirer son amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Comme l'a excellemment dit M. le rapporteur, je crois que cet amendement n'apporte rien sur le plan juridique, même s'il traduit une volonté de s'orienter vers les 32 heures hebdomadaires.
Le Gouvernement partage ce souci puisqu'il a prévu, en faveur des entreprises adoptant les 32 heures, des modalités d'incitation qui sont proportionnellement plus importantes que celles qui s'appliquent aux entreprises adoptant les 35 heures ; en effet, dès la première année, il est prévu pour ces dernières une valorisation de 4 000 francs de l'aide qui est apportée par salarié.
En outre, cet amendement dénie la durée légale du temps de travail à 35 heures au 1er janvier 2000. Je ne peux donc l'accepter.
Cela dit, je salue le souci de M. Cabanel d'aller vers les 32 heures partout où c'est possible, soutenu en cela, d'ailleurs, par les aides du Gouvernement.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur Cabanel ?
M. Guy Cabanel. Je serais tenté de retirer mon amendement, mais cela me pose un problème d'ordre moral. En effet, la majorité sénatoriale a adopté tout à l'heure un amendement de suppression de l'article 1er, qui peut être interprété comme une porte fermée à la réduction du temps de travail.
Pour ma part, même s'il est redondant, je considère que cet amendement est un amendement d'espoir qui traduit notre volonté sur ces travées de ne pas nous opposer à la réduction du temps de travail. En effet, ne nous y trompons pas : la réduction du temps de travail poursuivra son évolution historique ! Personne ne l'arrêtera, ni le vote de telle ou telle commission ni le vote du Sénat tout entier.
En conséquence, même s'il est superfétatoire, je pense que cet amendement représente un espoir, un encouragement adressé à ceux qui attendent que le travail législatif soit achevé et qu'un accord soit trouvé - on aurait pu souhaiter, espérer, imaginer, rêver un accord ! - à ceux qui souhaitent réduire le temps de travail par la négociation dans les branches, dans les entreprises, entre les salariés et les directions.
En conséquence, même si je dois être battu, je maintiens cet amendement.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je comprends très bien le souci de M. Cabanel. Je me permets toutefois de lui signaler que le texte que présente la commission comprend d'autres articles que l'article 1er.
J'invite M. Cabanel à lire l'article 2 tel que le propose la commission et qui dispose que les partenaires sociaux sont appelés à négocier les modalités d'une organisation du temps de travail, pour le réduire ou pour le moduler soit sur la totalité, soit sur une partie de l'année.
Si les entreprises s'y prêtent, elles peuvent bénéficier du dispositif d'incitation prévu à l'article 3 qui synthétise les propositions de la loi Robien et celles du Gouvernement.
En conséquence, le fait d'avoir rejeté l'article 1er ne ferme pas du tout la porte à une réduction de la durée du travail.
Dans la mesure où le code du travail prévoit par ailleurs une possibilité de négociation, je ne saisis vraiment pas l'opportunité de cet amendement.
Dans quelques instants, nous allons aborder l'examen des articles 2 et 3. L'article 2, c'est l'appel à la négociation pour essayer d'accélérer le processus. Quant à l'article 3, c'est l'incitation donnée sur fonds publics pour créer de nouveaux emplois avec deux hypothèses : l'hypothèse d'une réduction de la durée du travail de 10 % qui correspond aux 35 heures, l'hypothèse de la réduction de la durée du travail de 15 % qui correspond aux 32 heures.
Par conséquent, étant donné que l'article 3 relatif aux incitations prévoit les deux hypothèses - 10 % de réduction de la durée du travail avec 6 % de créations d'emplois supplémentaires, 15 % de réduction de la durée du travail avec 9 % de créations d'emplois supplémentaires - nous ne fermons absolument pas la porte.
Nous éclairons la démarche en faisant appel à la négociation et en précisant quelles modalités d'assistance nous pouvons offrir aux entreprises pour leur permettre de conclure des accords, soit avec une réduction de quelques heures, soit avec une réduction plus importante de la durée du travail.
Pour tenir compte de votre préoccupation, que je comprends bien sur le plan politique, peut-être pouvons-nous ajouter à l'article 2 un élément auquel nous allons réfléchir pour bien montrer que cet appel que nous lançons en faveur de la négociation correspond effectivement à notre souci de favoriser le dialogue social. Pour autant, reprendre dans ce texte une disposition qui existe déjà depuis 1993 ne me paraît pas nécessaire.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 36 rectifié.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Le groupe socialiste votera contre cet amendement pour une raison de fond : il acte le refus du passage aux 35 heures généralisées en l'an 2000 ou en l'an 2002, selon la taille des entreprises.
Or, pour nous, cette orientation est essentielle pour assurer le succès de la réduction du temps de travail en termes de création d'emplois. Je n'y reviendrai pas puisque nous en avons déjà débattu hier et que nous venons d'en débattre de nouveau tout à l'heure sur l'article 1er.
Je rappelle toutefois que, selon le projet de loi, durant la période transitoire, la durée légale du travail reste fixée à 39 heures et que le passage à 35 heures pendant cette période se fera par accords d'entreprise ou de branche dans certains secteurs. Pendant cette période transitoire, il n'y a donc rien d'obligatoire et c'est ce qui semble encore difficile à appréhender par certains de nos collègues.
Le texte que nous propose le Gouvernement - faut-il encore le répéter ? - est un texte d'orientation et d'incitation qui respecte le dialogue social, qui a aussi la volonté de le promouvoir partout où il fait défaut.
Par ailleurs, s'agissant du passage aux 32 heures, rien dans le projet de loi n'interdit ni aujourd'hui ni demain d'aller dans cette direction. Bien au contraire, le Gouvernement l'encourage - Mme la ministre vient de le rappeler - en proposant des aides majorées aux entreprises qui le souhaiteront.
Par conséquent, cet amendement nous paraît, dans sa rédaction, redondant avec le texte du projet de loi. En réalité, il s'oppose à une véritable réduction du temps de travail créatrice massivement d'emplois. En effet, ne pas afficher clairement que la durée légale du travail sera, aux termes de la loi, abaissée à 35 heures limiterait automatiquement les effects de tout dispositif incitatif.
Quelle que soit la conviction des auteurs de cet amendement en faveur de la réduction du temps de travail créatrice d'emplois - nous en prenons acte, bien entendu - dès lors que l'initiative politique fait défaut, la réduction du temps de travail et la création d'emplois n'atteindront pas les dimensions nécessaires pour répondre aux besoins.
C'est la raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement.
M. Philippe Marini. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Je vais certes exprimer un vote identique à celui de Mme Derycke, mais peut-être pas à la suite du même cheminement intellectuel.
Je suis juridiquement et politiquement contre cet amendement : juridiquement, parce que le rôle de la loi est non pas d'exprimer des encouragements ou de proférer des incantations, mais d'édicter des normes ; politiquement, parce qu'il s'agit là, me semble-t-il, d'une démarche visant à diffuser de nouvelles illusions et, avec des illusions de cette nature, je crains - je le dis avec tout le respect et l'amitié que je porte à M. Cabanel - que l'on ne fasse l'unanimité de la droite et de la gauche contre ce type de démarche incertaine.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Devant ce tir croisé de la droite et de la gauche, je crains le pire ! (Sourires.)
Je suis vraiment navré, car la connotation de ce début de débat est tout à fait attristante. L'article 1er a disparu, les 35 heures sont parties, et nous nous trouvons devant un schéma tout à fait différent...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard et M. Claude Estier. Elles vont revenir !
M. Guy Cabanel. Oui, mais le débat d'aujourd'hui doit avoir une logique et une cohérence, et l'amendement que j'ai présenté tient compte de la suppression de l'article 1er. D'ailleurs, si je l'ai rectifié pour le transformer en un amendement visant à insérer un article additionnel après l'article 1er, c'est bien parce que je savais que l'article 1er allait être supprimé.
Cependant, compte tenu de ce qu'a dit M. Fourcade, je retire mon amendement. Toutefois, je vous dis du fond du coeur qu'il n'est pas souhaitable de s'opposer à la réduction du temps de travail. Il faut tout de même envisager des mesures de nature à s'orienter vers une réduction de la durée du travail, et ce en organisant un véritable dialogue social au sein des entreprises.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Guy Cabanel. Un effort considérable doit être accompli, et ce n'est pas en refusant tout qu'on résoudra les problèmes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. L'amendement n° 36 rectifié est retiré.

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