M. le président. « Art. 7. _ La commission émet un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Cet avis prend en considération les missions du service public de la justice, le respect de la présomption d'innocence et les droits de la défense, le respect des engagements internationaux de la France ainsi que la nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des personnels.
« En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.
« Le sens de l'avis peut être favorable, favorable à une déclassification partielle ou défavorable.
« L'avis de la commission est transmis à l'autorité administrative ayant procédé à la classification.
« Le sens de l'avis est publié au Journal officiel de la République française. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une commission commune.
Par amendement n° 10, M. Amoudry, au nom de la commission des lois, propose de rédiger comme suit le début du premier alinéa de cet article :
« Dans le délai de deux mois à compter de sa saisine, la commission émet un avis qui prend en considération les missions incombant à la juridiction, le respect de la présomption d'innocence... »
Par amendement n° 21, M. About, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, propose, dans la première phrase du premier alinéa de ce même article, de remplacer les mots : « de deux mois » par les mots : « d'un mois ».
Par amendement n° 22 rectifié, M. About, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, propose de rédiger ainsi la seconde phrase du premier alinéa de l'article 7 : « Cet avis prend en considération d'une part les missions incombant à la juridiction, le respect de la présomption d'innocence et les droits de la défense, ou l'exercice du pouvoir de contrôle du Parlement, d'autre part les intérêts fondamentaux de la nation tels que définis à l'article 410-1 du code pénal et la sécurité des personnels. »
Par amendement n° 11, M. Amoudry, au nom de la commission des lois, propose, à la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 7, de remplacer le mot « personnels » par le mot « personnes ».
A la demande de la commission des affaires étrangères et de la défense, l'amendement n° 22 rectifié va être examiné en priorité.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre cet amendement.
M. Nicolas About, rapporteur. Dans le premier alinéa de l'article 7, qui précise les critères devant guider les membres de la commission consultative pour élaborer leurs avis, la commission propose de faire une référence précise à la notion d'« intérêts fondamentaux de la nation » tels qu'ils sont définis à l'article 410-1 du code pénal.
Cette définition prend en compte la notion de respect des engagements internationaux et de préservation des capacités de défense, même si la formulation en est légèrement différente puisque l'article 410-1 précise que ces intérêts fondamentaux s'entendent notamment « de sa sécurité..., des moyens de sa défense et de sa diplomatie... ».
La référence proposée est plus large puisqu'elle inclut des notions importantes, même si elles ne sont pas exclusivement diplomatiques ou militaires. Or ces intérêts sont aussi, dans le contexte d'une défense affrontée à des menaces multiformes, ceux d'une conception moderne de la sécurité du pays, entendue globalement.
Par ailleurs, cet amendement préserve la spécificité du critère lié à la sécurité des personnels qui doit en effet faire l'objet, de la part de la commission, d'une attention particulière et vigilante.
Enfin, la rectification apportée à l'amendement permet d'intégrer une modification opportunément proposée par la commission des lois à travers son amendement n° 10, en substituant l'expression « missions incombant à la juridiction » à l'expression « missions du service public de la justice ».
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. L'article 7 prévoit que l'avis de la commission consultative prendra en considération « l'accomplissement des missions incombant au service public de la justice ». Le présent amendement vise à substituer à cette expression celle de « missions incombant à la juridiction ». Ainsi, il ne sera plus fait référence à cette notion abstraite de service public de la justice et la commission consultative du secret de la défense nationale pourra se prononcer véritablement in concreto en fonction de chaque affaire. Cette mention, comme vient de le dire M. le rapporteur, est intégrée dans l'amendement n° 22 rectifié. Notre amendement sera satisfait si celui-ci est adopté.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 21.
M. Nicolas About, rapporteur. En l'occurrence, la commission est animée par un souci d'efficacité. Il s'agit de permettre à la commission consultative du secret de la défense nationale de faire sérieusement son travail mais aussi de faire en sorte de ne pas trop prolonger la procédure qui donne lieu à sa saisine, qu'il s'agisse d'une procédure judiciaire ou du travail d'une commission d'enquête parlementaire ; j'insiste sur ce dernier aspect. Par conséquent, dans ce double souci, le délai d'un mois nous a paru raisonnable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 11.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. L'article 7 prévoit que l'avis de la commission consultative du secret de la défense nationale prendra en considération, notamment, la nécessité de préserver la sécurité des personnels. C'est bien. Cependant, cela nous a semblé insuffisant.
En effet, l'avis de la commission pourrait avoir des conséquences pour des personnes qui ne figurent pas parmi les personnels. L'amendement prévoit donc de substituer le mot « personnes » à celui, par trop restrictif, de « personnels ».
Cet amendement sera satisfait si l'amendement n° 22 rectifié est adopté puisque l'article 410-1 se réfère la notion de personnes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 22 rectifié, 10, 21 et 11 ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Lorsqu'il se prononcera sur ces quatre amendements, le Sénat devra bien avoir à l'esprit que l'article 7 auquel ils se rapportent se borne à énoncer les orientations et les objectifs généraux qui doivent inspirer la commission lorsqu'elle rend ses avis. En effet, cet article dispose que la commission émet un avis dans un certain délai et que cet avis prend en considération une série d'impératifs ou d'objectifs. Il n'a qu'un caractère indicatif.
Cela étant dit, le mot « personnels » a été choisi à dessein, et je voudrais vous en convaincre, monsieur le rapporteur pour avis.
La mission à laquelle la commission doit être attentive, c'est évidemment la préservation de la sécurité, donc principalement de l'anonymat des personnels en mission dans les services sur lesquels règne normalement le secret défense. Dans ce contexte, la sécurité des personnes porte sur une notion qui est tout à fait autre et qui est déjà englobée dans les missions du service public de la justice.
En ce qui concerne la mention des intérêts fondamentaux de la nation, il me semble, sans que ce soit un désaccord fondamental, que cette notion est un peu trop large. En effet, si la commission du secret défense proposait au Gouvernement de ne pas donner au juge d'instruction chargé de telle ou telle affaire connaissance d'un document classé secret défense au motif que ce dernier porte sur les plans d'une installation hydraulique ou énergétique devant être protégée, le Gouvernement percevrait une disproportion entre les objectifs du classement secret défense et la recherche de la manifestation de la vérité. La formulation proposée par le Gouvernement, qui a été un peu modifiée par l'Assemblée nationale et qui se fonde sur le respect des engagements internationaux de la France et sur la préservation de ses capacités de défense, me paraît mieux centrée sur l'objet réel du texte. Toutefois, je le répète, si le Sénat choisissait l'autre option, cela ne dénaturerait pas le projet de loi.
Avec l'amendement n° 21, qui vise à ramener à un mois le délai dans lequel l'avis doit être remis, on se place dans un univers de rêve, où tout va bien, où il n'y a jamais de conflit et où toutes les affaires sont simples.
Or, si on crée cette commission, c'est parce que l'on songe à des hypothèses dans lesquelles il y a de réels conflits d'intérêt public, voire à des situations dans lesquelles des dysfonctionnements ont eu lieu ou des fautes ont été commises dans certains services. Le souvenir de quelques affaires, dont on a connu le contenu réel longtemps après, convainc que, parfois, un mois c'est court. Quelqu'un qui ne dispose que d'un mois pour faire des investigations sur un sujet très délicat peut être berné, pour reprendre une expression qui est dans toutes les mémoires.
De surcroît, permettez à un praticien de souligner que, s'agissant de procédures judiciaires qui aboutissent généralement après un délai se comptant non pas en mois mais en années,...
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. En siècles ! (Sourires.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. ... la préoccupation de célérité est certes respectable, mais qu'elle ne doit pas pour autant conduire à perdre le sens des proportions.
Dans la plupart des litiges auxquels on songe, l'écart entre un mois et deux mois, s'agissant du délai d'instruction et d'investigations, qui, je le répète, peuvent être délicates, n'est pas véritablement décisif pour le bon aboutissement de l'instance.
En réalité, si M. About n'avait pas essayé d'introduire un autre projet de loi dans le projet de loi, il n'aurait pas déposé cet amendement. Ce dernier a été essentiellement présenté pour tenir compte du mode de fonctionnement des commissions parlementaires. Cela n'a rien à voir avec le sujet que nous examinons. Cet amendement résulte d'une erreur de raisonnement dans l'organisation des rapports, dont il a pourtant l'expérience, entre le Gouvernement et les instances de contrôle du Parlement. Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
S'agissant de l'amendement n° 22 rectifié, j'ai indiqué mes réserves liées à la notion d'intérêts fondamentaux. J'émets donc un avis défavorable sur ce texte.
En revanche, l'expression « les missions incombant à la juridiction », contenue dans l'amendement n° 10, me paraît assez judicieuse. Pour le Gouvernement, en effet l'objet précis de cette réforme est de faciliter le bon aboutissement d'instances judiciaires. C'est donc bien chaque juridiction qui doit présenter à la commission de déclassification une demande motivée par les besoins de son instruction ou de son jugement. Cette expression me paraît plus claire, et j'y suis favorable.
M. le président Je vais mettre aux voix l'amendement n° 22 rectifié.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. L'article 7 prévoit les considérations que la commission du secret de la défense nationale doit prendre en compte au moment d'émettre son avis.
Vous avez dit à juste titre, monsieur le ministre, qu'il s'agissait d'objectifs généraux. Nous en sommes tout à fait d'accord. Mais pourquoi ne pas inclure dans ces objectifs généraux un élément qui nous semble tout à fait important, à savoir les intérêts fondamentaux de la nation ? A vrai dire, je pense que la commission des affaires étrangères a tout à fait raison de proposer cette insertion, et je regrette l'avis défavorable que vous venez de donner, monsieur le ministre. En effet les Français résidant hors de France sont spécialement concernés par ces intérêts fondamentaux de la nation tels que définis par l'article 410-1 du code pénal auquel il est fait référence dans le texte que nous propose la commission.
Permettez-moi de relire la définition des intérêts fondamentaux contenue dans cet article : « Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger - voilà le membre de phrase qui intéresse particulièrement les Français résidant à l'étranger -, etc. »
Cet article, auquel nous tenons beaucoup montre les liens précis qui doivent continuer à exister entre Français de la métropole et Français de l'étranger.
M. Charles de Cuttoli. Ils résultent de notre amendement, monsieur Habert !
M. Jacques Habert. Nous pensons donc que c'est une excellente occasion de le rappeler.
Au reste, monsieur le ministre, pour décider de ce qui est ou non secret défense, on doit prendre en compte non seulement les intérêts des personnels du ministère de la défense, qui peuvent être envoyés en Nouvelle-Zélande ou ailleurs, mais aussi les intérêts des Français résidant dans ces pays.
Je trouve donc excellente la référence à l'article 410-1 du code pénal figurant dans l'amendement n° 22 rectifié. Nous pensons en effet tout à fait bon que la commission, au moment de lever ou non le secret défense, songe aussi à l'intérêt de nos compatriotes expatriés, notamment à la sécurité de ces derniers. Les questions de défense ont souvent trait à des événements qui se déroulent à l'étranger. En l'occurrence, ce sont autant de dangers que nous voulons épargner non pas seulement aux fonctionnaires, aux personnels de l'administration ou de nos armées, mais aussi à nos compatriotes.
Rappeler qu'il faut songer à la sauvegarde de la population française en France et à l'étranger est une excellente chose, et je remercie donc la commission des affaires étrangères d'avoir inclus dans son texte la référence à l'article 410-1 du code pénal. Je souhaiterais par conséquent, monsieur le ministre, que vous ne mainteniez pas un avis défavorable sur un amendement qui tend à introduire une telle référence, somme toute assez innocente. La précision proposée est en effet importante pour les Français résidant à l'étranger.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Pour le Gouvernement, je le rappelle, il s'agit de cas dans lesquels la commission peut être appelée à donner un avis favorable à la déclassification d'un document secret.
Il y a peu de documents secrets qui concernent la situation de résidents français à l'étranger qui ne soient pas par ailleurs affectés à un service relevant de l'Etat.
M. Jacques Habert. Mais il peut y en avoir !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Il peut certes y en avoir, et je pense à cet égard, par exemple, à des documents qui porteraient sur des dispositifs de sécurité concernant la communauté française dans une région troublée.
Cependant, il est évident que, quand le Gouvernement vise dans son texte la nécessité de préserver les capacités de défense, il englobe les documents dont il est ici question.
La différence de choix entre la proposition du Gouvernement et celle de la commission ne porte donc pas sur la volonté ou l'absence de volonté de protéger la sécurité de nos concitoyens à l'étranger.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 22 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements n°s 10 et 11 n'ont plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Toujours sur l'article 7, je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 23, M. About, au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, propose de supprimer le dernier alinéa de cet article.
Par amendement n° 28, M. Bécart et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit le dernier alinéa de cet article :
« Le sens de l'avis ainsi que les motivations de la commission sont publiés au Journal officiel de la République française. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 23.
M. Nicolas About, rapporteur. Une phrase concernant le sens de l'avis a été adoptée à l'article 8. Par coordination, cet amendement vise à supprimer le dernier alinéa de l'article 7.
M. le président. La parole est à M. Bécart, pour défendre l'amendement n° 28.
M. Jean-Luc Bécart. Je le retire.
M. le président. L'amendement n° 28 est retiré.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 23 ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de coordination.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)
M. le président. Le Sénat a précédemment adopté l'article 8.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur pour avis. Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, la commission des lois considère que les motivations éventuelles de l'avis prévu à l'article 8 n'ont pas à être publiées. Je souhaiterais donc que M. le ministre veuille bien nous préciser sa position sur ce sujet.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. Bien que le fait de rouvrir la discussion sur un article déjà adopté ne soit pas très réglementaire, je vous donne la parole, monsieur le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Les travaux préparatoires sont globaux, monsieur le président.
Monsieur le rapporteur pour avis, le Gouvernement partage votre interprétation : la notion de sens de l'avis, qui est un peu une nouveauté juridique, signifie le sens favorable ou défavorable qui, comme vous le savez, dans certaines autres procédures, a un effet de droit. Ainsi, en matière d'enquête publique, l'avis favorable ou défavorable du commissaire enquêteur déclenche la compétence de l'autorité qui prend la décision.
Par conséquent, cette notion existe déjà, mais nous la formalisons dans le projet de loi.
Pourquoi cette notion exclut-elle la publication de la motivation ? Parce que, par définition, la motivation, surtout si elle est suffisamment explicite pour convaincre l'autorité gouvernementale d'aller dans le sens préconisé par la commission, devra aller assez loin dans les détails du document et de l'utilité de ce dernier pour l'enquête judiciaire, de telle sorte que la publication serait, en réalité, une publication générale du contenu de ce document.
M. Nicolas About, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Je souhaiterais moi aussi revenir sur l'article 8.
M. le président. Je tiens de nouveau à faire remarquer le caractère peu réglementaire de la discussion qui s'engage.
Poursuivez néanmoins, monsieur le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Je voudrais juste indiquer que le Sénat a voté tout à l'heure un amendement n° 24 rectifié, lequel prévoyait à l'article 8 un délai d'un mois. Or, l'amendement n° 21 n'ayant pas été adopté, l'article 7 prévoit toujours un délai de deux mois. Il conviendra donc, au cours de la navette, de corriger cette anomalie.

Article 9