AVENANT À UNE CONVENTION FISCALE
AVEC LA SUISSE

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 205, 1997-1998) autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 9 septembre 1966 et modifiée par l'avenant du 3 décembre 1969, et au protocole final annexé à la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les successions signée le 31 décembre 1953. [Rapport n° 351 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la France et la Suisse sont actuellement liées par une convention fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 9 septembre 1966 et modifiée par un avenant du 3 décembre 1969.
Le second avenant à cette convention, conclu à Paris le 22 juillet 1997 et présenté aujourd'hui à votre examen, a été souhaité par la France. Sa négociation, commencée en 1994, avait trois objectifs.
Le premier consistait à tenir compte de l'évolution de la législation fiscale des deux Etats et notamment de l'introduction de nouveaux impôts comme l'impôt de solidarité sur la fortune, en France.
Le deuxième tendait à adapter le texte de la convention de 1966 à la pratique française récente inspirée du modèle de l'OCDE.
Enfin, le troisième visait à resserrer le dispositif prévu par la convention, notamment en matière de transfert de l'avoir fiscal et de lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales.
Le nouvel avenant apporte donc à la convention de 1966 des améliorations notables. Il rééquilibre, en particulier, la fiscalité des dividendes en exonérant de retenue à la source ceux qui sont versés entre sociétés à partir d'un seuil de participation directe ou indirecte de 10 %. Cela revient à étendre à la Suisse, avec un seuil de participation plus réduit, le régime que la France pratique d'ores et déjà avec les Etats membres de l'Union européenne, sur le fondement d'une directive communautaire du 23 juillet 1990. Cette disposition est particulièrement favorable au développement des investissements directs.
En outre, le régime appliqué aux autres dividendes est aligné sur la pratique française avec les Etats membres de l'OCDE. Ainsi, le transfert de l'avoir fiscal à des résidents de Suisse ne bénéficie plus aux personnes morales qui détiennent plus de 10 % du capital de la société distributrice, ce qui revient à durcir le régime actuel pour les dividendes correspondant aux participations de sociétés comprises entre 10 % et 20 %.
Par ailleurs, le nouvel avenant renforce nos dispositifs de lutte contre l'évasion fiscale. Il confirme, en particulier, le droit de la France d'appliquer sa législation anti-abus en matière d'impôt sur les sociétés. En outre, l'avenant introduit, en ce qui concerne les revenus des artistes et des sportifs, une clause, là encore issue du modèle de l'OCDE, relative aux sociétés interposées qui permettra à l'administration fiscale française de faire échec à des montages frauduleux. Enfin, la Suisse a accepté d'étendre le champ de l'échange de renseignements à la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles détenus en France par des sociétés, ce qui constitue un progrès non négligeable de nos relations bilatérales dans le domaine fiscal.
J'ajouterai que le nouvel avenant résout certains problèmes spécifiques qui se sont posés ou qui pourraient se poser entre nos deux Etats.
Il règle ainsi un contentieux portant sur la taxe sur les salaires due par certaines entreprises installées dans l'enceinte de l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Il devrait, par ailleurs, s'appliquer lors de la prochaine Coupe du monde de football, dans la mesure où il comporte des dispositions étendant le bénéfice des avantages conventionnels aux organismes à but non lucratif établis dans un Etat contractant et exerçant des activités notamment dans le domaine sportif, ce qui vise, entre autres organismes, la Fédération internationale de football qui a son siège à Zurich.
La négociation de cet avenant s'inscrit dans le cadre de relations économiques bilatérales particulièrement denses. Comme vous le savez, la Suisse est le pays le plus riche du monde en termes de produit national brut par habitant et elle connaît toujours une importante prospérité économique et financière. Toutefois, il lui reste à résoudre certaines difficultés structurelles.
Après la récession des années 1990-1993, la Suisse a renoué avec une croissance faible en 1994 et en 1995. La croissance a été négative en 1996. Ce pays a connu une croissance faible en 1997. Il y a de bons indicateurs. Cependant, le taux de chômage est passé en cinq ans, de 1991 à 1996, de 1 % à 5 %, taux qui peut nous paraître enviable, mais qui, en Suisse, constitue un phénomène nouveau et inquiétant.
J'ajoute que la Suisse reste partagée entre un secteur ouvert et dynamique, avec des groupes bien placés dans l'économie et les finances mondiales, et un secteur protégé qui connaît des problèmes d'adaptation structurels. Les réformes engagées par les pouvoirs publics suisses - le programme de « révitalisation » entré en vigueur en 1996 - qui visent à renforcer la concurrence et la libéralisation partielle des secteurs des télécommunications et de l'énergie, devraient permettre d'améliorer la compétitivité de l'économie helvétique.
La principale source d'inquiétude pour les autorités suisses reste la surévaluation de la monnaie, qui témoigne certes de la confiance des marchés dans la force de l'économie nationale, mais qui nuit aux exportations.
L'introduction de l'euro - ce jour constitue, à cet égard, une date importante - est dans ce cadre une source d'inquiétude croissante pour les milieux financiers et politiques suisses.
Nous entretenons avec la Suisse des relations économiques très actives.
La part de marché de la France progresse plus vite que celle de l'Italie mais moins vite que celle de l'Allemagne. Notre présence sur ce marché recouvre deux faiblesses. D'abord, nos ventes contiennent moins de valeur ajoutée que nos achats. Ensuite, les entreprises françaises concentrent leurs actions sur la Suisse romande, négligeant la Suisse alémanique, qui produit pourtant 75 % de la richesse du pays.
Enfin, il convient de rappeler l'ampleur de la communauté française établie en Suisse. On parle toujours de celle qui est établie en Grande-Bretagne, mais on dénombre 115 000 personnes établies en Suisse, 51 % d'entre elles ayant la double nationalité.
Il s'agit de la seconde colonie française à l'étranger. La communauté française est particulièrement importante à Genève et à Berne. Mais cette importance de la communauté française doit également s'apprécier au regard du nombre très important de frontaliers - 74 000 - qui représentent la moitié du total des frontaliers employés en Suisse.
C'est donc en raison de la densité des liens créés entre la France et la Suisse que le Gouvernement vous recommande d'autoriser l'approbation de l'avenant du 22 juillet 1997 à la convention fiscale franco-suisse de 1966, ce texte modernisant une convention bilatérale fondamentale à la vie et à la poursuite de nos relations économiques. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Bécart applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Emmanuel Hamel, en remplacement de M. Jacques Chaumont, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons a pour objet d'autoriser l'approbation d'un avenant à la convention fiscale franco-suisse de 1966, signé le 22 juillet 1997.
La Suisse, pays admirable par la beauté de ses lacs, de ses vallées et de ses sommets, chefs-d'oeuvre de la nature, n'est pas seulement un territoire magnifique. Elle est aussi, par son rayonnement international et sa richesse, une nation influente, peuplée d'habitants, nos voisins et amis suisses, dont la courtoisie légendaire, le dynamisme et le courage sont un exemple international que la France apprécie depuis des siècles, se félicitant de son amical voisinage et de son heureuse proximité avec la confédération helvétique.
La Suisse recueille la récompense de ses efforts. Elle est au premier rang mondial en termes de produit national brut par habitant, comme l'a rappelé M. le ministre. La deuxième banque mondiale est désormais suisse. Le taux de chômage dans la Confédération helvétique, que vient d'évoquer M. le ministre, demeure l'un des plus faibles d'Europe. Les réformes engagées par le gouvernement suisse - le programme de revitalisation entré en vigueur en 1996 - vont permettre à notre voisin de renforcer son dynamisme économique et de conforter sa puissance financière.
Voisins de la Suisse, nous ne pouvons que nous en réjouir puisque la France est son deuxième fournisseur et son deuxième client. Nous sommes le deuxième investisseur en Suisse, où nous ne sommes devancés que par les Etats-Unis.
Non seulement la France s'intéresse à la Suisse mais la Suisse s'intéresse à la France puisque nous sommes le deuxième pays d'accueil des investissements suisses à l'étranger.
Alors que nous examinons nos relations avec notre voisin et ami la Suisse, comment pourrions-nous ne pas évoquer, après M. le ministre, les travailleurs frontaliers français ? En effet, 74 000 de nos compatriotes travaillent en Suisse tout en résidant en France. La moitié du total des frontaliers travaillant en Suisse sont Français.
La communauté française en Suisse, hors les frontaliers, est de 115 000 personnes, dont la moitié ont la double nationalité. C'est l'une des plus importantes colonies françaises hors de nos frontières.
C'est dire l'intérêt pour la Confédération helvétique et pour la République française du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre nos deux Etats en vue d'éviter, d'une part, les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et, d'autre part, les doubles impositions en matière d'impôts sur les successions.
Ce nouvel avenant aux conventions fiscales déjà signées par la Suisse et par la France le 9 septembre 1966 et le 3 décembre 1969 a été signé à Paris le 22 juillet 1997 au terme de négociations commencées en 1994 et que M. le ministre évoquait tout à l'heure, avec la clarté que chacun lui connaît.
Cet avenant constitue une nouvelle étape dans le dialogue régulier et approfondi, toujours amical, entre la France et la Suisse.
L'exposé des motifs du projet de loi signé le 7 janvier dernier par M. le Premier ministre, enregistré à la présidence du Sénat le 8 janvier et publié sous le numéro 205 est, comme vous avez pu le constater en en prenant connaissance, particulièrement clair. Il analyse sans ambiguïté le contenu et la portée de chacun des dix-sept articles du nouvel avenant signé le 22 juillet dernier au nom du gouvernement de la République française, monsieur le ministre, par votre éminent collègue M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat chargé du budget.
Ce nouvel avenant respecte les principes posés par le modèle de convention de l'OCDE et, ce qui est opportun, tient compte des particularités des fiscalités internes tant de la Suisse, souvent décrite comme un paradis fiscal, que de la France, normalement soucieuse de prévenir et de combattre l'évasion fiscale.
Pour éclairer votre vote, vous disposez, mes cherscollègues, non seulement de l'exposé des motifs, très clair et objectif, du projet de loi présenté au nom du Premier ministre par M. le ministre des affaires étrangères, mais aussi du rapport fait au nom de votre commission des finances par notre éminent collègue M. JacquesChaumont, diplomate de carrière, qui joint à son expérience internationale une grande connaissance des problèmes fiscaux.
Empêché d'être parmi nous aujourd'hui, car il est retenu par les devoirs de ses mandats dans son département, M. Chaumont, avec la lucidité et la clarté qui lui sont habituelles, analyse l'avenant, et donc le projet de loi soumis à votre vote.
L'analyse de notre éminent collègue nous éclaire notamment sur la portée des dispositions de l'avenant sur la Coupe du monde de football et la Fédération internationale de football, association de droit suisse, que M. le ministre évoquait tout à l'heure, sur le dégrèvement de la taxe professionnelle en transport aérien au profit des établissements de compagnies suisses domiciliées en France, clause de dégrèvement qui s'appliquera non seulement sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse, mais aussi dans tous les aéroports français, y compris pour la compagnie Swissair implantée à Orly.
Son rapport, dont la technicité n'exclut pas une très grande clarté, analyse le rééquilibrage du régime de taxation des flux de dividendes transfrontières, l'amélioration du régime des intérêts par l'imposition exclusive des intérêts à l'Etat de résidence du bénéficiaire effectif, la confirmation du régime fiscal des travailleurs transfrontaliers français en Suisse - c'est important pour eux - le renforcement de la lutte contre l'évasion fiscale des artistes et sportifs, qui a été évoqué tout à l'heure par M. le ministre, la clarification du régime des biens immobiliers détenus en France par des résidents suisses, et aussi la validation des dispositions anti-abus du droit français, principalement l'article 209 B du code général des impôts, qui consiste à imposer en France la société mère au titre des résultats réalisés par sa filiale à l'étranger, et ce même en l'absence de transfert de dividendes entre les deux sociétés.
Cet article 209 B du code général des impôts présente des inconvénients certains pour les sociétés françaises ayant des filiales en Suisse. Il les handicape par rapport à leurs concurrentes étrangères. Il aboutit à instaurer une double imposition économique de la filiale même si, juridiquement, seule la société mère est redevable de l'impôt en France.
Rappelons que, récemment, le tribunal administratif de Strasbourg a fait prévaloir la convention fiscale franco-suisse sur l'article 209 B du code général des impôts. On peut d'ailleurs se demander si cet article 209 B est compatible avec le principe de liberté d'établissement du droit de l'Union européenne ?
Le présent avenant tend à valider préventivement les dispositions anti-abus, en reconnaissant le droit pour la France d'appliquer son droit interne nonobstant toute autre disposition de la convention actuelle.
Cette solution est radicale. Répond-elle aux problèmes de fond posés par l'artile 209 B du code général des impôts ? La commission des finances en doute.
C'est pourquoi la validation proposée ne peut être acceptée, selon la commission des finances, que si l'article précité est parallèlement réformé afin d'être moins brutal.
Les améliorations envisageables pourraient consister à autoriser, sous certaines conditions, l'imputation sur les résultats des pertes subies par la filiale étrangère et à renverser la charge de la preuve sur le fisc lorsqu'il existe entre la France et l'Etat d'implantation une convention fiscale comportant des clauses d'échange de renseignements et de coopération administrative.
Notre pays est aujourd'hui une sorte d'« enfer fiscal » au regard duquel la plupart des autres Etats font figure de paradis fiscal. La diminution de la pression fiscale en France contribuerait à décourager l'évasion fiscale internationale et à favoriser l'emploi dans notre pays.
Telles sont les principales observations qu'appelle l'avenant à la convention fiscale entre la France et la Suisse, dont je vous demande, au nom de la commission des finances, d'autoriser l'approbation. Toutefois, j'ai reçu mandat de la commission des finances pour vous préciser que son approbation de l'avenant ne vaut pas pour elle approbation de l'article 209 B du code général des impôts tel qu'il est actuellement conçu et appliqué.
En conclusion, mes chers collègues, je comprends votre tristesse de ne pas avoir entendu notre éminent collègue M. Chaumont exposer lui-même les mérites de son rapport pour tenter de vous convaincre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisé l'approbation de l'avenant à la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée le 9 septembre 1966 et modifiée par l'avenant du 3 décembre 1969, et au protocole final annexé à la convention entre la République française et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur les successions signée le 31 décembre 1953, signé à Paris le 22 juillet 1997, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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