M. le président. La parole est à M. Lanier, auteur de la question n° 215, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Lucien Lanier. La loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes prévoit, entre autres, la création d'emplois dits d'« accompagnateurs de personnes dépendantes ». Leur mission est même définie : « faciliter la réinsertion lors de la sortie de l'hôpital en préparant le retour du patient à domicile, en l'aidant dans la réalisation de ses problèmes d'appareillage, de transports, etc. »
Cette mission ainsi définie correspond à peu près exactement à celle des actes professionnels des ergothérapeutes. Or la formation de ces derniers, bac + 3, comprend un enseignement pratique, un enseignement technique et un enseignement clinique de haut niveau, sanctionnés par un diplôme.
Actuellement, les jeunes ergothérapeutes diplômés trouvent avec difficulté un emploi correspondant à leurs capacités comme à leur formation. La création d'emplois-jeunes dans cette discipline soulève donc plusieurs problèmes.
Le premier est relatif à la qualité de l'aide apportée à des personnes dépendantes par des jeunes qui n'auraient pas la formation requise dans un secteur de soins particulièrement sensible.
Le deuxième est le risque éventuel, pour les titulaires de ces emplois-jeunes, d'être passibles de sanctions pénales pour exercice illégal de l'ergothérapie, exercice qui exige, je viens de le rappeler, un diplôme approprié.
Le troisième est le risque de concurrence illicite entre les titulaires de ces emplois-jeunes - emplois dont le principe est certes louable - et les diplômés, qui rencontrent déjà des difficultés à trouver place dans la profession qu'ils ont choisie et qu'ils ont mérité d'exercer.
Enfin, quel sera l'avenir de ces emplois-jeunes au bout de cinq années ?
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, puis-je me permettre de vous demander quelles mesures sont envisagées, d'abord pour garantir, avec les ergothérapeutes professionnels, la qualité des soins aux malades, ensuite pour assurer une certaine cohérence entre le plan emploi-jeunes et le bon fonctionnement et la sécurité des soins hospitaliers et extra-hospitaliers.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, j'ai écouté votre question avec beaucoup d'attention. Vous l'avez posée à propos des ergothérapeutes, mais elle recoupe nombre de préoccupations qui sont également les miennes.
Vous avez appelé l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur les conséquences du programme « nouveaux services - nouveaux emplois » sur les activités de certains professionnels déjà en place, notamment les ergothérapeutes.
D'abord, permettez-moi de vous rappeller que nous avons indiqué avec force, dans la circulaire du 24 octobre 1997 relative à la mise en oeuvre du programme, que les emplois créés ne devaient en aucun cas se substituer à des emplois existants dans le secteur public ou le secteur privé. C'est un point sur lequel nous avons demandé aux préfets d'être particulièrement vigilants, car la question que vous soulevez est en effet tout à fait pertinente.
Cette exigence de non-substitution aux emplois existants, notamment aux emplois relevant des professions réglementées, a été rappelée, s'agissant des professions médicales et sociales, dans une autre circulaire du 12 février 1998, relative à la mise en place du programme « nouveaux services - nouveaux emplois » dans ces secteurs particuliers.
Le principe étant rappelé, j'en viens plus précisément, monsieur le sénateur, au cas que vous évoquez et qui concerne l'accompagnement de personnes dépendantes.
Je voudrais tout d'abord rappeler qu'il n'y a pas de liste officielle de métiers qui bénéficieraient de l'aide de l'Etat dans le cadre du dispositif emplois-jeunes. Les vingt-deux métiers repris au mois d'août par un quotidien du soir, Le Monde, pour ne pas le nommer, n'avaient de valeur que d'exemple.
L'objectif est bien de répondre aux vrais besoins de nos concitoyens, là où ils s'expriment. Parfois, ces besoins sont pris en compte ; parfois, ils ne le sont pas. Il appartiendra donc aux préfets, dans le cadre des instructions qui leur sont données, de valider les projets.
L'activité en question vise à répondre aux besoins importants d'accompagnement des personnes dépendantes, notamment après une hospitalisation. Il s'agit d'organiser leur retour dans de bonnes conditions, de préparer leur domicile, de prendre des rendez-vous avec des professionnels qualifiés, de prendre en compte les besoins de transports, enfin de résoudre des problèmes matériels, administratifs et sociaux.
Dans notre esprit, cette activité est donc complémentaire du travail social, elle n'interfère pas avec des professions de santé réglementées, comme celle d'ergothérapeute, qui exigent pour leur exercice la possession d'un diplôme approprié, comme vous l'avez d'ailleurs souligné.
Il n'y a donc, pour ces emplois qui se situent bien dans l'esprit du programme - à notre avis, mais cela peut être démenti par les faits - aucun risque de concurrence illicite. Ce serait d'ailleurs tout à fait dommageable.
Je suis, pour ma part, tout à fait confiant quant à l'avenir de ces emplois. Qu'en sera-t-il dans cinq ans, me demandez-vous ? Si ces emplois satisfont de réels besoins d'utilité sociale, non pris en compte à ce jour, le confort ainsi procuré devra se traduire par une prise en charge différente qui, évidemment, ne sera pas celle de l'Etat. Ce sera, en quelque sorte, la loi du marché - même si celui de l'utilité sociale est un marché un peu particulier - qui prévaudra : c'est à la demande précise de personnes plus ou moins dépendantes que nous devrons la pérennité de ces emplois.
Quoi qu'il en soit, ce programme a déjà permis l'embauche de 50 000 jeunes, contribuant ainsi fortement à l'amélioration de la qualité de vie des personnes aidées, malgré, je vous l'accorde, des chevauchements dont il nous faudra naturellement tenir compte.
M. Lucien Lanier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous étiez d'ailleurs probablement le mieux à même de me répondre, car vous êtes par nature, par essence et de par vos responsabilités, le défenseur de certaines professions, dont celle d'ergothérapeute.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Lucien Lanier. Vous avez reconnu que les ergothérapeutes sont titulaires d'un diplôme et que, en conséquence, leur profession est réglementée et mérite d'être protégée.
En réalité, ce n'est pas le corporatisme que vous devez protéger, mais bien les malades eux-mêmes, et c'est sur ce point que votre réponse me laisse un peu sur ma faim, dans la mesure où vous laissez au temps le soin de juger des délimitations respectives de l'emploi des jeunes, d'une part, et de la profession d'ergothérapeute, d'autre part.
Une telle situation n'est pas satisfaisante, d'abord pour les jeunes à qui l'on confiera un emploi : vous avez dit que les préfets seront juges, mais comment voulez-vous qu'un préfet - je connais le métier, puisque je l'ai pratiqué - puisse savoir si tel jeune, à qui l'on demandera d'aider un vieillard ou une personne handicapée en poussant sa chaise ou en préparant ses repas n'ira pas jusqu'à lui donner en même temps les soins nécessaires, prenant ainsi la place d'un ergothérapeute diplômé ?
Vous devrez étudier la question de près avec votre collègue chargée de l'emploi, car de deux choses l'une : soit il n'y aura pas d'emplois-jeunes dans ce secteur - c'est un peu secrètement ce que vous souhaiteriez pour simplifier le problème, mais je ne veux pas vous le faire dire - soit les emplois-jeunes ainsi créés provoqueront une concurrence illicite entre des gens qui ont travaillé pour être ergothérapeute et des jeunes dont, au bout de cinq ans, on ne saura pas très bien quoi faire. Et je ne veux pas évoquer ici l'exercice illégal de la profession !
Tout cela mérite, monsieur le secrétaire d'Etat, reconnaissez-le, que la question vous soit reposée, dans six mois par exemple, pour savoir si vous être parvenu à quelque conclusion.

CALCUL DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ