M. le président. La parole est à M. Renar, auteur de la question n° 109, adressée à Mme le ministre de la culture et de la communication.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fiscalisation des structures organisées en associations de type loi 1901 est un des principaux sujets d'inquiétude de la vie associative. Le domaine culturel n'y échappe malheureusement pas, nombre de structures étant sujettes à des redressements fiscaux importants, leur activité étant jugée lucrative par certains services fiscaux et donc assujettie aux taxes commerciales : TVA, impôts sur les sociétés, taxe d'apprentissage...
J'exerce des responsabilités - vous les connaissez, madame la ministre - dans plusieurs domaines de la vie culturelle. Je peux par exemple témoigner, en tant que président de la Conférence permanente des orchestres français, de l'extrême gravité de cette situation, des menaces et des incertitudes qui pèsent sur l'avenir, bon nombre d'associations ne devant leur salut qu'à la décision du Gouvernement de geler les redressements et les poursuites en cours.
C'est une fort bonne chose, mais les délais sont brefs et cette suspension s'arrête le 1er juillet 1998.
J'en arrive à la raison précise de ma question : la seconde disposition prise par le Gouvernement a été la nomination d'un expert, le conseiller d'Etat M. Guillaume Goulard, chargé d'une mission de clarification de ces règles fiscales sur la base de critères simples et précis.
Ce rapport est achevé. Il a été remis au Premier ministre. Je n'en connais pas la teneur précise et je regrette d'ailleurs que les parlementaires concernés et intéressés n'aient pas été entendus, contrairement à ce que m'avait annoncé M. le secrétaire d'Etat au budget.
Les quelques informations que j'ai pu recueillir ou lire, en particulier dans le numéro 13 de la revue Arguments, porte-parole du Gouvernement, ne calment pas toutes mes craintes.
Ainsi, le rapport préconiserait le recours aux correspondants des associations en place dans les administrations fiscales qui auraient à charge de déterminer le statut fiscal des structures associatives. Cela permettrait effectivement de mieux clarifier le statut de chaque association selon sa matière : but lucratif ou non lucratif.
Je le répète, je ne connais pas la teneur complète du rapport. Mais si les propositions essentielles se limitent à cela, le problème reste presque entier : c'est celui du statut des associations culturelles, donc de la notion même de culture. Je rappelle que des structures subissent en effet un redressement fiscal, étant jugées à but lucratif par le seul fait qu'elles vendent des places de concert ou éditent du matériel promotionnel. Qu'entend-on très précisément par lucratif ?
L'avancée est donc minime à moins, madame la ministre, que vous n'apportiez des précisions ou des propositions concrètes qui tiennent compte de la spécificité de la création et de la diffusion culturelles.
Ces spécificités ne doivent-elles pas, au fond, vous inciter à déterminer un nouveau statut, notamment sur le plan fiscal, plus adapté à la réalité de la vie culturelle, par exemple en autorisant la création d'établissements publics à vocation culturelle ? En effet, je n'insisterai jamais suffisamment sur le fait essentiel que la culture est un domaine particulier qu'il convient de protéger et qui ne peut en aucun cas être assimilé à une quelconque activité lucrative, même si ces structures travaillent dans un univers concurrentiel.
Cette spécificité, que nous appelons aussi « exceptionnalité » française et qui repose sur la subvention publique, a été jusqu'à présent le garant de l'existence, de la vitalité de notre culture et du maintien de son lien avec la société. Les remettre en cause un tant soit peu équivaudrait à un appauvrissement généralisé.
Je comprends bien le souci de clarification fiscale, tout le monde y a intérêt. Je souhaite seulement que les mesures soient prises dans le respect de la spécificité de la vie culturelle et, plus largement, de la vie associative, le rôle citoyen apparaissant de plus en plus évident dans l'actualité et dans certains débats que notre pays traverse.
Madame la ministre, les précision que vous allez nous apporter, et, peut-être, vos propositions, sont attendues avec intérêt et impatience.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le sénateur, le régime fiscal des associations de la loi de 1901 a été défini par la loi de 1976. Le législateur a alors mis en place un dispositif qui différencie les associations dont la gestion est réellement non lucrative et sont seulement assujetties à la taxe sur les salaires, et les associations qui exercent une activité lucrative et qui sont imposables aux mêmes impôts que ceux auxquels sont soumis les entreprises commerciales.
Ce régime devait permettre à l'époque de tenir compte de la spécificité des associations, notamment de leur rôle fondamental sur les plans culturel et social, tout en évitant des distorsions de concurrence lorsque ces associations exercent des activités selon des modalités comparables à celles des entreprises.
Cependant, depuis cette date, l'activité et le financement des associations ont beaucoup évolué, ce qui rend nécessaire l'adaptation des règles fiscales à cette situation nouvelle.
Ainsi, un important travail de concertation entre les représentants du monde associatif et les administrations concernées avait été entrepris par le précédent gouvernement, sous l'égide du Conseil national de la vie associative, sans qu'il ait pu aboutir à un compromis acceptable par tous.
La situation était donc devenue préoccupante pour les associations culturelles qui étaient confrontées à des redressements fiscaux menaçant leur existence et suscitant leur incompréhension. C'est pourquoi M. le Premier ministre a demandé à M. Goulard, maître des requêtes au Conseil d'Etat, un rapport sur le régime fiscal des associations.
Dans ce rapport, qui lui a été remis récemment, il est proposé des critères objectifs qui permettent d'apprécier dans quelles conditions l'activité d'une association peut être qualifiée de lucrative.
Une instruction qui sera publiée très prochainement au Bulletin officiel des impôts tirera les conclusions de ce rapport. Elle permettra de clarifier et de stabiliser la situation fiscale des associations.
Cette démarche traduit la volonté du Gouvernement d'établir des relations de confiance entre le monde associatif et l'administration fiscale.
A cette fin, l'instruction sera appliquée aux dossiers en instance et se traduira par un réexamen des redressements en cours. De même, la situation des associations de bonne foi qui saisiront l'administration fiscale sur le caractère lucratif ou non de leur activité sera examinée, pour le passé, avec bienveillance.
Je tenais, monsieur le sénateur, à vous faire part de ces informations qui répondent en l'état aux préoccupations que vous avez exprimées.
Il reste néanmoins un certain nombre de décisions à prendre. Je souhaite pour ma part qu'en ce qui concerne la taxe professionnelle et le calendrier des décisions relatives à l'établissement public local culturel, nous parvenions à une cohérence de vues. En même temps, il me paraît important d'être en mesure d'offrir des perspectives aux collectivités territoriales et à l'Etat, lui-même souvent partenaire et trésorier de ces institutions, tout en restant naturellement acteur de la culture.
M. Christian Poncelet. Comme les collectivités locales !
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Nous sommes donc en train d'examiner les conclusions de ce rapport Goulard. Dans quelques heures, j'aurai une réunion de travail avec mon collègue M. Sautter sur tous les aspects qui concernent les associations culturelles.
Voilà où nous en sommes.
Il est clair que, s'agissant de la question des redressements, le Gouvernement est très attentif à ce que les associations culturelles ne soient pas pénalisées dans leurs activités dès lors que nous procédons à la révision de leur régime fiscal.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. J'espère qu'elle apportera quelque apaisement aux inquiétudes qui sont celles d'un certain nombre de structures.
J'espère aussi que les directions des services fiscaux recevront des consignes de bienveillance pour étudier tous les cas en cours, car, vous le savez, les redressements ont été suspendus, mais non pas stoppés.
Il existe, dans toutes ces associations, des gens qui ne pourront pas payer, sauf à réduire leurs activités, voire à subir une liquidation judiciaire pour certaines associations. Peut-être faudrait-il passer l'éponge. Vous savez bien que les économies sur la culture ne sont pas sans danger, surtout à notre époque.
Dans les jours et les semaines qui viennent, tous ensemble - et je sais que vous êtes préoccupée par ces questions et que vous vous battez vous-même, madame la ministre - nous devrons traiter le fond, c'est-à-dire la conception de la culture et la préservation de ce qu'on peut appeler un modèle français.
Vous le savez bien, la culture est menacée de toutes parts. On l'a vu au cours de la dernière campagne des élections régionales, des attaques inommables ont été proférées contre les activités des fonds régionaux d'art contemporain.
On a vu cette fameuse déclaration de Nîmes qui mettait en cause toute l'indépendance et toute l'activité des créateurs.
On sait encore les inquiétudes que l'on peut avoir sur des accords internationaux tels que l'accord multilatéral sur les investissements, l'AMI, qui transforme en quelque sorte l'oeuvre et le créateur en marchandises.
Actuellement, on le sent bien, en cette fin de siècle et au début du xxie siècle, c'est le statut de l'esprit qui est posé dans le monde, et en particulier dans un pays comme le nôtre.
Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse et du combat que vous menez. Vous savez bien que vous êtes soutenue dans un tel combat, et j'espère que ce problème sera réglé de la meilleure façon pour les structures et les artistes.

DROIT DE PRÊT À LA CHARGE DES BIBLIOTHÈQUES