Séance du 13 mai 1998







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Bardou, pour explication de vote.
Mme Janine Bardou. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de cette discussion, je souhaite tout d'abord rendre hommage au travail accompli par notre rapporteur, Jean-Pierre Raffarin, pour faire aboutir cette législation importante en faveur de la profession d'artisan boulanger.
Il n'est pas courant, mon cher collègue, qu'un ancien ministre soit amené à suivre, une fois redevenu parlementaire, un dossier ouvert par ses soins ! Vous avez pris la peine de le faire, et nous ne pouvons que vous approuver. Après l'annulation de votre texte réglementaire par le Conseil d'Etat, vous avez rapidement réagi, en concertation avec les professionnels, et déposé une proposition de loi que de nombreux collègues de la majorité sénatoriale ont cosignée.
Le dépôt de plusieurs textes, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, est une légitime reconnaissance de votre action ministérielle pour soutenir la boulangerie artisanale.
La présente proposition de loi, transmise par l'Assemblée nationale, se situe dans la ligne de l'arrêté du 12 décembre 1995 que vous aviez signé en tant que ministre. Elle représente une avancée très positive pour les professionnels de la boulangerie, une profession au sein de laquelle on compte nombre de petites entreprises, souvent familiales. Le groupe des Républicains et Indépendants se félicite que les parlementaires, toutes tendances politiques confondues, se soient donné le même objectif de protection de l'appellation de « boulanger » et de l'enseigne de « boulangerie ».
M. Alain Gournac. Ça oui !
Mme Janine Bardou. Notre groupe soutient toute action en faveur de la reconnaissance de la qualité de nos produits. C'est là notre préoccupation d'élus attachés à défendre la richesse de nos terroirs dans tous les domaines touchant à l'agro-alimentaire.
Cette notion de qualité est l'expression du travail accompli selon les règles de l'art, de la compétence professionnelle et de la valorisation des métiers artisanaux, autant de critères que le présent texte met en avant. Nous avons en effet, dans ce pays, et pendant trop longtemps, fait l'erreur de ne pas accorder toute leur place à nos filières artisanales...
M. Alain Gournac. Absolument !
Mme Janine Bardou. ... dans la formation professionnelle de notre jeunesse. (Applaudissements.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
Mme Janine Bardou. Ces activités sont pourtant les héritières de traditions anciennes, entretenant l'amour du travail bien fait, et cela au profit de tous, de ceux qui fabriquent comme de ceux qui consomment. L'artisanat favorise l'esprit d'entreprise, le sens de l'effort récompensé, celui de la création originale.
Nos concitoyens aspirent de plus en plus à revenir aux produits alimentaires et culinaires originaux et authentiques, exprimant en outre les spécificités de nos régions, pour retrouver les plaisirs du goût. Le pain est, de fait, le produit de consommation courante le plus symbolique. L'acheter et le consommer sont des actes de notre vie quotidienne, sur lesquels nous exerçons tous les jours notre jugement : choix du fournisseur, choix du type de pain, appréciation de sa saveur.
Le boulanger a, par ailleurs, toute sa place dans la vie de nos communes, de nos quartiers, apportant un service irremplaçable en termes de proximité et d'échange. Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de rappeler sa place dans nos espaces ruraux.
Le dispositif législatif qui nous est présenté aujourd'hui pour améliorer l'exercice de cette profession estimée apporte une clarification indispensable et juste. Le travail de notre commission a permis d'obtenir du Gouvernement des précisions sur des points importants.
Il est proposé au Sénat d'adopter ce texte tel qu'il nous vient de l'Assemblée nationale, afin d'en accélérer l'application. Notre groupe approuve sans la moindre réserve cette démarche et votera donc la proposition de loi.
Nous espérons que nos concitoyens comprendront à travers cet exemple précis, qui touche directement leur vie quotidienne, le rôle effectif de la Haute Assemblée et sauront apprécier son action positive pour qu'il soit répondu à leurs préoccupations. (Très bien ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Moinard.
M. Louis Moinard. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, bien entendu, je voterai ce texte relatif à la profession d'artisan boulanger, texte de qualité, à l'image du pain qu'il veut promouvoir.
Nos artisans et commerçants sont les animateurs de la vie locale tant dans nos bourgs ruraux que dans nos centres-villes. Nous leur demandons de satisfaire aux trois critères que sont la qualité, le goût et le sens de l'accueil, critères relevés tant par notre rapporteur, auteur d'un premier texte, que par celles et ceux qui viennent de s'exprimer. En leur demandant d'y satisfaire, nous reconnaissons qu'ils leur sont propres. Les clients deviennent ainsi des amis, et nous voulons promouvoir cet état d'esprit, facteur d'équilibre social.
Permettez-moi de dire qu'il reste du pain sur la planche (Sourires), mais il est réconfortant de constater l'unanimité de notre assemblée sur cette proposition de loi. Je ne peux donc que conclure en vous souhaitant, à tous, un bon appétit ! (Nouveaux sourires et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le nombre de propositions de loi déposées, le fait qu'elles émanent de toutes les tendances politiques ainsi que la rapidité avec laquelle elles ont été inscrites à l'ordre du jour témoignent, s'il en était besoin, de l'importance de la boulangerie en France ainsi que du capital de sympathie dont elle bénéficie dans l'opinion.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre collègue Joseph Ostermann a déposé, en mars dernier, une proposition de loi quasiment identique à celle que nous examinons aujourd'hui.
Il était effectivement urgent, après l'annulation par le Conseil d'Etat de l'arrêté pris par notre collègue Jean-Pierre Raffarin en 1995, alors que celui-ci était, au Gouvernement, en charge du commerce et de l'artisanat, de répondre aux transformations que connaît ce secteur.
La boulangerie artisanale, chacun le sait, voit ses ventes baisser sous l'effet conjugué de trois facteurs : premièrement, un changement dans les habitudes alimentaires ; deuxièmement, la fermeture de nombreux points de vente et de fabrication du fait de l'exode rural ; troisièmement, la concurrence accrue des grandes surfaces et de la fabrication industrielle, dont les parts de marché sont passées de 17 % en 1995 à 21 % en 1996.
Or cette bataille n'est pas livrée à armes égales, les industriels et les terminaux de cuisson ayant l'avantage de pouvoir afficher des prix bas, alors que les boulangers n'ont pas la possibilité de se distinguer en mettant en avant la qualité de leur travail et de leur savoir-faire par une appellation différenciée.
Le défi que s'efforcent de relever l'ensemble des initiatives parlementaires est donc triple.
Tout d'abord, il s'agit de trouver un équilibre entre la liberté d'entreprendre et de commercer, d'une part, et la protection du consommateur, d'autre part. Ce dernier devrait en effet pouvoir choisir de façon éclairée, grâce à une information précise sur le produit qu'il achète.
Ensuite, il convient de reconnaître la spécificité de la fabrication artisanale du pain en vue de préserver des savoir-faire et un travail de qualité.
Le dernier défi est celui du maintien de l'emploi. La boulangerie artisanale est, de fait, un secteur économique non négligeable puisqu'il occupe quelque 110 000 salariés et 14 000 apprentis en formation.
En outre, ce secteur contribue au dynamisme du commerce de centre-ville et de centre-bourg, qu'il convient de préserver, notamment en milieu rural.
Ce déclin du commerce de campagne, conjugué au départ des services publics et à l'exode des habitants, ne permet plus à de nombreux villages de demeurer de véritables pôles de vie.
C'est donc l'équilibre de notre territoire qui est en jeu.
Comme le souligne à juste titre notre collègue Jean-Pierre Raffarin dans son excellent rapport, la boulangerie rurale joue un rôle social, humain et culturel.
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui ne peut que faire l'objet d'un accord unanime. Bien entendu, le groupe du RPR, attentif aux préoccupations de la boulangerie artisanale, votera ce texte équilibré. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les sénateurs non inscrits s'inscrivent dans la ligne de défense et de clarification des conditions juridiques d'exercice de la profession d'artisan boulanger.
Aussi tiennent-ils à rendre hommage à notre éminent rapporteur, M. Jean-Pierre Raffarin, pour la clarté de ses analyses et pour la pertinence des propositions qu'il a naguère mises au point.
Ils souhaitent aussi remercier le Gouvernement, notamment vous-même, madame le secrétaire d'Etat, de sa participation à l'élaboration du présent texte.
Notre collègue Philippe Darniche, qui devait prendre la parole en cet instant, avait, dès l'annonce de son élaboration, cosigné la proposition de loi de M. Raffarin pour la défense de l'identité et la valorisation de la profession d'artisan boulanger.
Comme lui, nous soutenons avec détermination la défense de la qualité artisanale dans ce secteur économique et commercial ainsi que la nécessaire protection de l'appellation d'« artisan », symbole de qualité, de tradition et de savoir-faire.
La profession de boulanger est et doit rester une composante majeure du commerce de proximité, indispensable à l'équilibre économique et social de la collectivité.
Le produit qu'elle fabrique, je tiens à le dire en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, contribue aussi grandement à l'image de notre pays à l'étranger. Au demeurant, quand un Français part au loin, ce qu'il regrette peut-être le plus de la mère patrie, c'est le bon pain de France, et il est toujours heureux de le retrouver.
Les 35 000 boulangers artisanaux qui existent en France fabriquent 75 % de la production nationale de pain, emploient 110 000 salariés et 14 000 apprentis. Or, depuis quelques années, ils subissent la concurrence déloyale d'entreprises qui vendent au public des pains fabriqués à partir de « pâtons » surgelés d'origine industrielle, tout en utilisant dans leurs enseignes commerciales et leurs prospectus le terme de « boulanger ».
La présente proposition de loi clarifie dans l'esprit du consommateur français - mais également du visiteur étranger - l'origine du produit le plus symbolique de notre alimentation : le pain.
C'est pourquoi cette proposition de loi tendant à la détermination des conditions juridiques de l'exercice de la profession d'artisan boulanger est essentielle. Il était nécessaire d'établir une distinction entre artisans et fabricants industriels. Or ce texte permet de donner enfin une définition stricte de la qualité d'artisan boulanger, qui ne pourra, dès lors, être utilisée que par les commerçants assurant eux-mêmes l'ensemble des phases de fabrication des produits qu'ils vendent, à la différence des « terminaux de cuisson » qui ne font que cuire une pâte surgelée d'origine industrielle.
Dans ces conditions, et convaincus que ce texte va dans le sens des intérêts de notre pays comme de ceux d'une profession à laquelle les Français sont notoirement attachés et qui fabrique des produits de renommée internationale, les sénateurs non inscrits le voteront tel qu'il ressort des travaux du Sénat. (Applaudissements.)
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Je remercie tout d'abord tous ceux qui viennent de s'exprimer, constatant avec plaisir que les mêmes arguments sont avancés sur toutes les travées de cet hémicycle.
Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison, tout à l'heure, de parler de qualification. Je vous confirme publiquement que les décrets relatifs à la qualification existent maintenant. Vous vous en doutez, ils ont été très difficiles à élaborer.
Il est vrai que la boulangerie doit faire face à une forme de concurrence difficile, « déloyale », allez-vous jusqu'à dire. De plus en plus, d'autres professions pourront d'ailleurs être touchées par ce phénomène.
C'est pourquoi il était extrêmement important de reconnaître dans la loi l'existence de deux formes de fabrication d'un même produit, l'une artisanale, que nous entendons protéger, l'autre industrielle.
Est tout aussi important l'engagement relatif à la fermeture hebdomadaire, Il va au-delà de l'application stricte du code du travail : c'est également la reconnaissance par tous, notamment par les consommateurs, de la difficulté d'une profession . Bien sûr, lorsqu'on a recours à des procédés industriels de fabrication du pain, le problème ne se pose pas du tout dans les mêmes termes parce que les contraintes techniques ne sont pas les mêmes.
M. Pastor a souligné, après vous, et à juste titre, l'importance du boulanger pour l'aménagement du territoire, la vie de proximité et la vie rurale. Est-il plus grande solitude, en effet, que celle de l'homme qui ne peut même plus acheter son pain ? Oui, la boulangerie est un lieu de convivialité. A cet égard, je profite de l'occasion de l'examen de ce texte, qui tend à protéger l'artisan boulanger, pour adresser un petit message aux consommateurs, à eux qui nous demandent précisément de protéger les boulangers et, par là même, de garantir un produit de qualité : qu'ils pensent donc à acheter leur pain dans la commune où ils résident et à garantir aussi l'équilibre financier du fonds de commerce de leur boulanger ! (Très bien ! et applaudissements.)
Il en va de même pour les multi-services, dont on ne cesse de nous réclamer la réinstallation sur les fonds du FISAC, le Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales ; mais encore faut-il que les consommateurs qui le demandent respectent le commerçant qui s'est installé dans leur commune en allant faire leurs courses chez lui !
Vous avez parlé de confiance et vous avez raison. Après les terribles crises que nous avons connues, en particulier celle de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, nous aurons à régler des problèmes de traçabilité, et ce y compris pour les céréales. Or c'est une bonne chose, car plus le consommateur est exigeant sur la traçabilité, plus nous avons de garanties qu'il est confiant, qu'il sait ce qu'il achète. Et s'il sait ce qu'il achète, il continuera à acheter. Le pire, pour le consommateur, serait de ne pas savoir, car, quand on ne sait pas, on a un doute et, quand on a un doute, on n'achète pas.
Face à l'ensemble des problèmes qui nous touchent aujourd'hui, vous avez raison de parler d'engagement des pouvoirs publics, sur la transparence et sur la traçabilité. Vous le verrez, cela ne sera pas facile, mais je pense que, collectivement, et avec les deux assemblées, nous pourrons y arriver.
Mme Dusseau a rappelé l'importance de l'augmentation des points de vente hors boulangerie. Elle a raison, il faut insister sur des chiffres qui sont relativement peu connus. Il faut dire aussi que cela ne met pas à l'abri d'autres formes de boulangerie, à l'intérieur même de grands centres commerciaux, par exemple. La qualité de l'information et la transparence que nous mettrons en oeuvre apporteront autant de garanties aux consommateurs. Cela étant, je réitère mon appel : si vous voulez garder vos boulangers, achetez-leur le pain !
L'information est effectivement importante, à condition justement qu'elle ne réintroduise pas une forme de méfiance. C'est ce que je crois aussi, tout en sachant que le respect du consommateur, dont vous avez longuement parlé, est crucial.
Mme Terrade a fort bien parlé de l'installation des jeunes. Les représentants des organisations professionnelles de la boulangerie en sont bien conscients, la qualification et la protection de la notion de boulangerie artisanale donneront davantage envie aux jeunes d'entrer dans cette profession. Lorsque l'on acquiert une qualification sanctionnée par un diplôme, on aime savoir que celui qui n'a ni qualification ni diplôme ne peut accéder à la profession en question.
La reconnaissance du diplôme constitue donc une motivation supplémentaire. Cela étant, nous le savons parfaitement, nous irons vraisemblablement un jour plus loin que les trois années d'expérience professionnelle.
Vous avez également raison sur la vente itinérante. Nous respectons et nous consacrons dans la loi cette activité ; il faut encourager dans ce sens nos artisans boulangers. Au moment de la distribution de crédits d'aides à la rénovation ou à l'homologation, notamment, il faut prendre en compte les outils qui permettent la vente itinérante dans de bonnes conditions. Même s'il s'agit de très petites sommes, elles sont extrêmement importantes pour la vie rurale.
M. Barraux a parlé de pain et de tradition. M. Arzel, élu de Bretagne, aurait pu renchérir que la tradition, en ce domaine, va très loin, en effet, et lui rappeler l'étymologie bretonne du verbe baragouiner : « bara », le pain, et « guvin », le vin, étaient effectivement les deux seuls mots de breton connus au moment de la guerre de 1914-1918. D'ailleurs, je peux déduire de sa longue intervention que le vote d'aujourd'hui sera pour moi du pain béni ! (Sourires.)
M. Philippe de Bourgoing. Bravo !
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat. Monsieur Arzel, je sais votre attachement à l'organisation des territoires. Je sais aussi votre détermination à faire en sorte que le libéralisme économique et la confrontation permanente entre l'offre et la demande ne soient pas à l'origine de la disparition de certaines professions et, surtout, des grands équilibres du territoire.
Vous avez raison, car, sinon, la simple confrontation de l'offre et de la demande aurait depuis longtemps déjà tué les commerces de proximité et je pense même que, dans notre Grand Ouest, nous n'aurions plus guère d'activité, compte tenu des concentrations qui peuvent se faire au centre de l'Europe.
Encore une fois, vous avez raison, monsieur Arzel, la contribution des artisans à l'aménagement du territoire est la bienvenue. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.) - (Applaudissements.)

7